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Le vivant et la paléontologie : le fossile objet médiat

4 Le document paléontologique : Ce qui nous parvient – le vivant, la date et le lieu432

4.2 Le fait princeps 1 – Le vivant

4.2.2 Le vivant et la paléontologie : le fossile objet médiat

Il est plutôt habituel de voir véhiculée, dans la littérature paléontologique, l’idée d’une grande immédiateté reliant le fossile et le statut d’être vivant. Dans son ouvrage de vulgarisation « Fossils », G. G. Simpson introduit son chapitre intitulé « Fossils as living animals » de la

182 façon suivante : « A bone, a tooth, a shell, a leaf preserved as a fossil is not merely an inanimate object, like a crystal, that may be found in similar circumstances. Fossils are what we have […] of once living organisms. The passage of time does not make them any more dead than animal on a dissecting table […]. It does, however, make it more difficult […] to determine their ways of life and their places in nature when they were in fact alive. »453 L’auteur, dans cette citation, exprime d’emblée comme une évidence le fait que le fossile a été le siège, désormais minéralisé, de la vie. Cette évidence, pratique et nécessaire au travail du paléontologue, relève apparemment d’une pétition de principe. Autrement dit, un fossile a été un organisme vivant parce qu’il a été un organisme vivant. Il faut d’abord reconnaître a priori à l’objet naturel que l’on nomme fossile son statut d’être vivant pour en déduire ce même statut. Quand un paléontologue tient dans sa main ce qui pourrait être un fossile, il met en œuvre de façon plus ou moins automatique un processus de description/définition. Ce processus plus ou moins poussé aura pour objectif de qualifier ou non d’organisme vivant tel ou tel objet naturel minéralisé. Si le processus est instantané pour des formes connues, il peut être problématique pour d’autres formes plus complexes.

Or, à y regarder de plus près, cette relation épistémologique entre le fossile et le vivant est moins évidente qu’il n’y paraît. Si le biologiste observe hic et nunc le vol d’un papillon, un félin en train de se nourrir ou les rites amoureux d’un oiseau, il observe du même coup le mouvement, l’alimentation et la reproduction. En somme, l’activité biologique lui donne une idée minimale, mais immédiate, de ce que le vivant peut être. Imaginons maintenant ce même biologiste devant un papillon entièrement cybernétique, ne laissant extérieurement aucune place au doute quant à son apparence et son comportement. Sans une analyse précise de l’organisme, il lui sera impossible d’être certain de son caractère biologique. Dans son sens le plus basique, l’intuition du caractère biologique est avant tout donnée par sa dynamique (locomotion, croissance). Ainsi, l’expression « le fossile comme organisme vivant » relève, de la part de l’observateur, d’une reconnaissance non triviale du caractère vivant qu’a eu l’organisme désormais fossile.

La relation intime qu’entretient le fossile avec le vivant étant établie, la reconnaissance du fossile coïncide-t-elle avec la connaissance du vivant ?

Les postures philosophiques ne suffisent pas à soutenir l’idée d’une intuition du vivant. La question que pose le fossile n’est pas une frontière entre l’inerte et le vivant, le fossile est le

183 vivant ; mais comment de l’inerte (roche fossilisée) passe-t-on à la réalisation épistémologique du vivant ?

Pour qu’un objet naturel obtienne le statut de fossile, il lui faut avoir été tout ou partie d’un système vivant. La difficulté récurrente est précisément la reconnaissance de l’origine organique d’une forme géologique. Si le paléontologue ne relève pas cette origine organique dans le fossile, ce dernier ne sera pas l’objet du désir épistémologique du premier. Sans fossile pas de paléontologie. C’est bel et bien la mise en évidence de l’origine organique de l’objet géologique qui rend possible la poursuite épistémologique pour le paléontologue. Un fossile peut être un os isolé qui relate une partie d’une organisation plus large, si tant est qu’on le reconnaisse comme élément d’une organisation connue a priori. Le fossile peut être également un objet relatant la vie d’un système dans lequel siège un biotope complet, si tant est que cet objet soit suffisamment grand pour accueillir un ensemble macroscopique, ou que le système biologique soit suffisamment petit pour qu’un fossile de petite taille en soit le siège.

La question qui se pose désormais est : comment reconnaissons-nous le vivant dans un fossile ? Reconnaît-on le fossile parce que nous le connaissons ? La reconnaissance du fossile comme siège du vivant est-elle une perception ? Comme tout objet naturel, un arbre, un cristal ou une étoile, l’objet géologique est susceptible, comme nous l’avons montré dans la partie précédente, d’une reconnaissance immédiate par la conscience dans son sens large. Il existe en tant que matériel observable. Observe-t-on pour autant, de façon aussi immédiate, la vie qui y a siégé ?

