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LES RÉGIMES SPÉCIAUX FAVORISANT LE DÉVELOPPEMENT DE L’INDEMNISATION COLLECTIVE

SECONDE PARTIE. UNE ÉVOLUTION À PARFAIRE : RÉFLEXION SUR LA DANGEROSITÉ EN TANT QUE RÉGIME

SECTION 2. LES RÉGIMES SPÉCIAUX FAVORISANT LE DÉVELOPPEMENT DE L’INDEMNISATION COLLECTIVE

204. Présentation et division. Il ne fait aucun doute qu’il est socialement souhaitable d’obtenir pour la victime une indemnisation provenant d’une source souvent disponible et solvable. Ainsi, la présence de l’idée de l’assurance de responsabilité en droit français encourage l’apparition des cas de responsabilité de plein droit dans des domaines bien précis. Il arrive parfois que le montant de la réparation d’un dommage, causé par une personne définie comme responsable indépendamment de sa faute, dépasse l’ensemble du patrimoine de celle-ci. L’échec du droit koweïtien relatif à l’indemnisation automatique trouve sa raison dans le caractère général de ses principes de responsabilité (§1). Le défi reste autre pour le droit français. Car bien que ce dernier adopte une logique distributive de son mode de réparation, des courants récents veulent le généraliser. Nous souhaitons, ici, ouvrir le débat sur la possibilité d’une socialisation des risques en droit prospectif français (§2).

§1. Échec du caractère général de la responsabilité relative à la réparation de certains risques en droit koweïtien

205. Solution du droit koweïtien confrontée au droit français. Dans de nombreux cas, la réparation des dommages perpétrés par des situations à risque prend la forme d’un impératif social important. Or, ce sont majoritairement les principes généraux de la responsabilité civile du droit koweïtien qui sont mobilisés pour y répondre. Le principe d’un standard n’est plus compatible avec l’évolution sociale car celui-ci peut être remis en cause lors de l’identification d’un débiteur d’une indemnisation. De plus, bien que des mesures de prudence et de précaution aient été prises, ces situations à risque demeurent. En effet, c’est dans un souci de

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-« déjudiciarisation » de l’indemnisation que perdurent certains régimes spéciaux.Ces derniers, en réalité, peuvent bien intégrer le droit positif, parce qu’ils ont la faculté de concevoir un régime d’indemnisation indépendant du droit de la responsabilité civile. P. REMY exprime ainsi l’idée que cette difficulté de concevoir des régimes d’indemnisation indépendants de la responsabilité pourrait bien être liée à la trop grande généralité des principes posés par les articles 1382, 1383 et 1384 anciensdu Code civil français628. Certains démontrent ainsi à quel point la responsabilité du droit français est complexe à ce sujet629, et que cela est dû au caractère binaire630 du droit commun. L’auteur démontre que le principe général de la responsabilité du fait des activités dangereuses, défendu en France à la manière de J.-S. BORGHETTI631, n’est qu’une extension de la responsabilité du fait des choses en réalité632. Car ce dernier parle d’une responsabilité du fait des activités dangereuses que doit nécessairement remplacer la responsabilité du fait des choses. Nous pensons qu’une telle proposition revient au point de départ, à savoir à zéro. En effet, le choix des rédacteurs du projet Catala est plus acceptable, car le choix d’introduire un nouveau principe n’entre pas dans le cadre d’une réflexion sur les régimes spéciaux de responsabilité du fait des activités dangereuses (telles que, par exemple, des accidents de la route, liées à des produits défectueux, au transport aérien, à l’énergie nucléaire, au transport maritime d’hydrocarbures), mais en propose un autre.

