• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 DOMMAGES LIES A L’USAGE DE CANNABIS ET LEURS DETERMINANTS

3. De l’induction d’un état psychotique à la relation de causalité entre cannabis et

3.1 Etude du rôle du cannabis : des symptômes psychotiques aux

3.1.1 Cannabis et symptômes psychotiques pendant l’intoxication

L’usage de cannabis génère un état mental particulier. Cet état peut comporter des symptômes psychotiques. Deux équipes ont montré que l’administration orale (Koethe et al., 2006) et intraveineuse (Morrison et al., 2009) de Δ9-THC synthétique chez des participants sains pouvait induire un état psychotique. Etat que Koethe et ses collègues (2006) ont trouvé semblable à celui présenté par les patients atteints de schizophrénie et en phase prodromale de premier épisode psychotique, mesurés par l’échelle d’inversion binoculaire de la profondeur, utilisée habituellement pour évaluer un trouble psychotique. Sur échelles psychiatriques, l’état des participants de Koethe et ses collègues (2006) ne différait pas de celui rencontré en

premier épisode psychotique. Après l’injection de Δ9-THC, D’Souza et ses collègues (2004), ont observé des altérations des fonctions cognitives ainsi que des manifestations cliniques similaires aux symptômes positifs et négatifs de la schizophrénie. La revue de Bossong, Jansma, Bhattacharyya et Ramsey (2014) rapporte aussi des effets cognitifs comparables à ceux présents dans la schizophrénie. Les auteurs soulignent que certaines études n’ont pas observé ces altérations cognitives et que cela s’expliquerait par la réalisation de tâches simples, trop peu demandantes en ressources cognitives (Bossong et al., 2014).

Des altérations psychophysiologiques, après inhalation de Δ9-THC (Roser et al., 2008) ou injection de Δ9-THC (D’Souza et al., 2012) sont aussi observables par une amplitude plus faible de la composante P300, évoquée par l’orientation de l’attention. Cette altération est dépendante de la dose administrée (D’Souza et al., 2012) et comprable à celle présentée par les patients atteints de schizophrénie (selonWilkinson et al., 2014).

Hors laboratoire, les usagers rapportent aussi, pour 20 à 50 % d’entre eux, une désorganisation psychique, des hallucinations et des troubles de l’attention et de la mémoire après une prise (témoignages d'usagers « Erowid.org », s. d.; Green, Kavanagh, & Young, 2003; Wilkinson et al., 2014). Outre le Δ9-THC, il faut maintenant prendre en compte les nouveaux produits du marché s’en inspirant. Ainsi, le « Spice » ou K2, composé synthétique de cannabinoïdes a une affinité plus forte avec les récepteurs CB1 que le Δ9-THC mais avec une moindre détectabilité, ce qui le rend intéressant pour les usagers (Wilkinson et al., 2014). Ce nouveau produit semble aussi pouvoir être responsable de manifestations psychotiques après l’intoxication (Spaderna, Addy, & D’Souza, 2013; Tai & Fantegrossi, 2014).

Ainsi, les différentes formes de THC testées semblent avoir des effets

psychotomimétiques comparables à la sémiologie des troubles psychotiques et qui sont limités, dans les études précitées, à entre 2 et 4 heures après l’administration des

exocannabinoïdes (D’Souza et al., 2004). Chez certains individus, ces manifestations durent plus longtemps.

3.1.2 Cannabis et manifestations psychotiques brèves, persistantes après l’intoxication

Les études relèvent un lien entre usage de cannabis et symptômes psychotiques, au-delà de la période d’intoxication, ne suffisant pas à s’organiser en syndrome, ou sur une période inférieure à un mois donc surtout non chronique (Fergusson, Horwood, & Ridder, 2005; Kuepper et al., 2011). Suite à une prise importante par exemple, les usagers de cannabis peuvent souffrir d’épisodes psychotiques brefs (plusieurs études de cas rapportées par

Wilkinson et al., 2014).

Sans diagnostic d’épisode psychotique, des expériences psychotiques peuvent tout de même être observées chez les patients jusque 18 mois (Wiles et al., 2005; cités par (Gage et al., 2016) ou 42 mois après une consommation (Henquet et al., 2005; cités par Gage et al., 2016). Il a même été observé que l’usage de cannabis à 16 ans serait corrélé avec la présence de symptômes psychotiques à 18 ans (Gage et al., 2014). Toutefois, dans cette étude et celle de Wiles et ses collègues, le contrôle des facteurs confondus comme la consommation

tabagique et d’autres drogues, anéantissent le lien entre cannabis et symptômes psychotiques. L’étude de Kuepper et ses collègues (2011) sur la cohorte allemande EDSP montre que les participants ayant commencé l’usage de cannabis pendant le suivi et après ajustements de

facteurs comme l’usage d’autres drogues, avaient un risque relatif rapporté de 1,9 de présenter des manifestations psychotiques. Fergusson et ses collègues (2005) relèvent eux jusqu’à 1,8 fois plus de symptômes psychotiques chez les usagers quotidiens que chez les non-usagers, et ce après ajustement de facteurs covariants. Concernant ces symptômes psychotiques, un effet de dose (Fergusson et al., 2005; Schubart et al., 2010; Semple et al., 2005) ainsi que d’âge de début de consommation (avant ou après 12 ans, Schubart et al., 2010) ont été observés. Ils étaient respectivement plus marqués pour les symptômes négatifs et positifs. Rounsaville (2007) souligne la difficulté à discriminer les troubles psychotiques dus à une substance des troubles psychotiques chroniques. De manière intéressante, la causalité inversée semble ne pas être une explication plausible au lien entre cannabis et manifestations psychotiques puisque, chez Kuepper et ses collègues (2011), la présence de symptômes psychotiques ne prédisait pas un usage de cannabis lors du suivi ultérieur.

L’usage de cannabis diminue avec l’âge (Leeson, Harrison, Ron, Barnes, & Joyce, 2012). Schimmelmann et ses collègues (2011) ainsi que Baeza et ses collègues (2009) ont relevé que, respectivement 54,7 % et 11,5 % des adolescents usagers de cannabis diminuent ou arrêtent leurs prises après un premier épisode psychotique. Ce phénomène peut être du à la frayeur que cet épisode aura provoqué chez les usagers ou à la simple observation que

l’intérêt pour le cannabis puisse décroitre après l’adolescence (Bechtold, Simpson, White, & Pardini, 2015). Toutefois, pour ceux qui maintiennent une consommation régulière, l’épisode psychotique transitoire peut se transformer en trouble psychotique chronique (Kuepper et al., 2011). Ainsi, l’épisode psychotique, de durée limitée semble parfois être considéré comme la phase prodromale d’une maladie psychotique chronique, comme la schizophrénie (Bagot, Milin, & Kaminer, 2015; Chiliza, Oosthuizen, & Emsely, 2008; Leeson et al., 2012). L’usage de cannabis, comparativement aux non-usagers avancerait l’âge d’apparition de ce premier épisode psychotique, prédisant la schizophrénie (Donoghue et al., 2014). Les troubles psychotiques rapportés ci-dessus peuvent provenir de diagnostics erronés et/ou retardés de schizophrénie, de phases prodromales ou montrer qu’un lien existe effectivement entre schizophrénie et cannabis. Toutefois, selon les études existantes, un lien entre consommation de cannabis et troubles psychotiques est présent. Est-il maintenu à plus longue échéance, quand le trouble étudié devient chronique ?

3.1.3 Cannabis et troubles psychotiques chroniques, distancés de