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8. Interprétation des retombées des migrations

8.2. Vulnérabilité et dépendance envers les migrations

Tel qu’énoncé dans la revue de la littérature, certains auteurs s’accordent pour dire qu’il y a un certain danger pour les travailleurs de rester prisonniers du cycle des migrations saisonnières. D’ailleurs Basok (2002) le démontrait à travers son concept de migrant syndrome, qui consiste, rappelons-le ici, à travailler plus pour consommer davantage sans pouvoir investir dans des activités productives. Gravel (2006) de son côté évoquait dans le même esprit, du moins chez les migrants provenant des états de Querétaro et de Guanajuato allant aux États-Unis, le développement d’un goût pour le mode de vie «à l’américaine». Cependant, les travailleurs interviewés dans le cadre de cette recherche ont mis l’emphase sur la nécessité de combler les besoins de base de leur famille (coûts du foyer, nourriture, scolarité des enfants) et non de s’offrir des biens « de luxe » ou « en extra » comme du matériel électronique, des électroménagers, des vêtements de marque, du fast-food au lieu des aliments traditionnels à cuisiner ou encore un véhicule. Il serait toutefois intéressant de voir si ces préférences en matière de biens ont fait leur chemin dans la détermination des besoins au sein de cette population et sont devenus à leurs yeux des besoins de base.

Paradoxalement, les Mexicains ne migrant pas se retrouveraient également dans une situation de vulnérabilité. Gravel (2006) énonce que le «boom» économique migratoire, bien qu’important, ne permet qu’à un pan de la population rurale mexicaine de se développer; l’autre demeurerait toujours en dehors du circuit. Ceci

entraînerait de nouvelles divisions sociales : les groupes domestiques migrants vers les États-Unis et ceux contraints à demeurer dans leur communauté. En effet, l’accès différencié aux migrations crée des nouvelles catégories sociales et souvent creuse les inégalités. Par exemple, les mères monoparentales ou les aînés sans progéniture n’ont souvent pas accès aux remesa. Cette division se superpose à la catégorisation des maisonnées qu’elle propose, soit la traditionnelle, celle au seuil de la subsistance, l’entrepreneuriale et la moderne. Plus encore, selon les résultats d’enquête, il ne semble pas y avoir de redistribution ou de partage à l’intérieur des communautés, ce qui accentuerait le fossé entre migrants et non-migrants. Finalement, les migrants interviewés indiquent qu’ils n’ont pas d’aides ou de revenus suffisants pour vivre au Mexique, ce qui les incitent à migrer et à s’appuyer essentiellement sur les remesas. Ceci laisse croire que l’État ne leur apporte pas d’aide suffisante. Sur ce dernier point, Gravel (2006) juge que le gouvernment mexicain profite de ces transactions internationales pour retirer son aide du domaine social.

Une autre question touchant au concept du migrant syndrome est son immuabilité. Les travailleurs dans leur majorité sont-ils «condamnés» à migrer pendant toutes leurs années de vie active ? Après les études de leurs enfants, ne peuvent-ils pas se concentrer sur autre chose? En effet, plusieurs travailleurs ont dit se sentir pris à la gorge économiquement avec les besoins de leurs enfants. Il serait toutefois intéressant de voir si les réponses demeureraient semblables dans dix ans, sachant que la dynamique familiale évoluerait nécessairement et que 13 des 30 travailleurs comptaient abandonner le programme pour se consacrer à leurs projets de retour dans leur communauté. À noter ici que le migrant syndrome risque davantage de toucher les travailleurs sans projet que ceux avec projets si on se fie aux statistiques concernant l’intérêt à demeurer dans le PTAS. Indiquons aussi qu’il s’agit d’une des représentations de la nouvelle ruralité, processus dans lequel les individus diversifient leurs sources de revenus, qui a été clairement demontrée avec les résultats de l’enquête. Dans l’idée des migrations de longue durée et pour en connaître un peu plus sur le profil des individus, voici le cas d’un

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Canada sans avoir comme but le soutien de ses enfants. Le travailleur, originaire de Nayarit, ne travaille que pour lui et sa femme car ses enfants sont, selon ses dires, indépendants financièrement depuis de nombreuses années. De plus, il ne cherche pas à développer d’entreprise ou cultiver, seulement travailler dans son domaine de retour chez lui. Il s’agit donc d’une expérience de survie selon la catégorisation du chapitre antérieur car il ne fait que subvenir à ses besoins de base grâce aux migrations mais il semble malgré tout très résilient même si l’avenir est incertain. Le verbatim suivant illustre comment il décrit sa situation.

Enquêteur : Avez-vous appris quelque chose ?

Interviewé : C’est très différent [...] à ce dans quoi j’ai travaillé [...] Moi avant je travaillais dans la montagne, le bois, dans le domaine agricole [...].

E: Ce que vous avez appris ici vous a-t-il servi au Mexique?

I : C’est-à-dire qu’on arrive au Mexique [...] et on commence à travailler dans autre chose [...]. Là-bas, les choses d’ici, non… Moi j’arrive et je commence à travailler dans mes affaires.

E: Comment votre femme et vos enfants ont profité du PTAS ?

I : Ils sont grands maintenant. [...] Un est aux États-Unis et la fille travaille. [...] Elle travaille en tant que licenciada (diplômée de premier cycle).

E: Est-ce qu’ils ont pu faire cela grâce au programme ou ça ne dépend pas de ça ?

I : Non, [...] quand j’ai commencé à venir ici, le plus jeune avait aux alentours de 15 ans. On ne s’occupait pratiquement plus d’eux [...]. Mon papa vivait à l’époque, ils (ses parents) n’avaient pas de possibilités… Quand j’ai commencé à venir ici, je leur envoyais (des remesas) et c’est tout. Pour les aider [...].

E : Quels sont vos projets avec le PTAS?

I : Bien tant qu’on continue à me prendre nous verrons, tant qu’il est possible de supporter. Il faut dire qu’on est très âgé donc... On se fatigue plus, n’est-ce pas?

I : Bien là-bas, je verrais avec ce qui sort [...]. Peut-être la maison… Le garçon ne veut plus, il dit: « Papa, n’y allez plus, ici nous vous offrirons à manger». Parce qu’ils travaillent eux, n’est-ce pas? Ils ne se sont pas mariés ni rien, je les ai là. Mais si demain, ils se marient et qu’ils fondent leur famille. [fin de phrase] (Entrevue no 26)

Un autre aspect du contexte socio-économique qui est à considérer est le rôle des autorités locales, fédérales et nationales mexicaines dans le maintien des difficiles conditions actuelles à la campagne. Le PTAS est-il alors la voie de la facilité pour le gouvernement mexicain en matière de gestion de sa main-d’œuvre agricole ?

8.3. Marge de manœuvre selon les ressources matérielles et