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Vaccination et grossesse : analyse des lieux de concordance et de conflit de valeurs éthiques entre la philosophie sage-femme et l'approche de la santé publique au Québec

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Academic year: 2021

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Vaccination et grossesse: analyse des lieux de

concordance et de conflit de valeurs éthiques entre la

philosophie sage-femme et l'approche de la santé

publique au Québec

Mémoire

Caroline Boudreault-Fiset

Maîtrise en anthropologie - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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Vaccination et grossesse : analyse des lieux de

concordance et de conflit de valeurs éthiques entre la

philosophie sage-femme et l’approche de la santé

publique au Québec

Mémoire

Caroline Boudreault-Fiset

Sous la direction de :

Ève Dubé, directrice de recherche

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Résumé

Bien que certains puissent le croire, les conceptions de la santé, de la maladie et sa prévention ne sont aucunement universelles. Elles sont fortement marquées par le contexte culturel dans lequel elles sont construites. L’anthropologie de la santé devient alors une approche très pertinente afin d’analyser les différentes conceptions que peuvent prendre la santé, la maladie et sa prévention dans une culture donnée.

En santé publique, l’une des interventions les plus importantes est certainement la vaccination. Souvent critiquée, parfois glorifiée, elle peut incarner une source de conflits éthiques importants, surtout lorsqu’elle s’applique à la femme enceinte. Depuis 2007, des vaccins peuvent être administrés aux femmes enceintes et peuvent être recommandés, non seulement par des médecins réalisant des suivis de grossesse, mais également par des sages-femmes. Ayant leur propre philosophie marquant les soins qu’ils octroient, les professionnels de la santé réalisant des suivis de grossesse semblent divisés quant à l’importance de la vaccination chez la femme enceinte.

Dans ce contexte, le but de la présente recherche est d’analyser les lieux de concordance et de conflit entre les valeurs éthiques avancées par la santé publique et celles sous-jacentes à la pratique sage-femme, en matière de vaccination chez la femme enceinte au Québec. En explorant chacune des approches, cette recherche permet d’en connaître davantage sur le suivi sage-femme en recueillant des témoignages de femmes enceintes bénéficiant de leurs soins, afin de connaître leur expérience personnelle et la façon dont elles vivent ce type de suivi. Les données présentées dans cette recherche reposent sur des entretiens réalisés avec des sages-femmes et des femmes ayant un suivi sage-femme, mais également sur une analyse du discours de la santé publique concernant la vaccination des femmes enceintes au Québec.

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Abstract

Although some people may believe so, conceptions of health, illness, and prevention are by no means universal. These conceptions are influenced by the social and cultural context in which they are built. The approaches of medical anthropology are very useful for the analysis of these different conceptions in a given culture.

In public health, vaccination is one of the most important intervention. Often criticized, sometimes glorified, this intervention can become a source of important ethical conflicts, especially when it applies to pregnant woman. Since 2007, vaccines can be given to pregnant women and can be recommended, not only by physicians who are involved in maternity care, but also by midwives. With different underlying philosophy of care, health professionals who are involved in maternity care appear to be divided over the importance of vaccination for pregnant women.

In this context, the purpose of this research is to analyze the concordance and conflict between ethical values promoted in public health and those underlying the midwifery practice, with regard to vaccination of pregnant women in Quebec. By exploring each of the approaches, this research explores the midwifery approach by collecting testimonials from pregnant women under the care of midwives, to know their personal experience and how they live this type of care. The data presented in this research comes from interviews with midwives and women under their care and an analysis of the Quebec public health discourses on vaccination in pregnancy.

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Table des matières

Résumé ... ii

Abstract ... iii

Table des matières ... iv

Liste des tableaux ... vii

Liste des abréviations ... viii

Remerciements ... ix

Introduction ... 1

Chapitre 1 : Contexte de la recherche et cadre théorique ... 4

1.1 Contexte de la recherche ... 4

1.1.1 Historique de la pratique sage-femme au Québec ... 4

1.1.2 Des considérations différentes face à la naissance ... 7

1.1.3 La formation académique en pratique sage-femme ... 8

1.1.4 Modèle de pratique des sages-femmes canadiennes ... 10

1.1.5 Particularités de l’approche sage-femme par rapport à l’approche biomédicale 11 1.1.6 La philosophie sage-femme ... 14

1.2 Cadre théorique ... 25

1.2.1 Approche anthropologique de la santé ... 25

1.2.2 Approche anthropologique de la morale et de l’éthique ... 29

1.2.3 L’éthique et la santé publique ... 34

1.2.4 Vaccination et dilemmes éthiques ... 35

1.2.5 Approche anthropologique de la vaccination ... 45

1.2.6 Approche anthropologique du risque ... 49

Chapitre 2 : Méthodologie et objectifs de recherche ... 55

2.1 Buts et objectifs de recherche ... 55

2.2 Méthodologie ... 56

2.3 Techniques de collecte de données ... 57

2.3.1 Recension des écrits ... 57

2.3.2 Entrevues ... 57

2.3.3 Recrutement des sages-femmes ... 58

2.3.4 Recrutement en ligne ... 59

2.3.5 Journal de terrain ... 59

2.4 Méthodes d’analyse des données ... 59

2.4.1 La théorisation ancrée ... 60

2.5 Considérations éthiques ... 61

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3.1 Profil des répondantes – sages-femmes ... 62

3.2 Profil des répondantes – femmes avec suivi sage-femme ... 64

3.3 L’approche sage-femme – considérations et opinions des répondantes ... 66

3.3.1 L’approche sage-femme vue par les femmes ayant un suivi sage-femme ... 66

3.3.2 L’approche sage-femme vue par les sages-femmes ... 73

Chapitre 4 : Vaccination et grossesse ... 89

4.1 Perceptions des femmes avec un suivi sage-femme face à la vaccination lors de la grossesse ... 89

4.1.1 Recevoir un vaccin en étant enceinte ... 90

4.2 Perceptions des sages-femmes face à la vaccination lors de la grossesse ... 92

4.2.1 Vaccination et pratique sage-femme : sa place et sa pertinence au sein du suivi 92 4.2.2 Vaccination lors de la grossesse, une nécessité? ... 93

4.2.3 Une place minime au sein du suivi ... 95

4.2.4 Avantages et inconvénients de la vaccination ... 100

4.3 Santé publique et vaccination chez la femme enceinte – rôle et impacts sur les considérations des femmes ... 102

4.3.1 Motivations derrière les recommandations de la santé publique ... 102

4.3.2 Santé publique et pratique sage-femme : positions opposées ou similaires avec nuances quant à la vaccination lors de la grossesse? ... 105

4.3.3 Recommandations des professionnels de la santé, quelle influence ont-elles? 108 Chapitre 5 : Synthèse et discussion ... 111

5.1 La vaccination comme un acte « moral »?... 111

5.2 Valeurs, perceptions du risque et vaccination ... 113

5.2.1 La confiance ... 113

5.2.2 La vision naturelle et non-interventionniste de la santé ... 114

5.2.3 La santé ... 115

5.2.4 L’empowerment, l’autonomie et la liberté ... 116

5.2.5 La sécurité et les perceptions du risque ... 119

5.2.6 Le choix éclairé ... 121

5.3 L’influence, le savoir-expert et la responsabilisation ... 122

Conclusion ... 126 Bibliographie ... 129 Annexe 1 ... 140 Annexe 2 ... 141 Annexe 3 ... 143 Annexe 4 ... 144

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Annexe 5 ... 147

Annexe 6 ... 150

Annexe 7 ... 151

Annexe 8 ... 152

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Liste des tableaux

Tableau 1 : Profils des répondantes sages-femmes ... 63

Tableau 2 : profils des répondantes avec un suivi sage-femme ... 65

Tableau 3 : Valeurs citées par les répondantes sages-femmes ... 82

Tableau 4 : Valeurs citées sur le site de l’Ordre des sages-femmes du Québec ... 83

Tableau 5 : Positions des répondantes avec un suivi sage-femme face à la vaccination en général et pendant la grossesse ... 92

Tableau 6 : Avantages et inconvénients de la vaccination chez la femme enceinte selon les sages-femmes répondantes ... 100 

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Liste des abréviations

ASPC : Agence de santé publique du Canada

AQSFP : Alliance québécoise des sages-femmes praticiennes ACSF : Association canadienne des sages-femmes

