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Entretiens avec des metteurs en scène de Québec

4. La mise en scène en

Quelle est la réalité d'un metteur en scène de Québec en 2008 ?

Chacun des metteurs en scène rencontrés a abordé un aspect différent du métier. Gill Champagne a souligné le métissage des disciplines, par exemple, le théâtre se métisse à la danse, à la marionnette et aux arts du cirque. Patrie Saucier déplore avec amertume les cliques qui engagent les mêmes metteurs en scène privant ainsi certains artisans de travail. Selon lui, ce phénomène, qui était jusqu'ici plutôt montréalais, s'installe de plus en plus à Québec. Sa réalité c'est d'avoir présenté sa pièce Le Boxeur en autogéré, sans subvention et que peu de directeurs artistiques et autres metteurs en scène n'aient assisté au spectacle. En contrepartie, Michel Nadeau mentionne que souvent les metteurs en scène fondent leur propre compagnie et s'auto-produisent faisant ainsi leur preuve. Il assure que « les directeurs artistiques sont toujours contents d'avoir du sang neuf. »

Pour sa part, Martin Genest souligne qu'il s'est senti comme « la saveur du mois » dans la dernière année. Il travaille présentement à cinq projets et avoue que, pour y arriver, il est à pied d'oeuvre 90 heures par semaine. À ce propos, Lorraine Côté considère essoufflant de monter plusieurs mises en scène par année. Il faut se donner le temps d'y penser et d'y travailler. Michel Nadeau abonde dans le même sens. Il mentionne que « [...] tu peux faire trois mises en scène par année - et c'est beaucoup - et tu ne feras pas 30 000 $ par année. » Marie-Josée Bastien décrie à son tour le fait que les subventions soient demeurées les mêmes malgré la hausse du coût de production des spectacles. Ceci a pour résultat que le public voit moins de comédiens sur scène et que les directeurs artistiques soient obligés de réduire les distributions des pièces de Shakespeare. Selon Lorraine Côté, les dates de dépôts des différentes demandes de subvention complique beaucoup le calendrier de production. Il arrive régulièrement qu'un spectacle soit programmé au Théâtre Périscope et qu'il n'obtienne pas les subventions nécessaires. Elle complète en parlant de la dualité de la réalité des metteurs en scène. « Quand ça ne marche pas, [...] c'est difficile parce que tu ne

gagnes pas ta vie, tu te dis les gens m'ont oubliée, les gens me boudent. Et quand ça marche trop, c'est aussi très compliqué parce que que là, on t'en demande trop et quand t'en fais trop et que t'es débordée, tu peux aussi faire de moins bons coups. »

Quelles sont les conditions de travail ?

Malgré les ententes entre l'Union des artistes et TAI (Théâtres associés inc.) qui reconnaît désormais le métier de metteur en scène et assure ainsi de meilleurs cachets, Patrie Saucier souligne que pour obtenir un cachet, il faut du travail. Selon lui, il y a de plus en plus de metteurs en scène de Montréal au Trident, le Théâtre Blanc ne fait que des coproductions avec l'extérieur et il n'a jamais fait de mises en scène au théâtre jeune public. « Ça veut dire qu'avec Le Boxeur, pour trois mois de travail, avoir écrit le texte, l'avoir joué 16 fois, je me suis versé 300 $ de cachet. C'est ça la réalité après 18 ans de métier. »

Martin Genest considère presqu'indécent de travailler à cinq projets par année pour arriver à gagner sa vie étant donné le nombre d'heures qu'il doit consacrer à chacune des productions pour aboutir à un résultat de qualité.

Gill Champagne mentionne que les artistes n'ont d'autres choix que d'exercer des à-côtés pour assurer leur survie financière. C'est ainsi que Marie-Josée Bastien se considère chanceuse de pouvoir enseigner le théâtre en même temps qu'elle travaille comme comédienne. Elle cite en exemple le fait d'avoir enregistré une publicité et d'avoir gagné en 30 minutes la moitié de son cachet de metteur en scène pour Richard III, au Théâtre La Bordée. « On est les champions du 2,35 $ de l'heure. »

Comment pourrait-on améliorer ces conditions de travail ?

Martin Genest propose de siéger sur les différents conseils d'administration comme le Conseil québécois du théâtre, le Trident, etc. Ça permet d'obtenir une meilleure vue d'ensemble, de mieux comprendre les conditions actuelles et faire avancer les choses. Il mentionne sa participation à la création de Premier Acte qui, après 14 ans, rend possibles les conditions qui permettent aux artistes émergeants de se présenter devant public.

Pour Gill Champagne, cette amélioration passe par la reconnaissance du statut de l'artiste « Une fois que ce sera reconnu, on ne parlera même pas d'améliorer, de plus ou moins payer. » Être considéré comme travailleur tout en étant des créateurs.