206. Exposition illustrative d’un jugement de la Cour de cassation koweïtienne à cet égard. La même observation s’applique au droit koweïtien. En effet, si la réparation des préjudices demeure la priorité des régimes spéciaux en matière de responsabilité civile, il n’en demeure pas moins que l’idée du risque, autrement dit de dangerosité doit être gardé pour ainsi justifier la diversité des régimes. Citons ici, à titre d’exemple, le régime spécial d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme633 issu du droit français. Ce régime explique, en effet, à quel point la cohérence entre une idéologie de réparation et un risque est particulièrement importante. La disposition du droit koweïtien, à cet égard, montre son échec. Le fait de voir, dans la règle de la Moubâcharat prévue par le régime de la garantie du dommage à la personne, un critère général apte à servir comme distinguo entre la responsabilité pour et sans faute, plus

628 P. REMY, « Critique du système français de responsabilité civile », Droit et cultures, 1996, p. 31 et s., spéc. p. 33.

629 R. MARAMBIO, La responsabilité civile liée aux activités scientifiques et technologiques : Approche de droit comparé, Thèse, Université de Grenoble Alpes, 2017, n°83, p.50

630Ibid.

631 J.-S. BORGHETTI, « La responsabilité du fait des choses et/ou du fait des activités dangereuses », Op. cit.

632 R. MARAMBIO, La responsabilité civile liée aux activités scientifiques et technologiques : Approche de droit comparé, Op. cit., n°84, p. 52.

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-encore, de nature à nous faire l’économie d’autres inventions législatives spéciales qui seraient destinées à faire face à des cas particuliers de responsabilité sans faute, n’a pas fonctionné. Un grand nombre de personnes, en droit koweïtien, se trouve privé de son indemnisation, face à cette généralité qui ne désigne pas les débiteurs qui devront supporter la réparation. Pour justifier le choix défavorable du législateur koweïtien sur ce point, nous mentionnons, une cause célèbre634 celle de l’affaire de l’attentat de la mosquée de L’Imam Sadiq qui refusait toute indemnisation pour préjudice subi du fait d’un acte terroriste survenu le 26 juin 2015 sur une victime. La Cour de cassation koweïtienne a rendu son jugement le 3 septembre 2018635, annulant la décision de la Cour d’appel n°3045/2016 qui a attribué à celui-ci un montant de 30 milles dinars réparant les préjudices corporels et incorporels.La Haute juridiction koweïtienne a constatél’inexistence du fait générateur attribuable de la responsabilité au défendeur : elle a constaté ainsi que le Premier ministre n’a pas manqué à ses responsabilités et à son devoir de sécuriser le territoire national, niant de sa part une faute, en considérant que ces actes criminels sont imprévus et ne peuvent pas être empêchés. Le motif du jugement part de l’idée « que tout dommage subi par une victime ne peut ouvrir droit à réparation qu’à la condition qu’il soit uni par un lien de causalité avec le fait dommageable imputable au défendeur ». La Cour de cassation ajoute que « la preuve du lien de causalité appartient à la victime demandeuse de l’action en justice ».

Dès lors, il résulte de cet arrêt que la Cour de cassation a choisi de limiter la possibilité de l’indemnisation en obligeant le demandeur de passer par la voie d’une action en responsabilité car aucun mécanisme spécial de réparation n’est reconnu en droit koweïtien.Il convient de noter que non seulement la généralité du principe dans ce domaine a privé la victime d’indemnisation, mais également la manière d’appréhender la notion de la dangerosité qui est liée notamment à la nature dangereuse de la chose elle-même. La victime a été contrainte de recourir à la responsabilité du fait personnel pour faute pour justifier sa demande en réparation.

Dans cette voie, la solution américaine qui consiste ainsi, peu après l’attaque terroriste du 11 septembre 2011, à indemniser les victimes ou leurs familles a été de créer le fonds d’indemnisation des victimes du 11 septembre (FCV)636 ; il est donc vivement conseillé de créer

634 À propos de l’affaire, voir « Koweït : au moins 25 morts dans un attentat à la bombe revendiqué par l’Etat islamique », Le Monde, publié le 26 juin 2015, [visité le 21 octobre 2019], disponible sur Internet<URL :

https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/06/26/une-mosquee-chiite-au-koweit-visee-par-un-attentat-a-la-bombe_4662670_3218.html

635 Cass. 1ère civ., le 3 septembre 2018, pourvoi n° 3030-3060/ 2017, inédit. Une série de décisions de la Cour de cassation koweïtienne est rendue suite à cet acte terroriste.

