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Le référentiel de compétences professionnelles a été élaboré afin d’orienter la formation des enseignants. En ce sens, il constitue la principale référence pour les formateurs. En cela, il en appelle à des changements, notamment à celui de former des enseignants compétents qui seront capables de faire face à toutes sortes de situations devant la mutation sociale. Toutefois,

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comment mettre en pratique concrètement cette formation au regard de compétences? Plus particulièrement, comment former les enseignants à l’éthique alors que les composantes de cette compétence s’avèrent peu explicites et que cette compétence apparaît polysémique?

En 2004, le Comité d’orientation de la formation du personnel enseignant9 apporte des précisions à propos de la formation à la compétence éthique en enseignement. Il convient dans son rapport Pour une éthique partagée de la profession enseignante (COFPE, 2004) de rehausser la dimension éthique dans la formation initiale et continue des enseignants. Pour ce faire, trois recommandations principales sont mises de l’avant par le comité. La première recommandation concerne la construction d’un cadre de référence éthique où seront pris en considération les normes, les valeurs et le contenu des encadrements ministériels. Par exemple, le COFPE (2004) rappelle, entre autres, les huit valeurs nommées par Hare (1993) qui sont au cœur de l’intervention pédagogique : « le jugement, l’humilité de reconnaître les limites de son savoir, le courage d’aller à l’encontre des idées reçues, l’impartialité, l’ouverture d’esprit, l’empathie, l’enthousiasme et l’imagination » (COFPE, 2004, p. 20), lesquelles valeurs pourraient constituer le cadre de référence des enseignants. S’ajoutent à cela les obligations, les normes et les responsabilités professionnelles que comporte notamment la

Loi sur l’instruction publique. Bref, l’idée est de constituer un cadre de référence, une sorte de

« culture éthique » (p. 24) propre aux enseignants qui permettrait de soutenir leurs actions. Selon le comité, ce cadre ne doit pas s’apparenter à un code de déontologie : « L’élaboration d’un code de déontologie ne lui [le comité] semble pas compatible avec la mission de l’école, le partage des responsabilités et l’esprit de concertation qui découlent de la réforme de l’école québécoise » (p. 25). Un tel instrument ne permet pas de « s’approprier le sens » (p. 26) de l’action à l’inverse du cadre de référence qui se présente comme un outil de réflexion sur le sens en vue d’encadrer l’action. Dès lors, le COFPE (2004) recommande au ministre de l’Éducation que ce cadre soit diffusé dans les milieux de formation à l’enseignement.

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Le COFPE est un organisme dont le mandat consiste à conseiller le ministre de l’Éducation en ce qui a trait à l’orientation de la formation du personnel enseignant aux ordres primaires et secondaires (COFPE, 2001).

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La deuxième recommandation du comité a trait à la formation de tous les acteurs de la formation à l’enseignement ‒ professeurs, chargés de cours, superviseurs de stage et enseignants associés ‒ à une éthique de la discussion. Dans cette optique, le but est de mettre en place un espace de discussion afin de réfléchir et de débattre à propos des finalités et des valeurs professionnelles liées à la pratique enseignante. Par ailleurs, le comité croit qu’une éthique de la discussion, soutenue par un cadre de référence, permet de prendre des décisions rationnelles plutôt qu’affectives devant une situation marquée par l’incertitude.

Quant à la troisième principale recommandation, elle porte sur le caractère transversal de la compétence éthique :

il ne s’agit aucunement d’ajouter des cours qui porteraient sur la dimension éthique rattachée à telle ou telle compétence particulière, mais bien de sensibiliser tous les formateurs d’enseignants (professeurs d’université, chargés de cours et superviseurs universitaires, enseignants associés) à l’importance d’intégrer à l’intérieur des cours de psychopédagogie, de didactique et des différentes disciplines ainsi qu’en formation pratique, la dimension éthique sous-jacente au développement de chacune des compétences (COFPE, 2004, p. 32).

En somme, la compétence éthique concerne tous les acteurs de la formation à l’enseignement et traverse les onze autres compétences professionnelles du référentiel (MEQ, 2001a).

Devant l’ambiguïté liée au sens de la compétence éthique, telle qu’elle se présente dans le référentiel, il apparaît que les précisions qu’apporte le COFPE (2004) jettent des pistes fécondes en ce qui concerne la formation à l’éthique en soutenant une vision de la compétence éthique à titre d’acte réflexif. Dans cette optique, la création d’un cadre de référence constitue le levier du développement de la compétence éthique dans une visée professionnelle au sens où l’enseignant apprend à réfléchir sur les finalités et les valeurs de sa profession. Un tel outil favorise son adhésion à ce qui est attendu de lui à titre de professionnel de l’enseignement.

