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Partie III  : Réflexion, analyse et critique de la recherche

B. Prise de conscience à travers la pratique sportive

Comme beaucoup d’adolescents, ces jeunes sont en manque de confiance et de repères, l’adolescence étant considérée comme une période de changements forts, notamment sur l’aspect physique mais aussi à un niveau psychologique, ce qui les relègue souvent dans des situations d’exclusion et de non acceptation de la personne qu’ils représentent. Ainsi, nous pouvons relever deux aspects que la pratique sportive peut tendre à faire évoluer, les rendant donc sûrement moins vulnérables, à savoir le rapport qu’ils ont avec leur corps et l’image qu’ils peuvent renvoyer aux autres, autant que leur santé à proprement parler.

a. Rapport au corps et aux autres

Très certainement le grand complexe de l'adolescence, le rapport au corps et ce qu’il produit sur les autres est un des points travaillés sensiblement au cours de la pratique sportive, notamment à travers des séances de musculation. Effectivement, il s’agit au delà de leur faire prendre conscience de leur situation, de les amener dans une démarche de changement par des encouragements et des

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conseils car « […] le sport contribue à la construction individuelle par la

multiplication des expériences, laquelle favorise l’apprentissage de la négociation avec les autres et permet d’expérimenter ses propres limites » (Mignon, 2000, 18).

Dans ce cadre, les jeunes se découvrent des possibilités motrices leur permettant une meilleure appropriation de leur corps, ce qui favorise le contact avec les autres.

Nous pensons justifié de mentionner ce point qu’est le rapport au corps et aux autres, car bien que notre travail se base sur quelques jeunes adolescents n’ayant aucunes difficultés liées au statut pondéral, cela n’est pas toujours le cas. En effet, d’après l’étude qu’ont menée Marie Choquet, Sylvie Ledoux, Christine Hassler et Catherine Paré en 1997 sur des jeunes pris en charge par la PJJ, un bon nombre avaient une perception négative de leur poids, avec une insatisfaction nettement plus marquée chez les filles puisque 34% d’entre elles se considéraient grosses et 11% se considéraient maigres. Ainsi, afin de palier à cette image dépréciée que les jeunes renvoient, le sport est utilisé, tout comme cela pourrait l’être pour d’autres adolescents ayant une faible estime d’eux mêmes, dans une démarche de prévention très en lien avec leur santé.

Bien que nous n’ayons pas rencontré de jeunes pris en charge par la PJJ complexés par leur apparence physique, nous avons eu l’occasion de participer à une séance sportive dirigée par le professeur technique de l’UEAJ pendant laquelle 2 adolescentes issues de la protection de l’enfance participaient. Une d’elles était très complexée par son corps et avait peur du regard des autres. Elle nous a d’ailleurs expliqué assister à ces séances de sport en grande partie pour résoudre ce problème, comme beaucoup d’autres jeunes car en effet, « la

motivation hygiénique reste au fondement de leurs engagements psychiques et fonctionnels dans ces types d’activité » (Pociello, 1996, 23).

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b. Lien à la santé

« Thème banal de conversation, la recherche de la « forme » est devenue une

donnée culturelle de notre temps. […] La « forme » désigne cet état de disponibilité corporelle et de bien-être psychique très recherché, et souligne la double dimension - hygiénique et esthétique - du terme » (Pociello, op.cit. 26).

Dans cette logique, la santé est définit comme « […] un capital corporel et

psychique personnel […] » (Pociello, op.cit. 26) dont le sport est un élément clef à

son maintien.

Ainsi, pour exemple, nous avons remarqué que les troubles du sommeil sont fréquents à l’adolescence. Cependant ces perturbations chroniques peuvent être améliorées par la pratique sportive. En effet, c’est bien ce que nous relève un professionnel du foyer, nous indiquant une meilleure capacité d’endormissement chez ces jeunes après avoir fait du sport.

« Le soccer si c’est pas l’après-midi c’est aussi volontaire, le soir c’est bien très tôt dans la soirée comme ça après on a le temps de se doucher, ça a le temps de redescendre et puis ouais c’est plus facile après, c’est plus tranquille. Y’a des vertus aussi pour l’endormissement, pas tout de suite on sait que ça énerve mais y’a un moment donné après où tu vois 2, 3 heures après c’est peut-être un peu plus facile pour eux […]. » (Extrait de l’entretien avec Mathias, éducateur au foyer)

En ce sens, la fonction sanitaire du sport (Defrance, 1995) est très souvent mise en avant, certainement car ce sont des jeunes ayant de grosses défaillances dans ce domaine. Effectivement, pendant notre temps d’observation nous avons rencontré des jeunes ayant des problèmes dentaires sévères mais surtout une tendance à la poly-consommation de drogues très fréquente.

