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Collage théâtral réalisé à partir de Prof!, Photos de famille et La Demoiselle

Textes de Jean-Pierre Dopagne par Hélène Dion

PERSONNAGES Comédien #1 LE PROF LE POLICIER #2 PÈRE DE LOUISE DANIEL LE VENDEUR LE CHEF DE CHANTIER Comédienne #1 MONIQUE MÈRE DE LOUISE Comédienne #2 LOUISE VIVIANE MLLE CORDIER UNE CLIENTE MÈRE DE MONIQUE Comédien #2 GUILLAUME LE DIRECTEUR DE THÉÂTRE MME ROSIÈRE LE POLICIER #1 LE PÈRE DU PROF JEAN-PHILIPPE RENÉ LE PROVISEUR LE PRINCE LE MINISTRE

VOIX OFF

Attention, mesdames et messieurs, les passagers suivants sont priés de se présenter au comptoir d'information : Monsieur le Professeur, Mademoiselle Louise, Madame Monique et lejeune Guillaume. Merci !

LE PROF

Autrefois ... Autrefois, vous vous seriez levés. On se levait toujours quand j'entrais. Autrefois. Dans ma vie... antérieure. Je vous aurais dévisagés, d'un large regard semi- circulaire, et je vous aurais dit: Asseyez-vous. Et, dans votre tête, chacun d'entre vous, vous auriez applaudi, dans un respectueux silence, en pensant: Dieu est arrivé.

LOUISE

Demain, à cette heure-ci... demain, ce sera mon tour. Demain. À cette heure-ci, le pays tout entier est devant la télé. Demain, à cette heure-ci, le pays tout entier me voit à la télé. Le pays tout entier me regarde!

Tous, ils seront là. Devant la télé. Je ne les verrai pas... mais je leur parlerai. Je leur parlerai sans un mot. Par mon sourire. Je les vois déjà !... Je les vois... dans leur salon... au bureau... ou au café avec des copains... Je les vois comme si j'y étais! Devant la télé! Un jour pareil, tout le monde sera devant la télé, c'est sûr... Le jour rêvé depuis des années. On n'ose pas y croire. On se dit toujours demain, peut-être... mais demain n'arrive jamais... et puis... et puis un jour... un jour, on est demain. Et ils sont tous là. Tous là! N'est-ce pas, vous serez là demain? Devant la télé? Hein? Moi, je serai sur l'écran. Je ne vous verrai pas... mais je vous parlerai.

MONIQUE

(Elle écoute son cellulaire, pas de réponse, elle le ferme) Vous connaissez San Francisco?... C'est là qu'elle habite. Viviane. Ma fille. Vous n'êtes jamais allés à San Francisco? Elle travaille dans la pétrochimie. Directrice de laboratoire.

LE PROF

Aujourd'hui, vous êtes venus au théâtre... parce qu'il n'y avait rien à la télé? Ou pour faire plaisir à votre femme? Invités par des amis? Votre patron? Un comité d'entreprise ?... Ou parce que vous avez reçu des places gratuites? Peut-être... ? Mais non: je sais très bien pourquoi vous êtes venus... Je vous le demande ce soir comme je le demande tous les soirs... mais je sais parfaitement bien que vous n'êtes pas venus au théâtre pour le théâtre. Vous êtes venus voir un monstre... Vous êtes venus voir le monstre!

Aujourd'hui, avec le temps, et dans mes nouvelles fonctions, je n'ai plus ni honte, ni horreur du mot. Alors, je le dis haut et clair: Ce n'est pas au théâtre que vous êtes venus; vous êtes venus voir le monstre. Le voilà! Contemplez le monstre! Contemplez le prof!

LOUISE

Demain, je me suis levée à cinq heures du matin. Pour les cheveux. J'ai toujours eu beaucoup de cheveux. Ma mère dit que, sur le berceau d'une fille, doivent se pencher trois bonnes fées: la Beauté, la Chance et la Richesse. La Richesse, pour vivre bien; la Chance, pour être heureuse; et la Beauté, pour avoir de la chance... Quand elle a vu mes cheveux, ma mère a été rassurée: Tu en as de la chance: la beauté, c'est la richesse d'une fille. Je pensais à ma mère, ce matin, pendant la coiffure. Je veux dire: demain à cette heure-ci, je dirai: Je pensais à ma mère ce matin... Demain à cette heure-ci, ce sera le début d'une autre histoire.

