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L'exposition comme pratique réflexive : une histoire alternative des expositions d'artistes

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Academic year: 2021

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1 L’exposition comme pratique réflexive :

une histoire alternative des expositions d’artistes

Marie-Josée Jean

McGill University

Department of Art History & Communication Studies

A thesis submitted to McGill University in partial

fulfillment of the requirements of the degree of Ph.D. Program in Art History

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2 Résumé

L’exposition est pratiquée par les artistes depuis des siècles bien que ce n’est qu’au milieu du XXe siècle qu’ils la considèrent comme une composante inhérente de leur art. Or, si la production d’œuvres artistiques sous la forme d’expositions a été abondamment discutée, cette thèse adopte une approche inédite en tentant de comprendre comment l’exposition est devenue, pour les artistes, une pratique réflexive.

Cette recherche jette ainsi un éclairage nouveau sur l’exposition d’abord, en repositionnant les artistes au fondement de son histoire puis, en démontrant comment elle s’est transformée – dès le moment où elle a été considérée comme un problème esthétique et conceptuel significatif –, en un méta-médium de leur démarche artistique. Cette manière de pratiquer l’exposition, l’auteure l’a désignée par le terme de « méta-exposition », en référence à une méthodologie qui repose sur une relation de commentaires à son endroit. Les artistes se donnent alors pour projet de réfléchir l’exposition, de la mettre en question, de la redéfinir et même d’en renverser les codes pour ainsi l’inscrire dans leur processus artistique.

Ce constat a induit des positions théoriques nouvelles que l’auteure a organisées autour de trois études de cas correspondant, à chaque fois, à un groupe d’artistes réunis à un moment spécifique afin d’échanger sur les expositions qu’ils produisent désormais. L’auteure a localisé les origines de la méta-exposition à Varsovie, en 1966, autour d’un groupe d’artistes de la galerie Foksal (dont Tadeusz Kantor, Jarosław Kozłowski, Edward Krasiński Maria Stangret) qui ont, les premiers, posé l’exposition comme un véritable problème. Elle a ensuite identifié une seconde occurrence, cette fois en 1994, à Lüneburg

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3 en Allemagne, où se sont réunis des artistes associés à la critique institutionnelle (dont Andrea Fraser, Renée Green, Fred Wilson) dans le cadre d’un groupe de discussion et d’une exposition à propos de la production de projets artistiques à l’ère de l’économie de services. Au cours des discussions portant sur leurs expériences respectives, l’auteure a constaté que se dégageait, en réaction à cette nouvelle manière de travailler en mode projet, une métacritique de l’exposition. La dernière étude de cas examine la reconstitution d’expositions historiques par un artiste anonyme travaillant à Belgrade, à Berlin, ou à New York, à partir des années 1980. L’auteure a suivi les traces de ses multiples réactivations (discursives et expositionnelles) afin de démontrer comment l’approche métahistorique qu’il préconise, s’appuyant sur l’examen critique des récits historiques qui ont fait autorité au fil des ans, a contribué à rendre manifestes les structures idéologiques qui déterminent l’histoire de l’art.

Au terme de cette thèse, l’auteure fait le constat que c’est en pratiquant les expositions puis en observant ses mutations formelles et conceptuelles que les artistes en sont venus à ouvrir un nouveau champ d’expérimentations et de connaissances à son propos. Cette convergence entre création artistique et production réflexive démontre, avec force, les moyens mis en œuvre par les artistes pour devenir des acteurs incontournables de la nouvelle économie du savoir.

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4 Abstract

Exhibitions have been part of what artists do for centuries, but it was only toward the mid-20th century that they began to consider them as an inherent component of their art. While the making of art works in the form of exhibitions has been widely discussed, this thesis takes a novel approach, seeking to understand how the exhibition has, for some artists, become a reflective practice.

The author sheds new light on the exhibition, first by repositioning artists at the foundation of its history, and then by showing how it has been transformed—beginning with the moment that it was considered as a meaningful aesthetic and conceptual problem—into a meta-medium for artists’ practice. The author terms this method of approaching the exhibition as “meta-exhibition,” referring to a methodology based on a relationship of comments about it. Artists working in this way aim to think about the exhibition, to question it, redefine it, and even subvert its codes, in the process making it part of their artistic process.

That observation has generated new theoretical stances, which the author frames according to three case studies, each corresponding to a group of artists brought together at a specific moment to exchange ideas around the exhibitions that they went on to produce. The author locates the origins of meta-exhibition in Warsaw, in 1966, and a group of artists associated with the Foksal Gallery (including Tadeusz Kantor, Jarosław Kozłowski, Edward Krasiński and Maria Stangret) who were the first to truly problematize the exhibition. She notes a second occurrence, dating from 1994, in Lüneburg, Germany, where a number of artists associated with institutional criticism (e.g., Andrea Fraser, Renée

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5 Green and Fred Wilson) came together around a discussion group and an exhibition about artmaking in the service-economy era. In the course of discussions about their respective experiences, the author noted that, in response to this new approach to working in project mode, a metacriticism of the exhibition emerged. The final case study examines the reconstitution of historical exhibitions by an anonymous artist working in venues such as Belgrade, Berlin and New York, beginning in the 1980s. The author retraces these multiple reactivations (both discursive and exhibitional), demonstrating how the metahistorical approach advocated by this artist, grounded in critical examination of historical narratives that have come to be authoritative over the years, has helped evince the ideological structures that determine the history of art.

In conclusion, the author asserts that, in practicing exhibitions and in turn observing their formal and conceptual mutations, artists have opened up a new field of experimentation and knowledge about them. This convergence of artistic creation and reflective production compellingly demonstrates the means implemented by artists to become indispensable agents of the new knowledge-based economy.

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6 Table des matières

Résumé ... 2

Abstract ... 4

Table des illustrations ... 9

Remerciements ... 15 Introduction ... 17 Hypothèse ... 19 Constellations d’expositions ... 21 Synopsis ... 24 Pratiquer l’exposition ... 33 Chapitre 1 L’exposition : une pratique curatoriale et une pratique artistique ... 35

L’exposition pratiquée par les artistes : une introduction historique ... 52

L’exposition formaliste : les avant-gardes russes et les musées de la culture artistique . 54 L’exposition comme espace de démonstration : le Cabinet des abstraits d’El Lissitzky 63 L’exposition à l’ère de la reproduction mécanisée : ... 73

la Boîte en valise de Marcel Duchamp, scénographiée par Frederick J. Kiesler ... 73

La Souveraineté de l’artiste ... 86

L’auteur est mort. Vive l’auteur! ... 87

Crise à la documenta 5 ... 90

Une question de compétences ... 98

L’auteur, l’œuvre et le droit ... 103

Quand l’œuvre devient exposition ... 107

Modes d’existences multiples ... 119

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7 Chapitre 2

L’imaginaire radical de la Galerie Foksal ... 130

L’institution, l’artiste et le politique ... 132

L’anti-exposition ... 148

Introduction à une théorie générale du LIEU ... 152

L’exposition constructiviste polonaise ... 165

What we do not like about the Foksal PSP Gallery? ... 174

Une archive vivante ... 190

Épilogue ... 207

Chapitre 3 Métacritique de l’exposition à l’ère de la société de services ... 210

L’artiste en « travailleur » ... 215

Il était une fois… le projet ... 221

N.E. Thing Co. : la première entreprise artistique de services ... 227

L’artiste, un « entrepreneur de soi-même » ... 233

1990 : nouvelles conditions de travail des artistes ... 239

De la culture du service à la production intellectuelle ... 245

Project Unité, 1993 ... 255

Renée Green : Apartment Inhabited by the Artist Prior to the Opening, 1993 ... 261

Fred Wilson : Mining the Museum, 1992 ... 273

L’exposition et son mode d’emploi ... 277

L’exposition comme thérapie ... 297

Andrea Fraser, Project in Two Phases, 1995 ... 303

Investigation ... 310

Services rendus ... 316

Institutionnalisme expérimental ... 319

De l’événement discursif à l’exposition métadiscursive ... 324

Auto-institutionnalisation ... 334

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8 Chapitre 4

Présence du futur : une métahistoire des expositions ... 341

Avènement d’un nouveau genre d’expositions : la reconstitution ... 347

L’exposition à l’ère post-indexicale ... 357

Concept d’histoire et mise en intrigue ... 362

Le futur remémoré, pour un usage raisonné de l’anachronisme : ... 364

le Museum of American Art (MoAA) de Berlin ... 364

La rétro-avant-garde comme principe anachronique ... 375

Un nouvel horizon d’attente ... 383

Histoire de l’art et régimes d’historicité : le Salon de Fleurus à New York ... 394

