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Déterminants de cette association entre cannabis et troubles psychotiques….…

Chapitre 2 DOMMAGES LIES A L’USAGE DE CANNABIS ET LEURS DETERMINANTS

3. De l’induction d’un état psychotique à la relation de causalité entre cannabis et

3.2 Déterminants de cette association entre cannabis et troubles psychotiques….…

3.2.1 Quand c’est consommé : impact de l’âge de début de consommation du cannabis

L’adolescence est une période critique pour la maturation cérébrale et il apparaît de plusieurs études que l’usage de cannabis à cette période serait responsable de modifications permanentes de la structure cérébrale (travaux sur animaux : Bossong & Niesink, 2010; Realini, Rubino, & Parolaro, 2009; Rubino & Parolaro, 2008; Schneider, 2008; travaux sur

humains : James, James, & Thwaites, 2013; Lubman, Cheetham, & Yücel, 2015). Dans une revue de littérature d’études en imagerie ainsi que post-mortem de patients usagers de cannabis et atteints de troubles psychotiques (dont schizophrénie), Rapp, Bugra, Riecher-Rössler, Tamagni et Borgwardt (2012) ont mis en évidence des anomalies structurales des régions à forte concentration en récepteur cannabinoïde CB1. A âge adulte, lorsque les participants avaient consommé du cannabis pendant l’adolescence, Ehrenreich et ses collègues (1999) ont pu observer des altérations de la fonction visuelle, dépendante du système endocannabinoïde et qui seraient liées à l’usage de cannabis jeune.

Concernant les troubles psychotiques, de nombreuses études, en comparant un début jeune et un début plus tardif de consommation du cannabis rapportent un lien (Gage et al., 2016). Plus l’âge de début de consommation est jeune, plus l’âge de troubles du spectre schizophrène est jeune (Bagot et al., 2015; Stefanis et al., 2013). Précisant l’âge limite, Ruiz-Veguilla et ses collègues (2013) observent que leurs participants qui avaient consommé du cannabis avant 17 ans et quotidiennement, présentaient plus de symptômes positifs (sévérité sous-clinique) que ceux ayant commencé après 17 ans. Selon Konings et ses collègues (Konings, Henquet, Maharajh, Hutchinson, & Van Os, 2008), des symptômes psychotiques prodromaux étaient aussi plus nombreux chez les patients ayant consommé avant 14 ans et avant 15 ans par rapport à après. Cliniquement, Arseneault et ses collègues (2002) ont trouvé une plus forte association entre l’âge de début de consommation et de trouble

schizophréniforme lorsque cet âge était avant 15 ans plutôt que 18 ans.

Bagot et ses collègues (2015) rappellent que généralement, la première cigarette de cannabis est fumée dans l’adolescence mais aussi que les troubles psychotiques se déclarent à cette période. De fait, il est important de noter que l’importance de l’âge du début de

consommation peut en fait masquer la consommation accumulée qui augmente souvent, par définition au fur et à mesure que les années passent. Corroborant cette hypothèse, Stefanis et ses collègues (2013) et Galvez-Buccollini et ses collègues (2012) ont trouvé un décalage de 7 à 8 ans entre le début de consommation et les premiers troubles du spectre schizophrène, qu’importe la précocité de début des consommations. (Kelley et al., 2016)Allant dans le même sens, Kelley et ses collègues (2016) ont trouvé qu’une augmentation de la

consommation brusque, sur les 5 années pré-morbides était liée à la hausse du risque de trouble psychotique. Une consommation fréquente cumulée à l’âge adulte et non plus

seulement dans l’adolescence, pourrait donc aussi contribuer au lien établi entre cannabis et troubles psychotiques.

Ainsi, le cannabis consommé à l’adolescence semble affecter le développement cérébral, et serait responsable d’anomalies structurales identifiables à âge adulte. L’âge de début de consommation du cannabis impacterait l’âge de début d’une schizophrénie.

Toutefois, la cumulation des consommations, donnée par la durée totale de consommation et leur fréquence et non leur moment de début impacterait aussi le risque de trouble psychotique chronique. Certains auteurs rapportent un laps de temps de 7 à 8 ans entre les premières consommations et les troubles schizophréniformes, quel que soit l’âge de début.

3.2.2 Ce qui est consommé : différentes sortes de cannabis

Un effet de la dose sur le lien entre cannabis et troubles psychotiques a déjà été mis en évidence (Arseneault et al., 2002; Ruiz-Veguilla et al, 2013; van Os et al., 2002; Zammit et al., 2002). Toutefois, les études de population se heurtent à un élément de taille : qu’est ce qui est consommé ? Di Forti et ses collègues (2015) ont montré que la consommation de l’herbe (marijuana ou sinsemilia), fortement chargée en Δ9-THC (Potter, Clark, & Brown, 2008) était corrélée aux premiers épisodes psychotiques (avec un risque relatif de 2,91) mais pas la résine faiblement chargée en Δ9-THC (avec un risque relatif de 0,83). En effet, la résine, qui contient en moyenne une plus grande part de cannabidiol (CBD) ( Potter et al., 2008; Iseger &