MONIQUE

Moi, j'ai commencé par les gares. Puis j'ai fait les terrasses des cafés, les supermarchés... Je liais connaissance avec les gens. J'entamais la conversation: ils m'écoutaient. Petit à petit, je leur racontais mon histoire. D'autres s'approchaient, écoutaient à leur tour... Le théâtre, c'est arrivé un samedi après-midi. J'étais dans un grand magasin; plein de curieux s'étaient arrêté autour de moi.

LE DIRECTEUR DE THÉÂTRE

MONIQUE

Je ne vois pas ce que j'irais faire dans un théâtre.

LE DIRECTEUR DE THÉÂTRE Venez parler. MONIQUE Parler ? LE DIRECTEUR DE THÉÂTRE Parler. MONIQUE Mais de quoi? LE DIRECTEUR DE THÉÂTRE

De vous! Comme vous faites ici... Dans ce magasin, on vous prend pour une timbrée. Au théâtre, vous serez une vedette. Une Superstar. Mieux qu'à la télé. La télé, c'est dépassé 1

MONIQUE

La télé, dépassé?

LE DIRECTEUR DE THÉÂTRE

Enterré! Ce que le public veut, aujourd'hui, c'est du direct. Du vrai, du nature. En chair et en os. Le public, il veut voir. Toucher. Votre histoire, c'est à cent pour cent ce que le public attend. Je vous garantis une salle pleine tous les soirs. Réfléchissez...

MONIQUE

LE DIRECTEUR DE THÉÂTRE

Quand j'ai entendu votre histoire dans ce magasin, j'ai tout de suite compris que c'était notre chance à tous les deux. Votre histoire, c'est l'histoire de milliers de femmes, de millions de femmes. Et d'hommes. Ça va intéresser tout le monde. (Il lui tend un contrat avec un stylo)

MONIQUE

Vous étiez donc sûr que j'accepterais ?

LE DIRECTEUR DE THÉÂTRE

Vous avez tellement besoin de parler...

LE PROF

Pendant des années - abominables, interminables années de mon autre vie -, je me suis réveillé avec une barre dans la poitrine... Une phrase... Je commençais chaque journée de ma vie de prof en me répétant: Les élèves sont comme les animaux: ils agissent non par intelligence, mais par instinct... Car c'est en classe, surtout en classe, que ça se remarque, l'instinct. Chaque matin, je poussais la sonnerie du réveil, je devinais à travers les rideaux s'il faisait soleil ou ciel gris, je pensais à ma journée... Je pensais à eux. Et aussitôt la phrase! La phrase s'imposait à moi: Les élèves sont comme les animaux: ils agissent non par intelligence, mais par instinct. Au fil des années, l'angoisse a surgi de plus en plus tôt. Vous me direz que je n'ai pas la tête d'un angoissé. C'est vrai. Et pourtant, avant d'ouvrir les yeux, en même temps que la sonnerie du réveil, la phrase faisait corps avec moi, nourrie de mes pensées et de mon sang. Elle s'imposait, en une sorte d'excuse, d'indulgence préalable, comme un stimulant, une drogue, un remède qu'on avale chaque matin. Pour les affronter. Eux.

LOUISE

(Le téléphone portable de Louise sonne. Louise regarde le numéro affiché sur l'écran du portable et ne répond pas. La sonnerie s'arrête) C'est maman. Elle rappellera. Maman m'appelle tout le temps. C'est grâce à maman que je suis devenue ce que je suis.

Aussi grâce à mon père. Mais mon père, ce n'est pas pareil. C'est un homme. C'est ma mère qui m'a façonnée. Je pourrais vous raconter un par un les merveilleux après-midis que nous avons passés, ma mère et moi. Rien que nous deux, entre femmes, le dimanche. Pendant le football.

