• Aucun résultat trouvé

Vision multidimensionnelle et intégrée d’analyse de la performance

Chapitre 2 : Revue de la littérature et propositions théoriques

2.2 La performance des systèmes de soins

2.2.5 Vision multidimensionnelle et intégrée d’analyse de la performance

2.2.5.1 Modèle multidimensionnel de Donabedian

L’un des modèles conceptuels multidimensionnels les plus utilisés pour évaluer la performance des systèmes de soins est le modèle de système d’action rationnel proposé à l’origine par Donabedian (1966, 1968). Dans ce modèle, la performance est évaluée à partir de trois composantes : structures, processus et résultats. Selon Donabedian (1980), la structure est la base du système de soins. Elle comprend le personnel (ressources humaines), le milieu de travail et les installations physiques (ressources matérielles et technologiques), les ressources financières et l’ensemble des politiques, lois, règlements, conventions et règles de gestion qui définissent comment les ressources (argent, pouvoir, influence et engagements) sont réparties et échangées. Aussi, les processus représentent

l’ensemble des activités réalisées, des biens et services produits par le système de soins pour atteindre de meilleurs résultats chez le patient.

Le postulat qui sous-tend un tel modèle est que la disponibilité des structures (matérielles, humaines et organisationnelles) offre les moyens de produire des biens et des services appropriés et de garantir conséquemment l’atteinte des meilleurs résultats. Ce fil conducteur a été largement repris dans la littérature, notamment pour l’évaluation de la qualité des soins. Cependant, quelques difficultés persistent dans l’utilisation de ce modèle : puisqu’il existe diverses influences auxquelles sont soumis les résultats des soins, les structures et les processus de qualité garantissent-ils de bons résultats ? De bons résultats sont-ils nécessairement liés à des structures correctes ? Aussi, les trois composantes (structure, processus et résultat) ne devraient-elles pas être comprises simultanément, en analysant également les interrelations existant entre elles, pour mieux apprécier la performance des systèmes de soins ? (Champagne, Contandriopoulos et al. 2005).

Donabedian (1992) a proposé de retenir également les liens entre les composantes à travers l’efficience, l’efficacité et la productivité (comme illustré à la figure 2.2). L’efficience du système se définit comme les résultats obtenus par rapport aux structures disponibles, l’efficacité représente les résultats obtenus par rapport aux biens et services produits, et enfin la productivité ou l’efficience technique correspond à la maximisation de la production des biens et services par rapport aux structures disponibles.

Figure 2.2 : Modèle d’analyse de la performance inspiré de Donabedian (1992)

STRUCTURE RESULTATS

PROCESSUS Efficience

2.2.5.2 Le modèle intégrateur d’analyse de la performance des organisations publiques de Sicotte et collaborateurs

Depuis la fin des années 1990 jusqu’à nos jours, les organisations sont perçues comme des entités dans lesquelles toutes ces fonctions (atteinte de buts, production, maintien des valeurs et adaptation) interagissent. Comprendre leur performance revient, dès lors, à analyser simultanément les quatre fonctions ainsi que les interrelations existantes entre elles. Telle est l’idée du modèle intégrateur de Sicotte et al. (1998) dont la version française (1999) est présentée à la figure 2.3. Ce modèle stipule qu’afin d’assurer sa performance, une organisation doit démontrer sa capacité à établir et à maintenir une tension dynamique, ainsi qu’un équilibre toujours renégocié entre ses quatre fonctions.

Cette conception de la performance permet de tenir compte de ces fonctions clés en intégrant différentes approches d’analyse des organisations. Elle renvoie tant aux composantes essentielles (structure-processus-résultats) qui définissent un système d’action qu’à la nature des relations entre ces composantes. Elle s’intéresse tant à la manière dont le système remplit ses fonctions clés (atteinte des buts, adaptation, production, maintien des valeurs) qu’à la nature de l’équilibre entre elles.

Dans sa conception, le modèle intégrateur de Sicotte et collaborateurs s’appuie sur la théorie de Talcott Parsons (Parsons 1968; Parsons 1997). Il délaisse la vision antagoniste existant entre les différentes fonctions de la performance pour adopter une vision misant sur la complémentarité et la recherche d’un équilibre entre elles. Ce modèle n’est pas une simple juxtaposition des modèles unidimensionnels de la performance, mais plutôt une intégration des diverses façons de concevoir la performance sans toutefois devenir trop complexe (Sicotte, Champagne et al. 1998). Il se compose des quatre fonctions essentielles du système de soins et de six « alignements ». Les alignements représentent les liens d’interaction entre deux fonctions de l’organisation qui servent à maintenir le système plus

performant. Les six alignements mis en avant dans ce modèle sont : l’alignement

stratégique, l’alignement allocatif, l’alignement tactique, l’alignement opérationnel, l’alignement légitimatif et l’alignement contextuel.

