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5. Le Programme des travailleurs agricoles saisonniers et les pays à l’étude

5.2. Le contexte agricole et migratoire canadien

Au sujet de la région d’étude, la vallée du Saint-Laurent, au Québec, a été depuis des siècles, et ce jusqu’à tout récemment, un important foyer de peuplement à caractère rural. D’ailleurs, elle est toujours une riche source de denrées alimentaires. Aussi, s’il y a actuellement des difficultés dans le milieu agricole québécois, il faut savoir que celles-ci tiennent plus du manque de main-d’œuvre que des difficultés climatiques ou physiques. Bien que l’agriculture ait toujours existé sur le territoire, tant au Québec comme ailleurs, l’immigration et l’expansion agricole au Canada ont pris un tournant majeur à la fin du XIXe siècle. En effet, l’Ouest du pays s’ouvre à la colonisation et se peuple grâce aux arrivées successives de migrants qui viennent occuper les terres achetées par le gouvernement canadien à la Compagnie de la Baie d’Hudson en 1870. Le gouvernement procède non sans combattre les Métis à deux reprises, 1869-1870 et 1885, et en déplaçant la population autochtone (Dick et Taylor, 2012). Comme l’indique Troper (2012), on cherche avant tout sous le gouvernement du Premier Ministre Wilfrid Laurier à favoriser l’arrivée de migrants des îles britanniques, du nord de l’Europe ou des États-Unis et l’installation de ces derniers dans les grandes plaines de l’Ouest pour assurer l’offre du blé, qui est en plein essor en 1900. Ainsi donc, la majorité des nouveaux arrivants au Canada dans la période allant de 1896 à 1930 est essentiellement d’origine européenne et « blanche », ce qui donnait une certaine homogénéité à la population. Aussi, les grands centres attirant les migrants étaient Toronto et Montréal. Ce pan de l’histoire canadienne a eu un impact significatif quant à l’image de la population désirée du pays et aux politiques migratoires. Toujours selon Troper (2012) :

C'est que la politique de l'immigration ne consiste pas seulement à peupler rapidement les Prairies: elle s'inscrit dans la structure de l'Empire britannique auquel (sic) croient Sifton (Ministre de l’Intérieur) et

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La définition habituelle de l'immigrant idéal a pu être modifiée, sans toutefois subir une transformation radicale. Résolument colonialiste, le gouvernement qualifie d'étrangers les immigrants non originaires des îles Britanniques. Résolument nord-américain, il exclut de cette catégorie les immigrants blancs anglophones des États-Unis. L'immigrant idéal est donc un fermier d'origine britannique ou américaine disposant de ressources financières et désireux de s'installer dans l'Ouest. Sifton et le gouvernement ne font probablement que suivre l'esprit de l'époque, mais la politique canadienne de l'immigration et l'opinion publique n'en sont pas moins racistes11.

Tous ne voient pas d’un bon œil ces politiques aussi restrictives. La main-d’œuvre manque toujours et c’est pourquoi les riches industriels, notamment des compagnies de chemin de fer, font pression au sein du gouvernement pour voir augmenter le nombre de migrants. Une liste des origines est ainsi dressée, de la plus à la moins désirable : «Britanniques, Américains, Français, Belges, Hollandais, Scandinaves, Suisses, Finlandais, Russes, Austro-Hongrois, Allemands, Ukrainiens et Polonais. […] Italiens, Slaves du Sud, Grecs et Syriens […], Asiatiques, Gitans et Noirs». Comme l’indique Troper (2012), on craignait que les derniers de la liste s’intègrent moins bien, qu’ils soient mal vus. Plusieurs de ces migrants, allophone, d’horizons politiques divers et non protestants, décident de vivre en ville plutôt qu’en milieu rural, par peur de vivre isolés sur le plan culturel. De plus, de nombreux migrants ne comptent rester que temporairement, c’est-à-dire qu’ils prévoient amasser suffisamment d’argent pour s’acheter une terre de retour dans leur pays. Tout ceci occasionne bien entendu une relance des préjugés raciaux. La Première Guerre mondiale ne facilite en rien l’intégration des nouveaux venus. D’ailleurs, on incite certains groupes de migrants à aller se battre au côté de leur mère patrie et non pour le Canada. L’acceptation d’Européens du Sud et de l’Est est toutefois amorcée à cette époque, mais on parle beaucoup de « péril jaune » en faisant référence aux Asiatiques. Il est intéressant de savoir que dans la quête du «migrant idéal» et de main-d’œuvre abordable, on fit venir de 1859 jusqu’à la crise des années 30 des milliers de petits orphelins britanniques comme travailleurs agricoles (Bagnell, 2012) !

Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, une nouvelle vague de migrants déferle sur le pays, après avoir été bloquée pour des raisons politiques et raciales pendant la durée du conflit. Le Canada, particulièrement l’Ontario et le Québec, bien que faisant toujours face à une pénurie de main-d’œuvre dans le secteur agricole au cours des années 50 et 60 (Satzewich, 1991), favorisent plutôt le développement de leur secteur industriel (Troper, 2012). Comme l’indiquent Mize et Swords (2010), une série de normes d’immigration discriminatoires furent mises en place, comme au siècle précédent, pour éviter « a fundamental alteration of the

character of our population12 » selon les dires du Premier Ministre canadien de

l’époque, Mackenzie King. Ces normes limitaient toujours la venue d’immigrants d’Asie et mêmes des pays du Commonwealth se trouvant dans les Caraïbes et s’appliquaient tant aux migrants temporaires que permanents. En effet, Satzewich (1991) indique qu’à cette époque, les travailleurs étrangers étaient classés vraisemblablement selon leur phénotype. Par exemple, les Hispaniques étaient avantagés par rapport aux Noirs car on avait l’impression qu’ils s’adapteraient mieux au climat et qu’ils se fonderaient davantage dans la population.

Les politiques ne se sont assouplies qu’en 1966 lorsque les membres caribéens du Commonwealth ont été considérés comme travailleurs migrants « acceptables » avec la création du PTAS. Rappelons l’inscription du Mexique au programme en 1974 et la création d’autres programmes permettant la venue de travailleurs étrangers temporaires pour combler les besoins en main-d’œuvre, comme le Programme des travailleurs peu spécialisés en 2002, ouvert au travail agricole en 2003 et qui est devenu maintenant le volet agricole avec le Guatemala, le Honduras et El Salvador, et le volet des professions peu spécialisées pour les travailleurs d’autres pays.

En dehors d’une légère baisse depuis 2008, le nombre d’inscription ne cesse de croître de façon globale. De plus en plus de travailleurs étrangers se tournent avec le PTAS et les autres volets du PTET pour combler leurs besoins économiques. Aussi, le Canada ne trouve toujours pas le moyen de retenir une main-d’œuvre

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agricole locale. Le Québec et l’Ontario, ayant un important secteur agricole, sont avec la Colombie-Britannique, les principaux clients du PTAS. Le tableau 2 ci- dessous illustre par ailleurs le nombre d’avis relatifs au marché du travail (AMT) ayant reçu une confirmation dans le cadre de ce programme, à ne pas confondre avec les demandes acceptées officiellement. Ces données permettent toutefois d’avoir une idée des besoins par province.

PROVINCES 2008 2009 2010 2011 Île-du-Prince-Édouard 120 145 190 230 Nouvelle-Écosse 620 805 895 1 095 Nouveau-Brunswick 20 30 50 30 Québec 3 760 3 775 3 330 3 555 Ontario 18 550 17 945 18 335 18 310 Manitoba 340 360 400 310 Saskatchewan 100 125 135 150 Alberta 950 1 005 970 985 Colombie-Britannique 3 770 3 410 3 540 4 105 Canada - Total 28 235 27 595 27 845 28 765

Tableau 2: Nombre de postes de travailleurs étrangers temporaires visés par les avis relatifs au marché du travail émis dans le cadre du Programme des travailleurs agricoles saisonniers, par

emplacement de travail. Source: Emploi et Développement social Canada (2013).

Au Québec du moins, il est intéressant de constater que les autres volets du PTET gagnent en popularité par rapport au PTAS. Ces volets sont beaucoup plus ouverts que le PTAS car ils imposent moins d’obligations (durée de contrat, accord avec le pays émetteur de main-d’œuvre). Les travailleurs étrangers peuvent provenir de n’importe quel pays (sauf pour le volet agricole au Québec) et œuvrer dans toutes sortes de domaines. Roberge (2008) affirme que le Programme des travailleurs peu spécialisés est né à l’époque en réaction à l’imposition d’un examen médical à tous les travailleurs mexicains en 2003 et aux tentatives de syndicalisation des travailleurs d’origine mexicaine au Québec, ces situations complexifiant l’embauche de Mexicains. Les détracteurs des volets du PTET comme les TUAC affirment qu’il s’agit d’une façon sournoise d’importer du cheap

guatémaltèques occupent une place de plus en plus importante dans ce secteur de travail, et ce, au détriment des travailleurs mexicains inscrits au PTAS.