« Parce que du coup moi je suis clair avec toi, si je fais pas sport c’est le pétard. Mais si je fais sport y’a pas de pétard. » (extrait de l’entretien avec Momo, jeune accueilli à l’EPEI)

Dans ce cadre, le sport joue le rôle de substitut partiel à la drogue par les effets qu’il procure liés à la sécrétion d’endorphine, appelée « hormone du plaisir », notamment au cours de la pratique de sports à risque « car ce qui attire désormais

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extrême. Ce jeu d’équilibre instable entre la vie et la mort trouve son sens dans le surinvestissement des limites perdues » (Pociello, op.cit. 33). Ainsi, les jeunes

pratiquants contrôlent mieux leur dépendance et donc nécessairement leur hygiène de vie et leur maitrise d’eux-mêmes, ceci étant favorisé par « […] une

intériorisation de normes morales et corporelles de la société française » (Mignon, op.cit. 19). De plus, bien qu’un réel intérêt est porté à la pratique sportive pour

des aspects de santé ou d’estime de soi, il s’agit là de caractéristiques globales que nous pouvons retrouver chez nombre d’adolescents. Voici ce qui fait une des spécificités du sport pour une partie des jeunes pris en charge par la justice.

c. À la recherche d’un « capital guerrier » (Sauvadet, 2005) pour un capital social

L’aspect physique du jeune est un élément important, si ce n’est primordial à sa survie ou du moins à son acceptation dans son milieu de référence, c’est à dire son appartenance sociale qui apparaît comme élément fondateur d’une intégration réussie.

En effet, au delà du fait que la pratique sportive permette au jeune de se « sculpter un corps » et ainsi s’affirmer en tant que mâle par l’attrait physique (nous parlons alors de « capital physique »), elle est pour certains d’entre eux une nécessité. Par sport, nous n’entendons bien évidemment pas la pratique codifiée que nous pouvons retrouver en club, ou bien même celle plus informelle dans la rue. Ici, le sport est fait de capacités cognitives, physiques et mentales tout comme d’une discipline morale, de l’outillage de la violence et du vice, permettant aux jeunes de s’en sortir.

En ce sens, il est à mettre en lien avec la recherche de « capital guerrier » que Thomas Sauvadet (2005) avait développée auprès de jeunes de cité. L’entretien avec Momo, un jeune accueilli à l’EPEI, nous décrit clairement cette fonctionnalité du sport basée sur l’auto-défense, la rapidité et l’agilité :

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coup je vivais une vie, des mois en sport, en forêt. […] Donc pour moi je faisais du sport continuellement. »

Plus qu’un outil au service de compétences nécessaires à la vie en société, il s’agit ici de compétences indispensables pour ne serait ce que penser à demain. C’est ainsi que pour un grand nombre de jeunes pris en charge par les services de la PJJ, le sport est devenu un atout et fait partie intégrante de leur vie, comme nous avons pu le constater au cours des observations, où leur niveau de pratique est très souvent meilleur que celui des autres jeunes n’ayant pas le même parcours de vie.

Mais, bien que cette utilisation du sport est à mettre en lien avec le « capital guerrier » de Thomas Sauvadet, il reste néanmoins que cette forme de pratique physique n’inclus pas un élément essentiel à celui-ci : les alliances dans le groupe. En effet, « […] la force du nombre est le premier mode de capitalisation du «

capital guerrier » » (Sauvadet, 2005, 118). C’est alors ce que les jeunes peuvent

retrouver et mettre en avant lors de séances sportives dans le cadre de leur prise en charge. En effet, celle-ci leur permet d’acquérir une certaine forme de « capital social » par l’interconnaissance des personnes formant le groupe sportif et, de cette façon, engendre des alliances. De plus, nous avons constaté que le sport les incitait à se dépasser, non pas cette fois pour survivre ou échapper à l’horreur, mais bien pour être valorisés et estimés dans une société qui les rejette.

C. De la valorisation à l’autonomisation des jeunes au cours des séances sportives

Bien que le sport soit utilisé à des fins de remise en forme, psychologique ou physique, son utilisation au sein de structures accueillant des jeunes délinquants se justifie aussi par l’impact qu’il peut avoir sur la valorisation de ces adolescents très souvent tenus en échec dans les institutions de droit commun (en particulier l’école). C’est donc dans ce cadre là qu’une pédagogie de la réussite s’installe au cours des séances sportives. Dans une même mesure, nous constatons que ces séances sont très souvent personnalisées et individualisées, et l’objectif très clairement recherché est l’acquisition d’une autonomie de pratique chez ces individus n’ayant qu’une très faible estime d’eux mêmes.

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a. Valorisation du jeune à travers la pratique sportive

Les professionnels de la PJJ, notamment ceux en lien avec la pratique sportive ne cessent de mettre en avant les jeunes. Effectivement, ils les encouragent et les accompagnent dans leur évolution. C’est donc par des séances sportives le plus individualisées possible que le professionnel engage un travail sur la valorisation et l’estime de soi. Il fait en sorte, par des séances parfois très généralistes et des consignes simplifiées de mettre les jeunes en situation de réussite malgré parfois le faible niveau de pratique.

Aussi, il ne donne aucun objectif spécifique à la séance, qui se prend séance par séance comme il nous l’explique bien au cours de l’entretien, si ce n’est arriver à fidéliser les jeunes sur toute la durée de l’entraînement ce qui n’est pas une mince affaire avec ces adolescents caractérisés de volatiles.