636 F. KENNETH, Who Gets What : fair Compensation after Tragedy and Financial Upheaval, New York City, Public Affaires éd., 2012.

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-un fond koweïtien à l’instar du modèle français. Quant à la question de l’application dans le temps, en suivant l’expérience française, on constate quelques incohérences, voire quelques contradictions. Dans un premier temps, seuls les faits survenus après la mise en place du fond de garantie étaient pris en compte. Puis, dans un deuxième temps, pour mettre toutes les victimes sur un même pied d’égalité, le législateur a procédé à des remboursements à effet rétroactif, au premier janvier 1985, puis au premier janvier 1982. Mais, par l’arrêt du 23 juin 1993637, la Cour de cassation n’en tient plus compte et a autorisé l’indemnisation de toutes les victimes.

207. Reconnaissance ponctuelle d’une indépendance du droit à réparation malgré le caractère général de la responsabilité en droit koweïtien. Le droit koweïtien a déjà réalisé que les régimes spéciaux de responsabilité favorisent l’assurance obligatoire638. Cependant, au Koweït, ce sont seulement les accidents de la circulation qui ont attiré l’attention du législateur pour introduire la technique de l’assurance obligatoire de responsabilité d’un véhicule terrestre à moteur. En effet, l’assurance est un contrat qui crée un lien juridique entre l’assureur et l’assuré, ayant pour objet la couverture d’un risque ou accident éventuel, moyennant une prime que l’assuré verse à l’assureur639. L’indemnisation de la victime revient ainsi à l’assureur qui se voit dans l’obligation, du fait de l’assurance obligatoire en matière de responsabilité civile des accidents des véhicules à moteur, de dédommager la victime des dommages subis. De ce fait, l’action étant directe contre l’assureur dont la solvabilité est rassurante, la situation de la victime s’en trouve confortable. En effet, l’objet du contrat d’assurance est principalement la dette de réparation de l’assuré responsable souscripteur et donc la créance corrélative de la victime640. Cette obligation de l’assureur en vertu de l’assurance obligatoire en matière de responsabilité civile des accidents de voitures d’indemniser la victime selon le droit koweïtien trouve sa source dans les deux réglementations suivantes : le décret législatif n°67 de 1976 relatif à la circulation routière et le décret exécutif koweïtien n° 81 de 1976 relatif à la circulation routière641. Le droit koweïtien dispose ainsi qu’il n’y aura pas d’immatriculation

637 Cass. civ. 2e, 23 juin 1993, n°91-20537.

638 Ou la mise en place de fonds d’indemnisation (En droit français).

639 A. CHARAF AL-DIN, Le régime de l’assurance dans la loi et la jurisprudence, Université du Koweït, 1403-1983., n°6., p. 15 (En langue arabe).

640 Y. LAMBERT-FAIVRE, S. PORCHY-SIMON, Droit du dommage corporel, système d’indemnisation, Op. cit., n°621, p. 567. Pour aller plus loin dans le contrat d’assurance de responsabilité, voir notamment : Y. LAMBERT-FAIVRE et L. LEVENEUR, Droit des assurances, 14ème éd., Paris : Dalloz, 2017.

641 Voir Le Décret législatif n° 67 du 1976 relatif à la circulation routière, Op. cit., et le Décret exécutif n° 81 de 1976 relatif à la circulation routière, [visité le 4/11/2019], disponible sur Internet <URL :

https://site.eastlaws.com/GeneralSearch/Home/ArticlesTDetails?MAsterID=125013&MasterID=125013, (En langue arabe).