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1.6 LES ÉTUDES SUR LA FORMATION À LA COMPÉTENCE ÉTHIQUE EN

1.6.2 Les dispositifs de formation à la compétence éthique

Alors que les études ci-dessus traitent des intentions universitaires, d’autres portent sur des dispositifs de formation. Aux États-Unis, des équipes d’enseignants ont été recrutées pour parfaire leur formation en éthique professionnelle grâce à la création d’un programme de maîtrise d’une durée de deux ans. Ils ont été recrutés en équipe afin d’encourager le support et l’entraide d’autant plus que cette collégialité renvoie à ce qui est attendu des enseignants. Notons que l’éthique professionnelle, dont il est question, renvoie à la dimension morale du travail de l’enseignant. Le contenu de cette formation visait le développement de la capacité réflexive à cet égard. Ainsi, lors de leur formation, les participants ont été initiés à une variété d’approches telles que notamment l’éthique de la vertu, l’éthique des principes et l’éthique du

care. À l’issue de cette formation, Sockett et LePage (2002) se sont intéressés à leur discours

dans le but de mettre en évidence le langage qu’ils utilisent afin d’évoquer leur pratique en ce qui a trait à la dimension morale de leur travail.

Pour ce faire, Sockett et LePage (2002) ont analysé les travaux de 90 enseignants au secondaire, lesquels étaient inscrits au programme de maîtrise mentionné. Plus précisément, il s’agissait de portfolios ainsi que d’essais de même que du contenu d’un forum mis en ligne alors que le but que sous-tendent ces exercices est de réfléchir sur la dimension morale de la pratique enseignante. Sont ressortis deux défis qui se posent aux enseignants à l’égard de la dimension morale de l’enseignement : l’autonomie morale et la capacité réflexive. À propos de l’autonomie morale, il appert de l’expérience de formation des enseignants que leurs apprentissages sont teintés d’égocentrisme, en ce sens que leurs réflexions portent essentiellement sur leurs expériences personnelles, montrant ainsi certaines difficultés à adopter un point de vue extérieur. Par ailleurs, la difficulté liée à l’autonomie morale renvoie également au rejet de plusieurs participants au contenu intellectuel dispensé à l’intérieur du programme, ce contenu étant à leurs yeux éloigné de leur pratique. Concernant leur capacité

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réflexive, il semble que cette dernière emprunte principalement trois voies. Premièrement, la capacité réflexive de certains participants semble dépourvue d’approfondissement alors que ces derniers se limitent à décrire leur pratique sans se questionner. Deuxièmement, la justification teinte le discours de certains enseignants. Dès lors, la réflexion porte plus sur les actions de l’autre que sur les actions mêmes de l’enseignant et des changements qu’il peut apporter à cet égard. Dans une telle posture, l’enseignant ne se remet pas en question et semble éprouver de la difficulté à adopter une distanciation par rapport à son agir. Lorsque le participant est à même d’adopter une posture critique par rapport à son agir, il ne semble pas disposer de « langage moral » afin de verbaliser la dimension morale de sa pratique. Ces résultats vont dans le même sens que ceux qu’ont mis en évidence les travaux de Thornberg (2008) et de Thornberg et Oguz (2013) : les enseignants ne disposent pas de métalangage se rapportant à l’éthique professionnelle. C’est pourquoi Sockett et LePage (2002) recommandent que soit favorisée en formation une forme de jurisprudence constituée de cas afin de susciter le développement du jugement professionnel des futurs enseignants.

En Israël, devant l’absence de code d’éthique destiné spécifiquement aux enseignants, Shapira-Lishchinsky (2013) a expérimenté un dispositif de formation à l’intention de 50 stagiaires au secondaire. Ainsi, la chercheuse a recours aux dilemmes éthiques impliquant cette fois un groupe d’enseignants plutôt qu’un seul individu. Elle définit un dilemme éthique, définition qu’elle emprunte à Campbell (2000), à titre de situation problématique qui requiert une décision qui s’avère complexe devant des obligations contradictoires. À cet égard, plusieurs chercheurs soutiennent que le stress en situation ou dans la pratique constitue un obstacle cognitif devant la prise de décision (Bullough, 2011). De ce point de vue, il peut s’avérer difficile pour l’enseignant seul en situation de considérer divers éléments appartenant au contexte et, conséquemment, de convenir de la conduite à adopter. Pour cette raison, la chercheuse propose un dispositif qui prend la forme d’un jeu de rôle, « team-based

simulations », mettant ainsi en lumière le support des collègues dans la résolution d’un

problème éthique en leur permettant de considérer toutes ses dimensions. Plus précisément, ce dispositif permet aux participants de vivre une situation nécessitant une décision éthique dans un environnement « artificiel ». Du point de vue de la chercheuse, d’une part, ce dispositif favorise le transfert des connaissances acquises en formation en proposant un environnement

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proche du milieu de travail. D’autre part, placés en situation, les stagiaires participent à leurs apprentissages de manière plus active.