CIUSS : Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux CLSC : Centre local de services communautaires

CISSS : Centre intégré de santé et de services sociaux

CIUSSS : Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux INSPQ : Institut national de santé publique du Québec

MEV : Maladies évitables par la vaccination

MSSS : Ministère de la Santé et des Services sociaux NACI: National Advisory Committee on Immunization OIIQ : Ordre des infirmières et infirmiers du Québec OSFQ : Ordre des sages-femmes du Québec

OMS : Organisation mondiale de la Santé PIQ : Protocole d’immunisation du Québec PQI : Programme québécois d’immunisation

RSFQ : Regroupement Les Sages-Femmes du Québec SOGC : Société des obstétriciens et gynécologues du Canada UQTR : Université du Québec à Trois-Rivières

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Remerciements

Ce projet de mémoire tirant à sa fin, je tiens tout d’abord à remercier du fond du cœur ma directrice, Madame Eve Dubé. Merci pour ton aide si précieuse, ton écoute et ton support tout au long de cette aventure. Sans toi, ce projet n’aurait pu être mené à terme. Merci pour les belles opportunités que tu m’as offertes tout au long de mon cheminement universitaire, elles m’ont permis de développer un grand intérêt pour la recherche et pour les enjeux de santé publique.

Un immense merci à toutes les personnes qui ont contribué à ce projet de recherche, en particulier les répondantes. Les informations qu'elles m'ont partagées ont été plus que précieuses dans mon apprentissage quant au suivi et à la pratique sage-femme. J’ai été profondément touchée par les expériences personnelles qu’elles m’ont confiées, ces récits qui m’ont fait découvrir la beauté et l’humanité derrière le suivi sage-femme.

Je tiens à remercier mon conjoint Clifford, qui me soutient, m’encourage et m’aide dans tous les projets que j’entreprends. Merci d’avoir été si compréhensif face à ma situation, celle de maman aux études à temps plein. Enfin, je remercie mes enfants, Liana et Samuel, qui sont nés pendant la réalisation de ce mémoire. Ils m’ont apporté le courage et la détermination pour continuer et mener ce projet à terme.

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Introduction

Nul ne peut nier le rôle qu’a joué la santé publique dans l’amélioration de la santé des populations depuis plusieurs décennies, la prévention des maladies et la promotion de la santé étant au cœur de sa mission (Massé 2003 :1). La santé publique peut aussi être considérée comme « une entreprise morale, dont les politiques et programmes peuvent culpabiliser le citoyen face à son « irresponsabilité » en matière de santé, l’invitant ainsi à considérer le maintien d’une bonne santé comme le but ultime » (Massé 2006 :256). Puisque les valeurs prônées par chaque individu demeurent personnelles, l’imposition d’une hiérarchie face aux valeurs à prioriser devient alors éthiquement questionnable. Mon projet de recherche porte sur les enjeux éthiques pouvant émerger lorsqu’une intervention de santé publique est confrontée à des valeurs divergentes. Je m’intéresse aux similitudes et disparités pouvant émerger des approches de santé publique et de la pratique sage-femme, en ce qui a trait à la vaccination chez la femme enceinte. La question de recherche soutenant ce mémoire est la suivante : quels sont les lieux de concordance et de conflit entre les valeurs éthiques avancées par la santé publique et celles sous-jacentes à la pratique sage-femme en matière de vaccination chez la femme enceinte au Québec?

Étant au cœur des politiques de santé publique, la vaccination, cette intervention phare de la santé publique, ne laisse personne indifférent. Bien que de multiples bienfaits lui aient été reconnus à travers le temps, comme le contrôle de plusieurs maladies infectieuses et la disparation de certaines (Organisation mondiale de la Santé (OMS) 2018), la vaccination n’a jamais fait l’unanimité, et ce n’est toujours pas le cas aujourd’hui. Plusieurs barrières socioculturelles, individuelles et politiques à l’acceptation des vaccins ont été identifiées et peuvent même mettre en péril la continuité des programmes nationaux de vaccination (Streefland et al. 1999 :1705-06). Ces barrières peuvent contribuer à une couverture vaccinale sous-optimale, ce que les experts ont nommé l’hésitation à la vaccination (Bedford et al. 2017 :6556). Ce phénomène peut ainsi avoir une incidence sur les programmes nationaux de vaccination, qui visent la protection des groupes de la population plus « vulnérables », comme les nourrissons ou les femmes enceintes.

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En effet, la grossesse peut représenter « une période de vulnérabilité aux maladies infectieuses. (…) Au Québec, il est recommandé que les femmes enceintes en bonne santé soient vaccinées contre la grippe saisonnière à leur deuxième ou troisième trimestre durant la saison de l’activité grippale » (Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) 2017), les rendant ainsi moins vulnérables aux complications pouvant en découler. Depuis 2018, le vaccin contre la coqueluche est aussi recommandé aux femmes enceintes pour protéger les nouveau-nés contre cette maladie (MSSS 2018 : 2). Ces recommandations peuvent toutefois apporter divers questionnements et craintes chez les femmes enceintes. De plus, certains professionnels de la santé sont divisés quant à la sécurité et la pertinence de la vaccination (Dubé et al. 2013c:1770). Il est ainsi intéressant d’en connaître davantage sur la place que cette intervention détient au sein du suivi de grossesse avec médecin, et de celui réalisé par une sage-femme. Étant donné l’influence importante des recommandations de la santé publique sur les pratiques des médecins, qui sont tenus par leur ordre professionnel de recommander les vaccins du calendrier régulier (Association canadienne de protection médicale 2010 :55), les recommandations de la santé publique à ce sujet ont été considérées comme la position officielle de ces derniers. Ainsi, les entrevues auprès des sages-femmes ont été priorisées afin de mieux connaître leur position sur le sujet.

Le premier chapitre présentera le contexte et le cadre théorique dans lesquels s’inscrit cette recherche. Le contexte de la recherche présentera la pratique sage-femme et ses particularités. Le principe du choix éclairé, incontournable de la philosophie sage-femme, ainsi que la notion d’empowerment, parfois comparée au concept d’agencéité, y seront définis. L’importance et la place qu’occupe la vaccination au sein du suivi sage-femme seront également abordées. Le cadre théorique posera des concepts importants en anthropologie de la santé et présentera également une approche anthropologique de la morale et de l’éthique. Les concepts de morale et d’éthique seront présentés, ainsi que le rôle et la place qu’occupent les questions d’éthique en santé publique. Pour ce faire, plusieurs éléments viendront structurer cette section, tels que les politiques de santé publique sur la vaccination, les risques et bénéfices liés à cette intervention, ainsi que divers principes éthiques guidant les politiques de santé publique. Enfin, une approche

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anthropologique de la vaccination sera également présentée, ainsi qu’une approche anthropologique du risque.

Il sera question, dans le deuxième chapitre, de la méthodologie utilisée afin de répondre aux objectifs et à la question de recherche. La méthode de recrutement des participantes, les techniques de collecte de données, et la méthode d’analyse de données seront décrites. Les troisième et quatrième chapitres dévoileront les résultats de la recherche. Le troisième chapitre présentera le profil des répondantes, sages-femmes et femmes ayant vécu un suivi sage-femme, ainsi que l’essentiel des informations recueillies lors des entretiens réalisés avec ces deux types de répondantes. D’abord, l’approche sage-femme vue par les femmes bénéficiant de ce type de suivi sera présentée, puis vue par les sages-femmes elles-mêmes. Le quatrième chapitre, quant à lui, dressera plutôt un portrait de la vaccination lors de la grossesse. Les recommandations officielles de la santé publique y étant liées, ainsi que les perceptions des répondantes face à cette intervention seront décrites. Il s’agira, par l’entremise du discours des répondantes, d’identifier les impacts et la possible influence que peuvent avoir les recommandations émises par la santé publique quant à la vaccination lors de la grossesse.

Le mémoire se terminera au sein du cinquième chapitre, avec une discussion qui présentera une synthèse des principaux résultats en lien avec les objectifs de recherche.

