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CHAPITRE 1 : Forme de croissance urbaine : la question de l’identité dans la ville

1.1. Morphologie de la ville : du centre à la périphérie

1.1.2. Croissance et formes de croissance

Pour décrire la manière avec laquelle la croissance urbaine pourrait être perçue (P. Merlin, 1994), considère qu’elle ne peut pas être appréhendée uniquement par « des chiffres et des statistiques de populations ». Mais elle prend aussi la forme d’« une croissance spatiale qui résulte du jeu combiné et multiplicatif de la croissance démographique et de l’augmentation de la consommation d’espace par individu ».

Historiquement P. Merlin (1994) considère que « l’essentiel de la croissance urbaine s’est produit depuis la révolution industrielle au XIXe siècle dans les payses non européennes ». Cela s’explique par la révolution industrielle et le boom de la croissance économique qu’a connu la majorité des villes européennes. Alors que pour les pays en voie de développement c’est au cours du XXe siècle que « la vague de croissance urbaine s’est réellement amorcée » (P. Merlin, 1994). Et cela s’est traduit par une croissance sociodémographique importante et une croissance spatiale marquante. Pour la Tunisie, pays anciennement urbanisé le taux d’urbanisation était de 28 % en 1925, il atteint aujourd’hui 64.8 % selon le recensement de 2004 (Ch, Morched, 2005), la région du grand Tunis considérée selon A. Belhedi (2000) « une région urbanisée » elle comptait en 1994 (c. f. tableau 1) une population urbaine de 61 % de la population globale du pays, contre près de 40% en 1966 et un taux de population urbaine de 92 %.

Tableau 1 : Comparaison des taux d'urbanisation de Tunis à celle de la Tunisie entre 1984- 1994

1984 1994

Le grand Tunis 84.7% 92.1%

La Tunisie 57.1% 61%

Source : INS, 1984, 1994

La configuration, la hiérarchie et la distribution spatiales du système urbain des villes seront marquées par le contexte dans lequel se sont déroulées l'urbanisation et les modalités de la croissance urbaine. Dans ce sens, Merlin (1994) considère que « la croissance urbaine résulte des conjonctions de la croissance de la population, des villes et de leurs banlieues avec l’augmentation de la consommation d’espace par habitant ». En effet, la croissance des villes résulte des interactions avec l'environnement, des liens entre la ville et la campagne et de la politique urbaine. Autant, sa distribution et ses rythmes reflètent les choix opérés au niveau social et économique (A, Belhedi, 2000) son analyse est d'un grand intérêt pour déceler les retombées et les tendances sur le système identitaire urbain.

Le développement « des grands ensembles urbains », puis celui des « villes nouvelles » et enfin « l’extension de l’habitat individuel dans les franges rurales des agglomérations » (P. Merlin, 1994) ont eu des conséquences importantes pour la ville et surtout pour les parties centrales. Celles-ci ont d’abord vu leur population diminuer, ce qui n’était pas nécessairement négatif, puisqu’elles étaient très denses (P. Merlin, 1994). Mais dans les années 1970 en particulier, cette « désurbanisation » a concerné les couches moyennes voire dans certains pays (beaucoup moins en France que dans le reste des pays développés) les couches aisées.

« Ce déclin de la population » (P. Merlin, 1994) était alors un des moteurs d’un mouvement migratoire des activités économiques, de commerce, de services et de loisirs, à

quitter à leur tour la ville centrale pour se rapprocher de leurs clientèles dans leurs périphéries. Les recettes fiscales de certaines villes (Londres, Amsterdam, Rotterdam, Stockholm,) en ont été sérieusement affectées au début. Et au-delà même des villes, il est à noter que les l’urbain s’impose de plus en plus et séduit ceux qui résident à la compagne. Ils commencent alors à adopter un mode de vie, des activités de loisir et des habitudes des citadins. D’ailleurs, Merlin (1994) considère que sur le plan spatial, « la distinction entre le monde urbain et le monde rural est de plus en plus délicate à opérer ».

 L’étalement urbain

L’étalement urbain est une des formes de croissances qui marquent le développement de l’espace de Tunis. Du verbe étaler v.t. (de étal) qui selon le nouveau dictionnaire de la langue française (Larousse, 2007) signifie « disposer les objets les uns à cotés des autres sur une surface », l’étalement urbain est l’action de développer les constructions sur une surface, une sorte d’extension territoriale de l’aire urbaine, de faibles densités. Il désigne ainsi, le développement des surfaces urbanisées en périphérie des grandes villes. Ce type d’urbanisation se développe principalement sous forme pavillonnaire; au cours de son évolution, une forte importance aux espaces verts est accordée. Les espaces issus de ce phénomène présentent une faible densité et les surfaces occupées par un foyer (maison + jardin privatif) sont plus étendues que celles d'un appartement en immeuble. Considérer comme une expansion urbaine démesurée et incontrôlée, c’est à présent d'étalement urbain qu’on parle.

Vu qu’il représente une des formes de croissance urbaine la plus controversée, et de par de la complexité de le cerner, plusieurs qualificatifs lui ont été attribués, telle que « ville éparpillée » (Bauer et Roux, 1976), « ville qui se défait », ville qui « vole en éclat » (Choay, 1992), « ville en bribes parsemées sur la campagne » (Baker, 1992), « anti-ville » (Ascher, 1993), le suburb américain (Kaufmann, 2000). Certains auteurs comme Beaucire (2000) qualifient cette ville étalée, éparse et fragmentée, de « gaspilleuse et de peu efficace,

dévorante la ressource des générations futures », alors que Pinson et Thomann (2002) qualifient plutôt cet espace de « compagnes urbaines ».

