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63 Costumes et accessoires

65.1 Choix de photos

6.5.2 Réalisation des projections

La préparation des projections comportait trois étapes : rassembler le matériel, c'est-à-dire les photos et la musique, créer les projections à l'ordinateur puis tester le résultat sur un écran, en salle.

J'ai alors rencontré Nicola-Frank Vachon pour trouver avec lui les photos dont j'avais besoin. Je savais que le montage nécessiterait des images de mariage pour Louise, de galets, de chantier, de corps en chute pour la mère, de classes et de nouvelles télévisées pour le Prof, des photos de nuages, de regards, de mouvements, de parties de corps qu'aurait photographiées Guillaume. J'imaginais d'ailleurs celui-ci en train de prendre des photos des moments clés, des petits gestes inconscients qui trahissent l'âme. Comme Nicola-Frank était très occupé pour les semaines à venir, il m'a suggéré d'utiliser sa banque de photos en ligne et de choisir celles qui me conviendraient le mieux. J'avais aussi besoin d'une croix pour représenter la scène où Guillaume enterre son ami imaginaire Goudu. J'ai demandé à la scénographe Virginie Leclerc de me bricoler une croix de bois que Nicola- Frank Vachon a photographiée. J'ai utilisé Photoshop pour graver le nom de Goudu (Figure 7).

Il me restait à organiser ces images, près de 300 photos, pour que le tout accompagne, complète ou devance les émotions suscitées par le récit.

À partir de la banque de photos de Nicola-Frank Vachon, je devais trouver des images qui pourraient correspondre aux différents lieux évoqués par les récits. L'idée était d'aider les spectateurs à se situer dans les différentes histoires. Les photos seraient projetées en alternance, au fil du récit.

Au début et à la fin, il y aurait la photo d'aéroport qui fut le point de départ de cette réflexion. Elle serait projetée lorsque les personnages parlaient au présent comme s'ils s'étaient adressés à un voisin de la salle d'attente. Parmi les autres lieux, il y avait entre autres la maison des parents de Louise, la classe et le bureau du professeur, la maison et le bureau de vétérinaire de Monique, la morgue, le poste de police, le château du Prince Charmant, etc. Il me fallait arriver à symboliser l'ambiance pour installer un état d'esprit. Par exemple, l'univers des parents de Louise est représenté par une lampe de table dans une lumière rouge. Lorsque j'ai vu cette photo, j'ai pensé au salon de ma tante Annette dans les années 60, un salon confortable, modeste et qui sentait le gâteau. Le bureau de Monique, la mère vétérinaire, est dessiné par des tuiles aseptisées, froides tandis que sa maison recèle d'objets d'art aux lignes épurées. Le bureau du professeur est rempli de livres, dont de nombreux classiques, plus ou moins organisés. Son bureau est en noir, gris et blanc. Le château du Prince Charmant me semble immense, imposant et plutôt froid avec sa couleur bleutée et son ciel sombre. Il impressionne. Le bleu, blanc, rouge du bureau de police rappelle les « flics » français ou les couleurs d'un quelconque gouvernement. Aucune fioriture. Pour sa part, la morgue ne contient qu'une lumière, sombre, glacée. Un lieu où il n'y a pas de vie. Un endroit qui fait peur. Enfin, à chaque fois qu'un ministre fait une annonce, on assiste à la parade des caméras et des micros. Vite, il faut capter ce qu'il dit ! La Figure 8 présente quelques exemples de photos utilisées pour symboliser l'association visuelle entre les lieux évoqués ou les émotions des personnages.

Figure 8 : Exemple de photos24 utilisées en projection pour illustrer les lieux évoqués

Bureau de Monique, la mère vétérinaire

Maison de Monique, la mère vétérinaire

La morgue L'annonce du ministre Photo Nicola-Frank Vachon, 2009.

Dans le cas des exutoires, j'ai regroupé des séries de photos thématiques selon les personnages. On trouvera la description détaillée des exutoires à la page 39.

Je devais aussi comprendre le processus pour préparer les fichiers informatiques afin de m'assurer d'obtenir des projections de qualité. Après des recherches infructueuses, un de mes comparses de longue date, Jacques Martin Levesque, m'a patiemment expliqué les différentes composantes dont j'aurais besoin selon le matériel disponible à l'Université. Il m'a aussi recommandé d'utiliser le logiciel Keynote pour sa stabilité comparativement à PowerPoint. Finalement, j'ai préparé les animations avec IMovie en ajustant les images sur la bande-son préparée par Yves Dubois. Le résultat fut surprenant d'émotions. Les projections ajoutaient une telle ambiance aux scènes, comme si on changeait de décor à tout moment, les images venant appuyer le texte ou les gestes. Les quatre exutoires (cf. p. 39) se sont avérés très efficaces reflétant un mélange de cinéma et de théâtre. Grâce à la qualité des photos, les projections ont eu même plus d'impact que je ne l'imaginais comme on peut le constater dans les commentaires des spectateurs (fournis à l'Annexe 5).