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Chapitre 1 : Contexte de la recherche et cadre théorique

1.1 Contexte de la recherche

L’acte d’assister à la naissance est l’une des pratiques les plus anciennes au monde. En fait, l’art des accouchements a d’abord été « un ensemble de représentations et un savoir-faire transmis essentiellement par la parole et le geste dans le monde des femmes, en dehors de la médecine » (Carol 2011 : 237). On peut même affirmer que « la plus ancienne des professions est celle de sage-femme, tout simplement parce que les femmes accouchent depuis le début des temps et que l’on a des preuves à l’effet que lors de l’accouchement, les femmes ont toujours été aidées par d’autres femmes » (Cochrane dans Mélanson 1999 : 247). Voici donc un portrait de la pratique sage-femme au Québec et de ses principales caractéristiques.

1.1.1 Historique de la pratique sage-femme au Québec

Bien avant d’être considérée et reconnue comme une profession officielle, la pratique sage-femme s’incarnait à travers le rôle que tenaient les sage-femmes en assistant d’autres sage-femmes à la mise au monde de leur bébé. À cette période, et encore aujourd’hui, cet événement universel s’accompagnait de diverses revendications faites par les femmes œuvrant en périnatalité, telles que « l'importance prépondérante de l'entraide, l'approche pragmatique de l'accouchement et de la naissance perçus comme des phénomènes normaux et naturels, l'utilisation d'un matériel sommaire et la prise en compte de l'environnement psychologique, et enfin la place centrale accordée à la femme au cours du processus » (Saillant et O’Neill 1987 : 41). À cette époque, les sages-femmes étaient choisies pour leur qualité d'esprit et de cœur, parce qu'elles avaient, et ont encore aujourd’hui, un rôle à jouer autant au niveau psychologique que social et médical. À la fin du 17e siècle, « une ordonnance est faite en Nouvelle-France et le champ de pratique de la médecine en devient départagé en trois branches distinctes et autonomes, celle des médecins, des chirurgiens et des sages-femmes » (Giroux 2008 : 25). Puis, un nouveau scénario médical est instauré au tournant du 18e siècle et ce dernier finit par exclure la profession de sage-femme, causant

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ainsi sa disparition au Québec. La création du Collège des médecins en 1847 a permis aux médecins d’affermir leur pouvoir et d’interdire certaines pratiques, dont la pratique sage-femme qui, dès lors, devient illégale. L’autorité acquise par le corps médical a eu pour effet, à moyen et à long terme, d’entraîner une diminution progressive du nombre de sages-femmes. En ce sens, Page affirme que « in much of the industrialized world, the growth of obstetrics, the move from home to hospital birth, the increased medicalization of birth, and fragmentation of care has led not only to reduced autonomy for midwives but also to a destruction of the individual relationship established over time between women and their care providers » (Page 2003: 119). La grossesse et la naissance, autrefois et pendant des siècles maîtrisés par des sages-femmes, sont passées entre les mains des médecins. C’est ce qu’on nomme la médicalisation de la grossesse, et qui se caractérise plus spécifiquement comme le glissement d’un processus autrefois considéré normal et naturel, à un processus dangereux, potentiellement pathologique: « the techniques changed from noninterventionist approaches to approaches relying on technology and drugs. As a consequence, the meaning of childbirth for women was transformed from a human experience to a medical-technical problem » (Riessman dans Weitz 2010: 54). En effet, « nous en sommes arrivés à médicaliser et à dénaturer le processus de la naissance, tout particulièrement en Amérique du Nord. Ainsi, la majorité des sages-femmes nord-américaines a été discréditée, au point de disparaître presque complètement » (Mélanson 1999 : 248). Menée presque à l’oubli, « la profession est reléguée au rang de pratique ancienne, révolue et désuète » (Laforce 1985 :40), ou encore « à celui de pratique clandestine et marginale, dans les cas où certaines femmes continuaient de remplir la fonction de sage-femme en marge du système médical officiel » (Bergeron 2003 : 139). Bien que le corps médical se soit approprié le monopole dans ce domaine et ce pour diverses raisons sociales, politiques et économiques, la pratique sage-femme a su renaître de ses cendres. C’est au tournant des années 70 que des groupes de femmes ont manifesté le désir de retourner aux sources, de donner naissance à travers un processus moins médicalisé. En effet, avec l’arrivée du mouvement de la contre-culture américaine des années 60, caractérisé par l’émergence de nouveaux groupes proposant des modes de vie, des valeurs et des normes en opposition avec le paradigme social américain de l’époque et celui du mouvement féministe des années 1970 (Mélanson 1999 : 248), ce désir se fait grandissant et les femmes réclament de plus en plus leurs droits.

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Pour beaucoup d’entre elles, la pratique sage-femme représente alors la méthode de soins parfaite afin d’effectuer ce retour à la nature. Réclamant une humanisation des soins en périnatalité, des groupes de femmes organisent des tribunes d’échanges, présentées sous la forme de colloques, dont les recommandations principales portent sur « la mise sur pied de chambres et de maisons de naissance, et sur l’officialisation de la pratique des sages-femmes » (Fraser et Hatem-Asmar 2004 : 106).

À cette époque au Québec, la profession de sage-femme est donc pratiquée dans la clandestinité, et elle tente bien que mal de faire reconnaître sa légitimité. Lors de l’année 1986, les sages-femmes fondent L’Alliance québécoise des sages-femmes praticiennes (AQSFP), qui deviendra quelques années plus tard le Regroupement Les Sages-femmes du Québec (RSFQ) (RSFQ 2019). À travers cette alliance, elles organisent la pratique, se donnent des standards, un code de déontologie, des dossiers, un comité de plaintes et de discipline, une procédure de révision par les paires, etc. Non seulement elles structurent la pratique sage-femme, mais elles créent également les bases de l’organisation de leur profession. Puis, c’est grâce à un « contexte socio-politique, impliquant entre autres les instances gouvernementales, les associations professionnelles médicales et paramédicales et les mouvements féministes, que la renaissance et la reconnaissance de la pratique furent réalisées et permis enfin la légitimation de la profession » (Fraser et Hatem-Asmar 2004 : 106). Ce contexte particulier est marqué par la mise en place de projets-pilotes en 1994, visant à expérimenter la pratique sage-femme. Ainsi, « au lieu de légaliser directement la profession de sage-femme à l’instar d’autres provinces canadiennes, le Gouvernement du Québec a opté pour l’expérimentation de sa pratique, à travers huit projets-pilotes, qui devait se dérouler sur une période de six ans » (Fraser et Hatem-Asmar 2004 : 106-107). C’est donc au cours de ces projets-pilotes que les sages-femmes ont pu démontrer le fonctionnement et les bienfaits de leur pratique. En effet, « les résultats favorables de ces projets ont conduit le Conseil d’évaluation à recommander la reconnaissance de la pratique sage-femme » (Ordre des sages-femmes du Québec (OSFQ) 2017). Malgré les effets positifs découlant de cette expérimentation, il faudra neuf années supplémentaires avant que la pratique sage-femme ne soit officiellement légalisée au Québec, moment où l’OSFQ est également créé, en juin 1999. Depuis cette légalisation, les femmes sont de plus en plus

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nombreuses à retenir ou à désirer les soins offerts par les sages-femmes, leur nombre s’est donc grandement accru depuis les vingt dernières années. En effet, selon les rapports annuels fournis par une maison de naissance régie par le CIUSSS de Chaudière-Appalaches, le nombre de suivis avec sages-femmes est passé de 204 pour l’année 2009-2010 à 257 pour l’année 2018-2019 (Maison de naissance Mimosa, communication personnelle).

1.1.2 Des considérations différentes face à la naissance

Aujourd’hui, au Québec, il est possible d’être accompagnée lors d’une grossesse par trois types de professionnels de la santé, ceux-ci œuvrant en périnatalité. Il s’agit de l’obstétricien, du médecin généraliste, et de la sage-femme. De par sa formation en pathologie obstétricale, l’obstétricien peut suivre tout type de grossesse. Bien qu’il puisse réaliser un suivi considéré comme étant normal, son expertise peut en arriver à surmédicalisé ce type de grossesse : « la formation et l’approche spécifique aux situations pathologiques poussent de nombreux obstétriciens à voir même la grossesse normale et l’accouchement physiologique comme autant d’occasions de poser problème » (Brabant 2013:73).

