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Cette étude de cas illustre la gestion des réseaux urbains de l’eau dans un périmètre touristique. A travers l’exemple de Crans-Montana, nous tentons de mieux comprendre les modes de gestion du réseau, le fonctionnement des infrastructures et les relations entre services urbains de l’eau dans un périmètre touristique se caractérisant par de fortes fluctuations de sa population.

Constitutive d’une thèse de doctorat portant sur une étude comparative de différents régimes institutionnels de services urbains de l’eau dans le cade de stations touristiques, l’analyse du cas de Crans-Montana a permis d’illustrer le modèle « public local fort », caractérisé par une gestion communale des réseaux urbains de l’eau. Dans un espace institutionnel fortement fragmenté (une station touristique divisée entre six communes), nous avons tenté d’analyser les enjeux d’une gestion des réseaux urbains de l’eau directement en main des collectivités publiques. Nous avons notamment pu souligner l’importance des collaborations entre services communaux des eaux et l’influence d’une gestion communale sur les modes de tarification.

Nos observations ont permis de conceptualiser et d’analyser l’arrangement local de gestion des réseaux urbains de l’eau de Crans-Montana. Nous avons tenté de démontrer comment cet arrangement local se concrétise localement et comment celui-ci permet une gestion sur mesure basée à la fois sur des arrangements formels et informels.

Cette étude de cas a également souligné l’importance du régime institutionnel dans la marge de manœuvre, plus ou moins grande, laissée à l’arrangement local dans la régulation de biens et services. En effet, le cas de Crans-Montana illustre que l’arrangement local ne peut exister que sous certaines conditions. Dans notre cas, sa mise en œuvre est concrétisée soit dans un régime institutionnel où certaines régulations font défaut (manque d’étendue ou / et manque de cohérence), soit lorsque les acteurs choisissent délibérément de ne pas suivre et mettre en œuvre les régulations définies par le régime institutionnel. L’arrangement local semble donc exister lorsque les acteurs doivent réglementer un bien ou service non régulé par le régime institutionnel ou lorsque les acteurs décident stratégiquement de ne pas suivre les règles en place afin de mettre en œuvre leurs propres modes de réglementation. A Crans-Montana, c’est le cas du passage des conduites d’eau sur un territoire extra-communal. Les acteurs décident volontairement de ne pas inscrire ces passages au registre foncier et mettent en œuvre un arrangement local basé sur des compensations en nature (échange d’eau, passage gratuit de l’eau, travaux d’entretien ou construction).

140 │ Le cas de Crans-Montana (Suisse) pour une illustration du modèle de gestion « public local fort »

Les différents accords informels décrits dans cette étude de cas démontrent également la flexibilité de ce type d’accord. Ils permettent, en effet, de subvenir à des besoins en eau pour des périodes courtes et déterminées. Ils conviennent ainsi particulièrement bien à l’approvisionnement d’un périmètre touristique tel que Crans-Montana. A défaut de robustesse (puisque facilement résignables), ils permettent un transfert de l’eau quasi immédiat entre les communes.

Enfin, nous avons souligné que si cet arrangement local permet de pallier les lacunes du régime institutionnel, il ne constitue toutefois pas une solution aux problèmes structurels du périmètre. Il s’agit donc de se demander s’il peut être considéré comme durable alors que la plupart des critères de durabilité démontrent une certaine fragilité.

Actuellement, les communes de Crans-Montana font l’effort de sécuriser leurs sources d’approvisionnement. Cette situation semble dénoter d’une préoccupation grandissante. L’état de la ressource en eau évolue et sa perception également. D’une part, l’ensemble des acteurs souligne la baisse globale de disponibilité, d’autre part, la valorisation hydroélectrique de la ressource a considérablement modifié la manière de gérer et de considérer l’eau. Il n’y a plus d’eau perdue sans être exploitée au préalable. Ainsi, la situation des services urbains et des réseaux urbains de l’eau se modifie. La volonté de formalisation des accords ainsi qu’une volonté de gestion moins fragmentée émergent de plus en plus de la part des communes. Si les objectifs ne sont pas partagés pour les mêmes raisons, ils rassemblent les communes richement et pauvrement dotées en eau.

Le projet Cordonnier et Rey est ainsi une belle illustration de volonté politique pour une mise en commun de la ressource. Initiés dans une dimension verticale (des sources d’approvisionnement à l’irrigation des coteaux), les réseaux urbains tendent actuellement vers des politiques de gestion de plus en plus horizontales, à travers les transferts d’eau intercommunaux sur le périmètre de la station touristique. Nous pouvons ainsi considérer que l’arrangement local de gestion des réseaux urbains de l’eau de Crans-Montana s’inscrit dans ce que Nahrath et al. (2009) considèrent comme espace fonctionnel, définit comme « un espace social, plus ou moins clairement territorialisé, qui s’organise autour de rivalités – et donc de régulations publiques de ces dernières – pour l’accès, l’appropriation et la redistribution de biens et services, tant matériels qu’immatériels, nécessaires à la satisfaction de besoins ou à la réalisation d’activités, aussi bien individuels que collectifs. » (Nahrath et al., 2009 :6). Les communes dans le périmètre de la station touristique définissent ainsi, à travers les échanges informels d’eau, un espace fonctionnel intersectoriel et transterritorial pour l’exploitation des eaux (du point de vue hydroélectrique et du point de vue de

l’approvisionnement) et pour une mise en commun de la ressource dans un contexte de demande touristique.

Les communes tendent ainsi aujourd’hui vers une redistribution des droits de propriété, de disposition et d’usage sur la ressource. Cette redistribution se fait sur la base d’intérêts divergents et illustre les rapports de force s’établissant entre les communes du périmètre. Il faudra encore attendre pour voir si les communes décident de créer cet espace fonctionnel à travers une mise en commun de la ressource ou si elles décident de maintenir un arrangement local présentant certes de nombreux avantages (flexibilité, rapidité de réaction, facilité de mise en œuvre) mais se caractérisant néanmoins par une faible robustesse.

142 │ Le cas de Crans-Montana (Suisse) pour une illustration du modèle de gestion « public local fort »