Image spatialisée ... 403

Performer l’histoire : le cas la Dernière exposition futuriste 0,10 de Belgrade ... 409

Les usages politiques de la réexposition ... 419

Conclusion ... 426

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9 Table des illustrations

Figure 1 : Accrochage de l’exposition Gustave Courbet, École des beaux-arts de Paris, 1882. Photo Eugène Chéron. Source : Bibliothèque nationale de Paris. ... 48 Figure 2 : Exposition Gustave Courbet, École des beaux-arts de Paris, 1882. Photo Eugène Chéron. Source : Bibliothèque nationale de Paris. ... 49 Figure 3 : Exposition Gustave Courbet, École des beaux-arts de Paris, 1882. Photo : Eugène

Chéron. ... 50 Figure 4 : Illustration de George Du Maurier, « The Latest Whistlerian Criticism », date inconnue. Source : The Fitzwilliam Museum. . ... 52 Figure 5 : James Abbot McNeill Whistler, The Artist in His Studio, 1865-1866, huile sur papier monté sur panneau, 62,9 x 46,4 cm. Source : Art Institute Chicago. ... 52 Figure 6 : Kazimir Malevitch, Dernière exposition futuriste de tableaux 0,10, 1915.

Figure 7 : 10e exposition d’état, Moscou, 1919. ... 56

Figure 8 : détail d’une exposition du groupe Unovis à Moscou, 1921.

Figure 9 : œuvre suprématiste du groupe Unovis présentée dans les rues de Vitebsk. ... 58 Figure 10 : El Lissitzky, Espace Proun, 1923, 320 x 264 x 364 cm, Grande Exposition de Berlin. . ... 59 Figure 11 : reconstitution de l’Espace Proun d’ El Lissitzky, 1971. Source : Van Abbemuseum. ... 59 Figure 12 : Exposition du groupe Unovis, 1923, Saint-Pétersbourg.

Figure 13 : Malevitch devant sa collection de tableaux à l’école de Vitebsk. ... 60 Figure 14 : El Lissitzky, Salle des constructivistes, Exposition Internationale de Dresde, 1926. Photo : Alexander Paul Walther. Source : Getty Research Institute. ... 64 Figure 15 : El Lissitzky, Cabinet des abstraits, Musée provincial de Hanovre, 1927. Reconstitution du cabinet en 1968. Photo : Marie J. Jean ... 66 Figure 16 : El Lissitzky, Cabinet des abstraits, Musée provincial de Hanovre, reconstitution de 1968. Photo : Marie J. Jean. ... 70 Figure 17 : El Lissitzky, composante documentaire du Cabinet des abstraits où sont exposés « les effets de l'art abstrait sur les phénomènes de la vie quotidienne ». À gauche, des exemples de papiers en-tête, à droite une usine de fabrication de tapis. Musée provincial de Hanovre,

reconstitution de 1968. Photo : Marie J. Jean. ... 72 Figure 18 : publicité pour trousses de toilette de voyage, 1909. ... 74 Figure 19 : Marcel Duchamp, la Boîte-en-valise, série G, 47 copies, 1936/1968. Boîte en carton recouverte de cuir vert contenant 80 objets : répliques miniatures d’œuvres, photographies, fac-similés ou reproductions de tableaux. Source : VOX, centre de l’image contemporaine. ... 74 Figure 20 : Frederick J. Kiesler, l’Internationale Ausstellung neuer Theatertechnik, Vienne, 1924. .. 76 Figure 21 : City in Space, Expositions internationales des arts décoratifs et industriels modernes, Grand Palais, 1925. ... 76 Figure 22 : Frederick J. Kiesler, galerie des abstraits, Art of This Century, New York, 1942. Photo : Berenice Abbott. ... 77 Figure 23 : Frederick J. Kiesler, galerie surréaliste, Art of This Century, New York, 1942. Photo :

Berenice Abbott. ... 78 Figure 24 : Frederick J. Kiesler, galerie surréaliste, Art of This Century, New York 1942 (Maquette 1:3, 1997). Source : Kiesler Foundation Vienna. ... 79

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Figure 25 : Frederick J. Kiesler, galerie cinétique, (dispositif pour présenter La Boîte en valise de Marcel Duchamp), Art of This Century, New York, 1942. Source : Kiesler Foundation Vienna. ... 81 Figure 26 : lettre de Robert Morris à Harald Szeemann, 6 mai 1972. ... 94 Figure 27 : Lucy Lippard, Fiches du catalogue 557,087 et 955,000 au Seattle Art Museum (1969) et à la Vancouver Art Gallery (1970). ... 97 Figure 28 : Marcel Broodthaers, vernissage du Musée d’Art Moderne, Département Des Aigles, Section XIXe siècle, 30 rue de la Pépinière, Bruxelles, 27 septembre 1968. ... 111

Figure 29 : Marcel Broodthaers, Musée d’Art Moderne, Département Des Aigles, Section des Figures (détail), Städtische Kunsthalle de Düsseldorf, du 16 mai au 9 juillet 1972. ... 112 Figure 30 : Marcel Broodthaers, Musée d’art moderne, Département des Aigles, Section d’Art Moderne, du 30 juin au 15 août 1972. ... 115 Figure 31 : Musée d’art moderne, Département des Aigles, Galerie du XXe siècle, du 15 août au 8

octobre 1972. documenta 5, section Mythologies personnelles. ... 115 Figure 32 : Marcel Broodthaers, L’exposition à la galerie MTL, du 13 mars au 10 avril 1970 et un détail d’un document de la partie A, reproduite dans le catalogue. ... 117 Figure 33 : Marcel Broodthaers, Section Publicité du Musée d’Art Moderne, département des Aigles présentée dans le cadre de documenta 5, section Musée d’artistes, du 30 juin au 8

octobre 1972. ... 124 Figure 34 : documenta 10, du 21 juin au 28 septembre 1997. ... 124 Figure 35 : Daniel Buren, Avertissement (recto) et croquis des présentations possibles de la pièce joints à l’avertissement, 1973. ... 126 Figure 36 : Exposition inaugurale à la Galerie Foksal avec Zbigniew Gostomski, Edward Krasiński, Roman Owidzki, Henryk Stażewski, Jan Ziemski, 1er avril 1966. Photo : Eustachy Kossakowski.

Source : archives de la Galerie Foksal. ... 135 Figure 37 : Tadeusz Kantor, Ligne de partage, photographie marouflée sur toile, 1965. Source : archives Cricoteka. ... 141 Figure 38 : Tadeusz Kantor pendant le happening Ligne de partage, Cracovie, décembre 1965. Photo : Wojciech Plewiński. Source : archives Cricoteka. ... 141 Figure 39 : Allan Kaprow, Push and Pull: A Furniture Comedy for Hans Hofmann, 1963, Santini Brothers Warehouse, New York, 1963. ... 145 Figure 40 : Reconstitution présentée à Passerby, New York dans le cadre de Performa 07, 2007. Photo: Meghan McInnis. Sources : Media Art Net et Hauser & Wirth. ... 145 Figure 41 : Tadeusz Kantor, Anti-Exhibition, Popular Exhibition, Galeria Krzysztofory, Cracovie, 1963. Photo : Tadeusz Chrzanowski. Source : archives Cricoteka. ... 149 Figure 42 : Tadeusz Kantor, The Letter (détail), espace urbain de Varsovie, 21 janvier 1967. Photo : Eustachy Kossakowski. Source : archives de la Galerie Foksal. ... 161 Figure 43 : Tadeusz Kantor, The Letter (détail), Varsovie, Galerie Foksal, 21 janvier 1967. Photo : Eustachy Kossakowski. Source : archives de la Galerie Foksal. ... 164 Figure 44 : Władysław Strzemiński, Neoplastic Room, 1948, Musée d’art moderne de Łódź et sa reconstitution de 1960. Source : Muzeum Sztuki Łódz. ... 168 Figure 45 : Katarzyna Kobro, Spatial Composition (4), 1928, métal peint, 40 x 64 x 40 cm. ... 169 Figure 46 : Władysław Strzemiński, reconstitution de la Neoplastic Room, mais cette fois sans œuvre (1948), 1960. Source : Muzeum Sztuki Łódz. ... 169 Figure 47 : Henryk Stażewski, Environment, 1967. Exposition à la Galerie Foksal. Source : archives de la Galerie Foksal. ... 171

