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13 Les Exutoires

8.2 Droits d'auteur

En février 2009, alors que j'amorçais le recrutement de l'équipe de production, j'avais déjà sélectionné les extraits des œuvres que je comptais utiliser pour le laboratoire. Afin de présenter le projet aux comédiens et aux concepteurs, j'ai fait un premier montage des textes choisis, une sorte de « tressage » de trois monologues. Au même moment, je me suis renseignée auprès de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) pour connaître la procédure à adopter pour respecter les droits d'auteur. J'avais déjà, par le passé, demandé les droits d'un auteur européen et je savais à qui m'adresser. La SACD représente ces auteurs et leurs bureaux sont situés à Montréal. Je les ai contactés par courriel, leur expliquant ma situation (collage de textes dans un cadre étudiant à la maîtrise) et leur demandant la procédure à suivre pour obtenir le droit de présenter mon projet. Je leur ai transmis mon premier jet de collage en précisant bien que cette proposition ne constituait qu'une première ébauche de travail. On m'a alors répondu que, dans un cadre académique, il n'y avait habituellement pas de droit à verser puisqu'il ne s'agit pas d'une représentation professionnelle. Cependant, il aurait fallu que je demande l'autorisation de procéder à ce collage dès le dépôt de mon projet de maîtrise et non pas à quelques mois de la présentation publique de mon laboratoire. Malgré tout, la demande a été transmise à M. Dopagne avec mon ébauche de texte. Fin avril, je reçois, à mon grand étonnement, un refus complet de l'auteur pour la présentation publique de mon projet. Je contacte aussitôt la SACD pour savoir de quoi il en retourne, les raisons de cette réponse négative. Début mai, on m'informe que Jean-Pierre Dopagne n'est pas d'accord avec mon choix de textes, qu'il y a confusion quant à la trilogie de textes utilisés, que le troisième texte, La Demoiselle, ne fait pas partie de la trilogie qui est composée de Prof!, Photos de famille et

de La jeune fille. Enfin, l'auteur me reproche d'avoir orienté la fin de La Demoiselle. Cette histoire de prince charmant n'est qu'un rêve et non pas une réalité. Je proposais plutôt qu'il s'agisse d'une histoire vraie et qu'elle épouse son Prince Charmant.

Finalement, l'auteur a autorisé «... uniquement et à titre exceptionnel la représentation prévue le 3 juin dans le cadre de votre examen de fin d'année à la condition expresse que vous vous engagiez à faire part lors de cet examen de sa restriction sur le programme et la communication de votre travail.42» Contrairement à ce qu'on m'avait expliqué à la SACD,

j'ai dû payer des droits d'auteur bien qu'il s'agisse d'une représentation dans un cadre académique avec entrée libre (contribution volontaire).

42 Olivier Surin (SACD-SCAM), Re : L'Enseigneur, Photos de famille, La Demoiselle, de Jean-Pierre

Dopagne, (2009, 29 mai). [Courrier électronique à Hélène Dion], [En ligne]. Adresse par courrier électronique : info@helenedion.com.

Quatre représentations publiques du laboratoire étaient prévues, soit du 3 au 6 juin 2009, à 20 h, au Studio-Théâtre du Pavillon Charles-De Koninck de l'Université Laval. Respectant le désir de l'auteur, j'ai regroupé mes invités, y compris les membres du jury, pour la représentation du 3 juin 2009. En tout, une vingtaine de personnes ont assisté au spectacle. Il est certain que j'aurais aimé présenter ce laboratoire devant un plus grand public mais étant donné la situation avec les droits d'auteur, j'ai dû freiner la promotion. Tel que demandé par M. Dopagne, avant le début du spectacle, j'ai mentionné aux spectateurs la réserve de l'auteur quant à ma proposition de montage de ses textes. J'ai aussi invité les gens à me donner leurs commentaires après la représentation que ce soit de vive voix ou par courriel. On trouvera quelques commentaires reçus par courriel à l'Annexe 5 à la page 147.

La vie comme un voyage a été l'occasion de mesurer mes compétences de metteure en scène et d'explorer la multi-interprétation. Avec le recul, je peux dire que je suis très satisfaite du résultat de ce projet pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, la multi-interprétation. Après avoir cherché de multiples façons d'introduire des différences entre chacun des personnages, j'en conclus, sans surprise, que ce phénomène relève à la fois du domaine des signes de la représentation (costumes, accessoires, lumières, ambiance sonore) autant que de l'interprétation par les acteurs. Parfois, un geste suffisait pour distinguer un personnage d'un autre. Ainsi, on distinguait clairement le personnage de René, le collègue du Prof de littérature du Ministre de la justice, tous deux interprétés par le même comédien. Le premier avait un ton du « mec » sûr de lui, blasé de son travail, tandis que le deuxième tenait plus du politicien chevronné qui veut s'assurer, à l'aide d'un sourire plaqué, de convaincre les électeurs du bien-fondé de sa décision surtout si cette dernière n'a aucun sens.

