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12.   DESCRIPTION DE L’ARRANGEMENT LOCAL

12.2.   E XEMPLES ET ENJEUX DE CONCRÉTISATION DE L ’ ARRANGEMENT LOCAL

La variabilité spatiale des précipitations (à travers un gradient de précipitation vertical et horizontal), la répartition inégale de la ressource, des types d’usages divergents ainsi que la fluctuation de la consommation constituent des conditions privilégiées pour l’émergence de rivalités. Nos observations empiriques dénotent diverses tensions articulées autour des différents usages de l’eau et des infrastructures, influençant qualitativement ou quantitativement l’approvisionnement. Les différents enjeux de gestion des services urbains de l’eau se manifestent dans le cadre de plusieurs points chauds (hot spots). Ces derniers révèlent d’une part les rivalités entre plusieurs usagers du même système de ressource et d’autre part les modes de négociation et de résolution des conflits. Nous présentons ici trois points chauds révélateurs des capacités de régulation du RI et de sa concrétisation locale à travers l’arrangement local. Enfin, Nous étudions, à l’aide de ces cas empiriques, les capacités de régulation du RI et ses effets sur la durabilité du système de ressource.

12.2.1. Développement de la zone à bâtir de Mollens et approvisionnement des autres communes

Comme nous l’avons vu dans la description des différentes portions du réseau des eaux urbaines (chapitre 8.2.1), Mollens dispose de la plus grande zone à bâtir encore exploitable sur le Haut plateau. De récents projets de construction (notamment le projet Mirax) ont démontré la sensibilité des questions liées à la ressource en eau. Parallèlement à ce potentiel de zones à bâtir, la commune de Mollens représente également un point d’articulation de l’approvisionnement (à travers les prélèvements sur la Raspille), non seulement pour la commune de Randogne, mais également pour les communes situées au bas du Haut plateau (Venthône, Sierre, Salquenen, Miège, Varone et Veyras.). Un ensemble de communes est donc dépendant de Mollens pour son approvisionnement. Si la plupart de ces collectivités sont détentrices de droits d’eau sur la Tièche, certaines communes (dont Randogne) profitent également de surplus d’eau non utilisés par la commune de Mollens.

51 Du ressort de Randogne.

122 │ Le cas de Crans-Montana (Suisse) pour une illustration du modèle de gestion « public local fort »

En parallèle de l’élaboration de projets de développement de sa zone à bâtir, Mollens mène une stratégie de sécurisation et d’augmentation de ses capacités d’approvisionnement en eau. En effet, bien que propriétaire des eaux de surface sur son territoire, Mollens doit assurer la disponibilité de ressource correspondant aux droits d’eau des autres communes.

Cette stratégie constitue un message rassurant pour les communes voisines tout en étant indispensable pour l’éventuel développement de la zone à bâtir communale. Si les quantités d’eau semblent disponibles pour le développement de la zone à bâtir proprement dite, les droits d’eau (partage de la propriété formelle de la ressource décrété par l’évêque Jost de Silinon au 15ème siècle) doivent impérativement être pris en compte. De plus, une part des surplus reversés à la commune de Randogne est basée sur des accords informels passés entre les deux communes pour l’usage de la ressource et des infrastructures de distribution (la conduite de Randogne). Ainsi, si le RI garantit la fourniture de l’eau (par droits d’eau) aux communes voisines, on peut se demander ce qu’il adviendra des échanges d’eau brute entre Mollens et Randogne lors du développement de la zone à bâtir. Mollens laisse, pour l’instant, l’utilisation de ses surplus à Randogne, les nouveaux besoins en eau de la commune pourraient à terme modifier ce type d’échanges et avoir un impact également sur Montana qui bénéficie de l’aide de Randogne pour son approvisionnement. Cette situation illustre la fragilité d’accords informels modifiables. Ils diffèrent des droits d’eau, inscris au registre foncier et issu de régulations formelles du régime institutionnel.

12.2.2. Utilisation des alpages et captage des sources de l’Ertense

La commission intercommunale des eaux de l’Ertense (chapitre 6.1.3) a pour mission de gérer l’approvisionnement des six communes et de sécuriser les zones de source. C’est l’organe de gestion pour les problématiques touchant à la gestion de l’eau des quatre communes : Icogne, Lens, Chermignon et Montana. Cette commission est intervenue dans les négociations avec les consortages d’alpage de la région de l’Ertense, une des principales zones de captage du Haut plateau. En effet, durant les périodes d’alpage, le bétail menace la qualité des eaux de sources à travers sa présence (excréments) dans des périmètres protégés.

