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CONCLUSION DU TITRE 1

SECTION 1. VISION KOWEÏTIENNE UNITAIRE

166. Présentation et division. Pour engager la responsabilité selon le régime de la garantie en droit koweïtien, il ne suffit pas, pour la victime, de faire constater l’existence d’un dommage et d’un fait générateur. L’obligation de réparer ne naît que si le dommage est en rapport avec le fait dommageable. La chose doit ainsi continuer selon ce nouveau régime à jouer un rôle actif dans la réalisation du dommage (§1). En revanche, un point important demeure dans l’exclusivité de la théorie de causa proxima, à l’exclusion de toutes autres théories déjà appréciées (§2).

§1. L’exigence d’un fait actif de la chose

167. Division. Dire que la chose doit avoir joué un rôle actif dans la réalisation du dommage n’est pas quelque chose de nouveau en droit de la responsabilité civile koweïtienne. En fait, un fait générateur doit, ainsi, conformément au régime commun de la responsabilité du fait des choses, être démontré. Alors que cette exigence ne peut pas passer dans ce régime sans apporter de nouveauté, elle ne peut, en effet, produire aucun effet pour réaliser un dommage qu’à travers la notion de Moubâchara (immédiateté). Autrement dit, sans l’intervention de l’homme, la chose n’aura pas la capacité de produire un tel dommage. Ce nouveau fait générateur est appelé en droit koweïtien « le fait immédiat » (A). En revanche, il ne s’agit pas de n’importe quelle intervention de l’homme, celle-ci doit être positive et matérielle dans la production du dommage à travers son usage (B).

542 « D’autres régimes sont plus spéciaux encore car, au-delà de toute recherche d’un responsable, ils n’ont comme objectif que l’indemnisation de certaines catégories de victimes par un fonds spécialement constitué à cet effet » : B. FAGES, Droit des obligations, Paris : LGDJ, 2016, 6e éd, pp. 354-355.

- 163 - A. Un fait immédiat

168. Divulgation du fait générateur de responsabilité en se référant à l’auteur immédiat. L’article 255 du Code civil koweïtien dispose, en effet, que « si un dommage…se produit par voie immédiate et résulte de l’usage d’une chose dangereuse…l’auteur immédiat en garant… ». Selon cet article, le législateur dispose que l’immédiateté du fait est ici le fait générateur requis pour déclencher l’obligation de réparation à la charge d’un auteur qualifié comme auteur immédiat543. Ce dernier, en effet, n’a, d’après le texte, aucune valeur propre. L’auteur immédiat et le fait immédiat sont les deux faces d’une même pièce. C’est la raison pour laquelle la doctrine et la jurisprudence se sont occupées de l’interprétation de la notion du Moubâchir -l’auteur immédiat-, et ce n’est en réalité que le fait générateur lui-même. Ainsi, nous observons que la jurisprudence koweïtienne ne parle de fait immédiat générateur de ce régime qu’à travers la notion de l’auteur immédiat. Celui-ci, selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation koweïtienne, « est celui dont le fait propre a en lui-même engendré le préjudice, et en constitue la cause »544. Dans une autre décision, le tribunal koweïtien l’a défini comme « celui dont le fait accompli personnellement, a généré par lui-même le dommage. Autrement dit, ce fait est dommageable par lui-même et il est la cause de ce dommage »545. Le législateur koweïtien, en effet, n’a pas énoncé ni en droit civil actuel ni dans la loi qui l’a précédé, de définition de l’auteur immédiat. En outre, il a été indiqué, dans la note explicative du Code civil koweïtien, que la définition de l’auteur immédiat doit être suivie telle qu’appliquée dans la jurisprudence musulmane, en vertu de l’école hanafite546, l’auteur immédiat est « celui qui entreprend par lui-même l’acte, qu’il soit intentionnel ou non ». Pour les Chafi’ites547, c’est « celui qui agit directement et produit le dommage ». Pour les Malékites548, c’est « celui par lequel le dommage survient sans intermédiaire ». En effet, l’orientation de ladite note de référence au droit musulman a apporté cette confusion théorique relative à cette notion.

169. La notion de fait immédiat. Ainsi, pour bien comprendre ce caractère immédiat du fait, il faut d’abord montrer la caractéristique du fait générateur en droit de la responsabilité délictuelle musulman. En matière civile, celui-ci, comme nous en avons déjà parlé à propos de son fondement, ne pose en principe qu’un seul fait générateur, à savoir la destruction- l’itlâf-,

543 Moubâchir : agent promoteur.

544 Cass., le 17 décembre 1980 n°30/80.

545 Cass. Com, 11 janvier 1993, pourvoi n°164-92, L’ensembles des règles décidées par la Cour de cassation koweitienne, p. 567.

