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Partie III  : Réflexion, analyse et critique de la recherche

III. Les différentes configurations du sport à la PJJ

III.Les différentes configurations du sport à la PJJ

Par les données recueillies au cours de notre enquête ethnographique, nous avons distingué différentes configurations usuelles de la pratique sportive au sein de la protection judiciaire de la jeunesse. Effectivement, à la base utilisé comme outil éducatif dans la prise en charge des jeunes, le sport est aussi associé à bien d’autres enjeux qui font de son utilisation un sujet attractif qu’il faut sans cesse argumenter et discuter. Ainsi, comme perspective éducative, la pratique physique peut aussi être employée à des fins politiques. De plus, le sport est très souvent un outil permettant d’occuper les jeunes. Il est alors vécu comme une finalité, dont l’objectif est sportif et non social, que nous retrouvons notamment à travers son caractère évènementiel.

Voici ces différentes configurations du sport à la PJJ que nous avons relevées au cours de notre recherche.

1. Le spectacle sportif, une vitrine politique

Comme William Gasparini dans son ouvrage Le sport dans les quartiers (2008), nous avons pu relever dans cette recherche que le sport reste un outil politique puissant notamment à travers les manifestations nationales sportives à destination de mineurs délinquants pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse. Effectivement, très connoté aux yeux de la société qui voit en lui un moyen exceptionnel d’éducation, le sport est alors perçu comme un remède miracle, comme un outil favorisant l’insertion des jeunes.

En cela, le premier emploi du sport politisé au sein de la protection judiciaire de la jeunesse est mis en relation avec les fonctions et les objectifs que nous lui accordons au sein des textes officiels. C’est bien le premier aspect qui nous a marqué lorsque nous avons débuté cette recherche. En effet, l’utilisation du mot « insertion sociale et professionnelle » nous a tout de suite questionné lorsqu’il s’agit de qualifier les activités de jour dont le sport fait partie. Parce que l’insertion,

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l’individu auquel nous ajoutons un élément nouveau, garde son identité tout ceci dans le but de s’intégrer au mieux dans un groupe social. Ainsi, les jeunes développeraient leur « capital guerrier » où « […] la valeur physique permet

souvent à ces derniers de transformer « l’indignité » en « fierté » à l’intérieur du champ de l’échec scolaire » (Gasparini et Dame Loum, op.cit. 61). Hors d’après nos

observations, le sport pour les mineurs délinquants relève d’une toute autre mesure. Parler de remobilisation, peut-être de facteur favorisant l’intégration sociale nous parait plus approprié lorsqu’il s’agit de qualifier la pratique physique pour les mineurs sous main de justice.

Effectivement, le sport peut avoir tendance à contraindre, notion développée dans un précédent chapitre. En ce sens, la contrainte ne permet pas à l’individu de maintenir son identité, aspect que nous avons pu relever au cours des journées de sélection au challenge Michelet où il était demandé à ces jeunes, qui ont pour caractéristique première un comportement déviant les normes, de garder une attitude que nous pourrions qualifier de satisfaisante aux yeux de la société.

Nous ne voyons bien, l’insertion reste une catégorie sociale et politique floue, très souvent mise en lien avec le travail. En ce sens, nous parlons d’insertion professionnelle, expression très largement mobilisée dans les textes de la PJJ. Effectivement, « depuis les années soixante dix, la notion d’insertion est venue se

substituer à celle d’intégration dans le champ politique […] la notion d’insertion s’est très vite concentrée sur la question de l’insertion professionnelle. […] Le fait de penser l’insertion sociale comme étape préalable à l’insertion professionnelle s’impose alors progressivement. […] d’un côté une logique de l’insertion par le travail, de l’autre une logique de l’insertion par la citoyenneté (Autès, 1992). […] le sport deviens progressivement un outil d’insertion par l’emploi sportif et par la citoyenneté sportive » (Gasparini in Falcoz et Koebel, op.cit. 251). Mais comment

le sport pourrait-il encourager les jeunes à travailler ? Nous n’avons toujours pas la réponse à cette question, surtout lorsque nous savons qu’un bon nombre de fois au cours de notre présence, des séances sportives n’ont pas eu lieu par manque de motivation des jeunes qu’il est très compliqué d’investir ne serait-ce qu’au cours d’une heure de sport. Néanmoins, l’éducateur s’adapte très largement aux jeunes

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lorsqu’ils ont un regain de motivation à pratiquer. Mais cela sert-il réellement leur intégration ? Parce que adaptation ne rime pas avec changement, les codes sportifs et toute la mystification faite autour de cet outil sont remis en question auprès des jeunes qualifiés de volatiles.