Cependant, malgré la volonté du COFPE (2004) de situer la compétence éthique dans la perspective d’une éthique de la responsabilité de l’enseignant, c’est-à-dire à la manière d’un

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professionnel qui prend des décisions ancrées dans la réflexion à l’aide des balises que comporte sa profession, force est de reconnaître deux constats qui vont dans le sens contraire de cette visée de formation soutenue par ce Comité. Le premier constat concerne la place de la réflexion et du sens, notamment en formation pratique. Rappelons à ce propos qu’un programme axé sur le développement de compétences doit se rapprocher de la pratique. Cela trouve particulièrement sa raison d’être en ce qui a trait à la compétence éthique. En effet, le stage s’avère un moment et un lieu pertinents pour le développement d’une éthique professionnelle (COFPE, 2004; Desaulniers, 2002). En cohérence avec la formation théorique qu’il a reçue, le stage permet à l’étudiant en situation réelle de réfléchir et de donner tout leur sens aux valeurs de la profession. Aussi, plongé dans un milieu marqué par les relations interpersonnelles et interprofessionnelles, c’est également l’occasion pour lui de vivre des conflits de valeurs et des problématiques éthiques (Desaulniers, 2002; Desbiens, Borges et Spallanzani, 2012).

Cela dit, en ce qui concerne notre premier constat lié à la place de la réflexion et du sens lors de la formation pratique, nous mettons en doute la cohérence entre les orientations exprimées par le COFPE (2004) et celles que présente, quatre ans plus tard, le Ministère dans son document La formation à l’enseignement, les orientations relatives en milieu de pratique (MELS, 2008). En fait, alors que le COFPE (2004) favorise la réflexion à partir de repères professionnels, il apparaît étonnant que le Ministère exige des universités qu’elles élaborent un code de règles où est réduite la portée du jugement professionnel :

le Ministère est en droit de s’attendre à un haut degré d’éthique et de jugement professionnel de la part des stagiaires, lequel doit être précisé dans un code de déontologie ou de règles d’éthique élaborées par les facultés et départements d’éducation. Les universités doivent faire connaître ces types de documents aux commissions scolaires et aux établissements scolaires avec qui elles collaborent relativement à la formation en milieu de pratique (MELS, 2008, p. 13).

Avec la réforme des programmes scolaires et de formation, une autonomie accrue est attendue de l’enseignant. Cette autonomie est principalement liée à la liberté de ce dernier, laquelle passe par l’exercice de son jugement professionnel (Desaulniers et Jutras, 2012; Jutras, 2007;

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Jutras, Joly, Legault et Desaulniers, 2005) afin de convenir de la conduite à tenir devant une situation comportant un enjeu éthique. Or, d’un côté, on attend de lui qu’il exerce son jugement professionnel; de l’autre, cette autonomie est adossée à une série de comportements que doit adopter le stagiaire. Dès lors, en cohérence avec la demande du Ministère (MELS, 2008), ces codes de conduite sont élaborés par les universités et prennent l’allure d’une liste de vérification de comportements que doit afficher le stagiaire. À titre d’exemple, nous présentons, à l’aide de l’encadré ci-dessous, un extrait du Guide des comportements attendus

des stagiaires à l’intention des étudiants finissants en enseignement des arts :

Guide des comportements attendus des stagiaires (Université du Québec à Montréal, 2012)

Ainsi, à partir du moment où vous êtes informé de l’endroit où vous réaliserez votre stage et tout au long du stage, il importe que vous fassiez preuve de comportements appropriés, entre autres :

• En communiquant avec votre enseignant associé de manière respectueuse (téléphone, courriel); • En soignant votre écriture dans les échanges de courriel;

• En respectant le code vestimentaire inscrit dans le code de vie de l’école; • En évitant tout type de familiarité avec les élèves;

• En évitant toute sortie à caractère privé avec un élève, même à sa demande; • Etc.

Mentionnons que ce type de document, proche d’un code déontologique, peut également prendre la forme d’un contrat d’engagement – Déclaration d’engagement professionnel du

stagiaire (Université du Québec à Chicoutimi, 2016) – dans lequel le stagiaire s’engage à

respecter, par exemple, les valeurs professionnelles bien que ces dernières ne soient pas définies dans ce contrat.

