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Crans-Montana est une station touristique de montagne située en Suisse, dans le canton du Valais. Elle se situe sur un plateau à environ 1500 mètres d’altitude et s’oriente plein-Sud.

Les activités touristiques s’orientent l’hiver vers le ski, avec environ 140 kilomètres de pistes démarrant du glacier de la plaine morte (environ 3000 mètres d’altitude) jusqu’au centre de la station. L’été, elles sont orientées vers le golf et la randonnée. D’un point de vue politico-administratif, la station se caractérise par une forte fragmentation avec une division entre six entités communales d’Ouest en Est : Icogne, Lens, Chermignon, Montana, Randogne et Mollens.

Cette étude de cas est structurée comme suit : Nous présentons tout d’abord la configuration institutionnelle du périmètre étudié. Nous l’illustrons à travers la structure des services de l’eau ainsi que le type d’arrangement institutionnel mis en œuvre. Nous présentons ensuite l’état de la ressource ainsi que les caractéristiques géophysiques et pluviométriques du périmètre. Après avoir étudié le fonctionnement institutionnel et la ressource en eau, nous présentons les caractéristiques du réseau des eaux urbaines. Nous décrivons l’infrastructure, son état, ainsi que les différents réseaux communaux et leur mode de financement. Nous illustrons les principaux points d’articulation de l’infrastructure de réseau du Haut plateau10 permettant la gestion de l’approvisionnement, de l’évacuation des eaux et de l’assainissement des eaux usées. Une fois le périmètre décrit du point de vue de la ressource et des infrastructures, nous décrivons les différents usages (directs ou indirects) du réseau des eaux urbaines et les rivalités pouvant en résulter. Nous identifions ainsi les principaux sous-cas permettant une analyse des principaux enjeux de gestion locale de l’eau et des infrastructures de réseau au sein du périmètre. Enfin, il s’agit d’analyser les effets du mode de gestion des réseaux urbains sur la régulation de ces rivalités potentielles ou avérées.

Nous étudions tout d’abord le régime institutionnel des infrastructures de réseau des eaux urbaines, la régie directe. Portant sur l’analyse des politiques publiques et des droits de propriété, nous évaluons l’étendue et la cohérence de ce cadre institutionnel.

Nous observons ensuite comment cet arrangement institutionnel se concrétise dans un arrangement local. En revenant sur les sous-cas d’analyse, nous observons comment l’arrangement local parvient (ou non) à réguler les principales rivalités au sein du périmètre.

Cette capacité de régulation, sa cohérence et son étendue, nous permet enfin d’analyser les effets sur la durabilité de la gestion des eaux urbaines à Crans-Montana. Nous présentons les différents critères de durabilité utilisés dans l’analyse et les appliquons aux deux ressources que sont l’eau et les infrastructures. Pour finir, nous confrontons ces résultats à nos hypothèses de recherche.

10 Le terme de Haut plateau est utilisé à Crans-Montana pour dénommer le périmètre de la station. Il représente le plateau sur lequel repose les six communes constitutives de la station touristique.

Figure 9 : Plan de situation de Crans-Montana, Suisse

N

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6.1. Les institutions du périmètre étudié

L’objet de ce chapitre est de préciser l’environnement institutionnel de la gestion des services urbains de l’eau de Crans-Montana. Nous présentons tout d’abord le paysage institutionnel de la station et sa division entre les six communes du Haut plateau. Ensuite, nous présentons le mode de gestion appliqué par ces communes et le situons dans la typologie développée par Lorrain (2006). Si les communes jouent effectivement un rôle central dans la gestion de l’eau, nous verrons qu’il existe d’autres entités, fondées sur des modes de gestion différents et ayant également un impact sur la gestion de la ressource.

6.1.1. Une gestion municipale des services urbains de l’eau : la régie directe

La gestion de services urbains de l’eau peut potentiellement se traduire par une multitude de configurations institutionnelles. Différents types de modèles s’offrent aux collectivités publiques selon le contexte économique et politique avec l’existence de modes de gestion directs, délégués ou privatisés. Comme l’ont démontré différents travaux, les pays européens se caractérisent par différents types de modèles de gestion.

Ainsi, Pflieger (2009) souligne que la Suisse se caractérise par une forte municipalisation de ses services urbains. Ce modèle de gestion, qualifié également de régie directe traduit

« la compétence universelle des communes de régler toutes les affaires de la collectivité locale » (Lorrain, 2006 : 4). Il se caractérise par la force des institutions politiques locales qui prennent à leur charge l’investissement de base, le renouvellement des infrastructures ainsi que l’entretien du réseau. Les communes sont à la fois, propriétaires de l’ensemble des infrastructures, et opératrices du réseau à travers leurs services communaux. Ce modèle est basé sur l’idée que la gestion des biens publics doit se faire par des acteurs publics. Il s’inscrit, comme le souligne Barraqué (1995), dans une culture du municipalisme s’appuyant sur les élus locaux en collaboration avec les professionnels des services urbains.

Tableau II : Caractéristiques du modèles de gestion de la régie directe

Modèle

de gestion RI Définition Principes

fondamentaux Propriété des

infrastructures Responsabilité

collectivité Garantir la

qualité et Municipalités Municipalités Municipalités Conseil

municipal Usagers + municipalités

garde un contrôle absolu sur l’exploitation du service.

Il n’y a pas de séparation budgétaire.

l’abordabilité des services publics de l’eau au travers d’une gestion et propriété publique.

