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Chapitre 4 LA VISION, UN MODELE D’ETUDE

4. Visages, fréquences spatiales, et usage de cannabis

Le système endocannabinoïde est impliqué dans de multiples fonctions. Il est notamment très représenté dans le système visuel à ses différents stades. La présence du système endocannabinoïde indique également là où les phytocannabinoïdes (et

particulièrement le Δ9-THC) peuvent altérer son fonctionnement et donc altérer le traitement de l'information visuelle. Ainsi, sur modèles animaux non-humains puis humains, on a pu observer la présence du système endocannabinoïde à différents étapes cruciales de la

perception visuelle le long de la voie rétino-géniculo-striée : la rétine, le thalamus, et le cortex visuel (Schwitzer et al., 2015).

4.1 Système visuel et système endocannabinoïde

4.1.1 Présence du système endocannabinoïde dans la rétine humaine

Les récepteurs endocannabinoïdes CB1 et CB2 sont tous deux présents dans la rétine (CB1 seulement : Porcella, Maxia, Gessa, & Pani, 2000; Wei, Wang, & Wang, 2009). On retrouve aussi les ligands endogènes 2-AG et andandamide dans la rétine, respectivement en forte et plus faible concentration (Chen et al., 2005). Ainsi, dès la rétine, le système

endocannabinoïde peut moduler la neurotransmission. Ce qui signifie aussi que les phytocannabinoïdes pourraient la moduler à ce même stade. Les cannabinoïdes agonistes (comme le Δ9-THC), présents dans la rétine peuvent altérer les courants post-synaptiques des cellules ganglionnaires de la rétine et aussi moduler l'émission de neurotransmetteurs comme le glutamate ( Middleton & Protti, 2011; Colizzi et al., 2016). Puisque la transmission du signal visuel implique le passage par le système endocannabinoïde, un exocannabinoïde pourrait tout à fait venir moduler ce signal dès la rétine (Schwitzer et al., 2015).

4.1.2 Présence du système endocannabinoïde dans le thalamus visuel

Les récepteurs CB1 ont été observés dans le thalamus (Herkenham et al., 1990). Ils sont plus précisément localisés dans les corps genouillés latéraux et le colliculus supérieur (Glass, Faull, & Dragunow, 1997). Ces deux structures sont liées par les connections neuronales avec qui transmettent les informations de la rétine au cortex visuel primaire (Sherman & Guillery, 2002). Chez le rat, des cannabinoïdes agonistes (comme le Δ9-THC) injectés produisent un effet excitateur sur une certaine partie des cellules des corps genouillés latéraux et un effet inhibiteur sur une autre partie (Dasilva, Grieve, Cudeiro, & Rivadulla, 2012). Ces effets étaient modulés par l'activation des récepteurs CB1. Ainsi, un cannabinoïde agoniste (anandamide ou Δ9-THC) pourrait moduler la neurotransmission de l'information partant du thalamus vers le cortex primaire visuel (Schwitzer et al., 2015).

4.1.3 Présence du système endocannabinoïde dans le cortex visuel

Les récepteurs CB1 sont plus présents dans le cortex visuel secondaire (V2) que primaire (V1) chez l’humain (Glass et al., 1997). Lors de l'administration d'un cannabinoïde agoniste chez le singe, Ohiorhenuan et ses collaborateurs (2014) ont observé une diminution globale de l'activité mesurée par EEG, potentiel local de champ mais aussi au niveau de mesures d'activité en V1 et V2. Cela montre bien l'influence du système cannabinoïde au niveau du réseau neuronal (Schwitzer et al., 2015).

Le système endocannabinoïde est ainsi impliqué dans la transmission de l'information visuelle avec, comme présenté précédemment, la possibilité pour un exocannabinoïde de s'y intégrer et de participer alors aussi à la modulation de l'information visuelle.

Plusieurs études sur l'humain ont d'ailleurs rapporté l'effet du cannabis sur le traitement visuel.

4.2 Exocannabinoïdes et impact sur la vision

Une ancienne étude rapportait la faculté qu'acquièrent, en fumant du cannabis, les pêcheurs jamaïcains à travailler dans la pénombre (West, 1991). Ce rapport a été confirmé par l'administration de THC synthétique et par l'inhalation de cannabis adjoint de tabac avec pour effet une hausse de la sensibilité en condition scotopique (Russo, Merzouki, Mesa, Frey, & Bach, 2004). L’indice d’inversion binoculaire de la profondeur (Binocular Depth Inversion, BDI) est une illusion de perception visuelle qui, selon son niveau d’observation, peut indiquer une altération du traitement visuel (Schwitzer et al., 2015). Cet indice est altéré chez les usagers réguliers de cannabis (Semple, Ramsden, & McIntosh, 2003) et immédiatement après prise de cannabis (Emrich et al., 1991) ou de THC synthétique (Leweke, Schneider, Thies, Münte, & Emrich, 1999). Par ailleurs, la prise de Δ9 -THC dans le cadre du traitement de la douleur peut avoir comme effet indésirable une vision troublée (Noyes Jr., Brunk, Avery, & Canter, 1976).

