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Partie III  : Réflexion, analyse et critique de la recherche

F. La violence dans le sport

Le « […] degré de monopolisation de la violence physique […] » (Élias, 1976, 5) par l’organisation étatique dans notre société moderne, notamment à travers le sport, permettrait un contrôle et une euphémisation de la violence. Ainsi, nous pourrions penser qu’un des objectifs de la prise en charge par le sport pour les mineurs délinquants serait justement d’arriver à contrôler ces comportements déviants tout ceci afin qu’ils assimilent les normes et code sociaux.

Mais, ce n’est pas ce que nous avons pu relever car la violence exprimée par les jeunes dans le sport n’apparaît ni comme un élément intrinsèque à la pratique, ni comme des actes délibérément codifiés et normés susceptibles d’être acceptés au regard des normes sociales. En effet, les adolescents s’adonnent à des comportements violents sous plusieurs formes que le sport aurait tendance plutôt qu’à contrôler, à amplifier. Ainsi, les activités sportives « […] forment une bonne

occasion de bagarre et échouent à clairement identifier les bénéfices d’une pratique organisée par les clubs et les structures » (Roché, op.cit. 106). Ceci est

une des limites incontestable du sport dans la prise en charge des mineurs délinquants car, comme nous allons le développer, il favorise nettement la violence, qu’elle soit verbale, physique ou symbolique.

a. La violence verbale dans le sport

La violence verbale, qu’elle soit destinée à soi ou aux autres est très fréquemment employée au cours de la pratique sportive. C’est ce que nous avons pu vérifier avec l’emploi d’un vocabulaire très familier voir vulgaire, le mot « bâtard » en première

Partie 3 chapitre II : les enjeux et les limites du sport dans la prise en charge des jeunes en conflit avec la loi

Effectivement, l’utilisation de cette forme de langage est très souvent, si ce n’est tout le temps lié à une frustration occasionnée directement. En ce sens nous pourrions qualifier cette violence d’hostile dont le seul but est de porter préjudice à l’autre, forme de violence qui regroupe la majorité de ces jeunes délinquants. D’une autre manière, la violence verbale peut aussi provenir des personnes qui encadrent ces jeunes, en particulier au cours de compétitions sportives comme nous l’indique le professionnel du sport :

« J’ai déjà vu ça, des discours plutôt violents etc. […] on les prépare à se confronter aux autres. » (Extrait de l’entretien avec Erwan, professeur technique STAPS)

En ce sens, la parole des professionnels peut être un élément déclencheur de la violence chez les jeunes, notamment sous sa forme instrumentale agissant comme un « ethos de guerre » (Élias, op.cit. 6). Celle-ci se caractérise par la volonté de nuire à autrui, mais dans un but bien précis lié à l’activité physique.

« […] ça rime avec violence quand on y amène des discours violents et qu’on amène dans la violence dans l’outil quoi. C’est à dire qu’à un moment donné si éducativement on amène ça comme il faut écraser l’autre, il faut gagner à tout prix, il faut… bah oui effectivement ça devient violent. Mais on le voit au bord des terrains, je parle plus du sport co, mais même dans des sports individuels etc. » (Extrait de l’entretien avec Erwan, professeur technique STAPS)

À travers l’interprétation du discours des professionnels prêts à tout pour gagner, les jeunes expriment alors une autre forme de violence, l’agressivité physique envers leurs adversaires tout ceci dans le but d’accomplir l’objectif sportif. De plus, ces adolescents sont très souvent auteurs de violence physique qui agit comme conséquence à la frustration engendrée dans la pratique.

b. L’agressivité physique développée au cours de la pratique sportive

« la pratique du sport ou le spectacle du sport sont l’occasion d’exercice de la

violence. Les esprits et les corps sont échauffés, les motifs de discorde ne manquent pas (résultats sportif, arbitrage discuté…), l’effet de groupe et la logique d’honneur jouent probablement aussi » (Roché, op.cit. 106).

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Ainsi, la violence physique des jeunes délinquants dans le sport se matérialise de 2 façons différentes. En effet, elle s’exprime de façon instrumentale, forme de violence « […] dont le but est d’obtenir un avantage technico-tactique […] » (Gasparini et Dame Loum, op.cit. 56), mais elle peut aussi être hostile s’inscrivant « […] dans une stratégie intentionnelle de la part du sportif […] dont

le but est d’infliger un dommage à l’adversaire ou à l’arbitre » (Gasparini et Dame

Loum, op.cit. 55-56). En ce sens, le sport est une activité qui participe largement à l’expression de cette agressivité par la contrainte des règles ou par les enjeux qu’elle occasionne particulièrement au cours de compétitions sportives.