Il n'y a rien d'extraordinaire à ça, direz-vous: des milliers de femmes passent leur dimanche après-midi toutes seules à la maison. Beaucoup en souffrent. Ma mère, non: chez nous, le football, c'était professionnel. Mon père était arbitre. Il n'a plus l'âge, maintenant, Il se contente de la télé. Il trouve d'ailleurs que les arbitres d'aujourd'hui ne sont plus de vrais arbitres.

LE PÈRE

Ma fille, quand on te demande la profession de ton papa. Tu réponds: juge!

LOUISE

Aujourd'hui, il passe ses journées entre son élevage de lapins et l'enregistrement de ses vieux championnats. Des dizaines de cassettes qu'il regarde avec arrêt sur image quand la caméra le montre en gros plan... Ma mère, elle tient la meilleure friterie du pays. Cinq étoiles. On fait des kilomètres pour venir chez elle: A la Bonne Frite.

MONIQUE

Et maintenant, on embarque pour San Francisco... Viviane, ça fait trois ans qu'elle est partie là-bas.

Vous n'avez pas honte de venir au théâtre?... Est-ce qu'on peut faire du théâtre quand un enfant est mort? Vous me direz que ce n'était pas votre enfant. Que ce n'était plus un enfant... Vous savez, vous, à quel moment un enfant n'est plus un enfant?

...Ou quatre. Ça ferait peut-être déjà bien quatre ans. Le temps passe tellement vite... Quand je dis qu'un enfant est mort, je ne parle pas de Viviane, non. Ce n'est pas Viviane qui est morte: il ne faut pas me prendre pour une folle. Comme mademoiselle Cordier! Elle ne le dit jamais, mademoiselle Cordier, mais elle le pense, que je suis folle; je

le vois bien. Je ne suis pas folle. Ce n'est pas Viviane qui est morte, c'est Guillaume: je le sais parfaitement.

LE PROF

Il y a des signes qui ne trompent jamais. Les hirondelles qui volent bas, les chats qui se passent la patte sur l'oreille, les chiens qui aboient à la lune. Ou le public qui tousse... Ça, au théâtre, c'est un signe. Un signe d'ennui. En classe, le signe, c'est le tassement. Si le corps des élèves forme, avec le pupitre, un angle de 80 ou 90 degrés, ça va, ça signifie espoir de travail. Mais si les poitrines s'affaissent jusqu'à réduire l'angle à moins de 40 degrés!... Alors là! C'est comme dans les pays volcaniques: du suicide de rester à la maison quand les animaux s'enfuient de la forêt voisine; la terre va trembler. Il ne faut jamais aller contre la nature. Et les élèves sont très proches de la nature. Ils agissent par instinct. Comme les bêtes. Je sais, je vous scandalise. Vous vous dites, comme tous les parents: Mes enfants ne sont pas des animaux! D'accord. Ce sont toujours les enfants du voisin. C'est comme au théâtre: le spectateur qui tousse, ou qui bâille, ou qui se tasse, c'est toujours celui d'à côté. Bref, en entrant, cette année-là, je vous jure que j'ai compris. J'ai vu leurs jeans et leurs espadrilles. J'ai vu leurs fesses en équilibre précaire sur le bord des chaises. J'ai vu leur torse affalé sur les pupitres. Et leurs mâchées de gomme, leurs yeux vides, leur regard mort. Une classe spéciale! Dans un établissement pudiquement classé sensible...

MONIQUE

(Son cellulaire sonne) Je suis en rendez-vous, rappelez plus tard.

LE POLICIER #1 C'est urgent.

MONIQUE

Mon client aussi, c'est urgent.

LE POLICIER #1 C'est grave.

MONIQUE

Il est où, cette fois? Au commissariat? Au poste de police?

LE POLICIER #1 Il est mort...

LOUISE

J'ai dû attendre trente ans - trente ans! - pour le grand jour.

PÈRE DE LOUISE

Tant que le match n'est pas fini, rien n'est joué.

LOUISE

Vous trouvez que c'est vieux? Vous trouvez que c'est vieux, trente ans?

MÈRE DE LOUISE

Une éternité! Trente ans, Louise, trente ans! Tu vas de voir assumer... Regarde Véronique!

LOUISE

Pour ma mère, Véronique - Véronique, c'est ma meilleure amie - c'est LE modèle.