Le médecin généraliste, quant à lui, est très souvent le premier professionnel de la santé à qui l’on pense lorsqu’il est question d’un suivi de grossesse. Puisqu’il pratique également la médecine familiale, « son approche de l’accouchement en font souvent un professionnel plus approprié au suivi d’une grossesse normale que l’obstétricien-gynécologue, spécialisé dans la grossesse et l’accouchement pathologiques » (Brabant 2013:72). Lorsque certaines interventions dues à des complications sont nécessaires, telles que la réalisation d’une césarienne ou l’utilisation des forceps, le médecin généraliste fera appel à l’obstétricien afin de lui référer les clientes dans le besoin. Au Québec, la plupart des grossesses sont suivies par des médecins généralistes (ASPC 2009).

Pour ce qui est de la sage-femme, elle considère l’accouchement comme une fonction normale, physiologique et naturelle, que les femmes ont toujours mené à bonne fin et ce,

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depuis que le monde est monde (Brabant 2013:73). Avec sa formation universitaire, la sage-femme réalise des suivis de grossesse au même titre que les médecins généralistes et les obstétriciens. La sage-femme offre ses services aux femmes en bonne santé qui vivent une grossesse normale, en s’intéressant non seulement à leur santé, mais aussi à leurs conditions de vie et à leur bien-être général, et elle passe de longs moments à les aider à se préparer pour l’accouchement et pour la période qui suit (OSFQ 2017). Un élément marquant de la pratique sage-femme est justement « cette connaissance approfondie des femmes qu'elle accouche, connaissance qu'elle a pu acquérir au fil des années » (Saillant et O’Neill 1987 :42). Les femmes détiennent le choix d’accoucher en trois différents lieux, soient la maison de naissance, l’hôpital ou leur domicile personnel. Pour les sages-femmes, « il leur importe que la normalité du processus de la naissance soit préservée et que les femmes puissent donc bénéficier des mêmes services peu importe le lieu de naissance » (Beauchemin et Gagnon 2009 :12).

Divers éléments peuvent être soulevés afin de justifier la préférence de certaines femmes au suivi sage-femme, tels que le manque de personnalisation des soins de l’approche biomédicale, la médicalisation et la dénaturalisation du processus de naissance, etc. Bien que « le milieu obstétrical ait connu beaucoup de changements positifs depuis l’époque de l’utilisation routinière des forceps, des étriers, de l’épisiotomie et de l’anesthésie générale, il n’en demeure pas moins que pour plusieurs femmes, les sages-femmes ont répondu à leurs besoins » (Mélanson 1999:248), puisque leur nombre s’est grandement accru depuis la légalisation de la profession.

1.1.3 La formation académique en pratique sage-femme

Afin d’exercer la profession de sage-femme légalement au Québec, il est nécessaire d’être membre de l’OSFQ et de détenir un permis de pratique. Cette reconnaissance peut être acquise après avoir complété la formation offerte à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), le baccalauréat en pratique sage-femme. Le programme, qui s’échelonne sur une période de quatre ans et qui comporte 132 crédits, s'appuie sur trois principaux éléments: les objectifs poursuivis par le gouvernement québécois dans la légalisation de la pratique

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des sages-femmes au Québec, sur la philosophie des sages-femmes québécoises, et finalement sur la définition internationale de la sage-femme. Il répond également aux orientations ministérielles concernant la pratique. Sur le site de l’UQTR, le programme est décrit comme suit :

Le programme du baccalauréat en pratique sage-femme se fonde plus particulièrement sur les perspectives suivantes : l'humanisation des soins périnataux; la continuité; la responsabilité de la femme et son droit au choix éclairé; le soutien du milieu communautaire; la sécurité de la mère et de l'enfant; l'autonomie professionnelle et la collaboration interprofessionnelle; et la contribution à l'atteinte des objectifs de la Politique de périnatalité du Québec1.

Le cheminement comprend neuf trimestres, dont trois trimestres regroupant des cours théoriques dispensés sur le campus de l’Université. Six semestres comportent des stages et des cours théoriques à distance ou en intensif sur le campus. Les stages se déroulent dans les milieux où pratique la sage-femme (domicile, maison de naissance ou centre hospitalier). Il est également possible de réaliser un stage en troisième année à l’extérieur du Québec. Puisqu’il représente « un profil professionnel assez particulier, le programme de formation des sages-femmes se doit d’être fondé sur un paradigme éducationnel humaniste qui permet le développement de « l’apprenant » et de sa personne, en plus du développement de ses connaissances propres à la discipline » (Fraser et Hatem-Asmar 2004 : 105). Si l’accompagnement humaniste qui caractérise la pratique sage-femme est si unique et particulier, il devient alors primordial que ce dernier soit transmis par le corps professoral lors de la formation, au même titre que les notions académiques.

Au Québec, la situation socio-économique des sages-femmes est positive. À l’automne 2018, l’Ordre des sages-femmes du Québec dénombrait « plus de 200 membres qui offrent un suivi de maternité sécuritaire et complet, sans frais pour les femmes détenant une carte de la Régie de l’assurance maladie du Québec » (OSFQ 2019). Les sages-femmes sont des employées de l’État, au même titre que les médecins. Le salaire moyen des sages-femmes

1 Informations consultées sur le site du Baccalauréat en pratique sage-femme de l’UQTR :

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se situe entre 29.71$/heure et 50.41$/heure.2 Les suivis sont réalisés dans 13 maisons de naissance à travers la province, ainsi que quatre situées au Nunavik. Puisque la demande afin d’être suivie par une sage-femme est grandissante, certaines maisons de naissance se doivent de prioriser les demandes selon des listes d’attente. De ce fait, le taux de chômage lié à la profession de sage-femme est relativement bas.

1.1.4 Modèle de pratique des sages-femmes canadiennes

Au Canada, bien que chaque province détient sa propre législation par rapport à la pratique sage-femme, le modèle utilisé est essentiellement le même à travers le pays, ce pourquoi il est pertinent de le présenter ici. Ce modèle présente les sept principes fondamentaux orientant la pratique sage-femme canadienne (Association canadienne des sages-femmes (ACSF) 2015 : 1-2). Les trois premiers principes présentent l’autonomie professionnelle des sages-femmes, acquise avec la légalisation de la pratique en 1999, le partenariat avec la femme enceinte et sa famille, qui s’incarne au sein d’une relation égalitaire basée sur l’écoute, la confiance et le respect, et la continuité relationnelle des soins, qui sont prodigués aux femmes selon un continuum et non seulement lors de la grossesse. Le suivi se divise en trois périodes : le prénatal, l’accouchement et le postnatal. En prénatal, il y a environ 10 à 12 rencontres et quatre à cinq visites sont prévues pour les soins postnatals, la dernière ayant lieu à la sixième semaine suivant l’accouchement. Deux sages-femmes sont attitrées à chaque femme, ce qui lui permet d’accoucher avec l’une d’entre elles et de respecter ainsi le principe de continuité. Puisque la sage-femme est présente lors du travail et de l’accouchement, mais également lors de la période postpartum, cette implication lui permet d’établir une relation d’entente et de confiance avec sa cliente, marquant ainsi la continuité des soins. Puis, le quatrième principe est le choix informé, qui sera développé ultérieurement dans ce mémoire, où la femme est encouragée à faire des choix éclairés en ce qui a trait à son suivi. Les sages-femmes partagent aux femmes des connaissances et des recommandations basées sur une relation égalitaire, et elles les encouragent donc à faire leurs propres choix. Le cinquième principe traite du choix du lieu d’accouchement, contrairement au suivi traditionnel où les femmes sont dans l’obligation d’accoucher à

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l’hôpital. La décision quant au lieu d’accouchement est liée à la situation personnelle de la cliente, aux disponibilités réelles de son milieu et aux attentes qu’elle détient face au processus de naissance. Notamment « lors d’une première grossesse, les femmes peuvent ne pas avoir d’emblée une idée bien précise de ce qui sera important pour elles le jour J » (Akrich et al. 2010: 153), ce pourquoi les sages-femmes accordent le temps nécessaire pour des discussions ouvertes et interactives, ainsi que pour l’éducation, ce qui favorise le développement d’une relation basée sur le respect, l’autonomie et l’égalité, ouverte aux besoins sociaux, culturels et émotifs autant que physiques des femmes (OSFQ 2017). Peu importe l’endroit choisi, les sages-femmes sont aptes à offrir des soins prénatals dans des maisons de naissance, des centres hospitaliers, de même qu’au domicile personnel des clientes et ce, en accord avec les normes et les lignes directrices professionnelles. Le sixième principe présente la pratique comme étant fondée sur des données probantes : « La pratique sage-femme est fondée sur la recherche, les lignes directrices basées sur les données probantes, l'expérience clinique ainsi que les valeurs et les besoins uniques des personnes qui bénéficient de leurs services » (ACSF 2015 : 2). Le dernier principe aborde la collaboration entre les sages-femmes et les autres professionnels de la santé concernant les soins octroyés aux femmes. Dans une optique de collaboration, « les principes de continuité, de choix informé, de partenariat et du choix du lieu de naissance sont essentiels au coeur des services de sage-femme » (ACSF 2015 : 2).

