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CHAPITRE 2 : Évolutions des formes de croissance urbaine de la région du grand Tunis

2.1.2 Naissance de la nouvelle ville

Le paysage changera sous le protectorat français. Avant la naissance de la nouvelle ville, la médina se développait sur près de 270 hectares (ASM, 2007) (Figure 13). Une surface qui demeure jusqu’à nos jours inchangés. Elle garda sa morphologie d’origine, mais se retrouve juxtaposée à un nouveau quartier à dominance administrative de style européen édifié à ses portes.

Figure 13 : La médina et ses faubourgs avant l’installation de la nouvelle ville (1860)

Source : J. Abdelkafi, La Medina de Tunis, 1989, p38 (d’après un plan dressé par Colin en 1860. Document original conservé à la bibliothèque Nationale de Paris)

a. La dualité médina - ville coloniale

Médina et ville coloniale sont deux entités urbaines qui ont entamé un long processus d’intégration et d’unification, et qui durent jusqu’à aujourd’hui. Le but est de créer une unité urbaine à partir de ces deux structures morphologiques distinctes. L’échec de ces tentatives a conduit, d’une part, à la naissance d’un nouveau centre pour l’agglomération, la nouvelle ville et d’autres parts, à perpétuer l’affectation de la qualification de centre historique à la médina.

L’accès à la médina demeure exclusivement piétonnier, pendant que la nouvelle ville accueille l’automobile et les premiers moyens de transports publics, tramway et autobus. De nouvelles banlieues sont construites pour les voitures. Le déclenchement du développement de la Tunis moderne revient à la construction du consulat français sur une parcelle à l’extérieur de la médina, sur une rue qui relie la médina au Lac (l’ancienne rue Jules Ferry, actuelle avenue Hbib Bourguiba), l’autorisation de laisser la porte de la médina ouverte la nuit, pour permettre une relation continue avec la médina, marque le début de la métamorphose urbaine que vivra la ville. À partir de 1870, toutes les portes de la médina resteront ouvertes, Tunis s’ouvre à la modernité dans un climat d’ingérence occidentale (Sebag P. 1958). L’installation des lignes de chemin de fer (L’encyclopédie nomade, 2006) reliant Tunis au reste du pays, essentiellement les villes côtières et la frontière algérienne, contribue à l’ouverture de la ville et l’expansion des échanges et du commerce dans le pays. Le volume des produits échangés augmente donc de dix fois, en moins de trente années (L’encyclopédie nomade, 2006).

Graduellement la médina perd son rôle de centre de l’agglomération. Les activités d’échanges, de commandement et de coordination n’y étant plus présentes. La centralité se déplace vers la ville nouvelle, moderne et plus fonctionnelle qui attire l’essentiel des activités de la ville (Sebag P. 1958). L’organisation urbaine contemporaine dérive alors de cette décentralisation qui eût un impact social, économique et spatial sur la ville.

Tunis connaît alors une désarticulation urbaine, marquée par de grandes transformations morpho spatiales qui ont accéléré la dislocation morphologique de la ville et « la sclérose de ses traditions urbaines et culturelles » (M. Ben Slimane, 2004), au bénéfice de l’expansion du nouveau modèle urbain européen. Cette nouvelle tendance, qui caractérise désormais le développement urbain de la ville, se trouve confrontée à l’ordre ancien de formation de l’espace, ce qui donne naissance à une bipolarité morphologique, qui contribue au dédoublement de la ville. Cette nouvelle entité urbaine greffée à l’espace de la ville « amorce le début du dépérissement de la médina » (M. Ben Slimane, 2004).

Le phénomène de dualisme marque alors la ville de Tunis. La coexistence de deux entités urbaines contribue à la création d’une dualité apparente selon M. Ben Slimane (2004) à plusieurs niveaux :

 La dualité dans la centralité qui a pour résultat l’existence de deux centres-villes distincts. La médina est un centre traditionnel centripète, piétonnier et artisanal; la ville coloniale, quant à elle est moderne multipolaire ou linéaire regroupant les équipements de loisirs, de commerces et souvent aussi les bâtiments administratifs.  La dualité culturelle et politique, vu que le patrimoine urbain et architectural se

perpétue et perdure dans la médina, elle vibre alors au rythme du quotidien que ponctuent le souk et la mosquée, à travers la pratique du commerce et de la religion.  La dualité fonctionnelle, vécue et sentie par les habitants. Concurrencée par les produits et les commerces européens, la médina a vu son artisanat dépérir. Progressivement une nouvelle activité de commerce touristique et un secteur informel de petits métiers, prennent place dans la médina et remplacent l’activité économique traditionnelle de la ville.

