• Aucun résultat trouvé

2.5 Jouissance du corps et du langage : un parlêtre qui résonne

2.5.2 Le vide : l’essence de la résonance

Freud a rapidement eu l’intuition qu’il devait rendre compte d’une perte au cœur du psychisme humain. C’est le refoulement originaire constitutif du noyau de la structure névrotique. Winnicott parlera également d’une perte nécessaire entre la mère et l’enfant pour que ce dernier puisse entrer dans une subjectivité. C’est cette même logique que Lacan reprendra dans son schéma de la division exposée précédemment. Tous ces auteurs ont bien l’intuition qu’une perte est au cœur du psychisme. Tout l’enjeu devient : comment en rendre compte ?

323 Miller J.-A., « Clinique ironique », La Cause freudienne, n°23, février 1993, p. 11. 324

79 Dans son dernier enseignement Lacan tentera une approche topologique en parlant de « troumatisme »325. Il s’agit là du trou dans le réel induisant que le langage ne peut prendre en charge toute jouissance qui en découle. Chaque Un est seul avec sa jouissance « il n’y a pas de rapport sexuel »326. Éric Laurent commente :

« L’événement fondateur de la trace d’affect est un événement qui entretient un déséquilibre permanent, qui entretient dans le corps, dans la psyché, un excès d’excitation qui ne se laisse pas résorber. Nous avons là la définition générale de l’événement traumatique, celui qui laissera des traces dans la vie subséquente du parlêtre. Le traumatisme au sens de Lacan, le noyau de l’événement traumatique n’est pas rapportable à un accident, […] mais […] ouvre l’incidence de la langue sur l’être parlant, et précisément l’incidence de la langue sur son corps. L’affection essentielle, c’est l’affection traçante de la langue sur le corps. »327

En s’aliénant au langage, l’être concède à une perte : « Pour l'être qui parle et qui demande, le corps manque à inscrire toute la jouissance. » 328 Un écart s’inscrit laissant « l’empreinte d'un moins-un fondamentale »329.

Cette perte, cet en-moins, nous proposons de la rapprocher de la référence qui se loge dans l’articulation S1 – S2, au cœur du mathème du parlêtre. « le signifiant, en tant qu’il s’articule

au signifiant, comporte que la référence est vide, et c’est ce qui constitue le symbolique comme un ordre, l’ordre symbolique comme Lacan l’a nommé »330 Cette référence vide, comme nous l’avons vu est la condition indispensable pour qu’une résonance ait lieu. En effet, la résonance a besoin de vide pour que les ondes engagées puissent se propager Métaphoriquement nous pourrions dire que pour que les signifiants bourdonnent, il faut qu’ils soient entourés d’espace permettant la propagation des mouvements. Dès qu’il y a deux signifiants, il y a un intervalle entre eux.

325

Lacan J., Le séminaire, Livre XXI, « Les non-dupes errent », leçon du 19 février 1974, inédit.

326 Lacan J., Le Séminaire, Livre XX, Encore, op. cit., p. 17 327

Miller J.-A., « Biologie lacanienne et événement de corps », op. cit., p. 36.

328

Laurent É., L’envers de la biopolitique…, op. cit., p. 15.

329 Ibid. 330

80 Nous avons déjà abordé cet intervalle comme lieu d’où le sujet peut apparaître et qui produit l’objet a. La référence vide concerne donc aussi le rapport du parlêtre à l’objet a qui dans sa chute fait trou, « un trou que Lacan a topologisé comme trou borroméen »331. Ce troumatisme est fondamental pour comprendre les enjeux de la jouissance et de ses résonances. Ainsi, l’articulation entre S1 et S2 est ce qui va permettre qu’une résonance ait

lieu pour que la propagation des mouvements en jeu se fasse. Il est le vide nécessaire pour que matière jouissante et matière signifiante entrent en résonance.

Descartes nous dit cogito ergo sum, je pense donc je suis332. Nous l’avons vu en introduction, de cette partie, il s’agit de la façon dont Descartes fait tenir ensemble corps et esprit. « Pour Descartes, ce qui se sent, c'est la pensée, d'où, par démonstration (ergo), se donne la certitude de l'être. » 333

L’ensemble de nos développements ont permis de mettre en relief que l’être parlant se constitue d’un moi qui vibre, produit un effet sujet qui est évanouissant et s’ancre dans le parlêtre qui résonne. Lacan renverse alors le cogito cartésien : « Pour Lacan, ce qui s'éprouve, c'est la jouissance à partir du fait que le corps, il l'a. » 334 Ainsi, Lacan nous invite à « ne pas penser avec notre âme » mais à « parler avec notre corps », façon donc de tordre les méditations de Descartes. Parler avec son corps implique la jouissance qui est finalement la seule substance à laquelle la psychanalyse ait affaire : la jouissance est la substance de la pensée335. L’inconscient prend alors une autre dimension « l’inconscient, ce n’est pas que l’être pense […] l’inconscient, c’est que l’être, en parlant, jouisse, et […] ne veuille rien en savoir de plus. »336 Le parlêtre, en tant que substance jouissante, résonne.

