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1.3 LA COMPÉTENCE ÉTHIQUE EN ENSEIGNEMENT : UN OBJET DE

1.3.2 Une vision de la compétence éthique à titre de tâche éducative

Bien que nous n’ayons pas utilisé le terme « morale » comme mot-clé lorsque nous avons interrogé les banques de données, plusieurs recherches s’intéressant à l’éthique enseignante associent cette dernière à la morale. En fait, les mots « éthique » et « morale » sont utilisés comme des synonymes dans plusieurs recherches.

Ainsi, dans certains pays d’Europe et aux États-Unis, l’éthique renvoie à la morale (Colnerud, 2006), la distinction entre ces deux concepts étant parfois quasiment absente. Dès lors, la porte d’entrée pour étudier l’éthique professionnelle enseignante correspond à la moralité d’un individu plus qu’à son jugement professionnel devant la complexité et l’incertitude qui caractérisent la pratique enseignante. L’enseignement constitue une activité essentiellement morale (Bullough, 2011; Colnerud, 2006; Shapira-Lischinsky, 2013; Thornberg, 2008; Thornberg et Oguz, 2013) et c’est ce caractère moral qui lui assure une éthique

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professionnelle, telle est la posture de plusieurs chercheurs, lesquels trouvent leurs fondements dans une éthique proche de l’éthique de la vertu. Puisque l’enseignant est un « modèle moral » et qu’il exerce une influence sur les élèves qui lui sont confiés, les valeurs qu’il favorise et la manière dont il les promeut lui permettent d’être compétent sur le plan éthique. C’est ce qui ressort notamment de l’étude menée par Thornberg (2008).

Thornberg (2008) souhaitait connaître la perception d’enseignants de leur pratique en ce qui a trait à la transmission de valeurs auprès des jeunes qui leur sont confiés. Comme ils ne reçoivent pas de formation à cet égard dans les programmes de formation à l’enseignement, Thornberg (2008) désirait mettre en évidence la manière dont s’effectue cette transmission dans la pratique au quotidien. Pour ce faire, il a réalisé des entrevues individuelles auprès de 13 enseignants suédois au primaire. Est d’abord ressorti des entrevues que les valeurs sont principalement transmises par le biais des règles liées à la gestion de classe, associant ainsi les valeurs éducatives à des manières de se comporter : « you don’t kick or swear at someone else,

that you should listen to each others and show respect and do so on » (p. 1793). Aussi, les

théories appartenant, entre autres, à la philosophie et à la psychologie ne semblent pas constituer des références lorsque les enseignants évoquent leur pratique concernant la transmission des valeurs.

En fait, Thornberg (2008) a mis en évidence que cette transmission, s’opérant de manière inconsciente, ne fait pas l’objet d’une planification et d’une réflexion alors qu’elle est plutôt située : « I actually don’t have a conscious strategy, that I will do this or that, but instead I

deal with a lot of things as they happen » (p. 1794). Enfin, cette étude suggère que le travail

sur les valeurs éducatives s’opère de manière informelle, c’est-à-dire par le biais d’incidents survenant en classe, et ne fait pas l’objet d’un apprentissage formel à travers les disciplines enseignées. Cela amène le chercheur à constater que les enseignants favorisent un « everyday

language » basé sur l’intuition. Par conséquent, Thornberg (2008) conclut que les enseignants

ne possèdent pas de « métalangage », c’est-à-dire de « langage professionnel » leur permettant de réfléchir à leur pratique à partir de connaissances théoriques. Aussi, parce que la transmission des valeurs semble inconsciente et improvisée, le chercheur conclut, d’une part, que cela constitue un frein à leur développement professionnel. À l’inverse des professions

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telles que la médecine, les enseignants de l’étude de Thornberg (2008) ne semblent pas disposer d’une base de connaissances communes. D’autre part, l’éthique semble comprise à titre de règles à respecter ou de manières de se comporter et non comme capacité réflexive. Il apparaît important, de l’avis du chercheur, de doter les futurs enseignants, lors de la formation, d’un langage professionnel.

Une autre étude ayant pour objet les perceptions des enseignants des valeurs éducatives à transmettre a été conduite par Thornberg et Oguz (2013). Précisons que les valeurs éducatives sont comprises par les auteurs comme les valeurs liées à l’éducation morale et à la citoyenneté. Les chercheurs ont mené des entrevues individuelles auprès de 52 enseignants du primaire : 26 enseignants suédois et 26 enseignants turcs. Les participants étaient invités à s’exprimer sur les valeurs jugées importantes de transmettre aux élèves et sur la manière dont ils les transmettent. À ce propos, les chercheurs s’appuient sur deux approches mises en évidence dans la littérature : l’approche traditionnelle et l’approche constructiviste. Lorsque l’enseignant favorise une approche traditionnelle, il transmet aux élèves les valeurs découlant de règles et de vertus, telles que l’honnêteté et le respect de l’autorité, dans le but qu’ils se conforment à ce qui est attendu d’eux par la société. Encouragements, récompenses et punitions sont mis de l’avant. Selon l’approche constructiviste, les élèves effectuent un travail sur les valeurs démocratiques telles que la justice à l’aide des interactions avec leurs pairs. Plus précisément, ils sont invités par leur enseignant à développer leur raisonnement moral à partir de discussions autour de dilemmes éthiques.

