• Aucun résultat trouvé

La voix objective

La morphologie verbale du malgache

1.4. Les voix

1.4.1. La voix objective

« Nous appelons verbe objectif tout verbe qui comporte le suffixe -ina ou -ana et qui, employé en fonction de prédicat, exige un énoncé minimum de 2 membres » (S. RAJAONA, 1972, p. 468) – c’est-à-dire que l’adjonction d’un sujet à ce verbe suffit pour former un énoncé complet. On appelle ce sujet « sujet-objet » et l’énoncé dans

60 lequel existe ce verbe est une phrase orientée à la voix objective33. Ainsi, andrandra-ina « qu’on lève, vers quoi on lève la tête, ce qu’on attend, qu’on espère » et afah-ana « qu’on délivre, qu’on affranchit, qu’on exempte, qu’on absout » sont des verbes objectifs, car ils comportent le suffixe -ina ou -ana et exigent quand ils sont employés en fonction de prédicat, un énoncé minimum de 2 membres. C’est ainsi que l’on a :

(12) Andraindra-ina ny lanitra.

litt.prés.-Lever-la-tête-obj. le ciel.

Le ciel est le lieu vers laquelle la tête est levée. (13) Afah-ana ny ory.

litt. prés.-Libérer-obj. les pauvres. Les pauvres sont libérés.

D’une manière générale, le suffixe -ina est le morphème propre de la voix objective ; -ana est également un morphème de l’objectif mais il faut le distinguer de -ana morphème d’applicatif (voir 1.4.4.). Par exemple, foan-ana « qu’on vide, qu’on annule, qu’on rafle, qu’on dévalise » est objectif car il exige un énoncé minimum de 2 membres :

(14) No-foan-ana ny ady.

litt. pass.-Annuler-obj. le combat. Le combat a été annulé.

en revanche, rarah-ana « sur qui ou sur quoi on répand quelque chose » est applicatif car il exige au moins 3 membres :

(15) Rarah-ana rano ny latabatra.

litt. prés.-Répandre-app. eau la table. La table est ce sur quoi l’eau est répandue. (16)*Rarah-ana ny latabatra.

litt. *prés.-Répandre-app. la table. *La table est ce sur quoi est répandu.

La distinction entre verbes objectifs et applicatifs peut être confirmée par d’autres propriétés. En effet, la voix applicative exige qu’il existe par ailleurs dans le

33 Otto Chr. DAHL parle de « passif objectif ». Il le définit comme le verbe passif considéré en rapport avec son objet direct et est formé avec le suffixe -ina, p. ex. tapah-ina « être coupé ». (O. C. DAHL, 1951, p. 194).

61 paradigme une forme à la voix agissive (voir 1.4.5.), c’est-à-dire qu’il y a un lien de dépendance unilatérale entre la forme applicative et la forme agissive, en ce sens que toute forme applicative requiert nécessairement une forme agissive. En d’autres termes, -ana est applicatif quand le radical auquel il est suffixé fournit un agissif ; et quand le radical ne fournit pas d’agissif, le suffixe -ana est objectif. C’est ainsi que foan-ana « qu’on vide, qu’on annule, qu’on rafle, qu’on dévalise » est objectif car le radical verbal auquel il est suffixé ne fournit pas d’agissif *a-foana. En revanche, rarah-ana « sur qui ou sur quoi on répand quelque chose » est applicatif car le radical verbal auquel il est suffixé est compatible avec le morphème d’agissif, ce qui donne a-raraka « à verser, à répandre ; qu’on répand ».

L’existence de radicaux verbaux se combinant avec le suffixe -ana morphème d’objectif et le préfixe a- morphème d’instrumentif (voir 1.4.6.) complique l’observation de cette propriété, car ils sont morphologiquement identiques à des entrées verbales comme celle de raraka « 1. Répandre, verser, énumérer, narrer, faire arrêter de lassitude, ruiner, répandre des parfums. 2. Se répandre, être répandu, se détacher comme les feuilles d'un arbre, se dissoudre comme une motte de terre. » qui possède un applicatif en -ana et un agissif en a-. L’identification des voix dans ce cas se situe au niveau de la syntaxe. Les entrées lexicales verbales à objectif et instrumentif sont différentes de celles à applicatif et agissif quoiqu’ils aient les mêmes morphèmes verbaux. Prenons par exemple tondrah-ana « sur quoi on répand de l’eau, qu’on arrose d’un liquide, d’un jus » et tolor-ana « à qui l’on offre ». Le critère de l’énoncé minimum de 2 membres identifie tondrah-ana comme objectif et tolor-ana comme non objectif :

(17) No-tondrah-ana ny voninkazo. litt. pass.-Arroser-obj. les fleurs. Les fleurs ont été arrosées.

(18) Tolor-ana voninkazo i neny.

litt. prés.-Offrir-app. fleurs la maman. Maman est celle à qui sont offertes les fleurs. (19) *Tolor-ana i neny.

litt. *prés.-Offrir-app. la maman. *Maman est celle à qui offre.

62 Si nous voulons confirmer cette identification en utilisant le critère de l’agissif, nous constatons que les deux radicaux tòndraka « 1. Arroser, laisser jouir de l'abondance. 2. Déborder, se répandre, paître dans les plantations d'autrui (se dit des animaux). » et tòlotra « 1. Offrir, donner, présenter. 2. S'offrir, se livrer, se rendre. » se combinent tous deux avec le morphème dans leurs conjugaisons respectives a-tondraka « à répandre sur » et a-tolotra « à offrir, ce qu’on offre ». Cependant, seul a-tolotra est un agissif, car les structures syntaxiques auxquels appartiennent ces deux radicaux ne sont pas identiques. Le sujet correspondant à la forme tondrah-ana (voninkazo) est complément direct de tòndraka dans la phrase à l’actif (20), et celui de a-tondraka (rano) dans (21) y est complément prépositionnel. C’est ainsi qu’on a :

(20) M-an-(t)ondraka voninkazo amin’ny rano izy. litt. prés.-Arroser-act.stat. fleurs avec eau il. Il arrose les fleurs avec de l’eau.

(21) A-tondraka ny voninkazo ny rano.

litt. prés.-Arroser-inst.-lui les fleurs l’eau. L’eau est ce avec quoi les fleurs sont arrosés.

Inversement, le sujet correspondant à la forme tolor-ana (neny) est complément prépositionnel de tòlotra dans la phrase à l’actif (22), et celui de a-tolotra (voninkazo) dans (23) y est complément direct.

(22) M-an-(t)olotra voninkazo an’i neny izy. litt. prés.-Offrir-act.-stat. fleurs à maman il. Il offre des fleurs à maman.

(23) A-tolotra ny voninkazo.

litt. prés.-Offrir-agi. les fleurs. Les fleurs sont offertes (à maman).

C’est ainsi que l’on identifie tondrah-ana/a-tondraka comme objectif/instrumentif et tolor-ana/a-tolotra comme applicatif/agissif (cf. S. RAJAONA, 1972, p. 495).