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Figure 48 : Zbigniew Gostomski, exposition individuelle à la Galerie Foksal, 1967. Source : archives de la Galerie Foksal. ... 173 Figure 49 : Maria Stangret, Tresholds et Tadeusz Kantor, Machine à écrire pourvue d’un voile et d’un gouvernail dans le cadre d’Assemblage d’hiver, une série d’événements tenue à la Galerie

Foksal de janvier à avril 1969. Source : archives de la Galerie Foksal. ... 176 Figure 50 : Edward Krasiński, J’ai perdu la fin!!! dans le cadre d’Assemblage d’hiver, une série d’événements tenue à la Galerie Foksal de janvier à avril 1969. Source : archives de la Galerie Foksal. ... 180 Figure 51 : Edward Krasiński, expositions individuelles, Galerie Foksal, 1984 et 1990. Source :

archives de la Galerie Foksal. ... 183 Figure 52 : Jarosław Kozłowski, Metafizyka (1972), Fizyka (1973) et Yka, (1974). Vue de l’exposition à la Generali Foundation, 2004. Source : archives de la Generali Foundation. ... 184 Figure 53 : Tadeusz Kantor, Panoramic Sea Happening, 1967. Photo : Eustachy Kossakowski. Source : archive Eustachy kossakowski. ... 193 Figure 54 : Living Archive, 1971, Galerie Foksal. Source : archives de la Galerie Foksal. ... 194 Figure 55 : Mel Bochner, Working Drawings and Other Visible Things on Paper Not Necessarily Meant to Be Viewed as Art, 1966. Vue de l’exposition : School of Visual Arts, New York. ... 196 Figure 56 : Intervention d’Harald Szeemann pour l’exposition Living Archives. Extrait de la section « Live in your Head » du catalogue Quand les attitudes deviennent forme, Kunsthalle Bern, 1969. Source : archives de la Galerie Foksal. ... 198 Figure 57 : Helmut Draxler et Andrea Fraser, Services : The Conditions and Relations of Service Provision in Contemporary Projects Oriented Artistic Practice, Künstraum der Universität Lüneburg,

du 24 janvier au 20 février 1994. Source : Fales Library and Special Collections, New York

University. ... 216 Figure 58 : N.E. Thing Co. Plan de Environnement et chantier de construction, 1969. Musée des beaux-arts du Canada. L’exposition s’est tenue du 4 juin au 6 juillet 1969. Source : Bibliothèques et archives du Musée des beaux-arts du Canada. ... 229 Figure 59 : N.E. Thing Co. Environment, 1969. Musée des beaux-arts du Canada. Vue du Lorne Building; Iain et Ingrid Baxter dans le bureau du président. Source : Bibliothèques et archives du Musée des beaux-arts du Canada. ... 232 Figure 60 : N.E. Thing Co. Environment, 1969. Musée des beaux-arts du Canada. Réception et secrétariat. Source : Bibliothèques et archives du Musée des beaux-arts du Canada. ... 233 Figure 61 : N.E. Thing Co. Environment, 1969. Musée des beaux-arts du Canada. Salle de

démonstration où l’on aperçoit des sculptures gonflables et, à l’arrière plan, le département projets. Département COP (copie et plagiat). Source : Bibliothèques et archives du Musée des beaux-arts du Canada. ... 236 Figure 62 : Seth Siegelaub et Robert Projanski, maquette du contrat The Artist’s Reserved Rights Transfer and Sale Agreement, 1971. Sources : The Seth Siegelaub Papers as Institutional Critique,

moma.org. ... 244 Figure 63 : Michael Clegg, Mark Dion, Andrea Fraser, Julia Scher, Martin Guttmann, questionnaire envoyé à 46 artistes, 2 janvier 1994.; Parasites Archive. 1966-1999, Source : Fales Library and

Special Collections, New York University. ... 244 Figure 64 : Unité d’habitation Le Corbusier, Firminy, France. Les travaux commencent en 1964, et sont achevés par l’architecte André Wogenscky, associé de Le Corbusier, en 1967. Source : Fondation Le Corbusier. ... 256 Figure 65 : Vue de l’aire de jeu du centre de l’enfance situé sur le toit-terrasse du bâtiment. Source : Stephan Dillemuth, Project Unité for Sonsbeek 93’, vidéo, 49 min. 57 sec. ... 256

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Figure 66 : Interventions de Jim Isermann et de Christian Philip Müller, Individual Comfort, Project Unité, 1993, Firminy, France. Source : Stephan Dillemuth, Project Unité for Sonsbeek 93’, vidéo, 49

min. 57 sec. ... 258 Figure 67 : Interventions de Clegg & Guttman, Firminy Music Library et de Mark Dion en

collaboration avec Art Orienté Objet, Project Unité, 1993, Firminy, France. ... 260 Figure 68 : Renée Green, Apartment Inhabited by the Artist Prior to the Opening, 1993. Project Unité, 1993, Firminy, France. Source : Stephan Dillemuth, Project Unité for Sonsbeek 93’, vidéo, 49 min. 57 sec. ... 261 Figure 69 : Exposition de la collection permanente. Source : Maryland Historical Society. ... 278 Figure 70 : Fred Wilson faisant une présentation de l’exposition Mining the Museum, 1992. Source : Maryland Historical Society. ... 284 Figure 71 : Fred Wilson, Mining the Museum, 1992-1993, The Contemporary et Maryland Historical Museum, Baltimore, du 4 avril 1992 au 28 février 1993. Source : Maryland Historical Museum. ... 286 Figure 72 : Fred Wilson, Mining the Museum, 1992-1993, The Contemporary et Maryland Historical Museum, Baltimore, du 4 avril 1992 au 28 février 1993. Source : Maryland Historical Museum. ... 287 Figure 73 : Fred Wilson, Mining the Museum, 1992-1993, The Contemporary et Maryland Historical Museum, Baltimore, du 4 avril 1992 au 28 février 1993. Source : Maryland Historical Museum. ... 288 Figure 74 : Fred Wilson, Mining the Museum, 1992-1993, The Contemporary et Maryland Historical Museum, Baltimore, du 4 avril 1992 au 28 février 1993. Source : Maryland Historical Museum. ... 290 Figure 75 : Fred Wilson, Mining the Museum, 1992-1993, The Contemporary et Maryland Historical Museum, Baltimore, du 4 avril 1992 au 28 février 1993. Source : Maryland Historical Museum. ... 293 Figure 76 : Fred Wilson, Mining the Museum, 1992-1993, The Contemporary et Maryland Historical Museum, Baltimore, du 4 avril 1992 au 28 février 1993. Source : Maryland Historical Museum. ... 294 Figure 77 : Fred Wilson, Mining the Museum, 1992-1993, The Contemporary et Maryland Historical Museum, Baltimore, du 4 avril 1992 au 28 février 1993. Source : Maryland Historical Museum. ... 295 Figure 78 : Fred Wilson, Mining the Museum, 1992-1993, The Contemporary et Maryland Historical Museum, Baltimore, du 4 avril 1992 au 28 février 1993. Source : Maryland Historical Museum. ... 296 Figure 79 : Fred Wilson au travail, 1993. ... 300 Figure 80 : Andrea Fraser, Please Ask for Assistance et Preliminary Prospectus, 1993, American Fine Arts Co, du 18 décembre 1993 au 15 janvier 1994. ... 304 Figure 81 : Andrea Fraser, Project in Two Phases, Generali Foundation, Vienne, 1994-1995. Source : Generali Foundation. ... 311 Figure 82 : Andrea Fraser, Project in Two Phases, Generali Foundation, Vienne, 1994-1995. Source : Generali Foundation. ... 313 Figure 83 : Andrea Fraser, Project in Two Phases, Generali Foundation, Vienne, 1994-1995. Source : Generali Foundation. ... 315 Figure 84 : Andrea Fraser, Project in Two Phases, Generali Foundation, Vienne, 1994-1995. Vues des locaux du siège social de l’entreprise. Source : Generali Foundation. ... 318 Figure 85 : The V-Girls performant Daughters of the ReVolution. La pièce a d’abord été performée au Manhattan Theater Club en mars 1993. De gauche à droit : Andrea Fraser, Jessica Chalmers, Marianne Weems, Erin Cramer et Martha Baer. Source : Generali Foundation. ... 329 Figure 86 : Group Material, Democracy: Education, 1988. Source : Dia Art Foundation, New York. ... 331 Figure 87 : Martha Rosler, If you Lived Here, exposition II. Homeless: The Street and Other Venues, 1989. Source : Dia Art Foundation, New York.
 ... 331