(contribuables)

Ici, l’autonomie accordée aux services urbains de l’eau est nulle. Ceux-ci s’intègrent dans l’ensemble des services publics communaux. La régie directe est l’arrangement institutionnel en vigueur pour l’ensemble des six communes de Crans-Montana. L’ensemble des services des eaux y est assuré par les collectivités publiques avec une intervention du secteur privé uniquement dans le cas de sous-traitances particulières.

Le service est supporté par l’usager du service selon des modes de tarification (facturation au mètre cube, tarif forfaitaire, taxe de raccordement, etc.) pouvant diverger selon les communes. Les services doivent cependant être autonomes financièrement, sans engranger de bénéfices. L’approvisionnement et l’évacuation des eaux constituent dans ce cas une obligation de service public. Les services de l’eau sont ainsi à la charge du conseiller communal responsable du dicastère des eaux et les décisions stratégiques sont avalisées par le conseil communal.

La mise en œuvre des décisions s’opère à travers la collaboration des services communaux, généralement services des eaux, services techniques et travaux publics. La coordination des travaux entre différents services (eau, routes, télécommunication) prime pour la limitation des fouilles.

Les communes ont ainsi à leur charge la gestion des eaux urbaines : approvisionnement, distribution, évacuation et traitement des eaux. Dans le cas de Crans-Montana, cette emprise des communes sur la gestion est particulièrement importante puisque le canton du Valais leur attribue la propriété des eaux de surface, à l’exception du Rhône qui reste une propriété cantonale. Cette exception au niveau national renforce la forte fragmentation institutionnelle avec six communes complètement autonomes du point de vue de la gestion des eaux dans un périmètre à la fois restreint du point de vue géographique et partagé d’un point de vue économique et touristique : la station de Crans-Montana.

6.1.2. Des institutions supracommunales pour pallier la fragmentation institutionnelle

Afin d’optimiser la gestion des services urbains de l’eau (coordination des actions, garantie de l’approvisionnement durant les pics de consommation) et de pallier la forte fragmentation institutionnelle du périmètre, les communes se regroupent dans le cadre d’institutions supracommunales. Trois institutions regroupent les intérêts des communes et permettent aux collectivités de collaborer pour la gestion globale des eaux et des aménagements en découlant. Elles permettent une planification concertée, soit à l’échelle d’une entité économique telle que la station touristique (Commission intercommunale de l’eau de l’ACCM), soit à l’échelle d’un bassin versant (Association intercommunale des eaux de la Raspille, Commission intercommunale de l’eau de Crans-Montana : bassin

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versant de l’Ertense). Ces trois institutions constituent des configurations d’acteurs spécifiques regroupant parfois les mêmes acteurs mais en leur attribuant des droits et obligations pouvant varier d’une institution à l’autre.

6.1.3. Entités extra communales : institutions de gestion communautaire de l’eau11

La Suisse, et particulièrement le Valais, est caractérisée par l’existence de nombreuses institutions de gestion communautaire de divers biens collectifs ou ressources : consortages d’alpages, de bisses, confrérie des eaux, bourgeoisies, etc. Souvent multiséculaires, ces institutions sont nées de la nécessité de gérer des biens communs dits indivisibles (eau, prairie, forêt, etc.). Lors de la municipalisation au 19ème siècle, les communes ont alors pu choisir entre la reprise en main de la gestion de ces biens communs et la délégation de compétence aux institutions déjà en place. Si dans certains cantons suisses les institutions de gestion communautaires ont disparu, dans d’autres cas, ces institutions sont encore actives et parfois puissantes.

En Valais, les communes et leur développement ont, en effet, généralement été dotés d’institutions de gestion communautaires actives. Dans le cas de Crans-Montana, c’est la grande bourgeoisie (dont sont issues les bourgeoisies de chaque commune) qui est chargée de la répartition des eaux d’irrigation. Cette dernière est financeur et propriétaire du tunnel du Mont-Lachaux, important point de transit pour l’approvisionnement en eau potable des six communes. De plus, les consortages de bisse jouent un rôle prépondérant dans la gestion des réseaux d’irrigation. Leurs fonctions se sont d’ailleurs étendues au fil du temps, avec l’implication des consortages de bisses dans l’offre touristique de la station (les bisses comme chemins de randonnées) mais aussi dans la production hydroélectrique (vente d’eau aux société de production hydroélectrique) (Bréthaut & Nahrath, 2010). Ainsi, ces différentes institutions communautaires jouent un rôle concret dans la gestion des eaux urbaines de Crans-Montana : soit à travers la propriété de droits d’eau, soit à travers la propriété d’infrastructures de gestion.

11 Par institutions de gestion communautaire de l’eau (ou common pool resource institutions, CPRI), nous entendons en substance, et selon la définition classique d’Ostrom (1990 : 90), un arrangement institutionnel localisé créé sur une base volontaire et de manière ad hoc (i.e. correspondant au périmètre fonctionnel du système de la ressource) par un groupe d’usagers d’une ressource commune en vue d’une gestion en principe aussi durable que possible de cette dernière. Une CPRI comprend un ensemble de règles relatives notamment (1) à la distribution, entre ses différents membres, des droits d’usages et des devoirs d’entretien du système de la ressource dans le cadre d’un régime de propriété commune (common property regime), (2) aux modalités de l’auto-contrôle du respect des règles par l’ensemble des membres, (3) aux sanctions des contrevenants et (4) aux relations avec les autres organisations et institutions environnantes (Bréthaut & Nahrath, 2010).