MÈRE DE LOUISE

Véronique: trente ans comme toi, mais elle est mariée et elle a deux enfants. Tu vois, Véronique: elle assume!

LOUISE

Elle m'a toujours dit ça, ma mère: assumer. Quand je suis entrée à l'école... quand j'ai commencé les cours de guitare... quand j'ai eu mes premières règles... quand j'ai quitté la maison et que j'ai emménagé toute seule, dans mon studio... Tu vas devoir assumer. (À sa mère) Maman, j'ai vingt-et-un ans!

MÈRE DE LOUISE

Quand j'ai connu ton père, j'en avais dix-neuf.

LOUISE

Maman, j'ai un travail!

MÈRE DE LOUISE

Moi aussi, j'ai un travail. J'ai aussi un homme.

LOUISE

Ce jour-là, le jour où j'ai emménagé dans mon studio, c'a été un grand jour. Ce jour- là, ma mère m'a offert un poisson rouge, dans un bocal.

MÈRE DE LOUISE

Quand on vieillit, c'est mieux d'avoir une compagnie.

LOUISE

Maman, je veux vivre ma vie!

MÈRE DE LOUISE Vivre ta vie !

LOUISE

C'est quand même pas vrai, ça veut dire quoi: vivre sa vie? (Au public) Le poisson rouge s'appelait Bernadette.

MÈRE DE LOUISE

J'espère que Bernadette ne restera pas longtemps toute seule.

LOUISE

Pour ma mère, une femme seule est une erreur de la nature. C'est une femme désavouée. Un rejet. Une anomalie. Et à chacun de mes anniversaires...

MÈRE DE LOUISE

Bernadette na pas encore trouvé un petit copain?

LE PROF

Pourtant, ce jour-là, je leur ai posé la question. Dès la porte. Avant même qu'ils ne se lèvent. D'ailleurs ils ne se seraient pas levés. On ne se levait déjà plus à l'arrivée d'un prof. Qu'est-ce que ça veut dire, être professeur de littérature?... Ils me regardaient avec leurs grands yeux vides. Et avides. Avides de tranquillité. Avides que je leur foute la paix. Et, en fin de compte, on peut admettre. Si je vous demandais à vous: Qu'est-ce que ça veut dire, faire du théâtre?... Vous ne me répondriez pas non plus.

La vie est comme ça : il y a des gens qui parlent; il y a des gens qui écoutent. Quand on entre dans un théâtre, on fait partie des gens qui écoutent. Un scandale, d'ailleurs, non? Payer pour écouter et pour se taire! Et payer cher! Comptez l'argent pour le billet d'autobus, le taxi ou la voiture, l'essence, peut-être même une contravention parce que vous étiez mal garé, peut-être aussi une gardienne pendant que vous êtes ici... Et tout ça pour avoir le droit de vous taire! A ce compte-là, vous auriez pu vous offrir un restaurant avec pas mal d'étoiles. J'oubliais: au théâtre, vous avez aussi le devoir d'applaudir! Même si ça ne vous plaît pas. Parce que, dans certains théâtres, si vous n'applaudissez pas, vous passez pour un taré, pour un attardé culturel! On va vous renvoyer à la télé! Intelligent ou pas.

LOUISE

Ma mère est une femme de tête. Je l'ai vue souvent, à la friterie, toute seule, avec une file de clients jusqu'à l'autre bout de la place: toujours d'un calme!... Mais quand je lui ai annoncé:

J'ai trente ans et je vais épouser l'homme de ma vie!

Mon père, ce qui l'a tracassé, c'est que mon homme à moi n'est pas vraiment un mordu du football.

PÈRE DE LOUISE

De quoi on va parler quand vous viendrez manger à la maison?

MÈRE DE LOUISE

Tu n'aurais pas pu épouser un homme comme les autres?

LOUISE

Vous en connaissez, vous, des hommes comme les autres!

MÈRE DE LOUISE

Tu aurais pu choisir un homme qui a un bon métier.

LOUISE

Tu trouves qu'il n'a pas un bon métier?

MÈRE DE LOUISE

Un homme comme nous.