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Figure 88 : L’installation d’une série de sculptures rouge-cadmium de Donald Judd au 4e étage

du Lorne Building, Musée des beaux-arts du Canada, 1975. Source : Bibliothèques et archives du Musée des beaux-arts du Canada. ... 342 Figure 89 : Réexposition de la collection permanente de la Neue National Gallery telle qu’elle était montrée avant le déclenchement de la deuxième guerre mondiale, incluant la

reproduction en noir et blanc de tableaux disparus ou détruits. Modern Times.The Collection. 1900-1945. Neue National Gallery, Berlin, 2010-2011. Photo : Marie J. Jean. ... 344 Figure 90 : László Moholy-Nagy, Light-Space Modulator, 1922-1930, reconstitué en 1970. Source : Hattula Moholy-Nagy/ DACS 2007. ... 349 Figure 91 : Theo van Doesburg, la Salle des fêtes du Café L’Aubette de la Place Kléber,

Strasbourg, France (1926-28) ici reconstitué dans son site d’origine (1985 à 1994). ... 349 Figure 92 : Reconstitution au CCA Wattis Institute for Contemporary Arts (2012) de l’exposition Harald Szeemann, Live In Your Head: When Attitudes Become Form (Works – Concepts –

Processes – Situations – Information, 1969. Source : CCA Wattis Institute for Contemporary Arts.

Photo de Johnna Arnold Photography. ... 352 Figure 93 : Reconstitution de la Fondation Prada de l’exposition (2013) Harald Szeemann, Live In Your Head: When Attitudes Become Form (Works – Concepts – Processes – Situations –

Information, 1969. Source : Ca’ Corner della Regina, Venise. Photo d’Attilio Maranzano. ... 352 Figure 94 : Vues de l’exposition When Attitudes Become Form: Bern 1969/Venice 2013, organisée par Germano Celant en collaboration avec Thomas Demand et Rem Koolhaas, Fondation Prada, Ca’ Corner della Regina, Venise, du 1er juin au 3 novembre 2013. Source : Fondation

Prada, Ca’ Corner della Regina. Photos : Attilio Maranzano ... 355 Figure 95 : Alfred H. Barr, Jr., catalogue Cubism and Abstract Art (1936) sur lequel est reproduit un schéma des mouvements d’art moderne et Alfred H. Barr Jr., diagramme en forme de torpille, 1941. Source : Museum of Modern Art, New York. ... 363 Figure 96 : Exemples d’accrochage linéaire : vue d’une exposition de photographies accrochée par Max Weber, Newark Museum, 1911. ... 364 Figure 97 : vue de l’exposition Gustav Klimt, Biennale de Venise, 1910. ... 364 Figure 98 : Alexander Dorner, Die Zwanziger Jahre in Hannover, 2062 (Alexander Dorner, Les années 1920 à Hanovre, 2062), acrylique sur toile, 150 × 200cm. Source : Museum of American

Art, Berlin.

Figure 99 : Alexander Dorner et El Lissitzky, Kabinett der Abstrakten, Halle für Kunst Lüneburg, 2009. Source : Museum of American Art, Berlin. Photo: Julian Boy. ... 367 Figure 100 : Alfred H. Barr Jr., Musée d’art moderne présentée dans le cadre de l’exposition Les Fleurs américaines, Frac Île-de-France / Le Plateau, Paris, du 13 décembre 2012 au 17 février

2013. Source : Frac Île-de-France / Le Plateau. Photo : Martin Argyroglo. ... 371 Figure 101 : Museum of American Art (MoAA), 2004 : Dorothy C. Miller, The New American

Painting, New York, 1958; Alfred H. Barr Jr. Museum of Modern Art, New York, 1936. Source :

Museum of American Art (MoAA). ... 372 Figure 102 : Neue Slowenische Kunst (NSK, nouvel art slovène en allemand), affiche conçue par le studio de graphiste Novi Kolektivizem (NK, Nouveau Collectivisme) pour la journée de la jeunesse, 1987, inspirée d’une affiche nazie, réalisée par Richard Klein sous le titre Le Troisième Reich. ... 375 Figure 103 : Laibach, entité musicale de la Neue Slowenische Kunst (NSK, nouvel art slovène en allemand). ... 377

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Figure 104 : IRWIN, Back to the USA, Galerija Škuc, Ljubljana, 1984. IRWIN est le collectif d’artistes visuels du Neue Slowenische Kunst (NSK, nouvel art slovène en allemand). Source : Galerija Škuc, Ljubljana. ... 379 Figure 105 : Goran Đorđević, Kratka istorija umetnost (Petite histoire de l’art), Centre culturel étudiant (SKC), Belgrade, 1980. Source : Artiste anonyme. ... 380 Figure 106 : Walter Benjamin, Piet Mondrian 63 – 69, conférence donnée au Centre marxiste de Ljubljana, juin 1986. Image fixe tirée de l’enregistrement vidéo. Source : Artiste anonyme. ... 382 Figure 107 : Anonyme, Vue de l’exposition Sites of Modernity (collection of the Museum of

Antiquities), Van Abbemuseum, Eindhoven, 2010. Giovanni Volpato (1735-1803) et Raffaello

Morghen (1758-1833). Source : Van Abbemuseum. ... 387 Figure 108 : L’Apollon du Belvedère, gravure annotée par Canova à la plume et à la sanguine. Source : Museo civico. ... 387 Figure 109 : Alfred H. Barr Jr., Musée d’art moderne présenté dans le cadre de l’exposition Les Fleurs américaines, Frac Île-de-France / Le Plateau, Paris, du 13 décembre 2012 au 17 février

2013. Source : Frac Île-de-France / Le Plateau. Photo : Martin Argyroglo. ... 392 Figure 110 : Appartement de Gertrude Stein dans les années 1920, 27 rue de Fleurus, Paris. Portrait de Gertrude Stein et d’Alice B. Toklas dans leur appartement. ... 395 Figure 111 : Salon de Fleurus, vue de l’exposition, New York, 1992-2013. Source : artiste

anonyme. ... 398 Figure 112 : Salon de Fleurus, vue de l’exposition, New York, 1992-2013. Source : artiste

anonyme. ... 401 Figure 113 : Espace de travail de Leon Trotsky à Mexico où il a été assassiné en 1940.

L’appartement de Trotsky a été conservé intact, et rendu accessible au public en 1990 au moment de la fondation du Leon Trotsky House Museum, Mexico. Source : Leon Trotsky House Museum. ... 404 Figure 114 : Bureau du Frère André où il a reçu des milliers de pèlerins jusqu’à sa mort conservé et accessible au public, à l’Oratoire Saint-Joseph de Montréal. Photo : Valérie Morin. ... 404 Figure 115 : Alexander Dorner. Salle Ramberg après sa réorganisation. Photo : Niedersächsisches Landesmuseum Hannover - Landesgalerie. ... 406 Figure 116 : Panneau installé entre chacune des salles atmosphériques par Alexander Dorner. Texte traduit de l’allemand. ... 406 Figure 117 : Nikolaï Pounine, Kazimir Malevitch, Mikhail Matiushin, au Museum of Artistic Culture, Léningrad, 1925. ... 412 Figure 118 : Erste russische Kunstausstellung Berlin, première exposition des avant-gardes russes présentée à l’étranger, Van Diemen Galerie, Berlin, 1922. Le catalogue a été conçu par El

Lissitzky. Source : Van Diemen Galerie. ... 414 Figure 119 : Anonyme, International Exhibition of Modern Art, organisée par la Société Anonyme, Brooklyn Museum, 1926. Source : Artiste anonyme. ... 416 Figure 120 : Kazimir Malevitch (Belgrade), vue de l’exposition Histoires de l’art, VOX, centre de l’image contemporaine, 2012. Source : VOX. Photo : Michel Brunelle. ... 418

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Remerciements

Ma gratitude va en premier lieu à Christine Ross, ma directrice de recherche, pour ses lectures attentives, ses avis éclairants et ses commentaires toujours perspicaces. Je souhaite souligner sa patience et sa disponibilité qui témoignent de la confiance qu’elle m’a accordée tout au long de cette recherche. Je veux en particulier remercier Klaus Scherübel avec lequel j’ai eu mille discussions, toujours si inspirantes. Son discernement, ses observations minutieuses et ses encouragements m’ont procuré motivation et détermination en plus de nourrir mes réflexions. Je veux aussi remercier l’indulgence et le soutien de Rebecca Scherübel. Cette thèse leur doit beaucoup à tous les deux.

