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CHAPITRE 3 : Identité et territoire : quelle dynamique?

3.2 Projection de l’identité dans l’espace urbain

3.2.1 Identité et territoire

La notion de territoire est en étroit rapport avec la notion d’identité. Pour tenter de dresser le lien entre identité et territoire, un certain nombre de questionnements pourrait guider nos recherches. Comment l’espace acquiert-il son identité et sous quelle forme se présente-t-elle? Existe-t-il une relation entre les comportements sociaux et les formes spatiales?

« Juridiquement, le concept de territoire renvoie à la notion d'État » (S. Huntington, 2004) qui acquière sa légitimité à travers les services spécialisés de protection garantie de la souveraineté et de la liberté. La notion de territoire est affective et culturelle, elle renvoie toujours à l’acte de s’approprier un espace et donc à une notion de propriété ayant « une délimitation spatiale » (S. Huntington, 2004). Le territoire ne se délimite pas à un lieu d’appartenance ou à l’attachement d’un individu à son quartier d’origine, il dépasse ces notions pour refléter l’idée suivante : « je suis de là, je suis d'ici et ce pays est à moi, le mien...» (S. Huntington, 2004).

Une étroite relation s’établit alors entre la notion de territoire et celle de l’identité. Le territoire représente la projection des structures des groupes humains sur l’espace, c’est donc la notion collective et de collectivité qui se traduit par une délimitation spatiale d’un espace approprié, appartenant à un groupe social donné (Karmela Liebkind, 1989). Le territoire contribue alors à l’élaboration de l’identité de groupe, de l’enracinement et de l’attachement spatial.

Le territoire est « un support de formation identitaire », affirme S.P. Huntington (2004) avec tous les processus qu'il intègre : agrégation, ségrégation, exclusion et intégration. Le territoire est le berceau de toutes les activités socioculturelles qui forgent l’histoire d’un peuple et qui permettent d’inscrire ses traces dans l’espace. Il est donc la « superposition de plusieurs espaces » (Karmela Liebkind, 1989), tels que l’espace « produit» (l'action sociale), « perçu » (perception personnelle de l’espace), « représenté » (imagibilité (Lynch, 1982) ou de représentation spatiale, « vécu » (espace de vie, interrelations sociales, valeurs psychologiques) et sociale (S.P. Huntington, 2004).

La notion émane de la volonté de délimitation spatiale et d’identification territoriale. L’homme définit son territoire et s’y identifie comme le fait l’animal. Il se reconnaît dans son espace, la marque et s’y attache. Il instaure ensuite les règles et les lois pour l’aider à gérer cet espace (Karmela Liebkind, 1989). La territorialité est donc une notion psychique, culturelle, sociale et spatiale (S. P. Huntington, 2004). Elle a aussi une dimension symbolique représentée par une structuration des espaces (sacré/profane, privé/public, primaire/secondaire) et la normalisation sociale dont les modalités d'expression diffèrent selon les sociétés.

L’identité est un sentiment fortement lié aux notions de territoire et d’appartenance, elle pourrait être considérée comme une des fonctions basiques de la territorialité. Vu que l’individu s'identifie toujours par rapport à un espace (S. P. Huntington, 2004) il a donc besoin d’une référence spatiale, d’un espace qui lui appartient. L’individu s’approprie l’espace, même l’espace public, pour se sentir en sécurité. Les études psychologiques montrent que l’être humain a aussi besoin de s’identifier dans un espace à travers des repères et des aménagements qu’ils créent lui-même après son installation, il s’agit d’appropriation de l’espace (Karmela Liebkind, 1989). Dans le cas du projet des banlieues de France, les bâtiments conçus par Le Corbusier, les machines à habiter, ont servi de base d’Aménagement pour les ménages. Chaque famille s’est approprié son logement en y

créant des repères et des changements en fonction de ses propres besoins et des goûts de ses habitants.

La même expérience a été tentée en Tunisie, dans le cadre des grands projets de dégourbification25. L’état offrait aux familles démunies des logements à très bas prix, pour qu’elles quittent les quartiers précaires, ou les bidonvilles, et emménagement dans les nouveaux quartiers conçus par l’état (La Presse, 29/3/95)). Toutefois, peu de temps après, le paysage urbain a vécu des transformations majeures. Les familles se sont approprié l’espace et ont modifié les façades ainsi que les aménagements intérieurs. Une étude sociologique réalisée auprès de familles nouvellement installées, a montré que nombreuses d’entre elles ont gardés les habitudes qu’elles avaient dans leurs anciennes maisons. Ainsi, des femmes qui étaient habituées à préparer la nourriture sur des tablettes par terre utilisaient les plans de travail de la cuisine pour ranger leurs provisions et ont ramené leurs anciens mobiliers. L’appropriation de l’espace est donc un réflexe humain qui s’enracine dans son être.

Il existe un lien « magique, problématique et complexe » (A. Belhedi, 2006) entre les individus, leurs communautés et leurs territoires, de ce fait l’appartenance se retrouve au centre de la territorialisation et du processus identitaire. Ce dernier articule une relation bilatérale du binôme « appartenance appropriation » (A. Belhedi, 2006). L’individu s’identifie à l’espace qui lui appartient et dans lequel il ressent un attachement et une appartenance. Le pays, la ville, la rue ou le quartier ne peuvent être la propriété légale d’un individu, mais le principe d’appartenance soulève ici le concept d’appropriation

25 De gourbi, Habitation misérable et en désordre. Et la dégourbification n. f. Disp. Suppression des gourbis dans le cadre de l’amélioration de l’habitat. La dégourbification totale est un des buts du gouvernement tunisien. Le délai reste à préciser. (Faïza, 59, 8/67). La dégourbification a fait affluer dans la ville arabe un certain nombre de ceux qui campent dans la “ ceinture ”. (Faïza, 59, 8/67). Dégourbification, un combat que mène la Tunisie moderne depuis des années. (Tunis Hebdo, 3/6/91). (Source : www.unice.fr/ILF-CNRS/ofcaf/18/Tun_D.pdf)

psychologique. Le sentiment d’attachement à un lieu se base essentiellement sur la relation de l’individu avec ce lieu. Les souvenirs, les conditions sociales, les réalisations influencent le degré d’attachement de l’individu à son espace (A. Belhedi, 2006). Toutefois, la discrimination vécut dans un quartier ou dans une ville, contribue à un rejet d’appartenance et pourrait même contribuer au développement de négation identitaire.

La notion d’appartenance et d’appropriation engendre des formes d’exclusion et de différentions au niveau des espaces et rapports sociaux instaurés entres les individus et les groupes de la société. La mise en œuvre de processus d’intégration sociale et la prise en charge des problèmes d’intégration et de mixité sociale s’avèrent d’une nécessité majeure dans un monde régi, de plus en plus par des lois de clanisme et de regroupement sectaire (A. Belhedi, 2006).