VOIX OFF

Attention, attention. On demande Madame Rosière au kiosque d'information. Madame Rosière est priée de se présenter au kiosque d'information. Madame Rosière à l'information.

MME ROSIÈRE

Heureusement que j'ai Emile. A qui je parlerais si je n'avais pas Emile? J'adore venir chez vous: vous écoutez si bien... Il y a tellement de gens qui ne savent pas écouter...

MONIQUE

C'est vrai qu'il était sympathique, Emile. Je l'ai soigné des dizaines de fois. Il n'avait rien mais je le soignais quand même. Ça lui faisait tellement plaisir, à Emile! Et à madame Rosière ! Je disais à madame Rosière qu'il fallait une relation intime entre le patient et son médecin; alors elle restait dans la salle d'attente et je m'enfermais dans mon cabinet avec

Emile. Un quart d'heure, vingt minutes. Je prenais une tasse de thé, je complétais mes dossiers... Pendant ce temps-là, je donnais à Emile deux bons gros biscuits... Oui, Emile, c'était un chien; je suis vétérinaire. Enfin, j'étais; jusqu'au moment où je... avant San Francisco...

MME ROSIÈRE

J'adore venir chez vous: vous écoutez si bien... Il y a tellement de gens qui ne savent pas écouter...

MONIQUE

Daniel, par exemple... Mon mari. Quand je lui parlais d'Emile, ou de Télémaque - le lapin du vieux docteur Fournier - ou d'Héloïse - la tortue de mademoiselle Martin -, il ne m'écoutait pas. C'est pour ça qu'on s'est séparés, Daniel et moi. En bons amis. Quand Guillaume est mort, il a été vraiment chouette. C'est lui qui s'est occupé des faire-part, des sandwiches et tout ça...

DANIEL

Guillaume aura un bel enterrement. (// serre la main de Monique)

MONIQUE

Au moment où on a descendu le cercueil dans la terre, il m'a pris la main. Il me l'a serrée très fort, très fort. Comme il me la serrait quand on était fiancés et qu'on allait au cinéma voir un film d'horreur. Daniel adorait les films d'horreur! Mais il crevait de peur. Surtout le genre Frankenstein, les savants qui fabriquent des monstres puis qui les font mourir.

DANIEL

Les films d'horreur, c'est comme la vie...

MONIQUE

VOIX OFF

Tu crois que je lui ai volé sa vie? Tu crois que je lui ai volé sa vie?

LE PROF

Donc... j'avais posé ma question: Qu'est-ce que ça veut dire, être professeur de littérature? J'ai attendu un peu, le temps de déposer mon sac à côté du bureau. Et j'ai répété: Qu'est-ce que ça veut dire, être professeur de littérature ? Ça, c'est un truc. Poser deux fois la question. Si certains d'entre vous font des études pour devenir profs, qu'ils retiennent bien ça: poser deux fois la question. Toujours. Ça fait gagner quelques secondes, ça allonge. Vous me direz: C'est insignifiant. D'accord. Mais si vous faites ça à chaque question que vous posez, sans en avoir l'air au bout de l'année vous avez économisé quelques journées pendant lesquelles vous n'avez rien fait! C'est ça, le secret du métier. Faire semblant, et sans effort ...

Deux fois, la question; pas trois. Trois, ça énerve l'élève. Il croit alors qu'on attend une réponse. Qu'on va l'obliger à penser. Ça, l'élève n'aime pas: penser, c'est contraire à l'instinct... Vous me trouvez immoral? Hein! Ne niez pas: je sais que je vous scandalise. Pourtant tout le monde fait ça. Même au théâtre. Même les plus grands. Même Molière. Son Avare, par exemple - relisez le texte -, quand Harpagon découvre qu'on lui a volé sa cassette: Au voleur! Au voleur! - deux fois. A l'assassin! Au meurtrier! - deux fois. Justice, juste ciel! - même jeu. Je suis perdu, je suis assassiné! - toujours deux fois...

Etre professeur de littérature, c'est vivre la situation la plus absurde qui soit: c'est faire d'un objet de plaisir un objet d'étude. Et je souris. Je souris parce que je sais ce qu'ils