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12.   DESCRIPTION DE L’ARRANGEMENT LOCAL

12.3.   A NALYSE D ’ ÉTENDUE ET DE COHÉRENCE DE L ’ ARRANGEMENT LOCAL

Notre description de l’arrangement local des réseaux urbains de l’eau de Crans-Montana illustre l’importance des pratiques de gestion informelle. Les règles du régime institutionnel sont réappropriées par les acteurs selon les conditions locales. La dimension touristique, la forte fragmentation institutionnelle ainsi que l’attribution de la propriété de l’eau de surface aux communes poussent ainsi les collectivités à se réapproprier les règlementations pour parvenir à la mise en œuvre d’un arrangement local performant.

Nous soulignons deux principaux types d’arrangements informels concrétisant localement le régime institutionnel de gestion des réseaux urbains de l’eau à Crans-Montana.

Tout d’abord, les principaux secteurs de source du Haut plateau (vallons de l’Ertense et de la Raspille) sont connectés aux autres communes par le biais d’une conduite. Dans les deux cas (conduite de Lens et conduite de Randogne), l’infrastructure de transit est détenue par une commune différente de celle propriétaire du sol et ce passage est régulé par des accords informels entre les acteurs concernés. Les échanges d’eau entre les communes sont, eux aussi, régis par d’importantes composantes informelles. De nombreux échanges d’eau ponctuels s’opèrent pour l’approvisionnement de certaines communes. Non réglementés, ces échanges se font sur la base de services rendus et ne font pas l’objet de facturations ou de conventions particulières.

Constatant ces modes de régulation informelle, il s’agit de nous demander pour quelles raisons les acteurs choisissent ce type de réglementation et décident de ne pas formaliser l’usage de certains biens et services. De plus, il est également nécessaire de réfléchir aux implications de ces modes de régulation informelle sur l’étendue et la cohérence du régime institutionnel. En effet, les acteurs peuvent choisir différents positionnements face au régime institutionnel et détiennent une certaine marge de manœuvre dans la mise en œuvre, ou non, des règles.

Dans le cas du passage des conduites, le régime institutionnel propose différents dispositifs et outils régulant ce type de situation (inscription au registre foncier, valorisation foncière, établissement de servitudes foncières). Nous constatons cependant que les communes décident volontairement de ne pas suivre les règles établies et préfèrent la mise en œuvre d’arrangements informels.

Cette réglementation locale tend ainsi à diminuer l’étendue du régime institutionnel puisque les acteurs décident de ne pas utiliser les régulations de biens et services définies par le régime pour se tourner vers une solution alternative. Les communes régulent ici le passage des conduites à travers des contreparties en nature telles que l’entretien et la construction de l’infrastructure ou le transit gratuit de la ressource en eau. Cet arrangement local et informel constitue un affaiblissement volontaire et stratégique du régime institutionnel par les acteurs.

Il dénote d’une situation ou deux communes trouvent leur compte à ne pas formaliser le passage d’une infrastructure par le biais d’une inscription au registre foncier par exemple.

Une commune équipe gratuitement son territoire, dispose d’une infrastructure de transfert tout en évitant les frais liés à son entretien. L’autre sécurise un peu plus son approvisionnement et

évite des charges financières (frais liés aux servitudes) supplémentaires pour le fonctionnement de l’infrastructure.

A priori, chaque commune impliquée dans l’arrangement local trouve donc un intérêt à cet affaiblissement de l’étendue du régime institutionnel. Toutefois, nous constatons que ces arrangements lient, dans les deux cas, une commune extrêmement bien dotée en ressource à une commune plus faible. Si une des communes dépend fortement de ce transfert d’eau, l’autre peut s’en passer facilement et bénéficie ainsi du développement de son réseau gratuitement tout en gardant une main mise importante sur la ressource en eau. Cette situation illustre clairement un arrangement local basé sur un certain rapport de force où une commune renforce sa position dominante sans avoir à investir d’importants moyens financiers ou à subir de lourdes charges administratives.

