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CHAPITRE 3 : Identité et territoire : quelle dynamique?

3.1 L’identité : Une notion singulière dans un monde pluriel

3.1.2 Le concept identité

Pour illustrer la notion d’identité dans la banlieue de Tunis, il est d’abord important de définir la notion d’identité personnelle, qui représente celle de l’individu occupant la ville. L’identité de la ville et des espaces urbains sera abordée dans la deuxième partie de ce chapitre.

Pour définir l’identité, il est nécessaire de mentionner que c’est « un concept aussi indispensable qu'il est obscur » (Karmela Liebkind, 1989), il est considéré comme multiple, difficile à cerner et se dérobe à de nombreuses méthodes d'évaluation classiques (Karmela Liebkind, 1989). L'identité n'est pas un produit fini, mais un processus en perpétuelle

24 E. Erikson qui forge cette expression que l'on trouve maintenant partout (Catherine Halpern, 2004).

évolution (Karmela Liebkind, 1989), Erik Erikson, le grand spécialiste des questions identitaires au XXème siècle, considère que le concept d'identité est « flou » et « insondable ». Comment pouvons-nous alors le définir ?

Il est intéressant de noter que l’identité regroupe plusieurs dimensions, et que l’étendue du concept touche l’essence même de l’être humain. Car l’identité personnelle met en jeu un ensemble des processus, tels que l'affirmation de soi, la séparation et l'autonomie (Karmela Liebkind, 1989). Les auteurs reconnaissent que le sujet construit son identité, pour être aimé et accepté par son milieu, tout en cherchant à se différencier et à se « poser » en être unique (Z. Guerraoui, B. Troadec, 2000). C’est donc dans sa relation avec son milieu et son environnement que la personne tente de retrouver, d’affirmer ou de montrer son identité.

S.P. Huntington (2004) considère que le contacte entre différentes identités individuelles, favorise l’affirmation et l’émancipation des identités individuelles et leur regroupement permet l’affirmation de l’identité du groupe. Pour de nombreux chercheurs, l’individu cultive tout au long de son existence un ensemble de représentations, dont celles de son individualité et de sa singularité, ensuite il les projette vers l'extérieur (Z. Guerraoui, B. Troadec, 2000). Ces représentations se constituent à travers les relations que ce sujet entretient avec des incarnations marquantes de «l'autre» (R. L. Jepperson, A. Wendt et P. J. Katzenstein, 1996). Du moment où l’individu entre en contacte et communique avec d’autres personnes, il se trouve dans l’obligation de se définir en se comparant à l’autre, ainsi il met l’accent sur les différences et les similitudes qu’il détecte chez l’autre (S.P. Huntington, 2004). L'identité concerne, alors à la fois les individus et les groupes. En fait, les individus cherchent à affirmer leurs identités au sein du groupe. Puis ces groupes qui se forment disposent à leur tour de leurs identités propres à eux (S.P. Huntington, 2004).

La formation des groupes se base ainsi sur des affinités variables selon leurs vocations. Les identités sont, donc dans leur grande majorité, des constructions

(S.P.Huntington, 2004). L’individu étant soumis tout au long de sa vie à de nombreuses épreuves et contraintes, qui dépendamment du degré de liberté dont il dispose contribuent à la construction graduelle de son identité (R. L. Jepperson, A. Wendt et P. J. Katzenstein, 1996).

Si l’identité personnelle nécessite une comparaison avec l’autre pour s’affirmer, il est donc évident qu’à mesure que les contacts entre les cultures se multiplient, les identités individuelles s'élargissent et les rivalités se multiplient. Le sentiment d’estime de soi prend alors place et contribue à affirmer chez l’individu un sentiment de supériorité du groupe auquel il appartient.

Certains auteurs, essentiellement ceux qui s’engageant en politiques iraient même jusqu’à qualifier l’envie d’affirmer l’identité, par une haine et un refus de l’autre, car pour pouvoir se définir, un individu a besoin d'un autre (S.P. Huntington, 2004). Mais Huntington (2004) se demande s’il a également besoin d'un ennemi ?