À l’origine de ce projet, il y a les artistes qui représentent l’inspiration véritable de cette entreprise de recherche. Les innombrables expositions que j’ai réalisées avec leur collaboration, occasionnant maintes discussions, constituent la matière première de mes réflexions. Je leur en suis extrêmement reconnaissante. Je désire aussi souligner ma gratitude à VOX, centre de l’image contemporaine, qui m’a permis de pratiquer l’exposition et de mettre à l’épreuve plusieurs de mes hypothèses. Je ne saurais oublier le soutien précieux de mes amis, de mes collègues et de ma famille qui m’ont prodigué conseils et encouragements à maints égards.

La concrétisation de cette thèse n’aurait été possible sans le soutien d’institutions et de leurs personnels. Je veux exprimer ma reconnaissance au Fonds FCAR du Québec, à l’Université McGill ainsi qu’à l’Université du Québec à Montréal. Je souhaite aussi remercier la galerie Foksal de Varsovie, le Centre for Contemporary Art Ujazdowski Castle de Varsovie, la Fondation Frédérick Kiesler de Vienne, la Generali Foundation de Vienne,

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16 le Musée des beaux-arts du Canada, la Fales Library and Special Collections de la New York University qui m’ont donné un accès privilégié à leurs archives.

Je ne peux énumérer ici tous ceux et celles qui, au fil des rencontres et des conversations, ont échangé avec moi des idées et des informations, mais je veux néanmoins leur exprimer toute ma gratitude tant pour leur générosité que pour leur enthousiasme.

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Introduction

Si les expositions produites par les commissaires sont pour l'essentiel étudiées, c’est peu le cas des expositions conçues par les artistes. Elles ont pourtant instauré des changements paradigmatiques dans l’histoire des expositions, apportant des idées nouvelles sur ses formes et ses fonctions, établissant des rapports inédits avec les spectateurs en plus de procéder à un examen critique des institutions qui les produisent. Notre recherche entend repositionner l’artiste au centre de cette réflexion et ainsi contribuer à l’avancement des connaissances sur le sujet.

Dans la foulée des ouvrages publiés sur l’histoire des expositions, célébrant le plus souvent les innovations de commissaires d’expositions, quelques études ont bien été consacrées aux expositions d’artistes, mais leur nombre est trop limité et on se résigne, par surcroît, à l’étude de cas canoniques, généralement les mêmes. On assimile aussi leur pratique de l’exposition, de manière souvent inappropriée, à celle du commissaire ou du conservateur, en les désignant d’« artistes commissaires ». Bien qu’il soit indéniable que les artistes assument à l’occasion cette fonction, invités à revisiter les collections d’institutions soucieuses d’approches innovantes, il est nécessaire de rappeler que l’artiste « pratique » l’exposition depuis au moins le XIXe siècle et cela, dans ses fonctions d’artiste. L’étonnant arrangement jaune de James Abbot McNeill Whistler, les expositions des formalistes et des constructivistes russes et polonais, les espaces de démonstration d’El Lissitzky, le dispositif cinétique conçu par Frederick J. Kiesler et Marcel Duchamp en sont des exemples incontournables. Un bref examen de ces cas historiques nous permettra de repérer deux constantes : leur exposition se présente comme le prolongement d’une recherche et

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18 d’une production artistique dans l’espace; elle rend visible le contexte dans lequel leurs œuvres prennent forme. On pourrait, en fait, aisément soutenir que ces expérimentations seront à l’origine des œuvres contextuelles qui, à partir du milieu des années 1960, se multiplient de manière à ce que l’exposition devienne une composante intrinsèque de la pratique des artistes. Leur approche se distingue des expositions que nous avions alors l’habitude de fréquenter dans les musées, en partie parce que les artistes réfutent l’idée d’un contexte expositionnel neutre, cherchant au contraire à activer les sensations du temps et de l’espace vécues par les spectateurs, les engageant même, à l’occasion, dans une réflexion à l’endroit de l’institution.

C’est également au cours de la décennie 1960 qu’on assiste à l’avènement d’une nouvelle figure en art contemporain, le commissaire d’exposition, laquelle transformera radicalement la pratique curatoriale tout en troublant la frontière avec les expositions pratiquées par les artistes. En conséquence, si l’artiste devient producteur d’expositions, le commissaire devient, quant à lui, auteur d’exposition. On peut dès lors repérer dans le discours de certains artistes – dont Marcel Broodthaers, Daniel Buren, Robert Morris, Robert Smithson – de fortes réactions conduisant à une crise véritable, d’un caractère nouveau, et dont les répercussions se font sentir au moment de la documenta 5, sous la direction artistique d’Harald Szeemann. Un récit majeur de l’histoire des expositions s’écrit alors, au cours de cet événement, sous le signe d’une rivalité entre les artistes d’un côté et de l’autre, les commissaires d’exposition. Car l’enjeu est de taille pour les artistes : conserver leur souveraineté sur les expositions qu’ils produisent désormais. Ainsi, si la production d’œuvres artistiques sous la forme d’exposition a été abondamment discutée – nous faisons ici référence à « l’art dans le champ élargi de son contexte » –, la transformation

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19 du statut de l’artiste et sa requalification à la lumière de l’avènement du commissaire d’exposition n’ont pas encore été suffisamment interrogées. Et, comme nous allons le voir au chapitre premier, ce questionnement nous semble participer d’une toute nouvelle approche de l’exposition qui conduira les artistes à imaginer une constellation de positions autoréflexives à son sujet. L’une de ses conséquences principales est l’appropriation, comme contenu spécifique des expositions, de leur fonction réflexive conduisant à une expérimentation concrète de ses formes, de ses concepts, de ses conventions et même de ses limites. Les artistes se donnent alors pour projet de réfléchir l’exposition, de la mettre en question, de la redéfinir et même d’en renverser les codes pour ainsi l’inscrire dans leur processus artistique. Nous souhaitons donc dans cette thèse repérer un certain nombre d’occurrences dans la pratique et l’histoire de l’exposition nous permettant de comprendre comment elle est devenue, pour les artistes, l’objet et le sujet de leur production. Il s’agit alors, pour eux, de reconnaître la nature problématique de l’exposition (considérée comme une pratique signifiante) afin de lui permettre d’acquérir de nouvelles fonctions.

Hypothèse

Notre thèse portera sur cette pratique de l’exposition d’artistes, dont nous avons localisé l’origine en Pologne au milieu des années 1960, et que nous désignons par le terme de « méta-exposition ». Par cette formule, nous référons à des pratiques et des discours métatextuels qui reposent sur une relation dite de commentaire, comme l’a si bien énoncé Gérard Genette, reliant un « texte à un autre texte dont il parle, sans nécessairement le citer (le convoquer), voire à la limite, sans le nommer. […] C’est par

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20 excellence la relation critique 1 ». En ce sens, la méta-exposition se distingue conceptuellement des autres formes d’exposition, car, bien qu’elle utilise un matériau en tout point comparable (l’œuvre expositionnelle) ou que sa forme soit également expérimentale, l’enjeu qui la détermine est l’exposition. Elle est donc une exposition à propos de l’exposition.

Roland Barthes désignait cette fonction de « méta-langage », c’est-à-dire un « langage second […] qui s’exerce sur un langage premier2 ». En ce sens, la méta-exposition pourrait aussi être considérée comme un récit ou un discours à propos d’une pratique. On comprend en conséquence que le préfixe « méta » est polysémique, sa signification variant en fonction des substantifs qu’on lui ajoute3. Si on considère « méta » dans son sens courant, nous constatons qu’il renvoie à ce qui dépasse, à ce qui va « au-delà ». Il désigne, plus largement, une position d’observation. Ce qui nous amène à examiner un autre aspect de la question : pratiquer la méta-exposition signifie donc établir une distance vis-à-vis de l’exposition de manière à poser un regard lucide sur elle et, étant donné que les artistes procèdent aussi à son examen critique, ou transforment ses procédés, elle peut être considérée comme une pratique qui veut dépasser l’exposition. En revanche, si on procède à une métacritique de l’exposition, on exprime alors une volonté de lancer une discussion autoréférentielle à son sujet et sur son statut dans le système de l’art. Certains artistes de la méta-exposition posent ainsi un regard critique, au sens d’autoréflexif, sur l’exposition tout en admettant explicitement les limites du genre

1 Gérard Genette, Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris, Éditions du Seuil, 1982, p. 11. 2 Roland Barthes, Essais critiques, Paris, Seuil, 1974, p.255.

