PARTIE 1 : ETAT DE LA LITTERATURE
II. Mécanismes cellulaires et moléculaires de la croissance musculaire : étude à partir
II.1. B.1. La voie mTOR
La protéine mTOR est une sérine/thréonine kinase, fortement conservée de la levure au
mammifère, chez lequel elle existe sous deux formes distinctes de complexes
multi-protéiques : les complexes 1 et 2 de mTOR (mTORC1 et mTORC2, respectivement). Le
complexe mTORC1, sensible à la rapamycine, est constitué de mTOR, Raptor (Regulatory
associated protein of mTOR), Gβ1 ou mLST8 (G-protein β-subinit-like), PRAS40
(Proline-Rich Akt-Substrate 40 kDa), et Deptor (DEP-domain-containing mTOR-interacting protein).
Le complexe mTORC2, insensible à la rapamycine, est composé de mTOR, Rictor
(Rapamycin-insentitive companion of mTOR), SIN1 (stress-activated-protein-kinase
interacting 1) et mLST8 et Deptor [Pour revue, voir (Laplante and Sabatini 2009)]
(Figure 1.II.1)
Même si mTORC2 intervient dans certains évènements régulateurs de la synthèse
protéique (Guertin, et al. 2006), son implication est moins déterminante que celle de
mTORC1. Dans la suite de l’exposé, nous nous centrerons essentiellement sur mTORC1 que
nous nommerons par défaut mTOR ; quand nécessaire, nous spécifierons le nom du
complexe.
19
mTOR
Raptor Deptor
mLST8 PRAS40
mTOR
Rictor Deptor
mLST8
SIN1
mTORC1 mTORC2
Figure 1.II.1. Structure des complexes mTORC1 et mTORC2
II.1.B.1.a. La régulation de l’activité de mTOR
II.1.B.1.a.i. Les régulateurs positifs de mTOR
La voie IGF-I
L’insuline et IGF-1 (Insulin-like Growth Factor I) sont les principaux régulateurs
positifs de mTOR. Ces facteurs sont capables d’activer PI3K (Phospho-Inositide 3-Kinase),
ce qui déclenche de multiples évènements moléculaires impliqués dans la prolifération et la
différenciation, la croissance et la survie cellulaires ainsi que la protéosynthèse [pour revue,
voir (Frost and Lang 2007)]. La sérine/thréonine kinase Akt (ou PKB pour Protein Kinase B),
cible principale de PI3K, est capable d’inhiber par phosphorylation le facteur GSK-3
(Glycogen Synthase Kinase 3), ce qui favorise la synthèse protéique grâce à l’activation du
facteur d’initiation de la traduction eIF2B (eukaryotic Initiation Factor 2B) (Welsh, et al.
1998) (Figure. 1.II.3). Akt participe activement à l’activation de mTOR, en agissant sur le
complexe TSC (Tuberous Sceloris Complex) (Inoki, et al. 2003b). TSC, un hétérodimère
composé de TSC1 et TSC2, fait parti de la famille des protéines GAP (Guanosine
triphosphate (GTP)ase Activating Protein) et inhibe l’activité de la petite protéine G Rheb
(Ras homolog enriched in brain). La phosphorylation de TSC2 sur ses résidus Ser
939et Thr
1462par Akt réprime son activité GAP et facilite l’accumulation de Rheb sous sa forme active
(Rheb-GTP) (Huang and Manning 2009), ce qui en définitive conduit à l’activation de mTOR
(Figure. 1.II.3). Par ailleurs, la surexpression de TSC1 dans le muscle squelettique favorise la
stabilisation de TSC2, ce qui entraîne l’inhibition de mTOR et une réduction significative de
20
la masse musculaire (Wan, et al. 2006). Akt pourrait d’autre part intervenir dans la régulation
de l’activité de mTOR, indépendamment du système TSC/Rheb. Cette kinase pourrait
phosphoryler directement un répresseur moléculaire de l’activité de mTOR, PRAS40, et agir
conjointement avec la protéine séquestratrice de PRAS40, 14-3-3, pour conduire à une
activation plus complète de mTOR (Vander Haar, et al. 2007). Enfin, l’insuline et IGF-I
peuvent également stimuler mTOR par une voie de transduction qui intervient de manière
indépendante d’Akt : la voie Ras/MEK (MAPK/ERK kinase)/ERK1/2 (Extracellular
signal-Regulated Kinase 1/2) (Haddad and Adams 2004). Cette voie pourrait agir positivement sur
l’activité de mTOR en réprimant l’effet inhibiteur de TSC2 sur mTOR, via la phosphorylation
de son résidu Ser
664(Miyazaki, et al. 2011).
Le rôle des acides aminés
L’activité de mTOR est aussi contrôlée par la disponibilité en acides aminés (Kimball
and Jefferson 2006) (Figure. 1.II.3). En particulier, l’administration d’acides aminés à chaîne
ramifiée tels que la leucine est suffisante pour activer la voie mTOR et améliorer la synthèse
protéique. Les mécanismes moléculaires qui régissent cette régulation de mTOR ne sont pas
encore clairement identifiés : il est possible que mTOR soit activée par les acides aminés par
un mécanisme dépendant du complexe TSC1/TSC2 (Gao, et al. 2002), mais d’autres données
réfutent cette hypothèse (Smith, et al. 2005). Il est également proposé que Rheb puisse jouer
un rôle majeur dans le contrôle de mTOR dans ces conditions nutritionnelles (Inoki, et al.