Dans une lettre à Sigmund Freud datant de 1933, Albert Einstein déplorait que toutes les tentatives pour éliminer définitivement la guerre aient lamentablement échoué. Il concluait que l'homme avait en lui une pulsion qui le poussait à la haine et à la destruction. Freud lui répondit que les hommes étaient pareils à des animaux, qu'ils réglaient les problèmes en ayant recours à la force, et que seul un État mondial omnipotent pouvait empêcher cela. D'après Freud, les hommes ne possèdent que deux types d'instincts, celui qui pousse à préserver et à unir et celui qui pousse à détruire et à tuer. Tous deux sont fondamentaux et agissent conjointement. C'est pourquoi il est inutile d'essayer de se débarrasser des penchants agressifs de l'homme…

Albert Einstein et Sigmund Freud, « Why War? », The standard edition of the complete Psychological Works of Sigmund Freud, Londres Hogarth Press, 1964, p199-215 (S.P. Huntington, Qui sommes nous? 2004)

Deux grands penseurs de l’histoire de l’humanité et des sciences (Einstein et Freud, cf. encadré) ont établi une conclusion unique qui témoigne de la profondeur du problème humain. L’identité est cette pulsion souvent destructrice- de s’identifier et de prouver son existence (S.P. Huntington, 2004).

Dans sa définition de l’identité, Huntington distingue un certain enchaînement du processus d’identification de l’individu à travers la notion de différenciation, il considère alors que l'identité requiert la distinction, et du fait que la différenciation présuppose la comparaison, alors cette dernière génère l'évaluation. Pour affirmer son identité ou celle d’un groupe, le passage par le processus de comparaison favorise une meilleure appréciation des divergences (S.P. Huntington, 2004). Toutefois, cette comparaison pourrait engendrer des sentiments de haine et refus de l’autre, vu que chaque groupe essaye de confirmer son identité et éprouve ainsi la nécessité de démontrer la supériorité de ses membres par rapport aux autres groupes (S.P. Huntington, 2004). La concurrence dans ces circonstances mène à l'antagonisme. En outre les différences qui au départ n’étaient que minimes et peu perçues, s’affirment et deviennent sources d’altérités et de conflits. C’est à ce moment que les stéréotypes seront créés (S. P. Huntington, 2004).

L'identité peut être imaginée comme des cercles, au rayon plus ou moins grand, qui encerclent le « Moi » et dessinent des espaces psychologiques (EP) plus ou moins familiers autour de lui. La position excentrée du moi (c. f. Figure 27) par rapport aux espaces psychologiques qui l’entourent est due à l’inégalité de ce dernier et les différentes positions qu’il veut occuper dans son entourage psychologique. Ces espaces pourraient aussi bien être matérialisés dans l’environnement humain de l’individu. L’impact de l’entourage et les relations avec l’autre forgent l’identité de la personne et sa relation avec son milieu de vie.

Figure 26 : La construction identitaire chez l’individu (EP : Espace Psychologiques)

Source : Synthèse personnelle © Manel DJEMEL

En urbanisme, l’identité se résume en « un ensemble de facteurs structurant l’appartenance d’une ville ou d’un groupement urbain à une référence, à un repère » (Karmela Liebkind, 1989). L’ensemble des formes et espaces qui constituent la mémoire collective pour créer son identité représente un héritage qui est « le résultat d’une accumulation spatiale et socioculturelle » (Karmela Liebkind, 1989). En effet, le poids de l’histoire sur l’espace urbain se présente sous forme d’empreintes dont « les traces influencent autant sa formation que son évolution » (S. P. Huntington, 2004). Nombreux urbanistes considèrent que l’espace urbain est la projection spatiale des pratiques sociales. De ce fait, on conclut alors que l’espace urbain acquiert son identité grâce aux pratiques de la population qui l’occupe, ainsi l’identité nationale s’efforce de construire sa légitimité sur le récit de ses origines.