Lorsqu'est venu le temps de procéder aux tests des projections, Luc Vallée m'a été d'un grand secours technique. Il a pris soin d'installer toutes les connexions nécessaires et, surtout, d'orienter le projecteur pour éviter que le cadre du décor lui fasse une ombre. Ces images ajoutaient une touche de couleur à la grisaille de ce décor. Un très beau résultat.

Savoir renoncer à ce qu'on a prévu pour prendre ce qui se présente.

Ariane Mnouchkine25

Pour l'étape des répétitions, je disposais d'une cinquantaine d'heures avec les comédiens et comédiennes. Il me fallait maximiser mon temps avec eux. Je devais donc arriver avec une idée assez précise de la direction que nous allions prendre tout en conservant une porte ouverte pour les éventuelles surprises que le travail de création occasionne.

Comme l'explique l'acteur Philippe Avron en entrevue, « Interprète du texte, le metteur en scène est aussi celui qui sait tenir une équipe. Il faut sentir qu'il est non seulement sûr de lui, mais sûr de vous.26 » Il était primordial pour moi d'établir un lien de confiance avec

l'équipe de production. En effet, je suis mieux connue comme administratrice de compagnie de théâtre que pour mon travail de metteure en scène. Pour y arriver, je me suis inspirée des recommandations des metteurs en scène rencontrés en entrevue27.

Par exemple, selon Gill Champagne, le metteur en scène doit être capable de convaincre son équipe de production et les acteurs de sa démarche, de son envie et de sa façon de peindre le texte. Patrie Saucier souligne que, de Robert Lepage, il aura retenu la confiance qu'on accorde à celui qui a l'air de savoir où il s'en va mais qui continue de solliciter les avis. Les metteurs en scène rencontrés considèrent essentiel de posséder les réponses ou, à tout le moins, des pistes de réponses. Quant à la direction d'acteurs, on peut résumer les différentes approches par la capacité de donner confiance en soi aux comédiens.

La conclusion de Meyerhold est à l'opposé de celle de Stanislavski : il prône un renforcement du rôle du metteur en scène, lequel doit, tel un chef d'orchestre, veiller à la cohérence de l'ensemble en vue du projet commun : faire en sorte que l'âme du spectateur entre en communion avec celle du poète par la médiation du jeu théâtral.

Gérard Abensour28

25 Josette Ferai, «Rencontres avec Ariane Mnouchkine, Dresser un moment à l'éphémère », XYZ Éditeur,

1995, Montréal, p. 36.

26 Jean Saint-Hilaire, « Le jeu sans âge de l'acteur Avron », Le Soleil, Arts magazine, samedi 11 octobre

2008, p. A31.

27 cf. Annexe 1 : Entrevues avec des metteurs en scène.

28 Gérard Abensour, « Vsévolod Meyerhold ou l'invention de la mise en scène », Librairie Arthème Fayard,

Les metteurs en scène rencontrés n'ont pas parlé de Stanislavski ou autres maîtres à penser. Ils ont plutôt abordé l'importance d'aider les acteurs à comprendre leur personnage (Patrie Saucier), ajouté que parfois les mots ne suffisent pas et qu'il faut être attentif aux besoins (Martin Genest). « Il faut tabler sur ce qui marche bien plutôt que sur le négatif, essayer de les rendre confiants et qu'ils se sentent beaux et bons». (Lorraine Côté). Outre ces aptitudes, je suis d'accord avec l'affirmation d'Irina Brook sur la nature même des metteurs en scène, particulièrement quand il s'agit de femmes :

Les qualités que l'on attribue habituellement aux femmes me semblent très proches en fait des qualités utiles au metteur en scène : le côté maternel, par exemple, l'esprit de famille, la compassion, l'écoute, la sensibilité, la flexibilité.

Irina Brook29

On peut donc en conclure que la personnalité même du metteur en scène joue pour beaucoup quand vient le temps de diriger des acteurs. À ce sujet, je crois à certains principes de base desquels je m'inspire dans « l'accompagnement » des comédiens. Je cherche la vérité des émotions, l'épuration des gestes et des déplacements, la nécessité de certains silences, l'urgence de dire de même que vivre ici, là, maintenant. En conclusion, j'abonde dans le même sens que l'affirmation de Stanislavski :

Lorsque vous êtes sur la scène, vous devez toujours être en train de faire quelque chose. L'activité, le mouvement sont à la base de l'art de l'acteur. (...) soyez toujours en action, que ce soit physiquement ou spirituellement. (...) ne courez pas pour le simple plaisir de courir, ne souffrez pas pour le plaisir de souffrir. Ne faites rien « en général », pour le plaisir de faire quelque chose. Il faut que tout acte ait un but. (...) Toute action, au théâtre, doit avoir une justification intérieure, être logique, cohérente, vraie.