Enfin, il n’hésite pas à s’armer d’outils, comme la musique par exemple, qui permettent aux jeunes de se motiver et de s’investir dans les séances. C’est donc dans cet esprit que les adolescents pris en charge se sentent valorisés, par leur réussite et le discours des éducateurs, et peuvent dans certains cas se projeter vers une autonomie, d’abord partielle qui peut se transformer en autonomie totale lors de la pratique sportive.

b. Acquérir une certaine autonomie dans les séances sportives

L’autonomie chez ces jeunes est appréhendée en sport sous l’angle de la prise de décision. Cette forme d’autonomie, que nous pouvons nommer « […] l’autonomie «

décisionnelle » » (Duret, op.cit. 109), revêt comme principes au cours de la

pratique une certaine liberté quant au choix du sport et à l’investissement qu’ils souhaitent mettre dedans.

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notable. C’est alors ce qu’essaye de corriger le professionnel du sport en leur offrant la possibilité de choisir le sport qu’ils souhaitent pratiquer, ceci dans une démarche d’apprentissage à la prise de décisions qu’il est nécessaire de concevoir dans l’optique d’une autonomie totale.

De plus, il leur accorde une grande confiance au cours de la pratique dans le but de les valoriser et de les laisser résoudre des problèmes d’ordre organisationnel. Cela se note clairement au cours des séances de musculation où les jeunes, lorsque le professionnel sent assez d’investissement et de connaissances dans la pratique, sont libres de concevoir leur séquence d’entraînement en choisissant les groupes musculaires qu’ils souhaitent travailler. Bien évidemment le professionnel est toujours présent pour leur donner des conseils ou pour les orienter en cas de besoin, mais les jeunes restent seuls maîtres de leur pratique. Cela les entraîne à s’investir davantage et sur du plus long terme. D’ailleurs, nous constatons que « les

adolescents les plus autonomes du point de vue décisionnel sont ceux qui considèrent le sport comme leur premier loisir, ceux qui ont le plus d’ancienneté dans sa pratique, avec des fréquences les plus soutenues » (Duret, op.cit. 113).

Ainsi, se développe un véritable projet par la pratique sportive, projet qui s’installe dans la prise en charge du jeune et permet de valoriser son projet plus global, d’ensemble, encourageant son intégration. De plus, ce projet peut se développer par l’équilibre qu’offre la pratique sportive sur le rythme des jeunes, aspect que nous allons développer ensuite.

c. Pour un équilibre de vie

En effet, ces jeunes n’ont ni repères ni la notion du temps. Avant d’être pris en charge par la PJJ, c’était des jeunes errant la nuit dans la rue, n’allant plus à l’école et se couchant à des heures ou d’autres se lèvent. Il s’agit alors de faire un gros travail sur leur rythme de vie actuel, afin de les amener à vivre aux mêmes heures que les autres. Bien que ce travail soit en partie mis en oeuvre par les éducateurs du foyer lorsque le jeune est accueilli au foyer, il peut aussi être abordé en lien avec la pratique sportive. Effectivement, nous avons pu remarquer que très

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souvent les séances de sport sont situées le matin entre les deux repas ou le soir avant de dîner.

« […] le repérage dans le temps, c’est le rythme le fait que ce soit tous les lundis ou tous les jeudis c’est important pour eux qui souvent avant d’arriver là n’avaient plus de rythme, la plupart disait ah bah non moi je me couche à 5 heures du matin, le matin je dormais jusqu’à 3 heures 4 heures de l’après midi. Donc c’est plus repérer, pouvoir se repérer dans l’espace et dans le temps ça c’est indispensable pour nos jeunes, quand ils ont perdu les repères là quand les parents sont plus là pour leur dire ce qu’il faut faire, mais nous on a ça hop le lundi y’a ça, le jeudi y’a équitation ou boxe, le vendredi y’a équitation je veux dire, et le jeudi y’a boxe. Donc y’a ces temps là qui sont repérés et pour juste qu’ils aient leur rythme, leur rythme. Au delà du sport c’est le rythme je trouve c’est important tu vois pour les jeunes. » (Extrait de l’entretien avec Mathias, éducateur au foyer)

De plus, un travail de réveil musculaire est très souvent amorcé afin de permettre aux jeunes, tous en tenue, de se familiariser avec la séance à venir et s’investir davantage au fur et à mesure de l’avancée de la pratique. Au même titre que d’autres activités, le jeune doit se lever, se préparer en conséquence afin d'y prendre part, c’est ce que nous explique un extrait de l’entretien avec Jean, jeune accueilli à l’EPEI :

« […] c’est pour te remettre un train, un petit train de vie tu vois. Pas rester là à rien faire. Le sport c’est bon et autrement ouais, même retrouver tu sais un rythme de travail. »

Ainsi, le sport est utilisé comme support à l’accompagnement pédagogique permettant un premier lien adulte-jeune, un travail sur le versant santé tout comme la reconnaissance et l’autonomisation de ces mineurs. Il s’inscrit donc dans une démarche plus globale qui vise à leur évolution dans les différentes activités éducatives proposées qui, ensembles, sont susceptibles d’envisager un projet aux dimensions multiples.