En général, les sages-femmes canadiennes font le suivi de 40 clientes par année et travaillent en partenariat avec un groupe de pratique de sages-femmes. Les soins prénatals et postnatals sont prodigués dans des cliniques de sages-femmes et en centres de santé communautaire, et incluent les visites à domicile (ACSF 2017). Quant à la pratique au Québec, elle est également marquée par « la continuité et à la globalité des soins, par le soutien à la famille, par le respect des besoins et des droits des femmes, par la considération des compétences parentales, ainsi que par l’utilisation judicieuse de la technologie » (Fraser et Hatem-Asmar 2004 :105).

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La pratique sage-femme se définit comme une alternative à l’approche biomédicale, qui se tourne davantage vers la biologie et la médecine. Comme il a été mentionné précédemment, la pratique sage-femme vise à répondre au manque de personnalisation des soins, ainsi qu’à la médicalisation et à la dénaturalisation du processus de naissance de l’approche biomédicale. Malgré les croyances, la pratique sage-femme ne se limite pas au simple fait de donner naissance. La sage-femme est reconnue comme une professionnelle de la santé formée pour être entièrement responsable des soins et des services durant la grossesse, l’accouchement et la période postnatale pour la mère et le nouveau-né et ce, jusqu’à six semaines après la naissance. La pratique sage-femme comprend diverses méthodes de soins qui lui sont propres, mais elle travaille également en collaboration avec des professionnels de la santé provenant des centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS), des centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS), et des hôpitaux (OSFQ 2016). Comme la pratique possède sa propre philosophie, son approche est ainsi caractérisée par certaines particularités, lesquelles ne sont pas nécessairement présentes dans l’approche biomédicale. Par exemple, la toute première condition propre au suivi sage-femme est celle de la normalité, notamment au niveau de la grossesse; « la pratique des sages-femmes est basée sur le respect de la grossesse et de l’accouchement comme processus physiologiques normaux, porteurs d’une signification profonde dans la vie des femmes » (OSFQ 2016). Le temps alloué à chacune des séances lors d’un suivi sage-femme est également un élément qui se distingue de l’approche biomédicale. En effet, « le point principal évoqué par les sages-femmes envers l’approche biomédicale est le manque de temps, elles observent une différence pour la durée de consultation d’environ 15 minutes pour les médecins à 50 minutes pour les sages-femmes » (Sauvageau et al. 2014 : 20). Plusieurs éléments divergents entre le suivi sage-femme et le suivi avec un médecin seront présentés dans les chapitres 3 et 4.

1.1.5.1 Une réticence de la part du domaine biomédical

La reconnaissance légale d’une profession constitue toujours un défi, particulièrement dans le domaine de la santé. Bien que la pratique sage-femme ait été légalisée en 1999, elle ne fait pas l’unanimité au sein des professionnels de la santé et ce depuis ses débuts. Bien

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au-domaine biomédical tente indirectement de dominer, de contrôler, « vu le prestige dont il jouissait jadis au sein de la population, au degré de contrôle qu’il exerce sur les activités des autres professionnels de la santé et à l’influence qui lui est attribuée sur les politiques publiques propres au domaine de la santé » (Hudon et al. 2009 : 255). En effet, la dominance médicale joue un rôle prépondérant dans l’émergence d’autres professions dans le domaine de la santé. La fermeture sociale dont il fait preuve est d’ailleurs soulignée par Freidson, qui la rend responsable des difficultés que rencontrent certaines nouvelles professions à émerger (Freidson dans Vadeboncoeur et al. 1996 : 225).

C’est ainsi qu’une réticence se fait toujours sentir de la part des certains médecins face à la profession de sage-femme, fermeture étant causée par « une différence de paradigme, une lutte interprofessionnelle pour protéger un champ de pratique réservé et surtout par une crainte de « l’inconnu » » (Fraser et Hatem-Asmar 2004 :107). Les aptitudes à exercer de certaines sages-femmes n’ayant pas reçu une formation reconnue officiellement, appelées « sages-femmes autodidactes », justifient également la méfiance éprouvée par les médecins face à leur pratique. En lien avec cette réticence, « la profession médicale n'est ainsi pas prête à abandonner son monopole sur l'obstétrique, et surtout pas au profit de sages-femmes autodidactes » (Saillant et O’Neill 1987 :173). Divers éléments sont également soulevés par les médecins envers la pratique sage-femme: « Les désaccords concernent le niveau de formation universitaire exigée, la nécessité d'une formation préalable en nursing, l'étendue des interventions médicales pratiquées par les sages-femmes, l'accouchement ailleurs qu'à 1'hôpital, l'autonomie des sages-femmes et le contrôle de leur pratique » (Blais et al. 1994 : 692).

En ce qui concerne les infirmières, cette réticence envers la pratique sage-femme ne semble pas être aussi notable. Effectivement, une étude réalisée par Blais et al. rapporte le fait suivant : « nurses do not want to control midwives (most of the maternity care nurses preferred that midwifery be regulated by a midwifery college) may be due to the nurses' belief that midwives should be autonomous professionals with whom they should build a partnership » (Blais et al. 1994:697). En règle générale, les infirmières considèrent les sages-femmes comme des partenaires, et désirent travailler en collaboration avec elles afin

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de prodiguer les meilleurs soins possibles aux clientes. D’ailleurs, lorsqu’un accouchement a lieu dans un centre hospitalier, ce sont les infirmières qui passent le plus de temps avec les femmes en travail, contrairement au médecin qui n’est présent qu’au moment de la naissance du bébé (Brabant 2013:87). Il faut également souligner, malgré le fait qu’elles ne réalisent pas de suivi de grossesse, que les infirmières jouent un rôle d’une grande importance quant à l’accompagnement nécessaire au processus de naissance. En effet, elles sont présentes auprès des femmes de la poussée à la naissance, mais également lors de l’enseignement durant les cours prénatals (Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ), 2017).

1.1.6 La philosophie sage-femme

La pratique sage-femme possède une philosophie qui lui est propre, ainsi que plusieurs normes y étant rattachées. Cette philosophie représente non seulement la base des interventions et politiques qui la caractérisent, mais guide également la pratique. La philosophie marquant la pratique sage-femme se base sur une relation de respect, d’écoute et de collaboration entre la sage-femme et la femme enceinte. En effet, « la pratique des sages-femmes s’exerce dans le cadre d’une relation personnelle et égalitaire, ouverte aux besoins sociaux, culturels et émotifs autant que physiques des femmes. Cette relation se bâtit dans la continuité des soins et des services durant la grossesse, l’accouchement et la période postnatale » (OSFQ 2016). Un des éléments les plus marquants de la philosophie sage-femme est le choix éclairé. En effet, « ce principe est fondamental et central pour les sages-femmes et de celui-ci découlent d’autres aspects de la philosophie tels que la responsabilisation des parents (empowerment), le respect de l’autonomie des parents, la relation d’égalité, etc. » (Sauvageau et al. 2014 : 17). La notion de choix éclairé peut être présentée ainsi :

Les sages-femmes encouragent les femmes à faire des choix quant aux soins et services qu’elles reçoivent et à la manière dont ceux-ci sont prodigués. Elles conçoivent les décisions comme résultant d’un processus où les responsabilités sont partagées entre la femme, sa famille (telle que définie par la femme) et les professionnelles de la santé. Elles reconnaissent que la décision finale appartient à la femme. Les sages-femmes respectent le droit des femmes de

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choisir leur professionnelle de la santé et le lieu de l’accouchement, en accord avec les normes de pratique de l’OSFQ (OSFQ 2016).