Comme les transformations se faisaient à la vue du public, il était essentiel de prévoir des changements rapides d'accessoires ou de costumes. Est-ce que l'efficacité de ces signes serait rehaussée si les comédiens sortaient en coulisse pour revenir transformés? J'ai écarté rapidement ce choix, car je craignais des allées et venues inutiles. De plus, je crois les changements à vue contribuaient à la magie de la convention avec les spectateurs. Il me suffisait de détourner leur attention par exemple en profitant du monologue d'un autre personnage, ce dernier étant mis en lumière tandis que les autres demeuraient dans la pénombre. En revanche, j'ai eu l'impression que la répartition de certains rôles a pu porter à confusion. Je pense par exemple au double rôle de mère qu'assumait la comédienne Véronique Aubut. Peut-on penser que l'archétype de la mère transcende les nuances de jeu proposées? De même, peut-être aurait-il fallu identifier plus clairement la différence entre les personnages de Viviane et de Louise dont les similitudes pouvaient porter à confusion. Par ailleurs, j'avais confié le rôle de la mère de Monique à la comédienne qui interprétait sa fille Viviane. J'ai pensé qu'il arrive fréquemment que la petite fille ressemble à sa grand- mère. La mère de Monique est rêche, agressante, amère. Viviane tenait d'elle cette raideur

dans la posture et dans le ton. L'une triturait son collier de perles, l'autre tenait ses dossiers de laboratoire devant elle comme une armure. J'aimais bien cette subtilité entre les deux personnages. En revanche, j'ai été très satisfaite de la tentative de multi-interprétation transgenre. La délicatesse de jeu et la retenue étaient assurément les éléments-clés de cette réussite. En résumé, le fait de travailler avec des comédiens d'expérience a grandement enrichi cette exploration.

Du côté de la mise en scène, j'ai réussi à faire fi de mon manque d'assurance pour la direction d'acteurs professionnels. Je craignais de ne pas être à la hauteur. Comme si je n'avais pas déjà réalisé une trentaine de mises en scène avant de m'inscrire à la maîtrise. Comme si mes presque vingt ans d'expérience en théâtre ne suffisaient pas. J'ai travaillé très fort pour contrer cette fameuse insécurité en me préparant. J'ai interviewé les meilleurs metteurs en scène de Québec, j'ai lu sur les grands praticiens comme Ariane Mnouchkine, Louis Jouvet, Jacques Copeau, Gaston Baty, Georges Pitoëff, Peter Brook et sa fille Irina. J'ai suivi les leçons de Constantin Stanislavki et de Meyerhold, l'un pour la direction d'acteurs, l'autre pour les stratégies de mise en scène. Je remercie aussi Martin Genest de m'avoir recommandé la lecture de Lettres à un jeune poète, de Rainer-Maria Rilke, pour me donner le courage de réaliser mes idées. J'ai visité en lecture l'univers de Robert Lepage, André Brassard, Martine Beaulne et Brigitte Haentjens. Bref, j'ai pris le temps de peaufiner et de valider ma manière de mettre en scène.

Par la suite, j'ai testé la plupart des méthodes de travail proposées par les metteurs en scène rencontrés en entrevue. J'ai fait ressortir ce qui me touchait dans ces récits et j'ai clairement établi ce que je voulais dire avec ce spectacle. Tout au long de la préparation de ce projet, j'ai rassemblé sur un mur toutes les pistes, les mots clés, les images qui m'inspiraient même sans en saisir tous les liens. Par exemple : « Dans un aéroport », « Console sur scène gérée par Guillaume », « Monique prend des photos », « Hublot », « Au début, Monique écoute son cellulaire. Pas de réponse. Elle le ferme. Elle est à l'aéroport. », « Lumière rouge comme dans un laboratoire de photos». J'ai combiné l'idée d'une console gérée par Guillaume, comme s'il contrôlait l'histoire, et celle de Monique prenant des photos pour se souvenir. À certains moments, Guillaume prenait des photos, captant les moments où les personnages révélaient leur vrai visage. Je tenais à ce que le flash de l'appareil photo les

surprenne. Par exemple, la réaction de Louise lorsque sa mère lui demande pour la millième fois : « Bernadette n'a pas encore trouvé un petit copain? »43

