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13 Les Exutoires

7.4 Recherche de théâtralité

Même si elle n'a pas du tout mis fin à une théâtralité issue du texte, la mise en scène moderne a déployé les ressources de la théâtralité incluse dans l'écriture scénique. Elle a sollicité le jeu de l'acteur comme vecteur principal de représentation (comme le firent par exemple un Copeau ou un Vilar), elle a aussi beaucoup contribué au déploiement de toutes les pontentialités de l'espace scénique mobilisant dans la construction d'une image souvent sophistiquée les ressources de la scénographie ainsi que l'art du costume et de la lumière. Elle a enfin exploré la théâtralité incluse dans le lieu scénique lui-même en faisant prendre conscience des possibilités significatives du rapport salle-scène ou en faisant représenter des oeuvres dans des lieux historiques, des lieux de vie sociale ou de vie quotidienne.

J.-M. Piemme37

J'ai travaillé le spectacle de façon naturaliste même si j'ai ajouté quelques effets plus poétiques (exutoires, voix off). L'ensemble scénographique était réaliste, épuré. Le public était placé près des acteurs et souvent pris à témoin directement. Il y avait quelques scènes du type « souvenir » qui rappelait que nous étions au théâtre. La théâtralité, telle que décrite dans le Dictionnaire encyclopédique du théâtre, devait donc provenir essentiellement du jeu des acteurs.

Tout au long du processus, j'ai dirigé les comédiens en cherchant la justesse du geste, de l'émotion et la vérité de la situation. Dans le court laps de temps qui a suivi la mise en espace et à partir du moment où les exutoires ont été créés, je les ai laissés prendre leur place. Pour une fois que je travaillais avec des professionnels, je n'avais pas à leur montrer a jouer. J'ai démontré de la souplesse en accueillant leurs propositions et leurs suggestions. J'ai aussi fait appel à leur talent particulier. Par exemple, j'ai demandé à Serge Bonin d'utiliser ses connaissances du théâtre classique pour interpréter la scène où son ancien professeur cite avec vigueur L'Iliade. Je les ai accompagnés dans la quête de ce moment où on sait que tout est bien, que tout est cohérent et que l'équilibre est présent.

7.4.1 Théâtre-réalité

Les textes qui composent La vie comme un voyage invitent à une relation acteurs- spectateurs différente, celle où le quatrième mur tombe. Les personnages parlent directement au spectateur, l'interpellent et le confrontent.

En entrevue38, le metteur en scène Patrie Saucier avoue avoir envie de créer un dialogue

avec le public afin que ce dernier demeure actif. Dans cet esprit, j'ai créé un rapport scène- salle déstabilisant en plaçant le public très près de la zone de jeu. Les récits se prêtaient bien à cette relation où le personnage regarde un spectateur droit dans les yeux, par exemple, quand la mère demande : « Avez-vous déjà écouté vos enfants comme vous m'écoutez? » puis laisse flotter un silence où l'écho de cette question se fait entendre longtemps.

Le public étant réparti sur trois côtés, j'ai proposé aux comédiens de parfois s'adresser aux spectateurs comme s'ils leur demandaient leur avis. Ces indications ont été prévues lors de la mise en place, parfois vers le côté jardin, cour ou vers l'avant de la scène. Voici un exemple :

LOUISE

(Vers public cour) C'est ainsi que je suis devenue aide-cuisinière à La Bonne Frite. Pas plus con que de taper sur un ordinateur ou de répondre au téléphone. Je servais les clients sans les voir. Je les regardais mais je ne les voyais pas. Devant mes yeux il n'y avait ni hommes ni femmes. Rien que des acheteurs de frites. (Temps. Au public devant) A l'époque où Juliette a rencontré Roméo, est-ce que tous les hommes étaient comme Roméo? Ou est-ce que Roméo était une exception? S'ils avaient vécu, Juliette et Roméo, s'ils n'étaient pas morts à cause de leurs stupides familles, que seraient-ils devenus? (Au public jardin) Mille fois je me suis posé la question de leur vie à deux. Que seraient-ils devenus à 25 ans? À 40? À 60? Ils auraient eu des enfants ? Ils auraient eu des amants ? Ils se seraient séparés ? Vous voyez Juliette retourner chez sa mère ?