4.2.1 Visages et usage de cannabis

Au niveau comportemental, plusieurs équipes ont relevé des altérations du traitement des expressions faciales émotionnelles chez les usagers de cannabis par rapport à des

participants non-usagers. Les usagers de cannabis montraient un besoin en intensité

émotionnelle plus important (Platt, Kamboj, Morgan, & Curran, 2010) ainsi que des taux de bonnes réponses inférieurs (Hindocha et al., 2014) pour discriminer des expressions

émotionnelles. Après administration de Δ9-THC, donc sous effet immédiat, les participants (non-usagers) montraient une altération de la reconnaissance des expressions faciales émotionnelles (Ballard, Bedi, & Wit, 2012; Bossong et al., 2013; Hindocha et al., 2015).

La reconnaissance d’émotions négatives apparaîssait plus altérée que celles positives (Ballard et al., 2012; Bossong et al., 2013). Les mesures électrophysiologiques aussi

rapportent une altération de l’activité cérébrale lors du traitement d’expressions faciales émotionnelles. Troup et ses collègues (2016), chez des usagers réguliers, ont ainsi observé une altération de la composante P300 qui caractérise le traitement émotionnel. En IRMf et après administration de Δ9-THC, Bossong et ses collègues (2013) ont observé une hyperactivation de l’amygdale principalement en réponse aux stimuli de peur (voir également Spechler et al., 2015).

Ainsi, l’usage de cannabis et le Δ9

-THC impacteraient le traitement émotionnel des visages. Or, le système endocannabinoïde est impliqué dans le traitement émotionnel (Bossong et al., 2013) et dans le système limbique (Pamplona & Takahashi, 2012; étude sur souris : Marsicano et al., 2002). On peut donc se demander si les effets observés portent sur le traitement émotionnel ou bien sur le traitement des visages. D’autant plus que Ballard et ses collègues (2013) n’ont pas observé d’altération du traitement de scènes émotionnelles, alors qu’une altération était présente pour les visages émotionnels.

Très peu d’études existent dans la littérature concernant le traitement des visages non-émotionnels. Nous pouvons toutefois citer Nestor, Roberts, Garavan, et Hester (2008) qui ont testé la reconnaissance de visages après une phase d’apprentissage de ces visages avec leurs noms. Ces auteurs ont observé des performances inférieures chez les usagers de cannabis, en mémoire à court terme et en mémoire à long terme. Les mesures d’IRMf ont aussi relevé une activité moindre pendant la phase d’apprentissage, par rapport aux participants non-usagers.

Plus précisément, cette activité moindre était plus marquée dans l’hémisphère droit, et notamment au niveau du gyrus temporal supérieur, du gyrus frontal supérieur et du gyrus frontal médian. Dans l’hémisphère gauche,la moindre activité était relevée au niveau gyrus frontal supérieur. Selon la théorie d’un traitement visuel supporté par les fréquences spatiales (R. De Valois & K. De Valois, 1990), le traitement des visages serait sous-tendu par le

traitement des fréquences spatiales.

4.2.2 Fréquences spatiales et usage de cannabis

A notre connaissance, très peu d’études ont à ce jour (juillet 2016) été publiées

concernant le traitement des fréquences spatiales chez les usagers de cannabis ou même après administration de Δ9-THC. Toutefois, Böcker et ses collègues (2010), lors d’une tâche

d’attention sélective de grilles (« gratings ») de BFS ou de HFS, ont mis en évidence un effet de la dose administrée de Δ9-THC sur l'amplitude des composantes évoquées SFD80 et un effet d’administration de Δ9-THC pour la P300. La composante SFD-80 serait liée à la

perception des fréquences spatiales (Böcker et al., 2010). Plus la dose de Δ9-THC administrée était importante, plus l’amplitude de SFD-80 était faible et l’amplitude de la P300 était plus faible avec Δ9-THC plutôt que sans.

De plus, Mikulskaya et Martin (2015) ont observé une tendance à l'altération des composantes de potentiels évoqués N2 et P2 et à un effet en P300 lors de la perception du mouvement de points par les usagers précoces de cannabis. L’effet obtenu en P300 montrait une amplitude moins grande par rapport à celle évoquée chez les non-usagers. Les tendances en N2 et P2 allaient aussi dans cette direction. Or, l'information de mouvement est transmise par la voie magnocellulaire qui transporte aussi l'information de BFS (Livingstone & Hubel, 1988). Une altération de la voie magnocellulaire semble donc possible, et pourrait participer à expliquer les résultats précédemment obtenus sur les stimuli de visages.