546 S. BAZE, L’explication de la Majallat, Op. cit, p. 59.

547A. ALCHIRBINI, Magna al-mohtaj ela m’rfat alfathe el manhaj, 1941, Vol 4, p. 360.

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-c’est le seul fait dommageable dans le sens technique du terme qui va déclencher tout le mécanisme de la responsabilité délictuelle en droit musulman classique549. Il constitue un fait matériel, à savoir le fait de détruire totalement ou partiellement une chose ou un bien corporel. Cela permet de déduire le fait qu’en principe, il doit s’agir d’un fait matériel et positif. Une omission ne saurait être retenue comme un fait en matière de destruction550. Dès lors que le fait est commis, l’élément matériel se trouve réalisé. La Majallat a présenté, sous l’article 887, que « la destruction immédiate est la destruction d’une chose, sans qu’intervienne un quelconque acte entre l’action de l’auteur immédiat et la destruction dont il s’agit ».

Conformément au droit positif koweïtien, il s’agit, plus précisément, du fait immédiat de l’homme. La responsabilité ne sera pas exigée du fait de l’existence d’un fait propre d’une chose. Le dommage doit avoir été causé par l’auteur lui-même551. Il a été, ainsi, jugé que le mouvement de la voiture est le résultat de l’action de son conducteur due à l’activité de ce dernier. Il est donc Moubâchir552. On sait que le fait de l’homme, comme critère, sert à fonder le fait de la chose et ne fait pas obstacle à l’engagement de la responsabilité générale du fait des choses en droits français et koweïtien, et que cette hypothèse a été réglée depuis un certain temps. Ainsi, le fait de fonder la règle de la garantie du dommage à la personne, issue de l’évolution qu’a subie cette dernière en matière du fait des choses, sur l’idée du fait de l’homme ne doit pas, en principe, susciter d’interrogation. Il faut, à propos de ce régime, déterminer quel fait de l’homme est concerné. Car il ne s’agit pas désormais d’un fait personnel fautif ni d’un fait basé sur la garde d’une chose.

Le fait immédiat peut se définir comme une manière précise de causer un dommage : ainsi celui-ci doit résulter matériellement et positivement du fait du Moubâchir. L’immédiateté du fait selon la règle de la garantie, n’est, en effet, qu’un acte matériel et positif de l’homme, dépourvu de tout élément subjectif, qui ne se pose qu’à cause de l’instrument direct de sa main. Autrement dit, l’intervention de l’homme doit être positive dans la survenance du dommage à travers son utilisation, comme celui qui circule avec sa voiture et heurte un piéton, ou que cela soit simplement un instrument dans les mains de l’homme, comme celui qui détient son fusil qui est poussé par quelqu’un entraînant le départ d’une balle portant atteinte à une troisième

549 C. CHEHATA, « La théorie de la responsabilité civile dans le système juridiques des pays du Proche-Orient », Op.cit., p. 885.

550 Le droit de la responsabilité civile musulmane ne permet pas la réparation anticipée d’un dommage future.

551 En ce sens, voir S. ROSTOM BAZ, Les explications de la Majallat, Op.cit., p. 60 qui définit l’auteur immédiat comme « celui qui entreprend par lui-même l’acte dommageable, que cet acte soit intentionnel ou non ».

552 Cass. civ., n° 317-2000. Le 25 juin 2001, [visité le 5/05/2017], disponible sur Internet <URL :

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-personne. Les activités de l’homme prolongent ainsi directement les choses. Comme par exemple, une automobile, une bicyclette ou encore un outil. Mais si le dommage est provoqué par une chose inerte ou inanimée comme celui qui entre en collision avec une voiture garée et subit des dommages, la responsabilité ne sera pas engagée. L’auteur immédiat n’est pas responsable lorsque la chose qu’il a utilisée n’a joué qu’un rôle passif dans la production du dommage. Pour expliciter l’idée, il convient de dire que le conducteur d’un véhicule, s’il le conduit, en est l’orienteur, et s’il renverse une personne, il est l’auteur immédiat et garant du dommage en vertu de l’article 255 du Code civil koweïtien. S’il tourne le volant et arrête son véhicule dans la rue, et que la voiture explose ou se déplace en causant un dommage à autrui, son propriétaire doit être déclaré responsable en tant que gardien sur le fondement de l’article 243 du même code. Disons ainsi que l’intervention doit être matérielle ; cela ne veut pas dire pour autant qu’un contact avec le siège du dommage soit réalisé. Ainsi, un automobiliste qui s’est soudainement arrêté en plein milieu de la chaussée, contraignant une autre automobiliste qui le suivait à sortir de la route et à heurter une borne électrique, est garant du dommage qui pouvait en résulter pour ce dernier.