2003a), mais là encore ce mécanisme reste à confirmer (Kim, et al. 2002). Enfin, en réponse à
un apport en acides aminés, Vps34 (Vacuolar protein sorting 34), une protéine de la famille
de la classe III des PI3K, pourrait activer mTOR par une voie de signalisation indépendante
de la voie Akt/TSC/Rheb (Byfield, et al. 2005 ; Nobukuni, et al. 2005). Par ce mécanisme,
mTOR serait incorporée dans la membrane lysosomale suite à son interaction avec une petite
protéine-G de la famille des Rag et une protéine de la membrane lysosomale Ragulator, avant
d’être activée par Rheb (Sancak, et al. 2010). Les années à venir devraient nous apporter des
précisions quant à la régulation de la synthèse protéique via les acides aminés.
La transduction des contraintes mécaniques
La voie mTOR serait également contrôlée par les contraintes mécaniques,
indépendamment de PI3K, et en l’absence de facteurs de croissance et d’acides aminés
21
1.II.3). En effet, le traitement de myotubes avec la cytochalasine D, un agent qui
dépolymérise les micro-filaments d’actine, serait suffisant pour bloquer la voie mTOR médiée
par le stress mécanique (étirement) (Hornberger, et al. 2005). Il semble donc que la traduction
des signaux mécaniques en signaux chimiques, conduisant à l’activation de la voie mTOR,
passe par le cytosquelette. Certaines structures du costamère, également appelé contact focal
(complexe protéique subsarcolemmal servant de point d’ancrage entre les filaments d’actine
du cytosquelette et les protéines de la matrice extracellulaire (MEC)) joueraient un rôle de
mécano-senseurs : il s’agit notamment de FAK, la β-intégrine et ILK (Integrin-Linked
Kinase) [pour revue, voir (Philp, et al. 2011)]. Il existerait d’autres cibles intracellulaires des
signaux mécaniques (étirement), incluant PLD1 (Phospholipase D1) et le second messager
lipidique PA (Phosphatidic Acid) (Hornberger, et al. 2006). A ce titre, PLD1 pourrait activer
mTOR en générant PA à partir de l’hydrolyse de la phosphatidylcholine. PA se fixerait alors
de manière spécifique sur le domaine FRB de mTOR, le site de fixation du complexe
rapamycine/FKBP12 (FK-binding protein 12). Par ailleurs, PLD1 serait une cible de Rheb,
située en amont de mTOR (Sun, et al. 2008) (Figure. 1.II.3).
II.1.B.1.a.ii. Les régulateurs négatifs de mTOR
Les facteurs de croissance et les acides aminés ne sont pas les seuls facteurs
biochimiques intervenant dans le contrôle de la voie mTOR et de la synthèse protéique. En
effet, le régulateur central du statut énergétique, l’AMPK (AMP-activated protein Kinase),
dont le niveau d’activation dépend des variations intracellulaires du rapport entre l’AMP et
l’ATP (Hardie 2003), est capable d’altérer la voie mTOR [pour revue, voir (Hardie 2008 ;
Shaw 2009)]. Comme ceci est présenté dans la figure 1.II.2, certaines situations de stress
métaboliques vont interférer avec la synthèse d’ATP, tandis que d’autres situations vont
entraîner une augmentation de la consommation d’ATP, ce qui en conséquence va conduire à
une élévation du rapport ADP/ATP, puis du rapport AMP/ATP. En réponse à ces
déséquilibres énergétiques, l’AMPK, activée par phosphorylation, permet de restaurer
l’homéostasie énergétique en activant les processus cataboliques et en réprimant les processus
anaboliques, tels que la synthèse protéique. L’AMPK est une kinase hétéro-trimérique
composée d’une sous-unité catalytique α (isoformes α1 et α2) et de deux sous-unités non
catalytiques β (isoformes β1 et β2) et γ (isoformes γ1, γ2 et γ3) (Kemp, et al. 2003). En
22
différents mécanismes moléculaires. L’AMPK a la capacité de phosphoryler TSC2 sur ces
résidus Thr
1227et Ser
1387, menant au bout du compte à une inhibition de mTOR (Inoki, et al.
2003b). L’AMPK entraîne également une inhibition de l’activité de mTOR, en phosphorylant
le résidu Ser
2446de mTOR (Cheng, et al. 2004), ou en phosphorylant raptor, une sous-unité de
mTORC1, sur ses résidus Ser
722et Ser
792(Gwinn, et al. 2008). Enfin, l’AMPK intervient dans
l’inhibition de l’élongation de la traduction en agissant indirectement sur eEF2 (eukaryotic
Elongation Factor 2), via eEF2K (eukaryotic Elongation Factor 2 Kinase) (Horman, et al.
2002). Il semble donc que l’effet répresseur de l’AMPK sur mTOR soit conditionné par
plusieurs mécanismes moléculaires, agissant soit en synergie, soit selon la spécificité
cellulaire. Quoi qu’il en soit, l’AMPK apparaît comme un répresseur important de la voie
mTOR dans le muscle squelettique, puisque l’activation de l’AMPK par l’agent
pharmacologique AICAR (5-aminoimidazole-4-carboxamide-1-β-D-ribonucleoside)
provoque une inhibition de cette voie de transduction, ce qui conduit à une altération de la
protéosynthèse (Bolster, et al. 2002 ; Williamson, et al. 2006).
ADP AMP AMPK ATP
Adénylate kinase
Catabolisme
Anabolisme
Augmentation de la consommation d’ATP (croissance et division cellulaires, synthèse protéique…)
Stress métabolique(hypoxie, restriction calorique…)
ATP