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CHAPITRE 3 : Identité et territoire : quelle dynamique?

3.2 Projection de l’identité dans l’espace urbain

3.2.2 Ville et identité : Depuis quand ?

L’étude des particularités morphologiques des villes permet de noter qu’elles sont « toutes les produits de leurs civilisations » (Fernand Braudel, 1967). Or la production de l’espace urbain est le résultat de l’histoire des civilisations. Les premiers noyaux urbains sont apparus avec la sédentarisation de l’homme, car au début il se déplaçait pour subvenir à ses besoins initiaux, c’est-à-dire se nourrir; puis il a commencé à s’installer dans des espaces qui au fil des temps sont devenus des villes (Ibn Khaldoun, 1978).

Il est logique que l'aspect extérieur de la ville exprime, sans le vouloir, non seulement les choix et les options de ses habitants, mais le type de civilisation dans lequel s'inscrivait à l'origine la ville même. Ainsi, la ville est la mémoire de ses fondateurs et aussi la cristallisation des orientations et des tendances des époques telles qu'elles ont été déterminées par l'histoire, et qui prennent en compte le facteur géographique. « La ville est la concrétisation, de l'esprit du temps » (H. Ahrweiler, 2005), elle en est l’essence et la mémoire même.

La civilisation est donc cette mémoire historique continue qui lie de manière immuable une génération à l'autre, tout en introduisant les notions de patrimoine culturel et de tradition. Ces deux éléments sont alors concentrés et matérialisés dans la ville et ses monuments. Ainsi, la dimension culturelle est importante dans la genèse de l’espace, c’est ce qu’explique Hélène Ahrweiler (2005) en qualifiant, la ville de « création culturelle collective, diverse dont l’héritage historique et culturel des civilisations conditionne les mentalités et oriente l’évolution de la formation des villes ».

La ville et l'ensemble des individus sont incontestablement en étroite relation, ainsi que le vécu de chacun. La ville est alors considérée comme une référence à l'histoire et évidemment comme une expression de l'histoire de chaque époque, dans le cadre de laquelle elle inscrit son caractère, ses limites, ses monuments et ses symboles, mais aussi ses cérémonies et ses fêtes (festival et festivités, comme on les appelle aujourd'hui) qui manifestent les rassemblements de ses habitants (H. Ahrweiler, 2005). Chaque ville est unique par ses monuments, les coutumes de sa population et même par ses manifestations.

Certaines villes, comme Tunis, ont la capacité de juxtaposer et faire coexister dans un même un espace des monuments qui datent de périodes différentes ce qui contribue à la continuité historique de la ville. Ainsi, elles répètent à l’infini leurs cycles de la vie, « elle naissent, atteignent leur apogée, rivalisent puis déclinent, meurent et renaissent de leurs cendres » (H. Ahrweiler, 2005). Mais les bases matérielles de l’édification des villes demeurent, tout de même vivantes et acquièrent sans doute de leur importance, non seulement pour les professionnels, mais aussi pour les citoyens qui consomment l’espace et puisent dans leurs essences. C’est cette âme et cette mémoire qui remplissent l’espace matériel, parfois vide et délabré, qui construit l’identité de l’espace même et qui contribuent par sa valeur et sa puissance à l’instauration d’une identité personnelle et de groupe pour tous ceux qui habitent une ville. Tunis renferme un de ces spécimens uniques, qui gorge d’histoire.

La médina, centre historique de la ville, est un de ces rares complexes urbains dans le monde qui a su résister à l’agression du temps et des conditions climatiques. Centre historique et cœur spirituel de la ville de Tunis, elle s’établit sur le haut d’une petite colline depuis plus de douze siècles (J. Abdelkafi, 1989) et s’articule généreusement avec la ville coloniale implantée à ses portes vers la fin du XIXe siècle (installation du protectorat français, 1881 (S. Sentelli, 1995). Elle a donc tissé son identité et son cachet unique au fil des années. Ainsi, elle est jusqu’à aujourd’hui le cœur battant de la capitale.

La ville n’est, donc pas un phénomène isolé, elle fait partie intégrante d’un réseau complexe de structures urbaines, sociale et de rapports humains. Ses monuments sont les références identitaires de ses habitants qui s’y identifient et se reconnaissent à travers leur existence. Avec le temps, les villes se sont développées et de nouvelles institutions ont pris place dans l’espace urbain, comme des bibliothèques, des musées, puis des universités se sont imposées pour affirmer les volontés collectives de prendre soin du passé et de le conserver. « La préservation de la mémoire historique » (H. Ahrweiler, 2005) de la ville commence par la préservation et la mise en valeur de l’ancien (Bibliothèque et musée) ainsi que par la préparation de l’avenir à travers des moyens et des nouvelles techniques (l’université).

Cependant, les métropoles contemporaines sont le regroupement des structures urbaines géantes. Ainsi, l’extension démesurée de la ville et l’éclatement de son tissu urbain contribuent à l’incapacité de l’être humain, d’agir à son échelle, et cela se traduit par « des tendances de repliement et d'isolement » (H. Ahrweiler, 2005). Cela pourrait alors, avoir une influence sur le travail communautaire et la contribution à la construction d’une mémoire collective. Les villes de demain sont donc menacées d’une dissymétrie et d’un manque d’harmonie et de cohérence, tant au niveau spatial, qu’au niveau social et urbain.

Figure 27 : Schéma de l’interrelation de la dimension spatiale et identitaire dans l’espace de la ville

Source : Synthèse personnelle © Manel DJEMEL

En conclusion, la ville est formée de « forces » (les acteurs) et de « formes » (les espaces), qui interagissent dans sur un territoire pour créer l’espace de la ville (A. Medam, 1997). Les ensembles urbains sont donc formés, d’unités architecturales qui se caractérisent par un style et une typologie qui leur sont propres. L’ensemble regroupé, crée un paysage urbain ayant une typologie spatiale unique et spécifique, selon le type d’architecture qui lui est propre. Les acteurs sont regroupés hiérarchiquement en individus qui agissent délibérément dans leur entourage et qui participent à l’enrichissement de l’identité du groupe à travers leur propre identité personnelle. Cependant, l’apport personnel de chaque individu et la solidarité des groupes participent à l’élaboration d’une identité collective défendable (S. P. Huntington, 2004)