1.1.6.1 Le principe du choix éclairé et du consentement éclairé

Le choix éclairé « refers to the rights of healthcare consumers to be fully informed about testing or treatment options so that they can then make an educated « choice » among those options » (Spoel 2004: 1). Au niveau de la médecine, on parle plutôt de consentement éclairé : « In contrast to the medical concept of informed consent, which often implies compliance with a higher authority, the approach of midwifery suggests that women have the power or opportunity to choose among meaningful alternatives » (Dubé et al. 2013b:253). Tout d’abord, comme le démontre certains articles d’éthique adressés aux professionnels de la santé en milieu hospitalier (Mayaud 2011), le consentement éclairé se situe surtout dans le développement de qualités relationnelles permettant de faire accepter ses considérations à la cliente. Ces articles présentent la réaction dite normale d’un médecin lors de la remise en cause d’une de ses décisions par une cliente : « La première réaction du médecin va être égocentrique. Il vit le refus des soins proposés, surtout s’il est explicité, comme une remise en cause au mieux de l’efficacité de la « science médicale », au pire de sa propre compétence professionnelle. (...) Le malade n’est pas un interlocuteur qualifié pour débattre de la pertinence de la proposition de soins. Ouvrir le dialogue avec le malade est vécu comme un compromis indigne, une perte de temps » (Mayaud 2011: 32). Bien sûr, en lien avec l’approche sage-femme, c’est le cas des suivis de grossesse et des accouchements qui doit être considéré. L’import de la grossesse et de la mise au monde dans le processus médical, appelé médicalisation de la grossesse, l’a relayé à une intervention parmi tant d’autres.

Du côté de la pratique sage-femme canadienne, et étant de plus en plus considérée comme une approche intégrante des nouvelles formes de soins, le choix éclairé est bien différent des approches paternalistes historiquement appliquées par la santé publique. Pour certains, une dichotomie est bel et bien notable:

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At one extreme there is paternalism, which assumes that the health professional should make decisions on behalf of the patient, based on his or her superior knowledge and experience… At the other extreme lies informed choice in which the health professional lays out the pros and cons of each and every possible course of action without prejudice, and allows the patient to make a choice based on this information (Gwyn dans Spoel 2004: 1).

Avec le suivi sage-femme, c’est une approche respectueuse de l’autonomie des clientes qui est recherchée, le non-jugement et la confiance, ainsi que des protocoles moins rigides que dans les milieux hospitaliers, s’adaptant au vécu, aux désirs et non-désirs des clientes. Plus particulièrement, les sage-femmes, selon le principe du choix éclairé « présentent le pour et le contre de la vaccination en s’appuyant sur la documentation gouvernementale ou alternative » (Sauvageau et al. 2014 : III). Au Canada, le concept de choix éclairé est reconnu comme étant le principe central autour duquel est construite la pratique sage-femme et ce, dans toutes les provinces où elle est pratiquée. Les sages-sage-femmes reconnaissent que la femme est la seule personne ayant une opinion à considérer sur son corps et sur les interventions qui y sont pratiquées, et que leur rôle est de faciliter la prise de décisions éclairées par ses connaissances et son expertise. Il faut noter qu’une pareille affirmation de la position d’un ordre (infirmières, médecins, ou autre corps professionnel œuvrant en milieu hospitalier) par rapport à l’importance du choix éclairé est inexistante. Ce fait démontre ainsi que l’importance accordée à cette notion et la place qu’elle occupe au sein du protocole de soins n’est pas la même, et la compréhension de cette différence, surtout au niveau de la spécificité sage-femme, est importante afin de bien saisir la nature de sa pratique.

1.1.6.2 Le concept d’empowerment

Le choix éclairé implique nécessairement une certaine notion d’autonomie pour décider des interventions qui sont faites lors d’un suivi. La notion d’agencéité est à la base du concept d’empowerment, qui lui se définit plutôt comme le fait de se doter d’un pouvoir d’agir plus grand. Que l’on parle d’agency, d’agentivité, ou d’agencéité, cette notion relève de « la capacité de l’individu à contester le pouvoir, de façon consciente ou inconsciente » (Landry 2010 : 223). Elle incarne la faculté d'action d'un être, sa capacité à agir sur le monde, les

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choses, les êtres, et à les transformer ou les influencer. Plus encore, l’agencéité s’inscrit dans un certain paradigme, au travers duquel la déconstruction ou la remise en question des normes est considérée. Landry soutient que « dans beaucoup de traditions philosophiques, l’agencéité est pensée comme l’aptitude à opérer ou à introduire des changements dans le monde. Or, opérer des changements dans le monde ne signifie pas nécessairement contester le pouvoir ou défaire des normes. Il est tout à fait possible d’articuler des changements en mettant en acte les normes existantes » (Landry 2010 : 223). C’est à travers son agencéité que l’individu prend conscience de sa capacité d’action, et bien entendu le système de normes morales et éthiques caractérisant la société dans laquelle il vit dictera, ou influencera certainement de façon directe ou indirecte, les actions qu’il posera et la façon dont ces dernières seront posées. L’agencéité incarne « cette capacité d’agir, ce potentiel d’action, qui n’est pas une volonté inhérente au sujet, mais plutôt le fait qu’un individu se désigne comme sujet sur une scène d’interpellation » (Guilhaumou 2012 :27). Cette idée de responsabilité et de pouvoir d’action au niveau individuel n’est pas figée, une personne peut ainsi avoir plus ou moins de capacité d’agir, située sur une certaine liberté d’action selon les circonstances. L’empowerment peut parfois être difficile à saisir et à définir, ou tout simplement à traduire d’un contexte à l’autre. Dans ce cas-ci, il sera employé dans le cadre de la santé, et plus spécifiquement lié aux femmes dans le milieu de la santé. Trois types d’empowerment peuvent être distingués selon Lemire et al. D’abord, le type professional logic, à travers duquel les individus « acquire expert knowledge and put it into practice so that they can act effectively on their personal health. This logic assumes that the individual has taken the role of more active agent in the prevention » (Lemire et al. 2008:131). C’est dans ce type que peuvent s’insérer les institutions telles que la santé publique. Puis, le deuxième type est davantage axé sur l’aspect individuel. En effet, la consumer logic « encourages the individuals with a sense of responsibility concerning their choices and the consequences of acquiring products or services to seek more power on health issues » (Lemire et al. 2008:131). Finalement, le troisième type pouvant caractériser l’empowerment est community logic, ou logique communautaire, qui relève davantage d’une dynamique d’inclusion dans l’action et le changement social (Lemire et al. 2008 :132). La pratique sage-femme, à travers le principe du choix éclairé se reflète davantage sous une logique consumériste.

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Dans le cas des études sur les femmes et des études féministes, ce concept a été utilisé dans tous les domaines. L’empowerment semble être un concept de base avec lequel on aborde la question des femmes. Jones et Meleis affirment que le concept d’empowerment « has almost become a cliché in reference to women and other groups whose basic rights have been denied » (Jones et Meleis 1993: 7). Ainsi, comment départager ce qui relève du cliché et ce qui relève de l’analyse pertinente, réfléchie et constructive dans le cas de la grossesse? Il peut sembler facile de reléguer les femmes, l’approche sage-femme et l’empowerment dans un même tout explicatif, mais cela n’est pas aussi simple. L’approche sage-femme n’est pas qu’une alternative d’empowerment pour les femmes.

Tout d’abord, l’empowerment n’a pas qu’un aspect individuel, ce n’est pas simplement l’individu détenant une capacité d’agir par rapport aux autres : « empowerment is a developmental concept leading to enhancement of individual, family and community growth and potential » (Hermansson et Martensson 2011: 811). Le concept s’applique également dans une logique de santé globale, puisque l’empowerment des femmes en général peut avoir une influence sur l’état des soins dans le domaine de la santé publique. Très souvent, les concepts d’empowerment et de responsabilisation des femmes par rapport à leur santé, par exemple chez les femmes enceintes, sont confondus. Sur le site de l’ASPC, le concept d’empowerment est défini comme suit :

Processus par lequel une personne accroît son pouvoir sur les décisions et les actions qui influent sur sa santé. L'empowerment, qui peut être un processus social, culturel, psychologique ou politique, permet aux individus et aux groupes sociaux d'exprimer leurs besoins et leurs préoccupations, d'élaborer des stratégies de participation à la prise de décisions et d'intervenir sur les plans politique, social et culturel pour combler leurs besoins (ASPC 2017).