Dans cette première partie nous avons pu mettre en avant que la notion de résonance est essentiellement utilisée de manière métaphorique par les auteurs ou dans son application concrète au corps organisme. Nous avons alors démontré que le moi, dans sa consistance imaginaire, vibre, que le sujet, dans sa dimension symbolique, bat tandis que le parlêtre, en tant que substance jouissante, résonne.

331

Didier-Weill A., Un mystère plus lointain que l’inconscient, op. cit., p. 231.

332 Descartes R., Discours de la méthode, op. cit., p. 147. 333

Laurent É., L’envers de la biopolitique…, op. cit., p. 59.

334

Ibid., p. 59.

335 Lacan J., Le Séminaire, Livre XX, Encore, op. cit., p. 101. 336

81 Nous proposons maintenant au lecteur un interlude afin d’aborder la valeur de réel du langage. Pour approcher ce réel en jeu dans le signifiant, notre interlude sera consacré à Francis Ponge qui va nous permettre d’aller au cœur « du vide creusé par l'écriture […] godet prêt toujours à faire accueil à la jouissance, ou tout au moins à l'invoquer de son d'artifice. »337 Cette jouissance présente dans le signifiant, Ponge va la nommer réson.

337

82

Premier interlude

3 Ponge et la réson

83 L’œuvre de Lacan nous conduit à penser le langage comme articulation complexe entre ce qui permet de raisonner et ce qui résonne : « la raison, dont nous nous contenterons pour l’instant de saisir qu’elle part de l’appareil grammatical, a à faire avec quelque chose […] de résonnant »338. Le réseau de signifiants produit du sens mais possède en son cœur un noyau résonnant. Pour nommer ce réel en jeu dans le langage, Lacan emprunte au poète Francis Ponge le terme « réson »339. Dans cet interlude, nous visiterons le lien raison - réson par le biais de la poétique des mots à travers l’œuvre de Francis Ponge. La poésie est à entendre comme « genre littéraire associé à la versification et soumis à des règles prosodiques particulières, variables selon les cultures et les époques, mais tendant toujours à mettre en valeur le rythme, l’harmonie et les images »340. Contrairement au discours qui fait appel à la raison, un poème se construit à partir de la matérialité du langage comme l’indique la célèbre réplique de Mallarmé à Degas : « ce n’est pas avec des idées qu’on fait des sonnets, […] mais avec des mots ». La poésie laisse aller les mots « à leur propre résonance »341. Il s’agit donc là d’un usage de la parole qui vient réveiller le noyau résonant du langage : « les puissances d’en bas résonnent à l’invocation de la parole »342.

La poétique pongienne

Dès son enfance, Ponge a eu une attirance et une sensibilité pour le monde verbal343 : « Nous pratiquons la langue française. Celle-ci n’est pas seulement pour nous notre instrument naturel de communication ; c’est aussi notre moyen de vivre »344.

338 Lacan J., Je parle aux murs (1972), Paris, Seuil, 2011, p. 93. 339

Ibid.

340

Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, portail lexical en ligne.

341 Attié J., Entre le dit et l’écrit. Psychanalyse et écriture poétique, Paris, Éditions Michèle, 2015, p. 85. 342

Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse » (1953), Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 322.

343 Ponge F., Entretiens de Francis Ponge avec Philippe Sollers, Paris, Seuil, 1970, p. 51. 344

Ponge F., Pour un Malherbe (1951-1957), in Œuvres complètes, Vol. II, Paris, Gallimard, 2002, p. 43.

