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Chapitre 1 : Contexte de la recherche et cadre théorique

1.2 Cadre théorique

1.2.1 Approche anthropologique de la santé

L’anthropologie de la santé, également appelée anthropologie médicale, ou medical anthropology, peut se définir comme « the study of health, illness, and healing through time and across cultural settings » (Inhorn 2010:263). Ce sous-type de l’anthropologie s’intéresse à la façon dont les populations, à travers les différentes cultures, vont déterminer les causes de la maladie, les traitements pour y remédier et ceux qui seront en mesure de les prodiguer (Helman 2008 : XV). Depuis toujours, « les civilisations du monde ont élaboré des conceptions de la maladie, ont développé des systèmes de dispensation des soins et ont mandaté des spécialistes pour traiter les malades et les aider à restaurer les équilibres physiologiques, psychosomatiques et socioculturels rompus » (Tremblay 1982 :254). Parmi ces spécialistes mandatés par les populations se retrouvent les anthropologues médicaux; « Medical anthropologists study human suffering, as well as the medical systems in place to alleviate that suffering, (…) and analyze the relations among health, illness, social institutions, culture, and political–economic power, combining biomedical perspectives with those that address social and cultural problems through health advocacy and activism » (Inhorn 2010:263). Une autre définition intéressante de l’anthropologie de la santé est

celle de Tremblay. Ce dernier la compare à « une constitution d’un corpus de connaissances se rapportant à la santé et à la maladie dans des contextes transculturels, qui élargissent les conceptions biomédicales de la maladie ainsi que les représentations professionnelles et les modèles thérapeutiques des intervenants du monde occidental » (Tremblay 1982 :253).

Au sein de la présente recherche, je m’intéresserai à un certain sous-type de l’anthropologie médicale, celui de la santé publique, et aux expériences y étant liées. Ainsi, dans un contexte de santé publique, Bibeau affirme que l’anthropologie « provides its own critical insights about the connections assumed to exist between beliefs and behaviors, knowledge, attitudes, and practices, and about related problems such as the differential exposure to messages, the conditions in which behavioral changes are produced, and the decision- making process regarding the use of health services » (Bibeau 1997:246). Afin d’expliquer certains comportements, Nichter explique qu’il est nécessaire de décrire les circonstances les entourant : « la description des croyances et des règles sociales n’est pas suffisante pour expliquer les comportements, il faut également décrire les circonstances dans lesquelles ces règles sont respectées ou transgressées » (Nichter dans Fainzang 2001 :12). Afin d’explorer les circonstances motivant certains comportements, les anthropologues médicaux travaillant en santé publique s’appuient sur les trois paramètres suivants: « Wherever anthropologists in public health work (…), whatever they do in health promotion, prevention, care, and rehabilitation (…), and whoever their colleagues may be (…), anthropologists tend to use a disciplinary framework organized around three key parameters: a focus on local knowledge, cultural sensitivity, and a grounding in community » (Bibeau 1997:246).

L’anthropologie de la santé a su, au fil des années, développer sa propre analyse critique face au concept de santé et à tout ce qui peut le caractériser. En effet, « Le développement de l’anthropologie médicale ici et ailleurs a ainsi permis à des chercheurs de repenser de façon citrique les paradigmes conceptuels auxquels recourent les anthropologues et à poser de nouvelles questions anthropologiques » (Fainzang 2001 :11). En ce sens, Good explique également que l’anthropologie médicale « has had its own form of critical self-analysis in the past decade, arising not only from these general developments in anthropology and the

healing, medicine, and health care institutions » (Good 1994: 25). Cette analyse critique a mis en lumière, entre autres, le manque de prise en considération des croyances et pratiques des individus face à leur santé :

Members of societies toward which such efforts were directed are not « empty vessels », waiting to be filled with whatever health knowledge is being advocated by health educators. (…) Their “habits and beliefs” constitute elements in an elaborate “cultural system”, which the public health specialist would do well to understand before advocating new habits and ideas (Good 1994:26).

Ainsi, cette négligence face aux savoirs populaires des sociétés entraîna, et c’est toujours le cas à notre époque, un manque de sensibilisation de la part des professionnels de santé face « à l’existence et à l’influence d’un savoir populaire actif qui structure les comportements reliés à la santé de leurs concitoyens » (Massé 1995 :227). Puisque l’un des principaux objectifs de l’anthropologie médicale est la production de savoirs face à la maladie, « many medical anthropologists, and particularly those involved in international public health research, believe that it is important to produce such knowledge in the hope that it will some day prove useful in prevention » (Inhorn 1995:288). Afin d’atteindre cet objectif de prévention, la considération des savoirs populaires est de mise, car comme Paul le souligne, « if you wish to help a community improve its health, you must learn to think like the people of that community » (Paul dans Good 1994:26).