3Voir à ce sujet le texte d’Amaryll Chanady dont nous reprenons certaines définitions dans ce qui suit, « Une

métacritique de la métalittérature. Quelques considérations théoriques ». Études françaises, Vol. 23, n° 3, hiver, 1987, p. 135–145

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21 qu’ils pratiquent. Lorsqu’on lui accole un autre substantif, en l’occurrence histoire, on réfère généralement à l’étude de l’historien et à son travail. En le fixant au substantif exposition, au sens cette fois de métahistoire des expositions, nous référons alors à une méthodologie qui vise l’observation du travail de tous ceux qui la « pratiquent ». Elle a pour objectif de comprendre comment se construit l’histoire des expositions et son incidence sur l’histoire de l’art.

Ainsi, l’apport de notre recherche, au-delà d’une étude approfondie sur l’histoire des expositions mettant en lumière sa pratique par les artistes, consisterait donc à repérer une nouvelle modalité expositionnelle qui, relevant de la mouvance conceptuelle, appartient à la catégorie de la méta-exposition. Notre postulat étant que les artistes ont notamment fait usage du métacommentaire, de la métacritique ou de la métahistoire pour la pratiquer. Ce faisant, notre thèse porte sur des pratiques relevant du métalangage et étudie comment les artistes commentent en exposant et exposent pour commenter avec, dans les deux approches, l’intention de porter un regard autoréflexif et critique sur l’exposition.

Constellations d’expositions

La notion de méta-exposition n’a rien de secondaire, tant il est clair, à retourner aux expositions que nous étudierons dans cette thèse, qu’elle a posé aux artistes des problèmes esthétiques et conceptuels significatifs pour leur pratique. Avant d’aborder plus précisément les questions qu’elle soulève pour plusieurs d’entre eux, avant d’établir le plan de cette thèse, il nous semble nécessaire de discuter de la méthode et, pour ce faire, il nous faut au préalable examiner la nature de notre objet d’étude : l’exposition. Si

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22 la mise en vue, la scénographie ou toutes questions touchant l’accrochage ou l’installation des œuvres dans diverses configurations spatiales sont d’importance, notre recherche sur l’exposition porte plus spécifiquement sur un ensemble de positions réflexives à son endroit. Évidemment, nous étudierons plusieurs de ses modalités – arrangements formalistes, espaces de démonstration, dispositifs cinétiques, expositions performatives, anti-expositions, expositions en mode projet, reconstitutions, expositions discursives – bien que notre analyse porte en particulier sur des « espaces de pensée » partagés par différents artistes qui ont donné une impulsion nouvelle tant aux positions théoriques sur l’exposition qu’à ses manières de la « pratiquer ». Notre recherche a ainsi permis d’identifier des « constellations », au sens qu’en donne Dieter Henrich, c’est-à-dire « un ensemble dense de personnes, idées, théories, problèmes ou documents en interaction les uns avec les autres » dont l’analyse rend possible la compréhension de ses effets et de ses implications4. Les constellations, en ce sens, se présentent à nous comme « des objets complexes » résultant des motivations ou des idées partagées par un même réseau d’artistes en étroite communication les uns avec les autres5. On pourrait aisément soutenir que les constellations s’apparentent aux « formations discursives » introduites par Michel Foucault dans L’Archéologie du savoir au sens où son entreprise analytique vise tout autant la « mise au jour d’une régularité » (corrélations, positions et fonctionnements) entre des objets, des énoncés, des concepts et des thèmes6. Or, si la méthode de Foucault cherche des ruptures et des continuités cachées entre des discours, elle ne porte

4 La recherche sur les constellations, comme méthodologie, a été développée par Dieter Heinrich qui

cherche comment l’interaction entre différents individus facilitent la genèse d’un « espace de pensées ». Nous nous intéressons a posteriori à cette méthode qui semble, en partie expliquer comment nous avons procédé pour identifier nos études de cas. Pour une analyse approfondie de cette méthode, voir le texte de Martin Mulsow, « Qu’est-ce qu’une constellation philosophique? », Paris, Éditions de l'EHESS [en ligne] URL : https://www.cairn.info/article_p.php?ID_ARTICLE=ANNA_641_0081. Consulté le 20 juillet 2017.

5 Ibid.

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23 pas attention à ceux qui les formulent pourtant : « l’archéologie du discours refuse d’en tirer la conséquence qu’il faut revenir aux personnes et à leurs motivations, et déterminer quels furent leurs horizons et leurs possibilités de choix7 ». Tout en adhérant explicitement à la méthode de Foucault, notre recherche ne négligera pas pour autant les individus en étudiant leurs motivations et leurs interactions.

Nous avons ainsi identifié trois constellations à différents moments de l’histoire où s’est échafaudé le concept de méta-exposition. Nous avons localisé ses origines à Varsovie, en 1966, autour d’un groupe d’artistes et de théoriciens de la galerie Foksal qui ont, les premiers, posé l’exposition comme un véritable problème. Nous avons ensuite identifié une seconde occurrence, cette fois dans les années 1990, en Allemagne, où se sont tenus un groupe de discussion et une exposition – Services : The Conditions and Relations of

Service Provision in Contemporary Projects Oriented Artistic Practice – à propos de la

production de projets artistiques à l’ère de l’économie de services. Localiser la troisième occurrence s’est avéré plus complexe en raison du fait que les expositions étudiées ont été réalisées par un artiste anonyme, travaillant à Belgrade, à Berlin, ou à New York, incarnant différentes personnalités célébrées par l’histoire de l’art, dans des récits volontairement anachroniques. Chacune de ces constellations renvoie à un groupe d’artistes qui ont été réunis, à un moment spécifique, autour d’une galerie, d’une table de discussions ou de reconstitutions historiques afin de mettre en commun leurs positions, leurs idées, leurs motivations ainsi que leurs difficultés. Les relations entre les différents artistes d’une même constellation sont, par conséquent, intrinsèquement liées au partage

7 Il faut rappeler que Foucault souhaitait alors dépasser l’analyse des influences ou de tous contenus

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24 de problèmes spécifiques, bien qu’irrésolus. Car l’identification d’un problème et la volonté d’y apporter des solutions par le partage de savoirs, d’expériences et de points de vue est le moteur de leurs initiatives. De sorte que chacun des chapitres s’élabore autour d’une constellation différente qui, à partir de pistes d’interprétations nouvelles, offre un examen approfondi d’expositions significatives réalisées par différents artistes qui ont contribué à sa formation.

Synopsis

La thèse se compose de quatre chapitres. Le chapitre premier précise le cadre et les présupposés de notre recherche en examinant et en définissant la notion d’« exposition » telle que la pratiquent les artistes. La première partie consiste en l’examen des discours et de la documentation sur les expositions d’artistes. Nous parvenons alors au constat que la majorité des auteurs n’établissent que rarement une distinction entre la pratique des expositions par les artistes et la pratique curatoriale. Pour mieux cerner cette spécificité, nous procédons à un bref historique d’expositions d’artistes – réalisées entre 1883 et 1942 – en identifiant, à leur origine, l’arrangement jaune de James Abbot McNeill Whistler qui a conçu un environnement spécifique pour recevoir sa nouvelle production de gravures. À sa suite, de nombreux artistes associés à l’avant-garde historique concevront des expositions déconcertantes, instaurant des approches entièrement nouvelles, en misant sur les relations formelles et spatiales entre les œuvres, en imaginant également différentes stratégies pour activer l’expérience du spectateur.

Ainsi, à la direction de musées et d’écoles d’art, Kandinsky et Malevitch imaginent un nouveau principe d’accrochage fondé sur l’invention formelle et la composition. Lissistzky

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25 radicalisera leur approche en déployant dans l’espace des volumes dessinés en axonométrie offrant une expérience immersive de la composition picturale. Stepanova et Rodtchenko condamneront quant à eux ces innovations formalistes – fondées sur une rhétorique de peintres abstraits – en envisageant plutôt l’exposition comme un « laboratoire » où seraient abolies les distinctions disciplinaires et où serait favorisée l’expérimentation. Mais ils ne pourront mener à terme leur projet. Lissistzky quant à lui poursuivra ses expérimentations et réalisera l’une des expositions les plus accomplies de l’histoire : le Cabinet des abstraits au Musée provincial d’Hanovre. Deux aspects retiennent alors notre attention : les principes compositionnels qui le déterminent (établissant un équilibre sans précédent entre les œuvres et l’espace d’exposition) et le module documentaire qui le complète (offrant un commentaire didactique sur les principes compositionnels de la culture moderne). Quinze ans plus tard, l’artiste et architecte Frederick J. Kiesler imagine, en collaboration avec Duchamp, un dispositif cinétique pour la présentation de la Boîte en valise à la galerie Art of this Century. Il inaugure alors une nouvelle forme expositionnelle à l’ère de la reproduction mécanisée. Ces études historiques, quoique restreintes, abordent plusieurs questions encore jamais discutées dans l’histoire des expositions. Elles nous permettent de constater que la méthodologie des artistes se distingue de l’approche muséologique, puisque, pour eux, l’exposition n’est ni neutre ni transparente, et qu’elle conditionne l’expérience que les spectateurs feront des œuvres.