Le cas des transferts d’eau semble avoir un impact différent sur le régime institutionnel. En effet, les échanges informels de ressource en eau permettent au contraire d’assurer le fonctionnement de certains biens et services. Ils permettent ainsi le captage de l’eau et la distribution en suffisance, ils permettent le fonctionnement de l’infrastructure. En ce sens, les échanges informels d’eau entre communes semblent renforcer l’étendue du régime institutionnel puisqu’en leur absence certains biens et services ne pourraient être en fonction.

Dans ce cas, l’arrangement local offre aux communes moins de robustesse qu’un contrat ou une convention d’échange formalisée pour une durée et des termes définis. L’accord informel peut ainsi devenir caduc si le fournisseur d’eau décide d’utiliser ses ressources propres en excluant tout échange. Cependant, si cet arrangement informel semble effectivement moins robuste, il présente toutefois l’avantage d’une grande flexibilité. Il permet aux communes d’interconnecter les réseaux pour des périodes précises et définies par la demande. Les communes peuvent ainsi combler les manques d’approvisionnement afin de subvenir aux pics de consommations.

Un périmètre touristique tel que Crans-Montana semble particulièrement bénéficier des avantages de cette flexibilité. La consommation en eau peut en effet fortement varier d’une heure à l’autre. L’informalité permet de subvenir précisément aux besoins en eau sans que les communes ne se voient limitées par une convention portant sur des données extrêmement variables telles que le taux de remplissage d’une station. De plus, l’appartenance des communes à une seule station touristique semble pallier le manque de robustesse de cet arrangement. En effet, l’approvisionnement en eau est une condition sine qua none au fonctionnement de la station et toutes les communes peuvent donc trouver directement ou indirectement un intérêt aux échanges d’eau.

L’arrangement local se caractérise donc par sa grande flexibilité et son importante capacité d’adaptation à des paramètres fortement fluctuants (nombre d’individus, quantités d’eau à délivrer, quantités d’eau disponibles, etc.). Si l’arrangement local ne corrige pas l’ensemble des incohérences du régime institutionnel des réseaux urbains de l’eau, il semble toutefois permettre le fonctionnement du réseau urbain de l’eau d’une station touristique dans un espace à la fois fortement fragmenté du point de vue de la ressource en eau et réduit du point

126 │ Le cas de Crans-Montana (Suisse) pour une illustration du modèle de gestion « public local fort »

de vue spatial. L’arrangement local participe ainsi à la résolution d’un problème public : l’approvisionnement en eau d’une station touristique où la propriété de la ressource est divisée entre six communes. Il remet en cohérence localement le régime institutionnel.

Cette vision positive de l’arrangement local doit toutefois être nuancée. En effet, si l’arrangement local se caractérise par une grande flexibilité, il peut être fortement influencé par la quantité d’eau disponible et par l’asymétrie des forces en présence.

En ce sens, il semble être en effet plus facilement remis en question. Les stratégies d’acteurs peuvent être rapidement modifiées si la quantité d’eau disponible diminue ou si l’eau change de statut. Nous faisons l’hypothèse que l’équilibre entre communes peut être fortement modifié si la quantité globale d’eau diminue. Les communes fortement dotées en ressource opteraient alors pour la garantie de leur approvisionnement et auraient plus facilement la capacité de rompre l’arrangement informel. Ce cas de figure est également envisageable dans le cas d’une eau passant d’un statut d’eau brute à une eau valorisée du point hydroélectrique et poussant les communes à sécuriser leurs ressources. L’arrangement local est donc fortement dépendant de la bonne volonté des communes en possession des principaux secteurs de source (Mollens et Icogne) dont les décisions peuvent fortement remettre en question les relations entre communes et donc l’équilibre global de l’arrangement local. Dans cette perspective, l’arrangement local se caractérise par un rapport de force continu entre les communes et dépend de la bienveillance des communes richement dotées en ressource.

13. Analyse des effets de l’arrangement local sur la durabilité