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6 ANALYSE DU CORPUS

6.3 G ESTION DE LA TERMINOLOGIE

6.3.2 Terme 2 : quench

Pour ce qui est du terme quench, il possède plusieurs significations selon les domaines.

Dans le cas des matériaux supraconducteurs35, un quench est un phénomène qui survient lorsqu’un matériau qui conduit le courant à l’état supraconducteur devient résistif et perd, ainsi, sa propriété supraconductrice et dégage de l’énergie et de la chaleur. C’est d’ailleurs en raison d’un quench que l’incident de septembre 2008 s’est produit, car un grand dégagement de chaleur soudain dans une machine aussi complexe que le LHC peut s’avérer destructeur. Ainsi, des équipes d’ingénieurs et de physiciens ont conçu un

33 Site web d’Electropedia, le 04.08.2011 : http://www.electropedia.org/.

34 La Commission Électrotechnique Internationale (CEI) est une organisation de normalisation dans les domaines de l’électricité et de l’électronique ; elle est complémentaire de l’Organisation Internationale de normalisation (ISO).

35 Les supraconducteurs ont la propriété, à très basse température, de conduire l’électricité sans effet de résistance et de produire un champ magnétique très intense ; c’est ce que l’on appelle la supraconductivité.

41 nouveau système de détection plus performant et précis qui permet, entre autre, de détecter un quench et de neutraliser ses effets pour protéger le collisionneur.

Selon la CEI, quench est le terme recommandé à employer en français dans le domaine de la supraconductivité. Pourtant, selon nos observations, le terme a été traduit par transition résistive, terme employé au CERN. À l’inverse de busbar, le terme quench semble avoir été admis par la plupart des chercheurs francophones, comme le révèlent nos recherches dans des bases de données terminologiques36 ainsi que sur les sites web de grands laboratoires de recherche, comme le CEA37 en France. Le choix de transition résistive peut alors paraître illogique, voire inutile, puisque le terme quench est à la fois recommandé par les banques terminologiques et employé par les ingénieurs et les physiciens francophones de l’Organisation. Pourtant, nous pensons qu’il s’agit d’un bon choix terminologique, pour diverses raisons. Tout d’abord, parce que la communauté scientifique, et a fortiori le traducteur, voit l’anglais s’infiltrer dans la langue française comme un envahisseur que personne ne peut combattre. L’anglais étant la langue de communication par excellence, il finit par influencer le français, qui se voit truffé d’anglicismes en tout genre. Selon nous, cette influence, bien qu’inévitable, peut être contenue ; au lieu de rester passif face à l’anglais, le traducteur francophone doit aujourd’hui prendre son rôle de médiateur au sens propre, en proposant des traductions motivées et raisonnées, en créant des néologismes appropriés ou en conservant l’anglicisme avec une alternative (traduction, explicitation).

Le traducteur, aidé du terminologue, doit également satisfaire les principaux usagers des anglicismes, puisque ces derniers ont le pouvoir de répandre ou non l’anglais dans leurs disciplines. Cette tâche n’est pas aisée, non seulement parce que le traducteur peut rencontrer de nombreuses oppositions dans sa tentative de traduction, mais aussi parce que certains domaines techniques, comme l’informatique, évoluent trop rapidement pour que se construise un vocabulaire de référence dénué d’anglicismes. Ainsi, dans le cas de transition résistive, cette traduction nous semble un bon moyen d’exploiter la langue française de façon cohérente et réfléchie, plutôt que de céder simplement à l’anglicisme.

Corinne Pralavorio partage avec nous cette appréhension vis-à-vis des anglicismes et soutient le terme de transition résistive ; elle nous explique d’ailleurs que, souvent, pour éviter une incompréhension, le terme traduit sera suivi de son anglicisme entre parenthèses,

36 Le Grand Dictionnaire terminologique, le 05.08.2011 : http://www.granddictionnaire.com.

Termium, le 05.08.2011 : http://www.termium.com.

37 CEA, Commissariat à l’Énergie Atomique et aux Énergies Alternatives, le 05.08.2011 : http://www.cea.fr.

42 dans un article du Bulletin par exemple. Nous avons d’ailleurs confirmé cette pratique à l’aide d’un document d’exploitation décrivant les équipements du LHC rédigé en français par un groupe d’ingénieurs et de physiciens du CERN : en effet, lorsqu’il est question du quench, le terme transition résistive est employé mais est toujours suivi de quench, entre guillemets et entre parenthèses.

Une autre raison qui justifie ce choix de traduction est que transition résistive nous semble très parlant, contrairement à quench. En effet, une transition est le passage d’un état à un autre, en l’occurrence le passage de l’état supraconducteur à l’état « normal », et le fait que cette transition soit résistive signifie que le matériau en question retrouve ses propriétés de résistance électrique. Lorsque l’on rencontre ce terme pour la première fois, on peut déjà se faire une idée de ce que veut dire transition résistive, ce qui est difficile avec quench, qui possède aussi d’autres significations en anglais38. Ainsi, la traduction de quench par transition résistive nous paraît appropriée dans un article de vulgarisation sur les aimants supraconducteurs, comme c’est souvent le cas dans les Dernières nouvelles du LHC.

Le débat autour du terme quench ne date pas d’hier, puisqu’on le retrouve dans un numéro spécial de la revue Parallèles39, publié à l’occasion du 50e anniversaire de l’École de Traduction et d’Interprétation, en 1991. Ce numéro spécial sur le thème de la résonance magnétique nucléaire prend essentiellement la forme d’un glossaire. Il donne la définition suivante de quench :

quench (m.)

Perte accidentelle de supraconductivité de la bobine porteuse du courant dans un aimant supraconducteur. [quenching]40

Pourtant, le terme transition est déjà proposé, comme le décrit le procès-verbal du groupe de travail francophone ; le docteur Hiltbrand y parle du verbe quencher, qui serait utilisé en

38 Par exemple, dans le domaine du traitement des métaux, le quenching, en anglais, est un procédé de refroidissement des matériaux appelé trempe en français. D’après l’encyclopédie en ligne Wikipedia, le 08.08.2011 : http://en.wikipedia.org/wiki/Quenching.

39 ÉCOLE DE TRADUCTION ET D’INTERPRÉTATION, Parallèles : Cahiers de l’École de Traduction et d’Interprétation, Atelier de traduction sur la Résonance Magnétique Nucléaire, n° 13, 1991, ETI, Genève, 191 p.

40 Ibid., p. 120.

43 français, tandis que le terme transition serait également employé au CERN, comme l’indique un traducteur de l’Organisation41.