Cela émane peut-être d’une confusion sémantique qui accompagne la caractérisation du phénomène. Dans un contexte où la ville « s’éparpille » (Bauer & Roux, 1976), « éclate » (May et al. 1998), ou « se diffuse » (Secchi, 2002), elle parvient finalement à être « invisible » (J. Boissonade, 2008). Et deviendrait même, illisible puisqu’elle conquiert ses alentours en « installant des centres dans ses périphéries » (Paquot, 2004). La crainte de la dilution de la ville dans l’espace rural est de plus en plus accrue, surtout lorsque F. Choay (1994) annonce « la mort de la ville ». Pour cerner ce phénomène, les chercheurs se sont penché sur la définition du terme et l’énumération les dénominations possibles qu’il pourrait avoir.

Toutes ces qualifications et bien d’autres ne cessent de se proliférer de jour en jour dans toutes les sphères qui touche de près ou de loin, la croissance urbaine. M. Barcelo (2000), définis l’étalement urbain comme étant « une forme de suburbanisation par laquelle les usages résidentiels et commerciaux s'étendent de la ville centrale vers la campagne environnante pour y remplacer les espaces libres et les fermes, avec des densités faibles et un mode de vie tributaire de l'usage de l'automobile ». Et en 1992, le service de planification de la ville de Québec a publié plusieurs essais de définitions de l’étalement urbain (Ritchot, Mercier et Mascolo, 1994) dans lesquels ils qualifient le phénomène : « d’une extension du territoire urbain qui produit, à l’échelle métropolitaine, une forme urbaine diffuse ayant l’apparence de taches d’huile contenant un tissu urbain généralement de faibles densités et qui est séparé par des espaces en friches ». La variété des définitions vient de la difficulté de le cerner spatialement, si l’étalement est cet éclatement de l’aire urbaine, comment l’intégrer dans les stratégies de planification ? Et comment qualifier les espaces qui en résultent ?

Par ailleurs, si l’avènement du machinisme a eu des conséquences évidentes dans l’évolution des modes de transports avec l’étalement urbain comme corollaire, son impact

sur la pensée urbanistique a été tout aussi important. Depuis «La machine à habiter» de Le Corbusier (1945) le nouveau mode d’aménagement du territoire selon la formule « soleil- espace-verdure » de la charte d’Athènes (1941) et le courant fonctionnaliste qui prônait la séparation des fonctions de la ville (charte d’Athènes, 1941), des voix se sont élevées pour renverser une tendance qui mettait la ville au service de l’automobile. Or selon une définition élaborée par la société de transport de Montréal (2002), «l’étalement c’est la désintégration de l’espace et des liens physiques et sociaux que seul un ensemble organisé peut générer».

Contrairement aux analyses portant atteinte à l’étalement urbain affiche mystérieusement un incontestable succès auprès de citadins à la «conquête de l’espace » (Fouchier, 2000). Cela confirme que cette forme d’appropriation du territoire ne serait que la manifestation spatiale d’un principe plus général des sociétés contemporaines (Lévy, 2000; Salvator, 2001).

Alors si Fouchier (2000), considère que les citadins européens qui désirent vivre loin de la ville sont à « la conquête de confort, de moindre stress, de meilleure santé, d’accès à la nature », F. Ascher (2003) de son coté affirme que « grâce aux moyens de transport individuels et à l’usage des technologies de communication sans fil, y compris pour Internet, la dispersion urbaine s’accroît, les urbains cherchant toujours à aller plus loin, à avoir plus d’espace à des prix plus abordables ». La conjoncture économique est importante dans ce choix. Le coût du foncier est moins élevé en périphérie que dans la ville centre, pourtant plus dense. En Tunisie et dans la majorité des pays en voie en développement, l’installation de la population en banlieue n’est pas toujours un besoin de confort, autant qu’une nécessité économique et sociale. La prolifération de quartiers spontanés dans la périphérie de Tunis créant « une ceinture urbaine » à la ville centre résulte de la forte demande en logement de la part d’une population à faible revenu et issue de l’exode rural.

La croissance urbaine est un phénomène qui a marqué l’histoire des plus grandes villes du monde les premiers mouvements d’expansion urbaine ont été favorisés par l'amélioration des transports en commun (M. Cahn, 2003). La construction des lignes de tramway dans de nombreuses villes a provoqué leur extension. Los Angeles et Londres sont deux exemples éminents, dans la croissance rapide de la superficie de la ville, principalement suite à la construction des lignes de tramway et de chemin de fer suburbain. Ainsi, M. Cahn (2003) considère que la généralisation de l'automobile à partir des années 1940 et le développement des logements avec jardins, pour remplacer les îlots insalubres du centre-ville, ont favorisé le développement à grande échelle des espaces urbanisés. Toutefois, ce phénomène a longtemps été ignoré lors de l’élaboration des plans de planification des villes, alors qu’il représentait une menace importante pour les espaces agricoles et périphériques de la ville. Quel serait donc, la relation qui unit la ville à ses périphéries ? Et dans quelle mesure pourrait-on déterminer leur interdépendance ?