La deuxième partie du premier chapitre se concentre sur la décennie 1960 et propose d’établir une distinction entre les expositions conçues par les artistes et la pratique curatoriale au regard de l’avènement des œuvres contextuelles et du commissaire

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26 d’expositions. Pour ce faire, nous étudions quatre différentes thèses sur la question de l’auteur – soit celles de Roland Barthes, de Michel Foucault, de Walter Benjamin et d’Étienne Souriau – avec l’objectif de réexaminer leurs positions à la lumière de la requalification du statut de l’artiste au moment où celui-ci devient « producteur » d’expositions et que le commissaire, de son côté, se considère comme « auteur » d’expositions. Considérer l’exposition comme une œuvre transforme la nature de la production artistique. Nous avons alors observé que la définition de l’œuvre d’art s’est renouvelée au cours de cette période pour y inclure tant le support matériel, intellectuel, que l’activité de l’artiste et, par conséquent, l’exposition. Le constat est d’importance puisque cela signifie que la responsabilité de la conception comme de la production d’une exposition est désormais partagée avec les commissaires, les conservateurs ou autres organisateurs d’expositions. Ce partage de responsabilité soumet l’artiste à certains risques à savoir que l’intégrité de son œuvre et sa propre autorité ne seraient pas rigoureusement respectées. L’artiste prend alors des dispositions légales – le certificat d’authenticité, le contrat, l’avertissement – pour s’assurer d’avoir un rôle actif dans le devenir de l’œuvre et ainsi éviter d’être mis à l’écart des décisions sur leur exposition. Nous avons démontré par l’étude des cas emblématiques de Broodthaers et de Buren, comment l’exposition est ainsi devenue ce mode à travers lequel l’œuvre se (re)produit sans cesse et ses multiples réactualisations sont désormais soumises à l’autorité régulatrice de l’artiste. Ces mesures ont permis aux artistes de conserver leur souveraineté sur les expositions qu’ils produisent désormais.

C’est ainsi qu’au cours des années 1960, l’exposition devient un enjeu véritable pour les artistes. Dans le deuxième chapitre, nous tentons de comprendre comment elle s’est

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27 posée comme un « problème », au sens esthétique et politique pour un groupe d’artistes et d’intellectuels gravitant autour de la galerie Foksal à Varsovie. À l’origine de ce questionnement, il y a Tadeusz Kantor – metteur en scène, artiste, scénographe, écrivain, théoricien de l’art, acteur et professeur – qui conçoit l’Anti-Exposition. Son concept, entre pratique artistique et recherche théâtrale, aura une incidence manifeste pour un cercle d’artistes et de théoriciens dont nous étudierons les expositions et les productions discursives dans ce chapitre. En conséquence, la fonction de l’« exposition » sera, dès la fondation de la galerie Foksal en 1966, mise en question par l’intermédiaire d’un manifeste intitulé « Introduction à une théorie générale du LIEU ». Ce texte fondateur consiste en une entreprise de déconstruction de l’exposition en visant, notamment, la redéfinition de cet « espace » où sont produites et exposées les œuvres. Il a pour ambition de justifier l’existence d’une nouvelle galerie dans un contexte où l’art se « délocalise ». Une question se pose aussitôt aux artistes : comment rompre radicalement avec les conventions de l’« exposition » et, en même temps, poursuivre l’organisation d’expositions entre les quatre murs blancs d’une galerie? En réponse à leur argumentaire, Kantor réalise le happening

The Letter qui consiste en la livraison d’une lettre monumentale portée à la Galerie Foksal

par huit facteurs. Ainsi, pour Kantor, l’exposition ne repose pas tant sur le processus, encore moins sur la finalité de l’œuvre, mais bien sur ce « lieu » de l’entre-deux où se produit sa transmission. Le happening est donc un commentaire critique sur l’exposition et relève, en ce sens, de la méta-exposition.

Dans ce chapitre, nous procédons à l’étude de diverses expositions d’artistes – Kantor, mais aussi Maria Stangret, Edward Krasiński, Jarosław Kozłowski –, pour ainsi mettre en lumière le rôle indéniable que les artistes ont joué du point de vue de la production tant

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28 artistique que discursive, dans la profonde remise en question des formes et des conventions de l’exposition : ils ont opacifié ses dispositifs, tant architecturaux qu’institutionnels, ils ont symboliquement fait disparaître son histoire, ils ont mis à l’épreuve ses conventions, notamment sa temporalité contingente, ils l’ont dématérialisée, transformée en événements discursifs, en publicité, en documentation, ils ont contesté son existence. Les expositions qu’ils ont pratiquées ont conséquemment guidé la rédaction des quatre manifestes qui ont marqué, à chaque fois, les nouvelles étapes de ce processus fondamentalement critique à son endroit. En conclusion à ce chapitre, nous tentons de comprendre comment le projet fondamental de la Galerie Foksal a bousculé la relation des artistes à l’institution. Il a favorisé l’exigence d’une pensée et d’une pratique capables de la réinventer, de la réinstituer, de la radicaliser. Artistes et théoriciens ont ainsi produit un « imaginaire radical », au sens qu’en donne Cornelius Castoriadis, à partir de deux mouvements qui sont généralement dans un rapport de tension entre eux : d’abord, l’exigence de « lucidité critique » et, ensuite, la « fonction imaginaire créatrice ».

Le chapitre trois, à travers l’exposition et le groupe de discussion Services, va montrer comment s’échafaude, au cours des années 1990, une nouvelle approche de l’exposition basée sur le travail en mode projet. L’un des traits déterminants de cette pratique s’appuie sur le fait que l’exposition prend souvent la forme de l’intervention spécifique réalisée en réponse à l’invitation d’une institution. Les artistes délaissent alors la production d’objets au profit de la réalisation de projets éphémères et contextuels, sur commande, où l’exposition devient donc un site de production artistique. Nous constatons que l’exposition en mode projet transforme en profondeur la relation de l’artiste à l’institution avec pour principale conséquence, de l’avis de plusieurs artistes, de porter atteinte à leur

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29 autonomie. Car l’artiste, y occupant alors la fonction de prestataire de services, doit se soumettre aux conditions de l’institution, répondre à ses contraintes, réaliser des productions généralement éphémères, sans pour autant être adéquatement rémunéré. Les mandats désormais confiés aux artistes se sont étendus à un point tel qu’il est apparu nécessaire à Helmut Draxler et à Andrea Fraser de faire retour sur les expériences empiriques des artistes avec l’objectif d’échanger sur les problèmes pratiques, matériels et éthiques, conséquents de leurs nouvelles conditions de travail. Ils organisent une exposition et un groupe de discussion sur le sujet en regroupant et en documentant plusieurs contributions d’artistes – Judith Barry, Clegg & Guttman, Stephan Dillemuth, Mark Dion, Renée Green, Christian Philipp Müller, Fred Wilson, etc. – dont les positions négocient de façon inédite cette nouvelle manière de travailler.

La première partie du troisième chapitre retrace plus spécifiquement les origines du travail en mode projet. Si nous reconnaissons comme une évidence les ancrages historiques identifiés par Draxler et Fraser – la révolution russe de 1917 et les pratiques conceptuelles, activistes et contextuelles des années 1960 – nous préférons étudier l’avènement de cette nouvelle manière de travailler à partir de la pratique artistique de la N.E. Thing Co., une entreprise artistique de Vancouver qui a, de manière explicite, emprunté sa logique de production à l’économie de services. Nous observons ensuite le passage de la culture de service à la production intellectuelle en identifiant la filiation théorique des concepts de « projet » et de « service » tels qu’utilisés par Fraser dans les cinq versions de textes rédigées à cette occasion. Nous constatons alors que certaines activités communément classées comme « services » sont en réalité une production de marchandises intangibles et, à ce titre, elles peuvent circuler, être négociées et aussi acquérir de la valeur dans la nouvelle

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30 économie du savoir. Nous établissons alors une distinction d’importance entre les revendications des artistes des années 1960 et ceux des années 1990 : les premiers exigeaient que leurs œuvres demeurent en tout temps leur « propriété » et qu'au moment d’une exposition ou d’une transaction, ceux-ci puissent en conserver le contrôle et en tirer des bénéfices; les seconds, en raison de l’évolution de leur pratique vers une économie de services fondée sur un travail intellectuel, réclament que ce soit leur « activité » qui soit en plus reconnue et financièrement compensée.