J'ai utilisé un cahier pour noter et mettre de l'ordre dans mes idées et pour préparer les répétitions. Par exemple : « À la fin, Guillaume ouvre l'accès à l'embarquement. Il sort le dernier. Prend une ultime photo qui apparaît à l'écran, comme une photo de graduation ou de son journal intime. » Autre exemple, pour expliquer comment j'imaginais les éclairages au concepteur : « Ça se passe pendant une nuit. À la finale, le soleil se lève. », « Les exutoires devraient avoir une lumière particulière qui représente la vie intérieure du personnage, son voyage intérieur. », « Lumières au sol? Néons? », « Illuminer les arches

du décor comme s'il s'agissait des bandes blanches des polaroids de Gainsbourg. »

Par hasard, j'ai beaucoup voyagé en 2008 et donc, j'ai passé beaucoup de temps dans les salles d'aéroport. Il est certain que ces périples m'auront inspirée dans le rituel de ces endroits. Je n'ai eu qu'à me fermer les yeux et je voyais mes personnages évoluer dans la salle d'attente de l'Aéroport Charles-De Gaulle. C'est d'ailleurs là que j'ai trouvé la photo qui allait déclencher toute l'inspiration au sujet de la Gestalt thérapie. J'ai écouté beaucoup de musique, j'ai visité des musées, je me suis promenée, attentive aux signes comme cette citation accompagnant un chevalet qui avait reçu des milliers de gouttes de peinture comme autant de perles de vie : « L'important, c'est de faire.44 » C'est l'idée qu'on devient

forgeron en forgeant, metteure en scène en pratiquant la mise en scène. À ce propos, le metteur en scène français, Louis Jouvet abonde dans le même sens :

C'est à cette conscience professionnelle de soi-même que l'acteur doit atteindre. Et cette conscience de son métier, il ne l'acquerra que par cette vertu d'intuition qui est celle de toutes les professions, de tous les métiers exercés. Le potier qui, après vingt ans de pratique, tourne un vase, sait mieux que ne pourrait lui enseigner aucune théorie quel tour de main, quelle inflexion du pouce imprimeront au vase son vrai galbe, son vrai sens. Il tiendra sur son travail des propos dont la justesse, la précision, le savoir ne sont pas l'effet de l'intelligence ni du raisonnement, mais du sentiment presque physique de son travail et de la conscience qu'il en a pris. Mais il faut avant tout avoir été potier45.

Ce que j'ai vraiment essayé de faire tout au long de cette exploration a été d'être à l'écoute. J'ai écouté les personnages et leurs émotions. Bien entendu, j'ai écouté ma voix intérieure

43 La vie comme un voyage, p. 88.

44 Citation vue à l'entrée de l'exposition dédiée au peintre Jean-Paul Riopelle au Musée national des beaux-

arts de Québec, 2008.

qui me guidait mais, à un certain moment des répétitions, j'ai volontairement cessé de parler pour être vraiment attentive à ce que me disaient les comédiens et comédiennes. J'ai entendu leur besoin d'exploration personnelle et je leur ai laissé le champ libre. J'en suis ressortie plus riche de leurs idées et de leurs propositions. Et de leur confiance, j'espère. Étonnamment, je ne doutais pas de mes capacités à travailler avec des concepteurs professionnels. Peut-être parce que je les avais fréquentés alors que j'étais directrice administrative et de production et que j'avais été témoin du cheminement créatif entre le metteur en scène et les concepteurs. Peut-être était-ce aussi parce que je porte ce spectacle en moi depuis des années et que je savais exactement ce à quoi je voulais qu'il ressemble. J'ai eu la confirmation qu'une grande partie de la réussite tient dans la confiance qu'on offre aux autres. Les acteurs sont les principaux créateurs du spectacle et, moi, la metteure en scène, mon rôle est de les accompagner, les guider, les encourager à se dépasser et les aider à trouver la justesse des émotions, la vérité du jeu, la poésie du geste.

J'ai compris que le doute peut être un ami, une source d'inspiration. En remettant en question mes choix, j'ai eu l'occasion de pousser plus loin ma réflexion et me dépasser artistiquement. J'aurais aimé avoir plus de temps pour approfondir cette recherche et épurer le résultat. Par exemple, réévaluer le montage de textes pour l'écourter, revoir la répartition des rôles entre les comédiens ou tester d'autres façons d'identifier les personnages (un bruit, une lumière ou une musique par exemple). Ce sera sûrement l'objet d'une nouvelle étape de travail si l'occasion se présente de reprendre ce projet.

Je laisse le mot de la fin à Irina Brook : « Il s'agit simplement de faire les choses qui nous passionnent profondément. Tout devient alors possible.46 »

46 Josette Ferai, « Mise en scène et jeu de l'acteur. Entretiens Tome III Voix de femmes », Québec-Amérique,

Bibliographie