Ainsi, à partir des données obtenues, Thornberg et Oguz (2013) ont mis en évidence que l’approche traditionnelle semble favorisée par les enseignants en ce qui concerne la transmission des valeurs. Aussi, les résultats suggèrent des valeurs jugées importantes par les enseignants. Il s’agit notamment de « valeurs relationnelles », c’est-à-dire liées à la manière de traiter les autres telles que le respect par exemple. Viennent ensuite les valeurs liées au sens des responsabilités des élèves comme l’honnêteté. Enfin, les participants ont également mentionné des valeurs en rapport avec un travail sur soi : l’estime de soi et la confiance en soi. En outre, ils ont une perception « normative » des valeurs à enseigner qui se veulent le reflet de l’ordre souhaité dans la société, découlant, selon eux, du « gros bon sens ». Cependant, bien

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qu’ils évoquent la modélisation dans le processus de transmission de valeurs, en ce sens qu’ils savent que les élèves risquent d’adopter leurs comportements, ils sont inconscients des valeurs qu’ils transmettent dans la pratique quotidienne : « I do so many things unconsciously. […]

It’s nothing I reflect upon. I just do it » (p. 52). Ce manque de conscience peut constituer un

problème tel que rapporté par Colnerud (2006) : « I would seem likely that pupils are

influenced without being aware of it. But teachers who exert an influence without being aware of it are a larger problem » (p. 373). Lors des entrevues, à aucun moment, ils n’ont fait

référence à des théories liées à la psychologie, à la philosophie ou à l’éthique même. Les résultats de l’étude de Thornberg et Oguz (2013) vont dans le même sens que ceux obtenus par Thornberg (2008) cinq ans plus tôt : cela se répercute sur la capacité réflexive et critique des enseignants et constitue un frein à leur développement professionnel alors qu’ils ne possèdent pas de métalangage lié à cette facette de leur éthique professionnelle.

Sans une base de connaissances, il semble difficile, aux yeux de Thornberg et Oguz (2013), que les enseignants puissent exercer leur propre jugement moral et, conséquemment, enseigner aux enfants à réfléchir sur des questions éthiques. Pour ces raisons, ces chercheurs recommandent qu’en formation soit favorisée la réflexion à l’aide de théories appartenant notamment à la psychologie, au développement moral et à l’éthique même en vue de doter les enseignants d’un langage commun.

Dans les études ci-dessus, l’éthique professionnelle est teintée implicitement des valeurs que les enseignants doivent enseigner ou transmettre aux élèves, ce qui a permis aux chercheurs de mettre en évidence leur manque de capacité réflexive et de métalangage à cet égard. Bien qu’elle s’intéresse à la dimension morale et éthique de l’enseignement, Campbell (2006) va un peu plus loin en affirmant que les enseignants doivent eux-mêmes se comporter selon les principes ou les valeurs qu’ils veulent transmettre à leurs élèves que cela se produise de manière délibérée ou spontanée, ou inconsciente ou non. L’éthique renvoie donc à l’agir, aux interactions de l’enseignant avec ses élèves. Ainsi, à la suite d’observations et d’entrevues menées auprès de neuf enseignants ontariens du primaire et du secondaire, la chercheuse présente des résultats qui diffèrent de ceux évoqués précédemment. En fait, bien que la dimension morale et éthique des actions des enseignants n’opère pas toujours effectivement de

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manière consciente, il ressort néanmoins des résultats que plusieurs enseignants sont capables d’expliquer les valeurs qu’ils souhaitent transmettre aux élèves et comment concrètement ils peuvent s’y prendre pour y parvenir. Par exemple, une participante enseigne le respect à ses élèves en agissant d’abord avec respect avec eux. En d’autres mots, ils sont conscients de l’apport de la modélisation et sont donc aptes à expliquer de façon rationnelle les vertus ou les valeurs qu’ils mettent de l’avant à travers leurs actions même si ces actions sont empreintes de spontanéité. Du point de vue de Campbell (2006), puisque les enseignants sont capables de décrire leur pratique à cet égard, il est permis de penser qu’ils possèdent des connaissances en matière d’éthique professionnelle.

En résumé, ces recherches s’intéressent à l’agir éthique de l’enseignant à partir de son rôle d’éducateur ou d’agent de socialisation des élèves. Elles mettent en évidence que les enseignants ne sont pas toujours conscients de l’influence qu’ils exercent sur les élèves, particulièrement en ce qui a trait aux valeurs qu’ils transmettent. Elles suggèrent également qu’ils ne possèdent pas de langage professionnel afin de verbaliser cette dimension de leur travail, ce qui compromet leur professionnalisme. Il semble que la compétence éthique des enseignants qui passe par leur rôle d’agent de socialisation soit davantage guidée par leurs valeurs personnelles que par des références professionnelles issues, par exemple, de la recherche en éducation. Devant ce besoin de doter les enseignants d’un langage professionnel, il ressort de ces études la nécessité d’entraîner les futurs enseignants à réfléchir à l’aide de savoirs théoriques.