Pour mieux comprendre ce tournant historique et saisir ses implications dans la manière de travailler des artistes dans les années 1990, nous procédons ensuite à l’analyse de trois expositions conçues par différents participants au groupe de discussion Services : une intervention de Renée Green dans un complexe résidentiel (Project Unité, 1993), un projet spécifique de Fred Wilson dans un musée d’histoire (Mining the Museum, 1992) et un projet en deux phases d’Andrea Fraser au siège social d’une compagnie d’assurance (Generali Foundation, 1994-1995). Nous tentons de comprendre sur le plan méthodologique comment la commande de projets, dans une nouvelle économie de services fondée sur un travail intellectuel, a métamorphosé les manières de concevoir leur exposition. Nous examinons en matière de thématique les sites de production culturelle que ce mode expositionnel a contribué à entrouvrir. Nous démontrons, dans une visée critique, comment un art de services leur a permis d’engager une relation nouvelle avec l’institution. Ce que nous avons alors constaté, en conclusion, c’est que l’exposition selon ces nouvelles modalités de travail s’est en quelque sorte retournée sur elle-même, devenant le sujet et l’objet des productions artistiques. Elle est devenue une discussion autoréférentielle sur l’exposition et sur sa fonction, comme agent de changement, dans

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31 le contexte institutionnel. Or, comme nous l’avons aussi démontré, en pratiquant ainsi la méta-exposition, les artistes en sont venus à reconnaître implicitement les limites du genre dans lequel ils évoluent. Nous avons enfin observé que le concept d’institution – incluant aussi bien le musée, l’histoire, l’université, l’entreprise, le néolibéralisme, etc. – demeure l’enjeu principal vers lequel convergent les expositions organisées en mode projet. Cela dit, depuis les années 1990, les artistes ne l’appréhendent plus que par sa seule dimension symbolique, c’est-à-dire comme instance d’un pouvoir abstrait, choisissant plutôt d’agir empiriquement à son devenir.

Le dernier chapitre porte sur la reconstitution d’expositions pratiquée par les artistes. Nous analysons plus spécifiquement une série d’expositions conçue par un artiste anonyme : la

Dernière Exposition futuriste 0,10 de Kazimir Malevitch (Belgrade), le Museum of American

Art (MoAA) de Berlin d’Alfred H. Barr Jr., le Salon de Fleurus de New York de Gertrude Stein. Chacun de ces projets reconstitue des expositions canoniques dans une approche méta-narrative qui vise à rendre visibles les structures idéologiques qui les ont historiquement déterminées. Chacune de ces reconstitutions est élaborée à partir de copies d’œuvres d’art de sorte que la distinction entre le passé et le présent est manifeste. En ce sens, l’artiste anonyme ne conçoit pas l’Histoire de l’art comme une entité, mais bien comme un matériau en perpétuelle transformation qu’il s’approprie, réinterprète et remet en forme. La première partie du quatrième chapitre observe et analyse le processus d’historicisation à laquelle chacune de ses expositions participe tout en le mettant en question. Plutôt que d’étudier les différentes reconstitutions dans leurs relations exclusives aux expositions d’origine, notre approche vise à suivre les traces de ses multiples réactivations (discursives et expositionnelles) afin de mieux comprendre comment les

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32 récits historiques à son propos ont pris forme. Elle permet aussi d’observer les mutations conceptuelles de la notion d’exposition. Dit autrement, selon le postulat que nous défendons, la reconstitution d’une exposition n’est plus réductible à son événement originel, mais doit être envisagée comme la « figuration indicielle » de ce qu’elle a été dans le temps.

Nous tentons ensuite de comprendre comment l’artiste anonyme utilise l’anachronisme comme outil conceptuel en cherchant à faire travailler le temps à rebours, dans une perspective du futur, ce qui représente pour lui la condition nécessaire de l’« agir historique ». Nous étudions au passage la méthodologie de la « rétro-avant-garde », énoncée par le collectif Neue Slowenische Kunst (auquel est affilié l’artiste anonyme), laquelle fait usage de l’appropriation afin de réinscrire dans le présent des références esthétiques et des traumatismes du passé. La partie suivante interroge plus spécifiquement les régimes d’historicité en démontrant comment les reconstitutions d’expositions, par une forme de présentification de l’histoire, contribuent à générer une expérience opératoire de l’historicité en conjuguant néanmoins des temporalités dissonantes. En dernière analyse, nous démontrons comment l’artiste anonyme performe l’histoire, sous la forme de conférences à propos de l’histoire des expositions. Ce faisant, il s’apparente non seulement à un archéologue du savoir historique – occupé à divulguer les non-dits, les récits négligés ou à réfléchir sur les discontinuités et les déplacements – mais il est tout autant un producteur d’histoires. En introduction à ce chapitre, nous nous sommes demandée ce que réactivaient de telles reconstitutions d’expositions. Leur examen nous a permis d’affirmer que c’est à partir des récits reconstitués que les événements de l’histoire de l’art accèdent au savoir d’elle-même. L’exposition devient

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33 donc pour l’artiste anonyme une catégorie métahistorique, c’est-à-dire une condition permettant de faire retour sur l’histoire de l’art, plusieurs retours même, en suivant à chaque fois de nouvelles traces.

Bref, si la première série d’études de cas pose les balises de la méta-exposition, la seconde propose une métacritique de l’exposition alors que la dernière énonce une métahistoire des expositions. En se développant ainsi à partir d’études de cas détaillées, cette recherche permet de rendre manifeste la contribution des artistes tant sur le plan de la pratique de l’exposition que sur celui des réflexions engagées qu’ils ont formulées à son propos.

Pratiquer l’exposition

Pour réaliser cette thèse, nous avons fait des recherches approfondies dans diverses archives – notamment à la galerie Foksal de Varsovie, au Centre for Contemporary Art Ujazdowski Castle de Varsovie, à la Fondation Frédérick Kiesler de Vienne, à la Generali Foundation de Vienne, au Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa, à la Fales Library and Special Collections de la New York University –, nous avons visité un nombre considérable d’expositions et d’institutions en plus de mener de nombreux entretiens avec des artistes et des théoriciens. Si nous avons adopté une approche qui encourage une perspective théorique, par l’examen de matériaux aussi divers que les correspondances, les procès-verbaux, les essais, les entretiens, les manifestes, les vidéos, les vues d’expositions, les recensions, il faut aussi mentionner que l’exposition représente pour nous une pratique engagée.

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34 Notre réflexion sur l’histoire, la pratique et le devenir des expositions repose en effet sur une longue pratique curatoriale et la direction d’un centre d’exposition qui nous ont amenée à observer, depuis vingt ans, la manière dont les artistes pratiquent l’exposition. Nous avons alors constaté que lorsqu’un artiste organise une exposition de son travail, il y fait figurer les traces de ses expositions précédentes; lorsqu’il conçoit une nouvelle exposition, il la considère comme la composante d’un projet global; et, lorsqu’il réexpose une œuvre, il la propose comme une séquence d’hypothèses de la même œuvre en devenir. Il faut donc s’y résigner, produire une œuvre d’art aujourd’hui signifie que l’artiste doit s’engager dans une entreprise sans fin puisque, soumise à des expositions successives, l’œuvre est contrainte de se répéter en intégrant chaque fois de nouvelles variables.

Figure

Figure 1 : Accrochage de l’exposition Gustave Courbet, École des beaux-arts de Paris, 1882
Figure 2 : Exposition Gustave Courbet, École des beaux-arts de Paris, 1882. Photo Eugène Chéron
Figure 3 : Exposition Gustave Courbet, École des beaux-arts de Paris, 1882. Photo : Eugène Chéron
Figure 6 : Kazimir Malevitch, Dernière exposition futuriste de tableaux 0,10, 1915. Figure 7 : 10     e  exposition  d’état, Moscou, 1919
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