Figure 2.3 : le modèle intégrateur de performance organisationnelle

Source : Sicotte et al. (1999)

L’alignement stratégique (adaptation – atteinte des buts) permet, d’une part, d’apprécier la compatibilité de la mise en œuvre de moyens (adaptation) en fonction des buts ; d’autre part, de se prononcer sur la pertinence des buts formulés compte tenu des processus environnementaux et d’adaptation existants (Sicotte, Champagne et al. 1999). Cet alignement se penche principalement sur : la cohérence des incitations institutionnelles ou organisationnelles visant à atteindre une plus grande équité dans la collecte et la mise en commun des ressources financières ; et la capacité à fixer des priorités pour les ressources à acquérir, à développer, ou à allouer en fonction des besoins de santé (Sicotte, Champagne et al. 1998; Sicotte, Champagne et al. 1999; Tanon Affaud 2002). En deuxième lieu, l’alignement allocatif (adaptation – production) met en évidence la justesse d’allocation

des moyens de production qui permet d’évaluer si les ressources disponibles sont suffisantes, adéquates et correctement intégrées dans la production. Réciproquement, cet alignement évalue comment les mécanismes d’adaptation demeurent compatibles avec les impératifs et les résultats de production ou sont modifiés par ceux-ci (Sicotte, Champagne et al. 1998; Sicotte, Champagne et al. 1999). Troisièmement, l’alignement tactique (atteinte

des buts – production) réside d’une part dans la capacité des mécanismes de contrôle

découlant du choix des buts organisationnels à gouverner le système de production, d’autre part dans la capacité d’évaluer comment les impératifs et les résultats de production modifient le choix des buts de l’organisation. Il est donc question ici du problème de la pertinence des buts (Sicotte, Champagne et al. 1999). En outre, cet alignement permet de se pencher sur l’efficience des services de santé et la formulation adéquate du panier de service en fonction des problèmes de santé du pays. Quatrièmement, l’alignement

opérationnel (maintien de valeurs – production) permet d’évaluer comment les valeurs

intériorisées par les acteurs et institutionnalisées dans le système influent sur la production, et si les mécanismes de production renforcent ou minent les valeurs communes et le climat organisationnel. Il est donc question de se pencher sur l’intériorisation dans la conscience de tous les producteurs de soins des exigences de la qualité (par exemple), du respect de la personne et de l’attention qui leur est accordée, et enfin de l’institutionnalisation d’un cadre réglementaire ainsi que de l’existence de mécanismes formels ou informels visant à assurer la qualité technique des interventions. En cinquième lieu, l’alignement légitimatif (maintien

des valeurs – atteinte des buts) renseigne d’une part sur la capacité des mécanismes de

génération des valeurs et du climat organisationnel à contribuer à l’atteinte des buts organisationnels ; d’autre part et réciproquement, il permet d’évaluer comment le choix et la poursuite des buts de l’organisation viennent modifier et renforcer les valeurs et le climat organisationnel. Cet alignement se penche sur l’existence d’un consensus au niveau des

droits des différents acteurs de l’organisation et également sur la compatibilité entre les rituels, les lois, les règles, les lignes de conduite, la structure des organisations et les descriptions des tâches qui existent (Sicotte, Champagne et al. 1998; Sicotte, Champagne et al. 1999). Enfin, sixièmement, l’alignement contextuel (maintien des valeurs – adaptation) explique comment les mécanismes d’adaptation sont influencés par les valeurs fondamentales du système et évalue dans quelle mesure les valeurs sont modifiées par les contraintes de l’environnement. Il se penche sur l’intériorisation de valeurs consensuelles sur les modalités de collecte des ressources financières et matérielles (honnêteté, transparence, etc.) et sur la distribution des ressources collectées. Enfin, il se focalise sur l’existence de structures organisationnelles et de mécanismes réglementaires favorisant la réactivité du système (Sicotte, Champagne et al. 1998; Sicotte, Champagne et al. 1999; Tanon Affaud 2002).

Enfin, bien que ce modèle d’analyse de la performance tienne compte de la complexité des organisations de soins, il souffre jusqu’ici d’un problème d’opérationnalisation d’une part des construits clés de chacune des fonctions et d’autre part des alignements mesurant les liens réciproques entre les fonctions.