Notre deuxième constat renvoie à l’explicitation en formation des valeurs partagées de la profession. Tant le COFPE (2004), Jutras (2011) que Tardif (2013) soulignent la nécessité que la formation à l’enseignement favorise l’adhésion aux valeurs de la profession. De ce point de vue, c’est là que débute l’initiation à une éthique professionnelle. Or, selon Tardif (2013), la formation met davantage l’accent sur l’instruction au détriment de la socialisation professionnelle. De cette manière est valorisé tout ce qui concerne les connaissances

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nécessaires à l’enseignement d’une discipline donnée telles que celles appartenant à la didactique des mathématiques et à la psychopédagogie par exemple. En revanche, l’enseignement des valeurs de la profession semble faire figure de parent pauvre au sein de la formation (Levasseur, 2009; Tardif, 2013). Cela s’explique, d’une part, par le manque de professeurs enseignant au 1er cycle, ces derniers étant davantage impliqués dans la recherche et dans l’enseignement aux 2e et 3e cycles et, d’autre part, par le manque de cohésion à l’égard des valeurs professionnelles des divers responsables de l’enseignement tels que les chargés de cours et les superviseurs universitaires (Tardif, 2013).

Deux ans à la suite de l’avis émis par le COFPE (2004), Pour une éthique partagée de la

profession enseignante, est publié le document intitulé La formation en milieu de pratique, de nouveaux horizons à explorer (CCFPE10, 2006) où seront fournies des recommandations au Ministère à propos de pistes d’amélioration sur certains aspects de la formation pratique, laquelle, nous l’avons mentionné, occupe une place de premier plan depuis la réforme des programmes d’enseignement des années 1990. Une des recommandations concerne la presque « nécessité » de former les enseignants associés alors qu’il est attendu de ces « acteurs clés » qu’ils participent à la poursuite du développement des compétences professionnelles. En réaction à cet avis sera élaboré un cadre de référence (Portelance, Gervais, Lessard et Beaulieu, 2008) à l’intention des enseignants associés et des superviseurs de stage par un Groupe de travail11 mandaté par la Table MELS-Universités12. Le principal objectif de ce Groupe de travail consiste à arrimer la formation des enseignants associés et des superviseurs aux orientations « professionnelles » des programmes de formation à l’enseignement.

10 Il s’agit du Comité-conseil sur la formation du personnel enseignant qui a succédé au COFPE en 2006.

11 Le Groupe de travail est composé d’un représentant par université et d’une représentante du ministère de

l’Éducation, du Loisir et du Sport.

12 La Table MELS-Universités est constituée de représentants du ministère de l’Éducation ainsi que de

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Il importe, selon le Groupe de travail, de mettre au premier plan la place de l’éthique professionnelle de ces formateurs de stagiaires, laquelle sert de « point d’ancrage » à la formation. En effet, il y est mentionné que « l’attitude éthique transcende l’ensemble des responsabilités de l’enseignant associé et du superviseur » (Portelance et al., 2008, p. 87). S’appuyant sur Desaulniers et Jutras (2006), les membres du Groupe de travail précisent que l’éthique de l’enseignant associé et du superviseur renvoie à leur engagement dans la formation continue. Ils doivent par ailleurs, à titre de formateurs, incarner à travers des compétences, des qualités telles que l’enthousiasme, le respect, l’ouverture d’esprit et la disponibilité à l’égard du formé. En favorisant une éthique du care, ces « carer » se montrent soucieux du développement progressif du stagiaire et favorise la confiance en soi. De cette façon, tant l’enseignant associé que le superviseur de stage contribuent, par leur savoir-être, à la construction du « soi éthique » du stagiaire. Aussi, il est attendu d’eux, de manière générale, qu’ils orientent la formation des stagiaires vers la réflexion sur l’action et vers la verbalisation de leur pratique. En somme, il faut comprendre qu’est attendu de ces acteurs qu’ils montrent une éthique professionnelle irréprochable, laquelle se manifeste dans leur agir, ce qui conséquemment contribuera à influencer l’agir du stagiaire et qu’ils suscitent la réflexion des stagiaires à l’égard de leur pratique.

Somme toute, telles sont les références ministérielles à propos de la formation à l’éthique des enseignants. Le référentiel apparaît peu éclairant en ce qui a trait à la formation à l’éthique en enseignement puisque les composantes qu’il présente à titre de balises s’avèrent ambiguës bien que les recommandations du COFPE (2004), quant à elles, offrent des pistes intéressantes qui s’inscrivent dans la perspective d’une éthique de la responsabilité. Cependant, la demande du MELS (2008) à propos de l’élaboration d’un guide déontologique ouvre la porte sur une éthique qui passe sous silence l’utilisation du jugement professionnel. Devant un besoin d’éclaircissement lié à la formation à l’éthique, alors que les documents ministériels se montrent peu explicites à cet égard, il apparaît à propos de s’interroger, d’une part, sur les intentions universitaires vis-à-vis le développement de cette compétence professionnelle et, d’autre part, sur les moyens mis en œuvre afin de soutenir son développement. Ce sont des questionnements qui méritent d’être approfondis. Pour ce faire, nous présentons les études empiriques traitant de ces questions.

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1.6 LES ÉTUDES SUR LA FORMATION À LA COMPÉTENCE ÉTHIQUE EN