Ainsi, l’étude de Shapira-Lishchinsky (2013) comportait trois étapes. Dans un premier temps, les participants sont invités à faire parvenir par courriel un incident qu’ils ont eux-mêmes vécu dans leur milieu scolaire respectif à l’un des assistants de recherche. À cet égard, les participants devaient expliquer les moyens utilisés afin de résoudre le dilemme. Dans un deuxième temps, l’assistant retient une problématique qu’il propose pour la simulation. Les rôles requis sont attribués de manière aléatoire aux participants, ceux qui n’en reçoivent pas constituent des observateurs. Dix minutes sont consacrées à la simulation, qui sera filmée, à la suite de laquelle se tient la discussion. Ainsi, à la suite du visionnement des passages nécessaires à la compréhension des enjeux éthiques liés au problème à l’étude, un assistant de recherche anime la discussion, pendant 45 minutes, à l’aide de questions telles que « Can you

share with us one or more ethical dilemmas that arose in the team simulation? ». Une fois les

50 simulations terminées, lesquelles incluent les discussions, la chercheuse a procédé à leur retranscription pour des fins d’analyse. Parmi les 50 dilemmes éthiques rapportés par les participants, 34 ont donné lieu à des solutions s’avérant différentes de celles qui avaient été retenues à l’origine, c’est-à-dire lors de l’événement même. Les résultats suggèrent que ce dispositif, qui favorise la collégialité, permet aux stagiaires de tenir compte de plusieurs dimensions appartenant au contexte telles que les personnes concernées. Dès lors, la chercheuse suggère que soit intégré dans la formation le « team-based simulations » afin de favoriser l’apprentissage en ce qui a trait à la résolution de dilemmes éthiques.

Au Québec, Jutras (2013a) a effectué une imposante analyse de contenu à partir d’une recherche documentaire à propos des dispositifs de formation à l’éthique dans les pratiques professionnelles. Précisons que cette recension inclut tant la formation initiale que continue et concerne les professions d’interactions humaines telles que notamment les médecins, les psychologues, les travailleurs sociaux et les enseignants. À partir de 31 publications ‒ qui rendent compte d’activités pédagogiques ‒ en Amérique du Nord, en Europe, en Israël et en Australie portant sur la formation à l’éthique professionnelle, la chercheuse a dégagé l’orientation que donnent les formateurs à cet objet de formation. Ainsi, la principale

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orientation vise à former des professionnels capables de construire et de résoudre des situations problématiques complexes. Cependant, à cet égard, la recension de la chercheuse lui permet de constater que les auteurs s’entendent pour favoriser en formation l’apprentissage de la démarche de résolution d’un problème donné plus que la solution même. Aussi, en plus d’être aptes à construire le problème en vue de le résoudre, les professionnels doivent être à même de justifier leurs décisions. La formation à l’éthique professionnelle s’avère conséquemment « multidimensionnelle ». À ce titre, elle contribue à développer tant la capacité d’analyse que la sensibilité morale du praticien. En effet, comme le relève la chercheuse, pour être capable de construire et de résoudre une problématique, il faut avant tout être en mesure de la reconnaître. C’est donc dans cette optique que les formateurs ont recours principalement à l’étude de cas, comportant des problématisations éthiques afin de développer la capacité de réflexion des étudiants – notamment des futurs enseignants – ainsi que leur sensibilité à l’autre. Il va sans dire qu’une telle proposition pédagogique soutient qu’il est possible en contexte universitaire de former le caractère.

En outre, bien que tous les dispositifs pédagogiques relevés dans la littérature, tels que l’étude de cas, le journal réflexif, le jeu de rôle et le débat, reposent sur des capacités de communication écrites ou orales, Jutras (2013a) constate un vide entourant la formation à ces deux formes de communication. Enfin, alors que la formation à l’éthique professionnelle se présente souvent à titre de cours distinct, Jutras (2013a) suggère que les considérations éthiques soient traitées de manière transversale en ce sens qu’elles constituent une préoccupation de formation pour tous les formateurs.