Patrie Saucier regrette qu'on demande aux artisans d'agir comme des gestionnaires, de remplir les demandes de subventions malgré le fait qu'on soit un artiste reconnu. Il remet sur la table le départ régulier des artistes de Québec vers Montréal. Il propose une avenue originale pour que cesse cette perte de vitalité : que les compagnies de théâtre subventionnées au fonctionnement consacrent 1% de leur budget à développer un laboratoire avec un metteur en scène, quelques comédiens et concepteurs. Il suggère aussi d'augmenter la collaboration avec l'Université Laval et le Programme de théâtre mettant ainsi en commun leurs ressources financières. Le Conseil des arts des lettres du Québec (CALQ) n'aurait pas nécessairement à augmenter les subventions et ce serait alors le milieu lui-même qui verrait à la pérennité des spécialistes du clown, du bouffon ou théâtre d'objets. Il s'étonne aussi que les auteurs de Québec soient rarement montés sur les scènes de Québec. « On est ben fort sur le lutrin à Québec [...].»

Comment pourriez-vous qualifier votre rapport avec le public ?

Selon Gill Champagne, il s'agit de « l'être le plus changeant. » Il est capable de s'adapter aux différentes propositions et se montre ouvert aux conventions. Aussi, les metteurs en scène pensent les œuvres d'une façon différente maintenant que, par l'entremise des festivals, des productions étrangères nous parviennent régulièrement.

Patrie Saucier a envie de créer un dialogue afin que les spectateurs demeurent actifs. Pour sa part, Lorraine Côté ne se laisse pas influencer par le facteur public dans sa démarche bien qu'elle ait envie que les gens apprécient le spectacle. Elle le considère comme le dernier partenaire du spectacle. Marie-Josée Bastien ne cherche pas à plaire bien, qu'à son avis, elle fasse un théâtre populaire. Elle tente de se renouveler à chaque production. Elle avoue ne jamais lire les critiques, sauf lorsque vient le temps de les transmettre aux organismes subventionneurs.

Quelles sont vos sources d'informations pour trouver les nouveaux textes ?

À noter que cette question, ainsi que la suivante, ne furent posées qu'à Gill Champagne. Il suggère, entre autres, d'assister à des festivals. Souvent, « [...] à la sortie de la salle, les autres textes de l'auteur sont disponibles, une pratique qu'on devrait instaurer dans nos théâtres. » Il propose aussi le CEAD (Centre des auteurs dramatiques) pour les auteurs québécois. Parfois les auteurs lui transmettent eux-mêmes leurs textes.

Faites-vous des commentaires sur un texte envoyé directement par un auteur ?

Il ne le fait pas car il n'est pas lui-même un auteur. Il peut toutefois le proposer à quelqu'un d'autre s'il pense qu'il pourrait lui convenir.

5. Recommandations

Quels conseils pourriez-vous donner à un metteur en scène qui débute ?

Le conseil qui revient le plus est l'attitude face à ce métier. Gill Champagne suggère la persévérance, l'écoute et la curiosité. Lorraine Côté abonde dans le même sens en ajoutant l'importance de lire les classiques. Patrie Saucier a répondu par ce qui semble être une maxime : « C'est toujours mieux de se tromper que de ne pas faire. » Enfin, le témoignage de Martin Genest est éloquent. Il rappelle, en effet, l'importance de s'écouter car, selon lui, l'envie d'exercer ce métier doit répondre à un besoin viscéral, qu'il s'agit presque d'une vocation. « Il faut être à l'écoute de ce qu'on veut faire dans la vie, de ce qu'on veut être dans la vie. »

Avez-vous des suggestions de lecture ?

Martin Genest a suggéré Lettres à un jeune poète, de Rainer-Maria Rilke, tandis que Lorraine Côté propose les écrits de Peter Brook, Jean-Louis Barrault et Louis Jouvet.

6. L'avenir

Quelles sont les tendances d'aujourd'hui en mise en scène ?