1.2.1.1 Les savoirs populaires liés à la santé

Les savoirs populaires sont le reflet de l’environnement socioculturel dans lequel ils sont façonnés. Selon Garfinkel, les savoirs populaires « sont constitués des connaissances et des stratégies mentales employées par les êtres humains dans leur vie quotidienne » (Garfinkel dans Dubé 2007 :22). Les savoirs populaires, tout comme le sens commun, s’imprègnent de la culture. Geertz présente le sens commun ainsi : « It is, in short, a cultural system, though not usually a very tightly integrated one, and it rests on the same basis that any other such system rests, the conviction by those whose possession it is of its value and validity » (Geertz (1983) 2009:773). La pertinence des savoirs populaires ou du sens commun, bien qu’elle n’ait pas toujours été reconnue, est soulignée par Burton-Jeangros : « la théorie des

représentations sociales souligne que les acteurs sociaux sont compétents; autrement dit, ils construisent du savoir, à visée pratique et théorique, au sein de leurs interactions quotidiennes » (Burton-Jeangros 2004 :69). Ainsi, les comportements adoptés par les individus seront directement liés au bagage de savoirs qu’ils acquièrent au quotidien : « les liens de causalité entre savoirs et pratiques peuvent être bidirectionnels : les représentations sont à la fois la cause et la conséquence des comportements adoptés » (Burton-Jeangros 2004 :69). Lorsqu’ils sont liés à la santé et la maladie, les savoirs populaires « sont composés de connaissances, de croyances, de représentations, de valeurs, d'attitudes qui servent à produire du sens, à classer et à exprimer les significations explicites et implicites d'un ensemble d'objets associés au champ de la santé et de la maladie » (Dubé 2007 :26). Selon Massé, les éléments constitutifs du savoir populaire lié à la santé peuvent provenir de trois différentes sources, telles que les sources non-professionnelle, professionnelle et idiosyncratique. Massé explique :

Une source non-professionnelle se rapporte à des croyances ou des conceptions véhiculées à travers les discussions, les conversations courantes quotidiennes des membres du réseau social. (…) Une source professionnelle, qui concerne les croyances et les modèles explicatifs transmis par les médecins ou les thérapeutes professionnels des diverses médecines officielles ou parallèles. (…) Une source idiosyncratique, qui a trait aux croyances que génère l’individu lui- même à travers ses propres expériences et ses propres observations » (Massé 1995 : 249).

Dans un contexte de vaccination, les individus peuvent être directement ou indirectement influencés par divers éléments socioculturels et ce, de façon positive ou négative. Les discours du réseau social, les valeurs personnelles, les croyances religieuses, etc. sont tous des éléments à considérer. Plusieurs messages, souvent contradictoires, existent sur la vaccination (discours anti-vaccins sur Internet et les médias sociaux, discours pro-vaccins des professionnels de la santé et des gouvernements, expériences personnelles des membres du réseau social, etc.), et alimentent les savoirs populaires. Balinska explique : « le discours anti-vaccinal utilise schématiquement trois types d’arguments : il est important que la décision de vaccination découle d’un choix individuel; l’industrie et les autorités ne recommandent la vaccination qu’à des fins économiques; enfin, la vaccination serait nuisible pour la santé et n’aurait qu’un rôle négligeable dans le contrôle et l’élimination des

épidémies » (Balinska 2007 : 29). Tous ces arguments jouent un rôle dans la formation des savoirs populaires et de la perception des risques liés à la vaccination. Il est important de spécifier que la décision de recevoir un vaccin, que ce soit pour le bien personnel ou collectif, sera directement influencée par la représentation du risque de chaque individu (Streefland et al. 1999 :1714). En somme, de considérer les savoirs populaires liés à la vaccination ne peut être que bénéfique pour la santé publique. Comme Dubé et al. le proposent : « l’intégration des savoirs et des valeurs de la population dans la réflexion éthique en santé publique demeure essentielle » (Dubé et al. 2009 : 27). Plus particulièrement, une meilleure description des savoirs populaires concernant la vaccination durant la grossesse permettra de mieux comprendre les motivations et les appréhensions des groupes ciblés par cette intervention.