170. Interprétation élastique de « l’auteur immédiat » par la Cour de cassation koweïtienne. La question qui se pose est de savoir quand peut-on dire qu’une chose a été la cause génératrice d’un dommage ? Quand y a-t-il fait actif de la chose au sens de ce régime ? Nous pouvons dire que, selon ce régime, l’implication de la chose à travers une participation positive et matérielle de l’auteur constitue ce fait actif. La Cour de cassation, à cet égard, a jugé que l’explosion du pneu d’un véhicule automobile en mouvement n’exclut pas son conducteur d’être l’auteur immédiat du dommage553. Après que, la Cour d’appel a refusé d’indemniser le demandeur sur la base du régime de la garantie du dommage à la personne, nous pouvons dire que le dommage n’était pas le résultat de l’activité positive du conducteur lui-même, mais celui du fait de l’explosion de la chose qui exclut, à ce dernier, la qualification d’auteur immédiat554. En fait, il ressort clairement de cela que la Cour de cassation a interprété, de manière assez souple, cette qualification. Il reste au demandeur de prouver que le dommage s’est produit pendant sa conduite. La constatation matérielle du dommage suffit à décrire que le fait de la chose se prolonge par l’activité personnelle. L’auteur du dommage, pourtant, ne peut pas prouver que malgré l’apparence du rôle actif de la chose dans la production du dommage,

celle-553 Cass. civ., le décembre 1995, pourvoi n° 30-95, 26,[visité le 05/05/2017], disponible sur Internet <URL : www.fatwa.gov.kw .

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-ci n’a pas été l’instrument du dommage. L’auteur du dommage ne peut donc s’exonérer qu’en prouvant la faute inexcusable de la victime. Le législateur koweïtien a ainsi, dans ce sens, dépassé le mécanisme des présomptions comme ceux-ci sont connues en droit français du fait des choses- vers la matérialité de la preuve. Petit rappel à ce stade : nous avons déjà vu que le droit koweïtien, plus précisément, la jurisprudence koweïtienne n’a jamais recouru au mécanisme de présomption au sens technique de celui-ci, qu’il soit simple ou irréfragable dans le cadre du régime du fait des choses. La victime, selon ce dernier, est ainsi dans l’obligation de prouver le fait actif de la chose dans la production du dommage.

B. Le caractère supplémentaire de « l’usage »

171. But recherché par l’introduction de la notion d’« usage ». Nous allons nous interroger dès lors, sur le caractère supplémentaire de la notion d’usage posée ainsi, par le législateur koweïtien au sens de l’article 255 du Code civil. Conformément à ce dernier, le fait ne doit pas seulement se produire immédiatement mais doit résulter aussi de l’usage d’une chose dangereuse. Suivant la règle générale connue et consacrée en droit musulman, l’imputabilité de la responsabilité à celui qui a causé le dommage ne fait pas intervenir autre chose que le fait immédiat555. Le droit islamique, en principe refuse une responsabilité dès lors que le dommage est causé par le fait d’une chose, sauf si c’est le fait personnel qui génère le dommage et non la chose. Le but était donc de donner, à une règle connue et déjà existante, une portée nouvelle dans le cadre d’une nouvelle application restreinte. La logique, ainsi suivie, par le législateur koweïtien, à cet égard, en introduisant cette notion vise à donner à son régime une dimension similaire à celle du fait des choses, et non un régime basé sur un fait personnel pouvant expliquer le droit de la responsabilité délictuelle, comme c’est le cas en droit musulman ou dans la théorie du P. LECLERCQ556.

172. Source préalable et probable de la notion d’« usage ». Cette notion n’existe pas dans le régime de la responsabilité en droit islamique. La notion d’« usage » est propre au droit koweïtien. Cela n’empêche pas de dire que ce caractère posé par l’article 255 du Code civil peut probablement trouver son origine implicitement dans sa source historique islamique. Le droit islamique, en principe, refuse une responsabilité si le dommage est causé par le fait d’une chose, sauf si c’est le fait personnel qui génère le dommage et non la chose. Néanmoins, cela ne veut pas dire que le fait que produit le dommage doit être nécessairement un fait émanant de

555 Citons, par exemple, le cas d’un homme très fort qui tombe sur un enfant maigre lors d’un séisme et qui l’écrase.

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-la personne. En effet, il arrive que le fait de -la chose, instrument du dommage, obéissant à -la main de l’homme, sert à l’engagement de la responsabilité, et ce, à condition qu’il ne soit pas indépendant de celui-ci. Cela suppose que le fait de la chose se limite à la réalisation du dommage comme étant un simple moyen ou outil entre les mains de l’homme, sans aucun rôle autonome de cette chose (comme pour certains articles consacrés à répondre sur des cas de dommages résultant du fait des bâtimentsou encore du fait des animaux). Dans l’ensemble de ces cas, le fait de l’homme est toujours bel et bien présent. S’agissant du fait de l’animal, l’article 929 de la Majallat, en ce sens, dispose que « le dommage généré par l’animal même, n’est pas garanti par son propriétaire ». Il en va de même pour l’article 94 de la Majallat lorsqu’il dispose que « le délit de l’animal ne comporte pas de réparation ». Le dommage qu’il cause est considéré inhérent à la vie en communauté.