(Décidée. Au public devant) Moi. Demain. Je serai princesse. Madame et princesse! Demain!39

Pour contribuer à cette relation directe entre les comédiens et le public, j'ai basé ma mise en scène sur le rituel suivi dans les salles d'attente d'aéroport. Toute la structure du spectacle a respecté l'ordre de ce rituel. Trouver le bon endroit, s'installer, observer les autres passagers, esquisser un faible sourire poli, un hochement de tête, puis attendre. Lire une revue, regarder un écran, par la fenêtre, sa montre et attendre. Réfléchir à ce qu'on a fait récemment, à ce qui nous attend après ce voyage, au moment où on arrivera enfin. Écouter les voix qui appellent les passagers et espérer que ce sera bientôt notre tour. Et attendre encore. Finalement, on appelle notre vol, notre départ. Il faut vite ramasser ses affaires et faire la file jusqu'à la porte d'embarquement où on vérifiera notre billet. Puis, franchir ou non cette porte qui nous amènera ailleurs. Enfin.

Je voulais que les spectateurs se reconnaissent dans cette histoire, qu'ils sentent qu'ils auraient pu s'asseoir avec les personnages. Par le plus grand hasard, les chaises réservées au public étaient des chaises de classes en bois, dures et très peu confortables. Un peu comme le sont les sièges de salles d'attente d'aéroport. L'effet de distanciation et d'inconfort était

doublement réussi. Au sujet de la distanciation, Patrice Pavis, dans le Dictionnaire du théâtre, la décrit ainsi :

Procédé de mise à distance de la réalité représentée de façon à ce que celle-ci apparaisse sous une perspective nouvelle qui en révèle le côté caché ou devenu trop familier. (...) Ce principe esthétique vaut pour tout langage artistique : appliqué au théâtre, il concerne les techniques « désillusionnantes » qui n'entretiennent pas l'impression d'une réalité scénique et révèlent l'artifice de la construction dramatique ou du personnage. L'attention du spectateur se porte sur la fabrication de l'illusion, sur la façon dont les comédiens construisent leurs personnages. Tous les genres théâtraux y ont recours.40

En rapprochant les acteurs du public, en leur demandant de s'adresser directement aux spectateurs, en détournant le message des voix off entendues dans un aéroport ou en effectuant les changements de costumes à vue, j'ai volontairement créé un effet de distanciation. J'ai fait tomber le fameux quatrième mur.

Au sujet des nouvelles tendances au théâtre, Lorraine Côté41 souligne d'ailleurs l'absence du

quatrième mur : « Qu'on soit en coulisse ou sur scène, il n'y a pas de différence. » La vie comme un voyage est un bon exemple de théâtre-réalité.

Patrice Pavis, Dictionnaire du théâtre, Messidor/Éditions sociales, Paris, 1987, p. 127

J'ai pris en main tout ce qui a trait à la direction de production : organisation de l'horaire de répétitions et de montage/démontage, réservation des locaux, contacts avec l'Union des Artistes pour m'assurer de pouvoir travailler avec des comédiens professionnels bénévoles, coordination des rendez-vous pour les costumiers et organisation du transport du mobilier aéroportuaire. J'ai aussi effectué les communications (infographie de l'affiche, du programme, des billets et rédaction du communiqué de presse). J'ai réalisé la recherche de financement et géré le budget de production. J'ai réussi à obtenir une subvention de l'AELIÉS (Association des étudiantes et étudiants de Laval inscrits aux études supérieures), de l'AGEETUL (Association des étudiants et étudiantes en théâtre de l'Université Laval) ainsi qu'une bourse du Département des littératures. J'ai aussi obtenu une commandite des Copies de la Capitale pour l'impression des documents. Les revenus de billetterie (contribution volontaire) et mon propre apport ont complété le financement.