Une rivalité a ainsi émergé entre exploitations d’alpage, utilisant les prés pour le bétail, et les communes, devant disposer d’un approvisionnement et d’une qualité de la ressource suffisante selon les normes sanitaires définies par le cadre légal

La commission intercommunale est intervenue dans la négociation avec la volonté d’établir un plan d’affectation des zones de sources convenant tant aux exploitations d’alpages qu’au captage d’une eau de qualité. L’accord trouvé entre les deux parties s’est concrétisé par la mise en place d’un accord informel basé sur un système de compensation. Les exploitations d’alpages ont accepté de ne plus utiliser les zones de captage en échange d’un financement de places de traite et d’une compensation financière de la part de la commission. Cette dernière a également pris à sa charge la protection des zones de captages. Ainsi, malgré un déficit de mise en œuvre du régime (l’exploitation d’une zone de protection de source par les alpagistes), les acteurs ont préféré la mise en œuvre d’une solution négociée. Comme le souligne le secrétaire de la commission « L’Etat du Valais nous dit, si vous respectez pas les

normes, soit vous n’utilisez plus l’eau, soit vous utilisez les alpages. C’est un des deux, c’est la condition actuelle. Nous, on ne veut pas prétériter l’entretien des alpages, c’est grâce à eux que ça reste beau ». L’arrangement local a permis tout d’abord la mise en œuvre d’une solution rapide et concertée entre les acteurs concernés. Ensuite, il a permis de favoriser la durabilité de deux systèmes de ressource (paysage et eau) ayant chacun une importance considérable dans la durabilité de la station touristique.

12.2.3. Prix du mètre cube d’eau provenant du barrage de Tseuzier et prix du kWh

Le barrage de Tseuzier constitue une source plus ou moins importante d’approvisionnement pour les communes du Haut plateau. Il représente surtout une marge de sécurité en cas de manque ou de pénurie d’eau et participe à la gestion des pics de consommation. La gestion du barrage étant concédée à la Lienne SA, le mètre cube d’eau est vendu aux communes au prix de 50 centimes. Les collectivités doivent encore payer le coût de transit de la conduite de Lens fixé à 35 centimes. Le mètre cube coûte ainsi 85 centimes au total. La vente d’eau n’est cependant pas la fonction première du barrage de Tseuzier, infrastructure à vocation de production hydroélectrique. Cette pratique des achats d’eau s’est cependant instaurée depuis les années 1970 et concerne aujourd’hui cinq communes sur six. Le prix du mètre cube d’eau n’a que très peu changé durant les vingt dernières années. Cependant, la Lienne SA ne peut se permettre de vendre des mètres cubes d’eau à un prix inférieur du potentiel hydroélectrique. Ainsi, le prix du mètre cube devrait être indexé selon les fluctuations de prix du kWh. Pourtant, depuis que les communes prélèvent de l’eau, les indexations de prix selon le marché de l’électricité n’ont pas été faites dans de grandes amplitudes. C’est ce que souligne le responsable de l’unité de production de l’ESR, entreprise en charge de l’exploitation du barrage52 : « Le prix de l’eau est fixe pour X temps. Il n’a pas été adapté souvent. On pourrait l’adapter au prix du kWh, ça pourrait être un élément si le kWh devenait beaucoup plus cher qu’aujourd’hui. On a donc des conventions de vente avec chaque commune ».

Les communes, à travers l’attribution de la propriété des eaux de surface communales et à travers leur regroupement dans l’ACCM, deviennent des partenaires de la Lienne SA. Elles sont ainsi en position pour négocier le prix d’achat de l’eau directement avec la Lienne SA.

Les accords ne sont toutefois pas les mêmes d’une commune à l’autre, mais l’ensemble des quatre communes prélevant de l’eau directement à Tseuzier (Icogne, Lens, Chermignon, Montana) bénéficie de prix avantageux. Le prix du mètre cube d’eau pour potabilisation n’est donc pas le même que le prix du mètre cube vendu à la CMA pour la production de neige artificielle53. Cette relation de collaboration et la stabilité du prix du mètre cube sont, à notre sens, en partie expliquées par cette position de force des communes, propriétaires des eaux. De plus, leur regroupement dans l’ACCM (association des communes pour la gestion de la station touristique), permet une approche concertée de la problématique de l’eau entre entreprise privée et autorités publiques.

52 Entretien réalisé le 13 avril 2010.

53 Le barrage de Tseuzier ne constitue pas la principale source d’approvisionnment de la CMA, ce sont environ 30% de ses prélèvements qui passent par le barrage (environ 87'000 mètres cubes pour 2010).

124 │ Le cas de Crans-Montana (Suisse) pour une illustration du modèle de gestion « public local fort »