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5. Le Programme des travailleurs agricoles saisonniers et les pays à l’étude

5.3. Le contexte agricole et migratoire mexicain

Il est difficile de faire fi des conditions du milieu naturel dans le domaine de la production agricole. En effet, le climat est une variable instable partout dans le monde. Ceci dit, certaines régions sont moins propices à l’agriculture et requièrent plus d’investissements ou de connaissances de la part du producteur tandis que d’autres, de par leurs conditions climatiques et physiques, ont favorisé l’essor de sociétés essentiellement agricoles.

En ce qui concerne la pratique agricole, l’ensemble des enquêtes de la présente recherche ont laissé paraître que les migrants enquêtés, provenant des quatre coins de la république mexicaine, n’étaient pas tous en mesure de vivre aisément de l’agriculture pour plusieurs raisons, dont le climat. En effet, le Mexique est un pays des plus variés du point de vue climatique. La carte des climats selon le classement de Köppen (annexe 3) permet par ailleurs d’en apprécier la diversité. Outre certains climats inhospitaliers qui, rappelons-le, ne peuvent être contrôlés totalement avec la technologie, le gouvernement mexicain, à plusieurs échelons, joue un rôle majeur en matière d’accessibilité aux ressources. De plus, Kauffer (2006 : 61) rapporte que le Mexique, techniquement sans pénurie d’eau, présente de grandes disparités régionales du point de vue de cette ressource, soit par cause naturelle ou par la présence de fortes populations.

En effet, les zones les plus arides du pays sont aussi les plus peuplées, les plus riches et les plus grandes consommatrices d’eau. Ainsi la Commission Nationale de l’Eau (CNA) affirme que le centre, le Nord et le Nord-est du pays possèdent 22 pourcent des écoulements superficiels, 77 pourcent de la population et 86 pourcent du Produit Intérieur Brut (PIB). Le Sud, quant à lui, compte 68 pourcent des écoulements, 23 pourcent de la population et 14 pourcent du PIB: beaucoup d’eau, une pression démographique moindre mais une population très pauvre(CNA, 2005, p. 36).

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Au sujet du contexte migratoire, le Mexique n’a pas été, contrairement au Canada ou aux États-Unis, une terre d’accueil pour des millions d’immigrants, temporaires ou permanents. Au contraire, il a vu une part non négligeable de sa population migrer vers le Nord tout au long du XXe siècle, essentiellement vers les États-Unis

et plus récemment vers le Canada. Sur le plan de la politique agricole, il a vécu plusieurs bouleversements au cours des XIXe et XXe siècles en ce qui concerne sa

politique agricole, passant du système latifundiaire13 issu de la période coloniale à

une période d’interventionnisme et de gestion en collectivité pour aboutir à la propriété privée actuelle.

Otero (2004) résume bien tout le processus par lequel passa le monde rural mexicain au cours de cette période. Il faut savoir que pendant des siècles, l’essentiel des terres arables mexicaines appartenaient à une poignée d’hacendados14 et à l’Église catholique. Les communautés autochtones vivaient

quant à elles en zone plus marginalisée. Le Président Porfirio Díaz, au pouvoir de 1876 à 1910, entreprit d’exproprier l’Église ainsi que les communautés autochtones, afin de développer le commerce national à la demande de la nouvelle bourgeoise industrielle. Ainsi, tant les anciens que les nouveaux propriétaires terriens purent voir grandir leur domaine foncier. Aussi, le gouvernement de l’époque espérait de cette façon voir augmenter les investissements étrangers, surtout ceux en provenance des États-Unis. L’ouverture avec les États-Unis, combiné avec l’expropriation des communautés autochtones et la pacification des Amérindiens de la frontière américano-mexicaine, ont favorisé le déclenchement de la Révolution mexicaine de 1910. Elle fut menée par deux groupes. D’un côté, les hacendados du nord du pays, exclus des politiques favorables aux producteurs de Porfirio Díaz et dirigés par Francisco I. Madero ; de l’autre, les petits paysans du centre du pays, dirigés par le célèbre Emiliano Zapata. Le conflit prit fin avec la signature de la Constitution de 1917, décrétant que l’ensemble des terres mexicaines appartenait à l’État, bien qu’il puisse autoriser la privatisation d’une

13 Système latifundiaire, latifundia : Grande exploitation terrienne en Amérique latine où les

travailleurs sont des esclaves.

terre dans certains cas. La redistribution des terres eu lieu au cours des décennies suivantes. D’abord divisées de façon individuelle, les terres furent expropriées sous le Président Cárdenas dans les années 30 pour maintenir la productivité des grandes unités d’exploitation. Ceci n’entraîna donc pas une réelle redistribution des terres mais plutôt une réorganisation du pouvoir. En effet, il existait alors trois types de propriété : l’ejido ou propriété collective, les ex-haciendas, avec une limite d’hectares et à leur tête les mêmes propriétaires qui en devinrent les dirigeants, et finalement les grands propriétaires terriens qui ne furent pas tout de suite atteints par la réforme agraire. L’État continua tout de même à intervenir de façon soutenue auprès des producteurs jusqu’à la libéralisation du marché en 1982 (Gravel, 2006). Selon Otero (2004), un autre coup dur fut la contre-réforme agraire de 199215.