 La dualité morphologique la ville voit apparaître les premiers symptômes de schizophrénie spatiale, d’un coté, le centre historique préserve ses bâtiments « introvertis », agglomérés, denses et à majorité horizontale à l’exception des minarets des mosquées. De l’autre, la ville européenne, s’affirme avec un ensemble

d’immeubles et de villas au style architectural occidental irriguées par un réseau aviaire automobile, forme un tissu urbain plus lâche et plus tramé que le précédent.  La dualité démographique et sociale, car durant la période coloniale, la médina, est

devenu la terre d’accueil le la population pauvre des régions rurales, victime de la modernisation de l’agriculture. À l’opposé, un mode de vie et de consommation résultant d’un mimétisme occidental s’est vu installé dans la nouvelle ville. Une disparité sociale est démographique caractérise désormais la ville. D’autant plus que l’activité politique est elle aussi localisée dans la ville européenne.

a. L’après indépendance : un nouvel urbanisme, mais à quel prix ?

Au lendemain de l’indépendance, la médina de Tunis, compte 170 000 habitants (M. Chabbi, 2005), elle est occupée par des migrants ruraux, installés depuis le départ des bourgeois vers les nouveaux quartiers. Cette occupation a eu certains effets néfastes sur les édifices de la médina. La ville s’est donc développée pour atteindre en 1956, une surface urbanisée de 4 000 hectares, dont 270 hectares (ASM, 2007) occupés par la médina. La population de la Tunisie était de l’ordre de 3 800. 000 habitant (M. Chabbi, 2005), dont 14.7 % à Tunis, soit 560 000 habitants (Archibat, 2005).

L’afflux des migrants ruraux a contribué au développement d’un habitat de misère, sous forme de gourbuvilles (c.f. p111) et de quartiers insalubres, formant une véritable ceinture urbaine autour de la ville. À l'indépendance, 150 000 habitants (27 %) de la population de la capitale vivaient dans des gourbis (c.f. p111). L’ensemble des indicateurs, de cette période, qu'ils soient démographiques, scolaires ou sanitaires, témoignait des conditions misérables dans lesquelles vivait une grande partie de la population. Le taux de mortalité infantile était de 350 pour mille (M. Chabbi, 2005), l'analphabétisme était le lot de 85 % (Archibat, 2005), de la population tunisienne et les conditions d'habitat étaient critiques, car sur les 700 000 logements du pays, on comptait 50 % d’entre eux des gourbis (c.f. p111).

Au cours des premières années qui ont suivi l’indépendance, la ville n’a pas connu, un véritable changement. La population tunisienne prend tout de même place au centre et dans la ville européenne et la croissance démographique de Tunis continue. Ainsi, l’opposition entre la médina et la ville européenne s’est progressivement atténuée.

Conscient de l’état délabré des quartiers insalubres autour de la ville, l’état entame une véritable lutte contre ces zones. Il y a donc des vagues de démolitions et la population refoulée retourne vers ses régions d’origine, cette solution n’a fait qu’aggraver la situation. Les familles se réfugiaient alors dans la médina, délaissée par ses propriétaires, ils occupaient ainsi les grandes demeures des familles nobles de Tunis. Ce qui a engendré une surdensification et une dégradation de la Médina.

Malgré l’incontournable intérêt porté à l’assainissement de l’espace urbain et aux actions massives de dégourbification (c.f. p111), les politiques urbaines se sont aussi dirigées vers la réalisation d’un ensemble de projets, qui malgré tout n’ont pas eu un grand impact sur la transformation de configuration urbaine de la capitale. La première action entreprise au centre-ville était la suppression du tramway en 1960 et des trolleybus en 1963 et leur remplacement par les bus (M. Chabbi, 2005). Au centre-ville, la construction en 1964 de l’hôtel Africa, devenu ensuite la référence spatiale de la capitale, marque le paysage urbain de Tunis (Figure 14).

Figure 14 : L'hôtel Africa : une référence dans le paysage urbain de la ville de Tunis

Les actions entreprises au niveau des zones résidentielles se manifestent par la construction en 1964 du quartier de haut standing de Notre Dame à Mutuelle-ville, dans la périphérie de la ville, ensuite en 1967 la construction par la S.N.I.T (Société Nationale Immobilière de Tunisie) du quartier d'EI Menzah (SNIT, 2003). Dans le but de réglementer les zones d’urbanisation spontanée de la ville, les quartiers d'Ezzouhour à l'ouest de Tunis et la cité Ettahrir ont été construits en 1968 par la municipalité de Tunis.

À cette époque l’identité de la ville et des citoyens, ne préoccupait pas les décideurs. L’importance de la qualité de vie et la mise en place d’un système urbain efficace prédominaient. Mais cela n’a tout de même pas empêché la création de regroupements et la prolifération de quartiers selon les mêmes affinités et attraits sociaux. Ces nouvelles zones urbaines ont contribué à la naissance d’un mouvement de régénération urbaine massive et Tunis a passé d’une ville sous-équipée, à une agglomération disposant aujourd'hui de potentialités d’une vraie métropole.