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5 ÉTAT DE LA QUESTION

5.5 S YNTHÈSE

5.5.1 Les points communs du texte de vulgarisation et du texte technique

Nous avons posé comme question de départ la possibilité que la traduction des textes de vulgarisation soit un cas particulier de la traduction technique ; à la lumière de la théorie que nous venons d’explorer, il s’agit maintenant de relever les points communs du texte de vulgarisation et du texte technique pour proposer une hypothèse sur la relation qu’entretiennent ces deux types de textes et de la vérifier par la suite par l’observation du corpus que nous avons choisi. Tout d’abord, répondons à la question suivante : à quoi servent le texte de vulgarisation et le texte technique ? Premièrement, à expliquer. Ce premier point commun repose sur l’un des critères de Bruno Dufay concernant les textes de vulgarisation et l’une des finalités du texte technique, qui est de faire comprendre.

Expliquer, dans le but de faire comprendre et d’informer, est un enjeu crucial qui utilise divers outils pour remplir sa fonction. L’un des outils communs au texte de vulgarisation et

27 au texte technique est, par exemple, l’illustration ; elle permet de se représenter directement un objet ou un processus et facilite ainsi la compréhension. Un autre outil important est l’emploi d’un vocabulaire simple, clair et précis. En effet, en vulgarisation comme en technique, l’information à faire passer sera d’autant mieux comprise si elle est exprimée de manière simple, directe, avec le moins de termes techniques possibles.

Ensuite, un deuxième point commun aux deux types de textes est le fait d’attirer l’attention : une évidence pour le texte de vulgarisation, mais une particularité pour le texte technique. Nous avons vu que l’attractivité du texte technique entre en jeu lorsqu’il vise en particulier un public profane n’ayant a priori pas besoin du texte en question. C’est dans cette perspective que se rencontrent le texte de vulgarisation et le texte technique, puisque, pour être lus, ils doivent présenter les informations de façon attrayante, afin d’attirer puis de maintenir l’attention du lecteur. Cette forme de présentation peut se retrouver, par exemple, dans la dimension « poétique » du texte, la fluidité du propos et la présentation des éléments. Par ailleurs, cette dimension poétique nous montre à quel point les frontières sont floues entre les différents types de textes, qu’ils soient classés au départ comme pragmatiques ou poétiques.

Dans une optique de traduction à présent, ces deux points communs principaux que nous venons d’identifier doivent se vérifier lors de la traduction du texte de vulgarisation, d’une part, et du texte technique, d’autre part. Ainsi, nous vérifierons dans notre analyse si les différents outils utilisés pour expliquer et faire comprendre, attirer et maintenir l’attention, sont respectés dans les traductions et si, oui ou non, il y a eu influence de l’original. Mais avant cela, nous souhaiterions évoquer un phénomène dont traitent notamment Mona Baker et Sara Laviosa, dans le contexte de l’analyse de corpus.

5.5.2 La langue de la traduction

Nous allons nous intéresser à deux articles parus dans la revue Meta concernant l’analyse de la traduction à travers un corpus de textes qui nous amènent à faire le constat suivant : la traduction d’un texte serait non pas la version « miroir » de l’original dans une autre langue mais une version « parallèle » dont la langue d’arrivée serait teintée des effets dus au processus de traduction, comme une traduction rédigée non pas dans une langue cible mais aussi dans une « langue de traduction ». C’est ce que Mona Baker appelle, en reprenant l’expression de William Frawley, « le troisième code »29, une langue de traduction dans la

29 BAKER, Mona, « Réexplorer la langue de la traduction : une approche par corpus », in Meta, 1998, vol. 43, n° 4, pp. 480-485.

28 langue cible ayant des caractéristiques propres et uniques. L’approche par corpus permet ainsi de se rendre compte de ce code de la manière suivante : des corpus de textes monolingues de toute sorte sont comparés avec, d’un côté, des textes originaux et, de l’autre, des traductions, dans la même langue. L’on a alors constaté que les originaux contenaient plus de spécificités, avaient subi plus facilement des « écarts » de langue, tandis que les traductions, elles, paraissaient plus normalisées, polies. Plus concrètement, la langue utilisée par les traducteurs serait inconsciemment plus propre et normalisée, et ils emploieraient un vocabulaire plus général. Ce polissage de la langue de traduction viendrait du fait que les traductions ne seraient pas interprétées de la même manière qu’une œuvre originale, et les traducteurs partiraient donc du principe qu’ils doivent fournir une traduction épurée et compréhensible pour le plus grand nombre. Notre constat se veut volontairement radical même s’il est évident qu’il s’agit d’une interprétation simplifiée de la pensée de Mona Baker et de Sara Laviosa dans l’approche de la traduction à l’aide de corpus monolingues. Notre but est avant tout de souligner cette notion de troisième code, qui rejoint en fait l’un des aspects de la traduction technique évoqué plus haut, concernant l’acquis linguistique du public cible. Nous avions alors suggéré que le traducteur technique devait prendre en compte l’acquis linguistique du lecteur et ainsi adapter son niveau de langue en choisissant un vocabulaire plus général et en évitant les tournures savantes. Or, dans le constat résultant de l’analyse des corpus monolingues, cette adaptation du traducteur serait inconsciente et surviendrait « naturellement » lors du processus de traduction.

Poussons encore plus loin notre raisonnement : dès lors qu’un texte de vulgarisation et un texte technique présentent des caractéristiques d’adaptation au public, dans un but de compréhension notamment, alors leur traduction, soumise à une adaptation inconsciente, ne risque-t-elle pas d’être « suradaptée » et de devenir par conséquent, banale, insipide, voire inintéressante ? La généralisation, ou normalisation, de la langue de traduction fait partie de ce qu’Andrew Chesterman nomme les « universaux »30. En traductologie, les universaux sont les caractéristiques propres aux traductions se manifestant lors du processus de traduction même. Selon Andrew Chesterman, la généralisation provient du fait que les apprentis traducteurs sont conditionnés dès leur apprentissage à, d’une part, ne pas modifier le sens et le style du texte, et, d’autre part, ne pas s’éloigner des normes

30 CHESTERMAN, Andrew, Why study translation universals?, University of Helsinki, Department of Modern Languages, 2010, pp. 38-48, le 12.08.2011 : https://helda.helsinki.fi/handle/10138/24319.

29 stylistiques et grammaticales de la langue cible31. De plus, la comparaison des différentes traductions produites par les apprentis traducteurs alimente encore cette idée de normalisation, où le traducteur doit se rapprocher le plus possible de « la traduction idéale ». Ce conditionnement semble être la source de la généralisation en traduction ; aussi les enseignants de la traduction devraient-ils se pencher plus sérieusement sur cette question fondamentale et essentielle de la vie d’un traducteur.

31 Ibid., p. 39.

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