Autre aspect qui fait du sport à la PJJ un outil politique, le spectacle sportif. En effet, « le spectacle sportif est une aliénation des masses. Il endort la conscience

critique. Le sport est alors pensé comme « opium du peuple » sorte de puissant narcotique des spectateurs « crétinisés » (Brohm, 1992, 2006) » (Duret, op.cit.

48-49). Le challenge Michelet en est l’exemple typique. Par la représentation sur la scène nationale d’équipes régionales, il est un moyen pour certains d’être reconnus et mis en avant. Alors qu’il s’agit d’une manifestation sportive à destination des jeunes pris en charge, certains professionnels n’hésitent pas à s’en emparer à des fins politiques et institutionnelles. En effet, à travers son caractère compétitif, cet évènement sportif est amalgamé de bien des enjeux, politiques et financiers. Ceux-ci en décalage avec les aspirations d’autres professionnels pour lesquels la priorité est la remobilisation et la prise en charge des jeunes, ici en l'occurrence à travers la pratique sportive. Cet aspect du sport pourrait même tendre à faire de celui-ci un object d’occupation et non un outil pédagogique, un temps pendant lequel les jeunes ne commettent pas de délits, cela ne favorisant alors pas l’intégration sociale des mineurs par la pratique sportive.

2. La pratique physique vécue comme une fin en soi

Deuxième fonction du sport pour ces jeunes en conflit avec la loi, celle liée à l’objectif sportif en lui même. Cela revient à décrire le sport comme facteur occupationnel, moment pendant lequel les jeunes n’adoptent pas de « comportements délinquants ».

« Par exemple où tu pourrais être tenté de faire des conneries bah tu vas faire un peu de sport » (extrait de l’entretien avec Tom, jeune accueilli à l’EPEI).

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judiciaires qui ne permettent pas un suivi assidu, par les imprévus réguliers des jeunes influençant directement les séances sportives ou encore par le temps de prise en charge parfois très court, le sport ne permet qu’en partie de travailler sur l’intégration de ces jeunes. Il est donc souvent utilisé à des fins d’occupation, que les jeunes apprécient, notamment lorsque celui-ci n’est pas imposé. C’est bien ce que nous avons relevé au cours de nos entretiens où la totalité des jeunes interrogés nous mentionne cette fonction du sport. Il devient alors une quête du plaisir à laquelle peuvent s’adonner ces jeunes délinquants permettant ainsi une euphémisation et un contrôle de la violence, caractérisés par Norbert Élias, par la maîtrise d’eux-mêmes. En ce sens, nous n’avons relevé que peu d’actes violents non codifiés au cours de la pratique des jeunes, ceci permettant d’affirmer, dans une certaine mesure, un contrôle des pulsions au cours de ces temps sportifs.

Aussi, cette fonctionnalité du sport est subordonnée aux professionnels qui mobilisent cet outil auprès des mineurs. Effectivement, nous avons pu relever plusieurs freins qui ne permettent pas au sport d’être légitimé au sein d’un projet éducatif. Dans un premier temps, la pratique physique est très fortement associée aux compétences et aux appétences des professionnels. Elle est donc très inégale en fonction des lieux de prise en charge. Dans un ensemble global, cela rend difficile une convergence des pratiques professionnelles par le sport, qui est un élément fortement valorisé dans les textes institutionnels, mais peu développé auprès des jeunes. Effectivement, un simple guide ne parait pas suffisant afin que chaque professionnel puisse s’emparer de cet outil qu’est le sport et peut-être arriver à l’employer à des fins d’intégration sociale et de remobilisation.

Malgré tous ces aspects du sport qui ne permettent de le légitimer qu’en partie dans la prise en charge des mineurs délinquants, il reste un moyen indiscutable dans l’approche avec le jeune et la sensibilisation à des compétences psycho- sociales nouvelles. En cela, nous pouvons convenir d’une pratique pédagogique en faveur de l’intégration sociale des jeunes en conflit avec la loi (agissant comme une aide, un soutien). C’est la troisième typologie du sport que nous avons relever au cours de notre recherche.

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3. L’outil sport comme pratique pédagogique favorisant l’intégration sociale des jeunes

L’intégration sociale est une notion vaste et très variable en fonction des sociétés. Ici, nous l’entendrons au sens d’Émile Durkheim à savoir le processus par lequel un groupe social s’approprie l’individu pour assurer sa cohésion. Elle regroupe une multitude de compétences afin d’être complètement acquise au yeux de la société. Hors, ces jeunes délinquants s’astreignent d’un bon nombre de ces compétences. Commençons d’abord par dire qu’il s’agit d’un public en manque d’empathie, en lien direct avec leurs actes délinquants. Aussi, leur entrée en relation avec les autres est très souvent conflictuelle et caractérisée par un « capital guerrier » fort qu’il advient de mettre en avant tout ceci dans le but d’assouvir leur puissance et leur position au sein de leur groupe de sociabilité. De plus, ce sont des jeunes ayant une gestion de la frustration très limitée ceci ne leur permettant pas de savoir résoudre des problèmes ou de savoir prendre des décisions. Enfin, ce sont des adolescents consommateurs de drogues, parfois très dures, ceci influant directement leur rythme de vie ainsi que leur équilibre (souvent alimentaire) et leur humeur.