Ainsi, un paléontologue est avant tout un étudiant de la vie, quelle que soit l’utilisation scientifique qu’il fait des organismes vivants (écologie, stratigraphie, systématique…). L’objet fossile est un reliquat de la vie parce que nous le savons ; mais encore faut-il le voir. L’organisme vivant est vivant parce que nous le percevons. C’est dans cette tension entre le savoir et le percevoir que se joue l’idée de la mécanique d’une épistémologie de la paléontologie. La fossilisation de la vie entraîne une rupture épistémologique radicale entre ce qui a été vivant et ce qui l’est encore. Les mécanismes primordiaux de reconnaissance de ce qui est vivant ne relèvent plus de la même démarche intellectuelle et intuitive selon que l’organisme est vivant ou figé dans le temps.

Peut-on raisonnablement donner le nom de fossile uniquement aux restes organiques fossilisés, ou s’agit-il de l’associer à sa gangue, au milieu sédimentaire dans lequel il a échoué ? Un os, un squelette peuvent-ils seuls revendiquer le nom de fossile ? Même dans l’esprit du

184 paléontologue, il est fort à parier que la définition qu’il en donne accusera de nombreuses exceptions. Un ossement dans les tiroirs d’un musée est un fossile dont il manquera les données contextuelles si, comme c’est souvent le cas, l’enregistrement n’a pas été fait correctement454. Un fossile peut se présenter de différentes façons. J’en présenterai trois parmi les plus fréquentes : il peut se présenter comme organisme entier, comme partie d’un organisme et enfin comme traces laissées par un organisme. Les deux premières façons constituent ce que je nomme les fossiles anatomiques et le troisième, les fossiles éco-physiologiques.

C’est évidemment sous sa forme entière que le paléontologue préfère le fossile. Il donne l’ensemble de ce qu’il est possible de donner dans des conditions taphonomiques particulières. C’est l’état du fossile le plus propice à une étude biologique, autant qu’elle puisse l’être, contrairement aux formes fragmentaires qui réduisent considérablement les données biologiques. En revanche, ces formes sont pour l’archéologie d’une grande importance. L’archéozoologue, le spécialiste des faunes, n’a que rarement affaire à des problématiques de biologie pure. Les cas, par exemple, de détermination spécifique difficile, même en présence de caractères diagnostics, sont rares. Généralement, les fragments spécifiquement indéterminables sont tout de même attribués à des taxons supérieurs. Aussi les parties isolées du squelette renseignent-elles parfois de façon précise la raison de leur présence et la relation qu’entretiennent l’Homme et l’animal. La présence significative, et localisée sur un site archéologique, de bas de pattes (carpes/métacarpes et tarses/métatarses) d’ongulés, par exemple, peut inciter l’archéozoologue à proposer l’idée qu’à cet endroit de l’occupation du sol, pouvait se trouver un secteur particulier de dépeçage des animaux ou d’une zone de déchet de préparation des carcasses. La présence de crânes suffit à déterminer l’âge dentaire des individus et à constituer des courbes d’abattage, si l’on a affaire à des animaux domestiques, ou à estimer les stratégies cynégétiques, si l’on a affaire à des faunes sauvages. Un squelette entier n’est pas nécessairement l’idéal pour l’archéozoologue. L’absence de partie anatomique peut être très significative pour les analyses qu’il pourra en faire.

Dans la continuité de la disparition progressive des éléments anatomiques dans le fossile, viennent les traces fossiles. Ici, l’organisme n’est présent que par son activité physiologique et écologique. C’est le cas des terriers, des coprolithes, des empreintes etc. A. A. Ekdale, paléontologue américain, définit l’ichnologie de cette façon : « […] the study of the preservable

185 evidence of the activities of animals and plants. »455 Il poursuit, une page plus loin : « There are some unusual fossils that are not trace fossils. For example, eggs, agglutinated tests (as constructed and used as skeletons by foraminifera and worms) and calcareous tubes (as secreted by serpulid annelids) are body fossils ; they are not trace fossils, because they do not represent activity. »456 Il faut attendre les années 1990 pour que les exceptions que liste Ekdale, à savoir l’œuf ou le test calcaire, entrent dans l’ichnologie comme résultat des activités physiologiques ou comportementales des organismes457. Notons tout de même que le cas de l’œuf est particulier. Il peut être à la fois pensé comme un organisme ou comme une activité physiologique des géniteurs. Arrêtons-nous ici et retenons seulement que l’ichnologie est une approche qui repère le vivant malgré son absence in concreto458.

4.2.3 La forme comme principe de la reconnaissance du vivant en