Constantin Stanislavki30

7.1 Préparation

Dans un premier temps, avant même de rencontrer l'équipe, j'ai suivi les conseils d'Irina Brook31 en procédant à l'exercice suivant : isoler ce qui est dit au sujet de chacun des

personnages. Ce travail préparatoire m'a permis de mettre des mots concrets, des qualités, des défauts sur chacun des personnages aussi modestes soient-ils.

29 Josette Ferai, « Mise en scène et jeu de l'acteur, Entretiens Tome III Voix de femmes », Québec-Amérique,

2007, Montréal, p. 93.

30 Constantin Stanislavki, « La formation de l'acteur », Petite Bibliothèque Payot, Paris, 1975, p. 43-52. 31 Josette Ferai, « Mise en scène et jeu de l'acteur, Entretiens Tome III Voix de femmes », Québec-Amérique,

Voici un tableau résumant l'information au sujet des personnages contenue dans le texte. Tableau 4 : Information factuelle sur les personnages

Prof de littérature Début cinquantaine Enseigne la littérature

Marié à Martine (choriste à l'Opéra) Père de Marie

A tiré sur sa classe un 17 février

Sa punition : raconter son histoire devant un public de théâtre Sa devise : les élèves sont comme des animaux. Ils agissent non par intelligence, mais par instinct.

Fils de cultivateur

À neuf ans, a été envoyé en pension à la ville Découvre l'Iliade à onze ans

Monique,

la mère vétérinaire

Quarantaine avancée / début cinquantaine Mère de Guillaume et de Viviane

Épouse (séparée) de Daniel (il est docteur) Sa mère est autoritaire

Elle est vétérinaire

Elle raconte son histoire à qui veut l'entendre Son fils Guillaume s'est suicidé il y a trois ans Sa fille est partie vivre en Californie

Louise 30 ans

Épouse demain le Prince Charmant

Son mariage sera diffusé en direct à la télé Possède un poisson rouge (Bernadette) Vit seule dans un studio

Rêvait d'être infirmière pour enfants

Elle s'est finalement inscrite à l'École de secrétariat Elle joue de la guitare

Guillaume Fils de Monique et Daniel Frère de Viviane

S'est suicidé en se jetant du haut d'une grue dans une carrière il y a trois ans

Il a un ami imaginaire, le chat Goudu Il est habile avec la vidéo et les ordinateurs Enfant, il riait tout le temps et parlait beaucoup À quinze ans : son premier baiser avec Christine Il est serviable

Suite du Tableau 4 : Information factuelle sur les personnages

Viviane Fille aînée de Monique et Daniel

Biochimiste — directrice de laboratoire Vit à San Francisco depuis trois ans

Elle est partie après l'enterrement de son frère Guillaume Daniel Époux (séparé) de Monique

Père de Guillaume et Viviane Il est docteur-chirurgien

Il a pris en main l'enterrement de Guillaume Il adore les films d'horreur

Parents de Louise La mère tient un kiosque de frites (La bonne frite) Sa devise : Tu vas devoir assumer

Le père est un arbitre

Utilise des formules toutes faites

Il n'a jamais accepté que Louise entre à l'école d'infirmières (pour lui c'est un métier de domestique)

Mlle Cordier Selon Monique, elle la prend pour une folle Elle est maternelle

Elle est concierge à l'aéroport

Mme Rosière Propriétaire d'Emile le chien (un client de Monique) En fait, elle cherche quelqu'un qui va l'écouter Directeur de théâtre Peu d'information sur lui. Ma perception :

Il est dans la trentaine

N'a pas de temps à perdre, il cherche la bonne affaire C'est le genre bon vendeur, un jeune loup

La cliente Son chien a avalé sa bague

Elle semble hautaine, riche, snob, un tantinet hystérique Le Policier #1 Annonce le décès de Guillaume à sa mère, Monique

Son ton est celui d'un fonctionnaire, froid, arrogant Père du Prof

de littérature

Cultivateur

Sait à peine lire et écrire

Il admire les professeurs (C'est le plus beau métier du monde) Le vendeur

à l'animalerie Peu d'information sur lui Légèrement efféminé

Il devrait travailler dans une boutique à la mode Jean-Philippe,

le don Juan

Jeune trentaine, beau, sensuel Marié et père de famille Informaticien, bilingue

Suite du Tableau 4 : Information factuelle sur les personnages

Mère de Monique Très «madame», elle triture sans cesse son collier de perles Elle juge sévèrement sa fille

René Collègue du Prof de littérature Cinquantaine

Le chef de chantier Décline toute responsabilité dans l'accident de Guillaume sur son chantier

Parle avec émotions, les bras dans les airs

Le Proviseur Directeur de l'école où enseigne le Prof de littérature Il suit le règlement à la lettre

Parle lentement Le Prince Charmant Beau jeune homme

Bien élevé, poli, racé Le Ministre

de la Justice

Ton très Premier ministre, politiquement correct Fait une annonce publique

Sourire forcé, faux

À la manière de Michel Nadeau32, j'ai décortiqué le parcours émotionnel des personnages.