Chacun y est allé de sa perception. Gill Champagne remarque la présence du multimédia et qu'il y a une tendance à revenir à l'essentiel - le conte - et à la préoccupation de raconter une histoire. Il y a par ailleurs une certaine contradiction entre ce que perçoit Martin Genest et Marie-Josée Bastien. Selon le premier, notre théâtre est plutôt stagnant et en manque de fraîcheur, de renouvellement et de jeunesse. Selon lui, on aurait besoin « [...] de se faire brasser un peu. » Pour sa part, Marie-Josée Bastien considère qu'il se fait de l'excellent théâtre à Québec et qu'il y a le souci de mettre l'œuvre de l'avant et non pas la performance. En Europe, la déconstruction serait à la mode tandis qu'à Québec, on se soucie plus du spectateur. C'est ce que note aussi Patrie Saucier. Il indique de plus l'apport de la technologie mais le résultat serait plus réaliste, plus cru. Il y a plus de nudité sur scène. On semble rechercher l'humain. Pour Lorraine Côté et Michel Nadeau, le théâtre trash fait une percée dans le milieu théâtral de Québec. On parle ici du In your face theatre, c'est-à-dire, du théâtre coup de poing. « Chacun monte son Sarah Kane. » souligne Michel Nadeau. Lorraine Côté aborde le côté vidéo clip des scènes et l'absence du quatrième mur : « Qu'on soit en coulisses ou sur scène, il n'y a pas de différence. » Michel Nadeau mentionne la courte durée des scènes et la rareté des « [...] scènes de quinze minutes où on développe des enjeux. » Même les pièces sont plus courtes, au plus une heure trente sans entracte. Il se rappelle qu'à l'époque où il sortait du Conservatoire, on criait au scandale si la pièce durant moins de deux heures !

À quoi ressemblera la mise en scène de demain ?

Lorraine Côté pense qu'on redonne la place à l'acteur après l'ère du metteur en scène. Elle remarque que les metteurs en scène de Québec, bien qu'on soit capable de reconnaître leur signature, ont tendance à se faire oublier et n'essaient pas de dénaturer l'œuvre pour se mettre en valeur.

A Québec, y a-t-il d'autres débouchés que le théâtre pour un metteur en scène ?

Patrie Saucier mentionne les remises de prix et les soirées bénéfice. Marie-Josée Bastien parle de sa propre expérience : « J'enseigne, je suis comédienne, j'écris et je fais de la mise en scène. »

Le mot de la fin revient à Gill Champagne : « Un metteur en scène, pour moi, c'est la relation avec l'acteur. Dès qu'il n'y a pas d'acteur devant moi, oui c'est de la mise en scène mais c'est une autre organisation. C'est autre chose. »

Conclusion

À la lumière de ces conversations, on peut répartir le travail du metteur en scène en trois temps. Tout d'abord, la période de recherche, c'est-à-dire, la préparation, l'idéation, la conception et les promenades dans l'imaginaire pour arriver à se créer son propre spectacle. Cette étape, plus ou moins longue, est suivie par le travail en salle de répétition qui dure généralement six semaines. Toutes les idées sont alors exposées à l'équipe de production, certaines ayant déjà été fouillées avec les concepteurs de décors, de costumes et d'environnement sonore. C'est alors le moment où le metteur en scène dirige les acteurs, leur donne des indications quant aux intentions et aux états d'âmes des personnages, où il accompagne les comédiens et qu'il est à leur écoute et se rend disponible pour les rassurer ou les encourager. Enfin, l'entrée en salle permet au metteur en scène de rassembler tous les morceaux du casse-tête. Il devient alors le chef d'un orchestre qui se retrouve après des semaines de recherche. Les comédiens s'emparent du décor créé par le scénographe, portent enfin les vêtements de leur personnage. On entend la musique telle qu'elle sera jouée lors de la représentation et l'éclairagiste colore cet espace avec ses appareils invisibles de la salle. Au centre de cette équipe, le metteur en scène répond aux questions, indique les besoins techniques aux machinistes et, évidemment, donne des notes aux comédiens après chacun des enchaînements.

J'ai réalisé cette série d'entrevues en vue de la préparation de la dernière étape de mon mémoire de maîtrise qui consiste en la réalisation d'une mise en scène qui sera présentée en laboratoire public au printemps 2009.

Dans ce cadre, je mettrai à profit les idées glanées au fil des conversations. Je compte essayer certains outils mentionnés par les metteurs en scène rencontrés. Par exemple, comme Martin Genest, je vais garnir les murs de mon bureau d'idées de mise en scène, de photos, de sources d'inspiration et je garderai sous la main un gros cahier de notes comme le fait Marie-Josée Bastien. À la façon de Lorraine Côté, je composerai le spectacle en entrant dans la pièce et en voyant la mise en place. Je suivrai Michel Nadeau dans sa manière de tracer la courbe de l'action de la pièce et je chercherai les mouvements du texte, sa respiration. Lors de la première répétition, je m'assurerai que mes acteurs portent les souliers de leur personnage selon l'exigence de Gill Champagne et je leur demanderai de ne pas jouer. Je m'inspirerai de Patrie Saucier et je testerai l'utilisation de placebos pour exacerber les émotions et j'échangerai les rôles entre les comédiens le temps d'une répétition.

Enfin, tout comme eux, j'irai cueillir l'inspiration chez les arts visuels, la musique et je serai attentive aux signes qui m'entourent comme cette citation accompagnant un chevalet qui avait reçu des milliers de gouttes de peinture comme autant de perles de vie :

« L'important, c'est de faire. »47

Jean-Paul Riopelle

Annexe 2 :