« […] moi j’appréhendais beaucoup quand même ouais. c’est violent. » (Extrait de l’entretien avec Jean, jeune accueilli à l’EPEI)

De plus, cette violence physique dans le sport est associée à une volonté de reconnaissance des autres et à « la passion d’être égal » (Gasparini et Dame Loum,

op.cit. 56) pour reprendre l’expression d’Alain Ehrenberg, dans la quête d’un

supplément d’identité des jeunes délinquants que la société stigmatise.

Ainsi, cette forme d’agressivité est souvent associée à la violence symbolique que s’infligent les jeunes dans leur quotidien. En effet, bien que la pratique puisse engendrer des frustrations, c’est quotidiennement que les jeunes se montrent violents envers eux-mêmes. Cela est à mettre en lien avec certaines de leurs caractéristiques, la mauvaise estime qu’ils ont d’eux mêmes, la faible reconnaissance de leurs pairs ou leurs conduites addictives très poussées par exemple. Alors, le sport jouerait le rôle de libérateur de tensions. Mais nous l’avons constaté aussi, dans certains cas il accroît cette forme de violence symbolique chez les mineurs en conflit avec la loi.

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c. La violence symbolique, une caractéristique spécifique des mineurs délinquants identifiée au cours des temps sportifs

Cette forme de violence est constatée au cours de la pratique des jeunes, car en effet, « […] le sport se présente comme le corps symbolique dont use une société

pour parler de ses espoirs, de ses fantasmes et de ses peurs » (Pociello, op.cit. 22).

Ainsi, cette forme de violence peut être rapprochée du contenu des séances. Effectivement, lorsqu’elles demandent une trop forte concentration ou une technicité trop pointue cela relègue automatiquement les jeunes dans des positions inférieures de dénigrement (de la pratique ou de la personne qu’ils sont) et de frustration. C’est la forme de violence la plus illustrée chez ces adolescents délinquants, qu’ils ne reconnaissent d’ailleurs pas en tant que telle car nous le savons bien, « […] la domination des uns sur les autres est garantie par le

sentiment chez les dominés qu’elle est légitime, qu’elle est partie prenante d’un ordre qui est en même temps un ordre de valeurs » (Gasparini et Dame Loum, op.cit. 54).

En ce sens même, nous pouvons rajouter qu’il s’agit d’une jeunesse pleine d’illusions relatives au capital qu’elle pense détenir qu’il soit social, symbolique, guerrier ou même parfois économique. Ceci est d’autant plus vrai lorsque nous parlons de niveau de pratique sportive, ce qui dénote bien l’écart qu’il y a entre la réalité et leurs ambitions provoquant alors frustration et violence symbolique.

« […] souvent ils sont dans l’illusion cognitive, ils pensent beaucoup de choses qui sont fausses. Ils pensent avoir un niveau qu’ils n’ont pas, ils pensent ne pas avoir un niveau qu’ils ont […] » (Extrait de l’entretien avec Maxime, professeur technique STAPS)

De plus, la compétition dans le sport suscite un rapport et une comparaison aux autres qui peuvent parfois être très mal vécus particulièrement pour les jeunes les plus émotifs. Par la peur et la crainte, ils se retrouvent dans une posture violente dont le seul but est de se protéger.

« […] moi je me rappelle avoir accompagné des gamins, on courait à coté d’eux pour qu’ils aillent au bout quoi, fallait voir ce qu’on faisait. Et qu’à coté de ça y’avait des athlètes dans

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d’autres équipes, ça fout la haine et aux collègues, enfin et aux pros mais ça fout aussi la haine aux jeunes. » (Extrait de l’entretien avec Marie, responsable de l’UEAJ)

Ainsi, la violence favorisée par la pratique sportive est un élément qui nuance bien cette idée selon laquelle le sport serait vertueux pour les personnes en difficulté sociale, notamment les jeunes pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse. Nous le convenons bien, l’activité physique peut même entraîner une stigmatisation encore plus forte de la société envers cette jeunesse qui manque cruellement de repères. Dans ce cadre là, cela ne permet pas d’entreprendre ce processus d’intégration sociale qui vise le retour vers les institutions de droit commun des mineurs pris en charge.