J'ai repéré et cherché à bien saisir les moments charnières de leur vie, c'est-à-dire, l'instant où leur monde a basculé. Il y a eu le temps avant et le temps après. Dans quelle mesure étaient-ils responsables? Comment ont-ils réagi? Dans quel état sont-ils à ce moment précis?

Comme le ton général tenait de la confession publique, les protagonistes s'adressaient parfois au public, parfois à eux-mêmes ou reprenaient les scènes du passé en faisant revivre les personnages présents dans les récits.

Au départ, le personnage de Louise se voyait déjà demain, en train de marier avec le Prince Charmant et plus son histoire avançait, plus on la sentait tiraillée entre ses craintes et son désir de passer à l'acte. Elle nous parle de l'espoir de ses parents de la voir bien « casée », de sa déception dans la chasse aux hommes et de ses rêves déjeune femme moderne. Monique, la mère vétérinaire, en partance pour aller rejoindre sa fille qui l'avait rejetée, fait le bilan de la vie de son fils, de ses relations avec son mari et sa propre mère. Au fil de son

monologue, on la voit se souvenir des beaux jours de sa vie de famille et des moments les plus tristes. Son désarroi devant la situation la fait voguer de la tristesse à la colère, du désarroi à la résignation. On pense qu'elle a réglé son deuil mais on se rend compte qu'elle ressasse ces épisodes sans parvenir à comprendre (et accepter) sa propre responsabilité. Le professeur de littérature s'impose dès le départ, habitué de faire son effet devant ses élèves. Il se rappelle avec nostalgie l'époque où les enfants respectaient l'autorité, où la jeunesse était avide d'apprendre. Il constate avec étonnement et déception de la désillusion

générale non seulement des adolescents mais aussi de ses collègues professeurs. Il prend un malin plaisir à nous raconter en détail son cheminement qui le poussera à poser le geste impardonnable de tirer sur sa classe. Il sera le premier surpris de sa condamnation à raconter son histoire devant public afin de servir d'exemple.

L'histoire de Gillaume, le fantôme, est racontée en bribes par les autres. Sa mère, Monique, décode sa vie à l'aide de son journal intime tandis que son professeur de littérature raconte certaines conversations troublantes où on comprend que ce jeune homme ne se voit pas d'avenir. En cela, il ressemble à bien d'autres adolescents qui n'a aucun modèle à suivre et que les parents et les professeurs n'arrivent plus à inspirer.

Chacun des personnages composait avec un temps particulier. J'avais retenu du Prof que sa vie se situait maintenant dans le passé, son geste étant posé, il en subissait maintenant les conséquences. Sa peine consistait à raconter publiquement son geste. La mère, vivait plutôt dans le présent. Ne pouvant se résigner à accepter le deuil de son fils Guillaume, elle cherchait encore à comprendre, espérait des réponses à ses questions en analysant le journal intime de celui-ci. Louise, pour sa part, se projetait dans le futur. D'ailleurs, sa première réplique n'est-elle pas : « Demain, à cette heure-ci... demain, ce sera mon tour. Demain. »

Comme le proposait Lorraine Côté en entrevue33, j'ai cherché à les voir évoluer autour de

moi, dans l'espace. Je voyais Louise comme une belle jeune femme, très féminine, avec de belles mains fines. Monique était, pour sa part, une femme d'un certain âge, discrète, délicate, presque effacée. Le Prof était beaucoup plus imposant, non seulement par sa stature, mais aussi par le ton autoritaire de sa voix grave. Sa seule présence commandait le respect. Guillaume, pour sa part, était un jeune homme comme des centaines d'autres, mal rasé, mal peigné, la tête cachée sous son capuchon et écoutant son iPod, l'air de ne pas s'intéresser à rien et pourtant en train d'observer la vie qui passe autour de lui. La taille de son sac de voyage suggère un long périple.

Je me suis imaginé à la place de chacun des personnages : le prof désillusionné de son métier, la colère de la mère aux prises avec l'incompréhension des membres de sa famille et de son entourage, l'espoir d'une vie meilleure pour Louise et la grande solitude du jeune Guillaume. Munie de ce portrait détaillé, j'ai été en mesure de donner des indications claires autant aux comédiens et comédiennes qu'aux concepteurs et conceptrices. Je pouvais parler des personnages comme si je les connaissais.