Afin de parler du concept d’empowerment, l’ASPC utilise également le terme « habilitation », qui implique que l'individu et la collectivité puissent reconnaître et faire valoir leur force, déterminer leur propre destinée; qu'ils disposent des ressources personnelles et matérielles nécessaires, dans un milieu social favorable (ASPC 2017).

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l’autonomisation, la responsabilisation individuelle et dans le cas de la santé publique, la responsabilité collective. Selon Massé, l’empowerment peut être défini comme « le lieu d’un renforcement de la capacité d’action des individus et des collectivités qui opèrent des choix conscients » (Massé 2007a : 23). Cette définition est en lien direct avec la notion d’agencéité, présentée précédemment. Alors que l’agencéité est plutôt un état, le fait de détenir ou non un pouvoir d’action, l’empowerment est le processus par lequel on acquiert un plus grand pouvoir d’agir. Dans cette définition, le lien avec la notion de choix éclairé est très évident puisque pour posséder un pouvoir d’agir, il faut être capable de prendre des décisions le plus clairement possible afin de répondre à nos intérêts, ce qui est possible grâce à l’information et à l’éducation.

Certains auteurs lient un aspect de reconnaissance sociale au concept d’empowerment. Selon cette considération, ce serait la perception de l’individu ou d’un groupe d’individus reconnus comme étant légitimes dans leur pouvoir d’agir: « She (Gibson) defined empowerment as a social process of recognition, promoting and enhancing people’s abilities to meet their own needs, solve their problems and mobilise the necessary resources in order to feel that they are in control of their lives » (Gibson dans Hermansson et Martensson 2011:812). D’après cette vision de l’empowerment, l’accent est mis davantage sur l’indépendance des individus par rapport à leurs propres problèmes. Cela s’inscrit, fort probablement, dans cette tendance de notre société à individualiser et responsabiliser les individus face à leurs problèmes de santé. D’autres auteurs sont en désaccord avec cette vision de l’empowerment, apportant une certaine nuance: « it is assumed that professionals cannot empower the client as he/she can only empower him/herself; however, health-care providers can support him/her and remove as many obstacles to empowerment as possible » (Hermansson et Martensson 2011:812). Dans le domaine de la santé, plus précisément, le professionnel aura quant à lui surtout un rôle d’allié, facilitant le processus d’empowerment pour les individus. Selon ces mêmes auteurs (ibid), il existe quatre niveaux d’empowerment: la participation, le choix, le support et la négociation. Il est possible de percevoir, dans ce dernier stade de la négociation, une certaine recherche de la reconnaissance sociale de la crédibilité de l’individu, ce qui permet de lier ces auteurs avec la perception de Gibson. Finalement, l’empowerment peut être

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considéré comme un processus où l’individu acquiert un niveau de connaissances, de confiance et de compétences, afin de discuter de son sort en des termes plus équivalents. Malin et Teasdale se sont également prononcés sur la place que détient le professionnel de la santé dans l’empowerment des individus, en soulevant une tension entre les concepts de soins (caring) et d’empowerment, comme une tension entre les deux niveaux où l’empowerment peut opérer : les niveaux micro et macro. Ils écrivent:

The micro level involves partnership in which the nurse puts her skills and knowledge at the disposal of the woman, whom she trusts to make responsible decisions. At the macro level, the implications of empowerment for organisation and management are extensive, including the freedom and autonomy to choose where and when one receives treatment as well as accepting responsibility for decisions thus made (Malin et Teasdale 1991:659).

Selon leur perception, il existerait un micro niveau, concernant les interactions personnelles entre les professionnels de la santé et les patients, où le soignant facilite le processus d’empowerment du patient, ainsi qu’un macro niveau, où l’organisation même des soins en est influencée.

En ce qui concerne la pratique sage-femme, l’accent est mis spécifiquement sur le domaine des femmes, des grossesses et des accouchements. L’approche en elle-même a comme but de redonner une partie du pouvoir et des responsabilités aux femmes. Ces dernières reconnaissent également que la façon dont elles sont traitées par les professionnels en charge de leur suivi de grossesse impactera grandement leurs considérations et ce, à différents niveaux. Le positionnement que les sages-femmes défendent est motivé par un profond malaise que ressentaient, et que ressentent encore de nos jours, les femmes québécoises et canadiennes par rapport à la grossesse et la naissance : « le passage de l'univers traditionnel de la naissance à celui de l'accouchement ultra technique a laissé un vide chez la Québécoise d'aujourd'hui. Même si personne n'éprouve vraiment l'envie de revenir aux conditions du Moyen Âge, il nous est permis de nous interroger sur ce que nous avons perdu d'entraide, de chaleur humaine, de rapport à notre corps et aux ressources de notre environnement au profit de la sécurité offerte par la technologie moderne » (Saillant et O’Neill 1987 :46). Est-ce que l’approche sage-femme peut se révéler comme étant un

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compromis entre connaissances biomédicales et respect et reconnaissance du vécu des femmes enceintes? Selon les définitions de l’empowerment qui ont été élaborées précédemment, les sages-femmes sont collectivement, de par leur positionnement théorique et leur pratique, des alliées nécessaires à l’empowerment des futures mères. Dans ce mémoire, je retiendrai la définition de l’empowerment que propose l’ASPC, afin d’explorer les tensions éthiques entre la philosophie sage-femme et l’approche de la santé publique en ce qui a trait à la vaccination durant la grossesse.

1.1.6.3 Éthique et pratique sage-femme

L’éthique est inhérente à la philosophie sage-femme. En effet, les interventions marquant la pratique sage-femme sont basées sur diverses clauses inscrites dans le Code de déontologie des sages-femmes du Québec, énonçant ainsi les devoirs et obligations dont doit s'acquitter tout membre de l’OSFQ. Avec son Code de déontologie, l’OSFQ définit « les exigences pour que l’éthique soit omniprésente au sein des relations tant de la sage-femme avec la femme, que de la sage-femme avec ses pairs et les autres membres de la société »(OSFQ 2016). La pratique sage-femme est donc guidée par diverses clauses éthiques, chacune d’elles étant marquée par des valeurs spécifiques, qui témoignent de l’éthique présente derrière cette profession. Il est possible de dénoter des valeurs telles que l’écoute, le respect, la liberté de choisir, l’éducation, etc. Les valeurs présentent au sein de la pratique sage-femme seront présentées ultérieurement.

Plusieurs normes de pratique viennent également marquer la profession de sage-femme. Chacune d’elles s’inscrit dans la définition de l’exercice de la profession comme le stipule la Loi sur les sages-femmes, et est présentée suivant le Code de déontologie de l’OSFQ. Ces normes ont été conçues dans le but de soutenir les sages-femmes dans l’exercice de leur profession et pour servir d’outil de référence au comité d’inspection professionnelle de l’Ordre, en ce qui concerne les éléments essentiels à une pratique professionnelle de qualité. Ainsi, « les normes de pratique sont articulées de façon à proposer des critères de rendement observables se rattachant à l’exécution des tâches propres à la pratique professionnelle des sages-femmes » (OSFQ 2016). Sur le site de l’OSFQ, plusieurs normes

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sont recensées, traitant notamment de l’importance du temps accordé à la cliente enceinte, de l’implication de la sage-femme, des échanges, de la confiance, du respect en ce qui a trait aux choix personnels et aux besoins de la femme enceinte, etc.

1.1.6.4 Recommandations officielles de la santé publique

Puisque les femmes enceintes et leur fœtus sont plus à risque d’être affectés par certaines maladies évitables par la vaccination (Vivion et al. 2017 :1), une plus grande attention est maintenant accordée à cette intervention lors de la grossesse. Le principal objectif de la vaccination durant la grossesse est d’induire un état d’immunité permettant de protéger la femme enceinte et son fœtus contre diverses maladies (Moniz et Beigi 2014 : 2563). La vaccination offre également une protection au nouveau-né pendant les 6 à 12 premiers mois de vie (Gruslin et al. 2009 :1094). Toutefois, peu d’études ont été faites sur la vaccination durant la grossesse, ne fournissant ainsi qu’une quantité limitée d’informations sur les possibles impacts que peuvent avoir certains vaccins sur les fœtus. L’ASPC affirme que « il n'existe que quelques études solides sur le plan méthodologique portant sur l'administration de vaccins aux femmes enceintes et celles qui allaitent; la plupart des données disponibles sur l'innocuité proviennent de registres pour lesquels les enjeux sont signalés de manière passive » (ASPC 2016).