Bossong, 2015) par rapport au Δ9-THC aurait un rôle antipsychotique (Englund et al., 2014). Toutefois, l’herbe consommée dans cette étude semble particulièrement puissante en Δ9-THC par rapport à la résine. En moyenne, l’inverse est observé en France avec un taux de Δ9-THC plus fort dans la résine que dans l’herbe (rapport OFDT, 2005). Les taux de CBD pour la France ne sont malheureusement pas disponibles. Morgan et Curran (2008) ont observé que la présence de CBD en plus de Δ9-THC dans les analyses de cheveux d’usagers semblait

corrélée à un risque de symptômes positifs moindre que ceux chez qui on ne détectait que du Δ9

-THC.

Ainsi, on ne peut pas conclure que la résine soit protectrice, cela dépend plus des taux de composition que de la forme consommée.

3.2.3 Par qui c’est consommé : enfance des usagers

Plusieurs auteurs ont relevé l’implication possible des abus et maltraitance (sexuels ou physiques) qui auraient pu avoir lieu dans l’enfance. Généralement, c’est l’interaction des deux facteurs (cannabis et maltraitance) qui augmentait le risque de troubles psychotique. Toutefois, les risques peuvent s’additionner (Harley et al., 2010) et certains auteurs n’observent pas de rôle pour la maltraitance infantile (Kuepper et al., 2011). Le lieu où la personne a grandi interagirait aussi avec le cannabis dans le risque de développer des troubles psychotiques avec un plus grand risque dans un environnement urbain plutôt que rural

(Kuepper et al., 2011)

3.2.4 Par qui c’est consommé : sexe des usagers

Il y a une proportion supérieure d’hommes que de femmes dans les usagers de cannabis, et cela est aussi observable dans notre échantillon. Plusieurs études ont observé la même disparité pour le diagnostic de schizophrénie. Les œstrogènes de la femme auraient un effet antipsychotique et neuroprotecteur (Kulkarni, Gavrilidis, & Worsley, 2016). Malgré cela, De Hert et ses collègues (2011) n’ont pas observé d’impact du sexe sur la relation entre cannabis et schizophrénie. Chez Donoghue et ses collègues (2014) par contre, le sexe participe à l’interaction entre cannabis et schizophrénie en réduisant la disparité sur l’âge de début de la schizophrénie comparativement aux non consommatrices et non usagers. Les femmes consommatrices auraient un début de schizophrénie plus tardif que les non consommatrices.

3.2.5 Par qui c’est consommé : prédisposition génétique

Dans l’étude de suivi de cohorte suédoise réalisée par Manrique-Garcia et ses

collègues (2012) et Zammit et ses collègues (2002), notèrent que le lien associant cannabis et schizophrénie s’estompait au fil des années, après 5 ans. On pourrait donc supposer que les participants vulnérables génétiquement ont déclaré la maladie alors que les autres, sans vulnérabilité génétique ont continué sans déclarer la maladie (Casadio et al., 2011). Plusieurs gènes sont actuellement à l’étude et semblent interagir avec l’usage de cannabis dans

l’augmentation de risque de schizophrénie (Casadio et al., 2011; Parakh & Basu, 2013; Semple, McIntosh, & Lawrie, 2005; Wilkinson et al., 2014).

La présence d’allèles homozygotes Val//Val par rapport à Met//Met pour le gène nommé Catechol-O-Méthyltransférase modulerait l’effet de l’âge de début de consommation du cannabis sur le risque de présenter une schizophrénie (Caspi et al., 2005) avec un risque de 10 fois supérieur (Wilkinson et al., 2014). Les deux versions alléliques de ce gène pourraient toutefois participer à l’augmentation du risque schizophrène (Zammit, et al., 2011). Ce gène serait, pour Estrada et ses collègues (2011) non pas associé au risque de schizophrénie mais à une modulation de l’âge de début de la schizophrénie.

Le gène AKT1 et sa composition allélique est aussi très étudié. Les usagers quotidiens de cannabis avec un génotype C//C auraient un risque plus important de troubles psychotiques que les génotypes T//T et que les génotypes C//C mais sans cannabis (Di Forti et al., 2012).

Ces deux gènes ne sont certainement pas les seuls à interagir avec le lien cannabis-troubles psychotiques et l’étude d’autres gènes est en développement (Parakh & Basu, 2013; Veling, 2008; Wilkinson et al., 2014).

Tous ces facteurs peuvent avoir participé à la présence du lien entre usage de cannabis et troubles psychotiques, et certains interagissent entre eux pour un impact encore supérieur sur le risque de développer un trouble psychotique. Aussi, plusieurs études ont cherché si ce lien est uniquement corrélationnel ou s’il s’agit d’un lien causal. Comme noté plus tôt, le cannabis n’est de toute façon ni suffisant ni nécessaire pour déclencher un trouble psychotique chronique.