Un tournant important de l’économie rurale mexicaine est sans doute la ratification de l’ALÉNA et son entrée en vigueur le 1er janvier 1994. Tel que présenté sur le site web officiel, cet accord, signé conjointement avec le Canada et les États-Unis en décembre 1992 par le Président mexicain Carlos Salinas de Gortari, le Premier ministre canadien Brian Mulroney et le Président américain George H. W. Bush (père), présente des objectifs qui consistent :

a) à éliminer les obstacles au commerce des produits et des services entre les territoires des Parties et à faciliter le mouvement transfrontière de ces produits et services;

b) à favoriser la concurrence loyale dans la zone de libre-échange; c) à augmenter substantiellement les possibilités d'investissement sur les territoires des Parties;

d) à assurer de façon efficace et suffisante la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle sur le territoire de chacune des Parties;

e) à établir des procédures efficaces pour la mise en œuvre et l'application du présent accord, pour son administration conjointe et pour le règlement des différends; et

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f) à créer le cadre d'une coopération trilatérale, régionale et multilatérale plus poussée afin d'accroître et d'élargir les avantages découlant du présent accord.

Certains auteurs s’entendent pour dire que, loin des objectifs prônés, cette action a eu des conséquences dramatiques pour les travailleurs mexicains. En effet, ils soulignent les grandes inégalités existant entre les partenaires, particulièrement celles entre le Mexique et les États-Unis. Delgado Wise (2004) affirme que ces politiques ont plutôt été ratifiées par le Mexique dans le but de transformer le secteur d’exportation afin de réorienter l’économie mexicaine et la placer au service des intérêts de l’impérialisme américain, et non pas de favoriser des échanges équitables entre les pays. Ceci ferait du Mexique le principal pays exportateur de l’Amérique latine, mais en s’appuyant essentiellement sur les

maquiladoras et la main-d’œuvre bon marché. Par ailleurs, il indique que ce sont la

présence de millions d’Américains d’origine mexicaine aux États-Unis, la forte et constante immigration du Mexique vers les États-Unis et la question de la sécurité frontalière qui ont attiré l’attention des États-Unis sur son voisin du Sud.

Les deux pays avaient pourtant développé en 2001 un agenda bilatéral pour discuter de cinq éléments majeurs : le redressement de la situation juridique des Mexicains illégaux, la création d’un programme de travail temporaire, l’accord sur la relation migratoire spéciale permettant une plus grande émission de visas, le renforcement de la sécurité frontalière et la création de programmes de développement régionaux au Mexique dans les zones sensibles. Le fait est que l’ALÉNA a été plus axé sur l’économie et la sécurité nationale que sur les conditions de travail des migrants. En effet, Delgado Wise (2004) constate que les négociations sont en réaction à la montée incontrôlable du phénomène migratoire bien que les théories néolibérales prévoyaient le contraire, qu’il n’est pas question de la libéralisation des flux migratoires, que les représentants des communautés de migrants sont exclus des négociations pour la création d’un programme de travail, qu’aucune donnée n’est disponible quant à l’émission des visas et que la sécurité frontalière est de loin le sujet qui préoccupe le plus les États-Unis.

Les États-Unis, comme le Canada, ont aussi mis en place des programmes pour les travailleurs saisonniers. Le programme Bracero a été mis en place de 1942 à 1964 pour pallier au manque de main-d’œuvre dans le secteur agricole durant cette période. Il prit fin à cause du grand nombre d’abus perpétrés par les employeurs et de la pression faite par l’Église catholique. Actuellement, les États- Unis offrent quatre programmes : H-2A (la succession officieuse de Bracero), H-2B (emplois non-agricoles), H-1B (emplois qualifiés) et TN (professionnels certifiés). À titre comparatif, le PTAS, contrairement au H-2A, n’a pas favorisé des entrées ou des séjours illégaux, bien qu’on lui reproche sensiblement les mêmes failles (Papademetriou et al. 2004).

6. Description analytique des travailleurs agricoles