Depuis 2007, il est recommandé au Québec, ainsi qu’à travers le reste du Canada, que les femmes enceintes soient vaccinées contre la grippe durant la saison de l’activité grippale (NACI 2007 : 9). De plus, tel que mentionné précédemment, le vaccin contre la coqueluche est maintenant recommandé chez les femmes enceintes et ce, à chacune des grossesses, afin de protéger le fœtus (MSSS 2018 : 2). Toutefois, au moment de la collecte de données et des entretiens, la recommandation pour le vaccin contre la coqueluche n’avait pas été formulée. Deux principales formes de vaccins peuvent être administrées, soient la forme active et la forme passive. Les vaccins vivants atténués, ou l’immunisation active, sont composés de micro-organismes vivants qui, bien que leur pouvoir pathogène soit atténué, induisent une infection. Le système immunitaire se mobilise ainsi afin de lutter contre cette agression, ce qui lui permet de développer des anticorps face à l’agent infectieux injecté.

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Cette forme de vaccination est toutefois proscrite chez la femme enceinte ou les personnes immunodépressives (sauf exception)3. Par exemple, les vaccins vivants atténués, tels que ceux contre la rougeole, les oreillons, la rubéole, la varicelle et la fièvre jaune, ne sont pas offert aux femmes enceintes en raison du risque théorique de nuire au fœtus si la transmission du virus du vaccin au fœtus se produit (ASPC 2016). En effet, « le meilleur moment pour se faire vacciner est avant de tomber enceinte, car certains vaccins ne sont généralement pas donnés pendant la grossesse, comme les vaccins vivants atténués. Par contre, si vous êtes enceinte et que vous devez vous faire vacciner, la majorité des vaccins sont considérés sans danger, notamment les vaccins inactivés » (ASPC 2019). Les vaccins inactivés contiennent des agents bactériens qui ont été inactivés, mais qui permettent à l’immunogénicité d’être conservée. Toujours selon l’ASPC, les vaccins inactivés n’entraîneraient aucun risque chez la femme enceinte ou qui allaite lors de leur administration.

1.1.6.5 La vaccination au sein de la pratique sage-femme

Comme c’est le cas lors d’un suivi fait par un obstétricien, les sages-femmes peuvent, à un moment ou un autre, aborder le sujet de la vaccination avec leurs clientes. Comme le médecin, elles sont autorisées à administrer certains vaccins à leurs clientes et ce, depuis 2008 (Vivion et al. 2011). Ces vaccins sont ceux contre l’hépatite B, la rougeole, la rubéole et les oreillons, et l’immunoglobuline contre l’hépatite B (Dubé et al. 2013a : 36). Toutefois, l’acte vaccinal demeure périphérique au sein de la pratique sage-femme. Notons que les sages-femmes, comme tout professionnel de la santé réalisant des suivis de grossesse, jouent un rôle de premier plan quant à l’éducation et à la promotion liées à certains traitements ou soins prodigués aux femmes enceintes, y compris la vaccination. Effectivement, « health professionals play a key role between the pregnant women and the information sources. In particular, nurses and midwives are in the ideal position to help prevent infectious disease during pregnancy and postpartum by better understanding which vaccinations can be used in pregnancy and by educating women on this topic » (Celikel et al. 2013: 2148). Dans une étude réalisée par Maher et al. (2014), ces derniers affirment que

3 Informations consultées sur le site Vaccination Info Service:

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« the most effective strategy for preventing influenza in pregnant women is immunisation, and benefits for both the mother and the infant have been demonstrated, with maternal immunisation significantly reducing respiratory illnesses in both the women and their infants in the first six months of life » (Maher et al. 2014: 2). Malgré le fait que le vaccin contre l’influenza ait été démontré comme étant sécuritaire et hautement efficace durant la grossesse (Celikel et al. 2013 : 2147), l’administration de ce dernier ne fait pas l’unanimité chez les sages-femmes, et plusieurs d’entre elles demeurent hésitantes face à ce dernier. Certains pays n’en font également pas la recommendation: « several countries, including Turkey, the UK and Germany, do not recommend influenza vaccination routinely in pregnancy, whereas others, such as the USA and Canada, recommend vaccinating healthy pregnant women regardless of the trimester » (Celikel et al. 2013: 2147).

Il est certain que l’on ne peut nier l’influence qu’ont les professionnels de la santé sur les choix que font leurs clientes enceintes, notamment en ce qui a trait à la vaccination. Bien que les sages-femmes soient reconnues comme ayant un rôle clé à jouer dans le processus de prise de décision de leurs clientes, elles suivent tout de même les principes formant la base de leur philosophie. Comme il a été mentionné précédemment, la philosophie sage-femme est marquée par le principe du choix éclairé, principe qui est employé face à une situation comme la promotion de la vaccination. Afin de respecter cette recommandation, « les sages-femmes présentent le pour et le contre de la vaccination en s’appuyant sur la documentation gouvernementale, par exemple le guide « Mieux vivre avec notre enfant de la grossesse à 2 ans » et la documentation alternative, par exemple les ouvrages de Céline Arsenault » (Sauvageau et al. 2014 : III). Bien que la plupart des sages-femmes « reconnaissent des avantages aux vaccins, tels que leur efficacité à prévenir des maladies et leur gratuité », elles tenteront tout de même, à travers le principe du choix éclairé, de fournir l’information nécessaire à leurs clientes, tout en évitant d’influencer leur processus de décision (Sauvageau et al. 2014 : III, 19). Il s’agit de ne pas faire transparaître leurs valeurs personnelles à travers les informations qu’elles fournissent. Ainsi, de par cette transparence, il est plutôt difficile de déterminer la position officielle des sages-femmes face à la vaccination durant la grossesse. Afin d’ancrer ce mémoire dans une perspective

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anthropologique, une présentation de divers concepts liés à l’anthropologie de la santé, de éthique et de la morale sera faite.

1.2 Cadre théorique

La façon dont nous soignons notre corps et nos considérations face à un état pathologique sont directement liées à notre bagage culturel. Les concepts et théories de l’anthropologie de la santé peuvent nous guider afin de mieux comprendre comment une maladie, une intervention médicale ou un phénomène biologique peut être identifié, interprété, ou vécu par un groupe ou une population quelconque. L’anthropologie de l’éthique, quant à elle, nous permet d’analyser et de mettre en lumière le processus réflexif derrière les actions que nous posons, les choix que nous faisons. Voici donc une brève présentation de ces deux sous-disciplines de l’anthropologie, qui seront indispensables au sein de cette recherche.

1.2.1 Approche anthropologique de la santé

L’anthropologie de la santé, également appelée anthropologie médicale, ou medical anthropology, peut se définir comme « the study of health, illness, and healing through time and across cultural settings » (Inhorn 2010:263). Ce sous-type de l’anthropologie s’intéresse à la façon dont les populations, à travers les différentes cultures, vont déterminer les causes de la maladie, les traitements pour y remédier et ceux qui seront en mesure de les prodiguer (Helman 2008 : XV). Depuis toujours, « les civilisations du monde ont élaboré des conceptions de la maladie, ont développé des systèmes de dispensation des soins et ont mandaté des spécialistes pour traiter les malades et les aider à restaurer les équilibres physiologiques, psychosomatiques et socioculturels rompus » (Tremblay 1982 :254). Parmi ces spécialistes mandatés par les populations se retrouvent les anthropologues médicaux; « Medical anthropologists study human suffering, as well as the medical systems in place to alleviate that suffering, (…) and analyze the relations among health, illness, social institutions, culture, and political–economic power, combining biomedical perspectives with those that address social and cultural problems through health advocacy and activism » (Inhorn 2010:263). Une autre définition intéressante de l’anthropologie de la santé est

Figure

Tableau 1 : Profils des répondantes sages-femmes
Tableau 2 : profils des répondantes avec un suivi sage-femme
Tableau 4 : Valeurs citées sur le site de l’Ordre des sages-femmes du Québec   Valeurs
Tableau 5 : Positions des répondantes avec un suivi sage-femme face à la vaccination  en général et pendant la grossesse
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Références

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