L’étude menée par Monfette, Grenier et Gosselin (2015) met en évidence la contribution du stage sur le sentiment d’efficacité personnelle (SEP) de 91 stagiaires en enseignement de l’éducation physique et à la santé à l’égard des 12 compétences professionnelles du référentiel. Le SEP renvoie à ce qu’un individu croit pouvoir faire à partir des aptitudes qu’il possède. Monfette, Grenier et Gosselin (2015) ont fait passer un questionnaire – avant et après la réalisation du stage – à 91 stagiaires de la première à la quatrième année de formation. Parmi eux, 52 effectuaient un stage à l’ordre du secondaire. Les chercheuses souhaitaient mesurer le changement du SEP avant et à la suite de leur stage pour chacune des 12 compétences. De

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manière plus précise, elles souhaitaient mettre en évidence la contribution du stage au développement du SEP à l’égard de ces compétences. Pour ce faire, à l’aide d’une échelle linéaire allant de 0 à 100, les participants devaient estimer pour chacun des 62 items associés aux compétences s’ils croyaient pouvoir faire ce que comportait chaque item. Ainsi, bien que les 91 participants présentent une augmentation de leur SEP en ce qui concerne plusieurs compétences, la compétence éthique appartient à celles ayant connu l’augmentation la moins marquée – avec la compétence liée à la qualité de la langue – tant à l’ordre primaire que secondaire. Toutefois, même si la douzième compétence constitue celle dont l’augmentation du SEP est peu marquée, c’est néanmoins lors du stage, dont la durée est de huit semaines, que cette augmentation est observée. Notons que le secondaire, de manière générale, s’avère l’ordre d’enseignement où les participants ont augmenté leur SEP pour le moins de compétences. Alors que cette étude concerne le « sentiment de compétence » de stagiaires, elle suscite un questionnement sur ce qu’ils mettent en œuvre dans la pratique en lien avec ces compétences, particulièrement, en ce qui nous concerne, au regard de la compétence éthique. En d’autres mots, cette étude suggère notamment que les stagiaires se sentent peu compétents en matière d’éthique professionnelle.

Somme toute, concernant la formation, notre recension suggère que peu de chercheurs se sont intéressés à son apport au développement de l’éthique professionnelle enseignante. Néanmoins, lorsqu’elle constitue un objet d’étude, ce sont les intentions universitaires qui sont examinées. Ainsi, nous rappelons que Mercure (2010) a mis en évidence que peu d’indicateurs en rapport avec le développement de la compétence éthique (CSE, 1990) sont présents dans les plans de cours de certains formateurs universitaires québécois, notamment en psychopédagogie et en formation pratique. Aussi, les résultats du chercheur donnent à penser que les valeurs ne constituent pas l’objet d’un travail réflexif en formation bien que les participants semblent satisfaits de leur formation à l’éthique. En revanche, Belzile (2016) met en évidence le besoin « criant » que les stagiaires, les enseignants associés et les superviseurs de stage soient formés en ce sens. Ce besoin de formation semble similaire au Royaume-Uni alors que l’étude menée par Revell et Arthur (2007) a jeté un éclairage sur les intentions universitaires, lesquelles, cette fois, portent sur la formation des enseignants à l’égard de leur rôle d’agent de socialisation auprès des jeunes. Léger (2006), quant à elle, remet en cause la

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question du sens en formation en amont des codes de conduite et des règles alors que de la réflexion dépend la sensibilité éthique. D’autres chercheurs s’intéressent au développement de la compétence éthique en formation, laquelle peut être soutenue à l’aide de dispositifs spécifiques. Ainsi, à la suite de la mise sur pied d’un programme de maîtrise visant le développement d’une éthique professionnelle, Sockett et LePage (2002) ont mis en évidence que la capacité réflexive constitue un défi pour les enseignants alors qu’ils ne disposent pas de langage pour verbaliser cette dimension de leur pratique. L’étude menée par Shapira- Lishchinsky (2013) met en évidence la contribution des pairs devant la résolution d’un dilemme éthique. Cette étude suggère que la réflexion, à l’aide des pairs, permet de considérer plusieurs dimensions découlant d’un dilemme éthique. La recherche documentaire menée par Jutras (2013a) met en lumière le principal objectif vers lequel tendent les formateurs en contexte universitaire, soit celui de former des professionnels dotés de sensibilité morale, capables de reconnaître et de construire un problème éthique en vue de sa résolution et de sa justification. Enfin, Monfette et al. (2015) ont mis en évidence que le stage, notamment le quatrième, ne permet pas aux stagiaires de l’ordre secondaire de se sentir compétents sur le plan éthique.

1.7 LES CONSTATS QUI JUSTIFIENT LE BESOIN D’UN ÉCLAIRAGE NOUVEAU À