Alors, la première grande fonction du sport auprès de ces jeunes est bien la socialisation, au sens de Pierre Bourdieu. En effet, par le groupe formé d’un éducateur, de plusieurs jeunes et d’intervenants, la pratique sportive joue le rôle de créateur de lien social incontestable. En ce sens, nous avons pu observer la création d’un ethos propre à la pratique sportive qui perdure dans le quotidien de ces jeunes. Ainsi, l’adulte se sert de cette sociabilité pour développer un discours sur la citoyenneté qui dépasse largement la pratique en elle-même. C’est d’ailleurs un aspect qu’avait relevé William Gasparini avec les jeunes des quartiers.

À travers cette première approche par le sport, l’éducateur vise à élargir les compétences psycho-sociales des jeunes délinquants. Il ne s’agit pas de les éduquer et de les disciplinariser aux sens que Michel Foucault donnait au sport, mais bien de leur faire prendre conscience de leurs actes et les faire évoluer vers

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nécessaire dans la prise en charge de ces jeunes avant tout des victimes. En cela, nous avons relever au cours de la pratique des relations moins conflictuelles et un principe de réciprocité entre les jeunes et même entre les jeunes et les adultes. C’est donc tout un travail sur l’empathie des mineurs qui est mis en avant, comme l’avait mentionné Omar Zanna dans ces travaux sur les jeunes en prison. De plus, une dynamique identitaire forte se développe part une sorte d’affiliation sociale au groupe sportif. Ceci permettrait, entre autres, de les engager dans une démarche de solidarité et de fair-play qui sont des notions que les jeunes estiment beaucoup dans le sport. Enfin, le sport serait un moyen efficace à la gestion des émotions des jeunes. Nous avons pu apprécier cela au cours des journées à dominante cirque, notamment la bascule, où les jeunes ont du apprendre à se maîtriser et à gérer leur stress au fur et à mesure de l’activité. Ainsi, tout comme David Le Breton, nous avons constaté les effets que peuvent avoir les sports à risque sur ces jeunes en manque de repères. Ceux-ci les initient à résoudre un problème et à apprécier chaque situation afin de prendre la décision la plus adaptée possible, par exemple. Mais ils ont surtout permis aux jeunes de se dépasser, d’aller au delà de leurs limites, les rendant plus autonomes. En effet, l’autonomisation est un aspect largement mis en avant par les éducateurs en particulier à travers la pratique sportive qui est une activité où le jeune peut rapidement progresser lorsqu’il s’investit, le valorisant ainsi.

Une autre fonction du sport est sa fonction sanitaire relevée par Jacques Defrance dans son ouvrage La sociologie du sport (1995). Effectivement, bien que cela ne soit pas vrai pour tous les jeunes, la pratique sportive jouerait parfois le rôle de substitut partiel aux drogues. Nous observons ainsi une régulation des conduites addictives chez les jeunes investis dans une pratique physique et une meilleure qualité de sommeil. En cela, le sport a aussi son rôle à jouer dans leur alimentation mais surtout dans leur équilibre de vie. En effet, comme nous l’avons abordé dans cet écrit, ce sont des jeunes en manque de repères sociaux et temporels. Ils n’ont aucun rythme et se couchent à des heures très tardives. Le sport améliore alors leur capacité d’endormissement et au même titre que d’autres activités de jour, leur impose un rythme de vie.

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Enfin, la notion de retour vers le droit commun est un des objectifs que se donne la PJJ. Effectivement, ce sont des jeunes en total désaffiliation avec la société et avec les structures de droit commun. En ce sens, bien que le sport ne permette pas un retour total dans ces structures, il permet en revanche parfois de sensibiliser les jeunes à un fonctionnement, à des règles et à des notions relatives à cet espace de sociabilité par l’inscription et l’investissement dans des clubs.

À travers les notions développées dans ce chapitre, nous avons pu caractériser 3 fonctions du sport à la PJJ : la fonction politique, la fonction sportive (finalité) et la fonction éducative. Mais il apparaît que les données relevées au cours de nos observations et au cours de nos entretiens peuvent diverger en fonction de la structure de prise en charge et surtout des mineurs accueillis. Alors, dans un dernier chapitre il nous a semblé opportun de faire une critique de notre recherche, avec ici les difficultés rencontrées et les améliorations qui nécessairement rendraient plus fiable une recherche sur le sport pour les jeunes pris en charge par la PJJ.