L’article 936 de la Majallat, organisant la responsabilité du fait des animaux, nous intéresse tout particulièrement comme source de notion à l’étude. Ledit article dispose, en effet, que « si une bête montée d’une personne a piétiné le bien d’autrui et l’a détruit …, le cavalier est considéré comme celui qui a détruit la chose par son fait immédiat et garantit à ce fait le dommage subi ». L’explication de la règle donnée dans cet article expose que le cavalier, est considéré comme étant l’auteur immédiat dans ce cas, et que le dommage est survenu par son poids et celui de son animal-instrument dans sa main- qui se rattache à lui. Il apparaît nécessaire, pour considérer le cavalier auteur immédiat du dommage causé par l’animal, que l’animal ait piétiné avec ses pattes la chose détruite pour affirmer que le dommage résulte simultanément de son poids et du poids de son cavalier. Dans cette situation, la personne contrôle l’animal et le détient comme un instrument entre ses mains. On peut, dès lors, comparer le cas du fait de l’animal à celui de la notion d’usage dans la mesure où celui-ci ne peut exister que dans le cas où une activité positive de l’homme s’exerce sur l’animal. Le droit musulman, en effet, distingue, à propos du fait de l’animal, le cas où l’animal a entrepris un mouvement de « son propre gré » et celui où il a été poussé par une force humaine557. Ainsi, il engage la responsabilité de l’auteur du dommage dans la deuxième hypothèse et pas dans la première558.

557 É. TYAN, Le système de responsabilité délictuelle en droit musulman, Op.cit., p. 294.

558 Pour ne pas dire jamais, il convient d’affirmer que la responsabilité du fait autonome de l’animal n’est pas totalement ignorée. Le droit musulman ne rend pas le propriétaire d’un animal ou son détenteur, responsable du dommage causé par le fait propre de l’animal, sauf à établir que le propriétaire n’a pas pris les mesures de précaution nécessaire pour empêcher la survenance du dommage. En effet, l’alinéa deux de l’article 929 dispose que « mais si le propriétaire de l’animal le voyait alors qu’il détruisait le bien d’autrui, et s’il ne l’a pas empêché, il engagerait sa responsabilité » ; voir notamment les arts. 929-934 de la Majallat. C’est notamment le cas d’un animal qui, au moment du dommage, était sous le contrôle volontaire de son propriétaire ou encore dès lors qu’il était possible pour une personne ; celui qui le tient, ou celui qui le conduit se doit d’empêcher la cause d’un dommage à autrui mais ne le fait pas. Cela est appelé le cas de l’abstention fautive. Le cas de l’abandon de l’animal

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-173. Confusion dans la réception de la notion d’usage par les juristes koweïtiens. Le législateur koweïtien n’a pas précisé ce qu’il faut entendre par le terme utilisation. Cette mission a été confiée à la jurisprudence koweïtienne559qui a confirmé que ce concept diffère de celui de garde issu du régime de la responsabilité du fait des choses. La garde a une signification plus large que l’usage. Elle peut être imputée à une personne chargée de la dette de réparation, tandis que l’usage est attribué à quelqu’un d’autre. C’est notamment le cas du préposé, par exemple. Il en résulte que si le commettant a ordonné à son préposé de lui faire certaines commissions en utilisant la voiture de son commettant et heurte une personne qui meurt, la responsabilité incombe au gardien, soit le commettant parce qu’il détient le pouvoir moral de l’utilisation. Toutefois, selon la signification matérielle pure de l’utilisation, et sans considération de l’aspect moral sur lequel repose le régime de la garantie du dommage à la personne en droit koweïtien, le préposé sera considéré comme responsable. Ainsi, si un dément ou un enfant en bas-âge utilise le fusil de son père pour tuer une autre personne, il sera considéré comme responsable et devra répondre de cet acte. Dans une même situation, la personne pouvant être inquiétée diffère selon que l’on se place sur le terrain de l’article 255 ou sur celui de l’article 243 du Code civil koweïtien. En d’autres termes, l’usage exclut toute considération subjective de la garde.

La difficulté rencontrée par les juristes koweïtiens à propos de l’interprétation de la notion d’usage réside dans les lignes suivantes : une certaine doctrine koweïtienne définit l’usage dans le strict domaine de la responsabilité comme étant un acte matériel qu’exerce une personne sur une chose de sorte qu’elle lui permet une emprise sur cette chose, abstraction faite du but en