« Comment la poésie touche à la musique par une prosodie dont les racines plongent plus avant dans l’âme humaine que ne l’indique aucune théorie classique. »

84 D’emblée, le rapport de Ponge au langage s’est éloigné du sens des paroles dont il saisit la limite. À partir de sa lecture de l’essai sur l’absurde d’Albert Camus345, Ponge note : « Dire que le monde est absurde revient à dire qu’il est inconciliable à la raison humaine »346. Une conclusion s’impose alors : pour vivre heureux, l’homme aurait à se débarrasser du souci ontologique. C’est la position de Francis Ponge : « Il n’est pas tragique pour moi de ne pas pouvoir expliquer (comprendre) le Monde »347. Ponge prend donc comme point de départ ce que Lacan définit comme il n’y a pas de rapport348. L’écriture de ce poète ne va pas du côté d’une idéologie qui s’accompagne pour lui d’« un sentiment pénible d’inconsistance »349 : « les idées ne sont pas mon fort. J’ai toujours été déçu par elles » 350. Comme le note Philippe Charron dans un mémoire consacré au travail de Francis Ponge : « Ponge réprouve toute pensée anthropocentriste qui s’articule autour d’un absolu ou d’une unité de sens »351. Le poète a toujours eu à cœur de s’éloigner du sens commun pour aller vers un sens autre, révélant ainsi que le langage échoue à dire la vérité, une véritable position esthéthique352. Ce qu’il convoque dans son usage des mots n’est pas le sens. Bien au contraire, Ponge effectue un travail sur la matière sonore et graphique, la matière signifiante, « en donnant aux mots “une épaisseur presque égale” à celle des choses » 353. Il rend compte de « “la profondeur substantielle” du monde »354 : loin de l’insubstantialité des idées, c’est à partir de l’épaisseur du monde verbal et du « matérialisme sémantique »355 que Ponge a forgé « le parti pris des choses ». Pour lui, le signifiant est le matériel à partir de quoi l’artiste fait jaillir la réson. Il est tout aussi bien le matériel verbal pour le poète que la peinture à l’huile pour le peintre356 :

345

Camus A., Le mythe de Sisyphe. Essai sur l’absurde, Paris, Gallimard, 1942.

346

Ponge F., Pages bis (1941-1943), in Œuvres complètes, Vol. I, Paris, Gallimard, 1999, p. 216.

347 Ibid., p. 216. 348

Lacan J., Le Séminaire, Livre XX, Encore (1972-1973), Paris, Seuil, 1975, p. 17.

349

Ponge F., My Creative Method (1947-1948), in Œuvres complètes, Vol. I, op. cit., p. 515.

350

Ibid.

351 Charron P., « la représentation de l'objet chez Francis Ponge: une pratique transparente du sens

spécifique », Mémoire de maitrise, Québec, aout 2007, p. 8.

352

Vives J.-M., « Esthéthique de la médiation », conférence prononcée lors de l’après-midi organisée par le collège des psychologues du CHU-Lenval, Nice, le 15 mai 2018.

353

Collot M., « Ponge Francis (1899-1988) », Encyclopædia Universalis, disponible sur internet (universalis.fr).

354

Ibid.

355 Ponge F., Entretiens de Francis Ponge avec Philippe Sollers, op. cit., p. 170. 356

85 « L’huître, de la grosseur d’un galet moyen, est d’une apparence

plus rugueuse, d’une couleur moins unie, brillamment blanchâtre. C’est un monde opiniâtrement clos. Pourtant on peut l’ouvrir : il faut alors la tenir au creux d’un torchon, se servir d’un couteau ébréché et peu franc, s’y reprendre à plusieurs fois. »357

Lors d’un échange entre Ponge et ses lecteurs, une personne interpelle le poète sur l’utilisation du terme opiniâtre indiquant qu’il s’agit d’anthropomorphisme : « L’huître n’est pas opiniâtre ! Opiniâtre, c’est un caractère humain ! », ce à quoi Ponge répond sublimement : « Écoutez, cher Monsieur, vous ne m’avez pas écouté, sans doute, parce que j’ai bien expliqué que si j’avais mis “opiniâtre”, c’était à cause de l’accent circonflexe et du t- r-e. »358 Tout est dit. La réponse de Ponge impose de se taire et de laisser aller les mots « à leur propre résonance »359.

C’est dans cette logique que Ponge a porté son intérêt sur le monde muet, en cherchant à le transformer « en rencontre linguistique et en événement de langage »360. Comme toute rencontre, cette opération impose un réel que Ponge accepte : « L’entrechoc des mots, les analogies verbales sont un des moyens de scruter l’objet. Ne jamais essayer d’arranger les choses. Les choses et les poèmes sont inconciliables. »361 Tout à l’inverse d’un dictionnaire qui référencerait des définitions figées connectant un mot à un autre, Francis Ponge va constituer une œuvre ouverte362. Il va passer des textes courts du « parti pris des

357 Ponge F., L’huître (1942), in Œuvres complètes, Vol. I, op. cit., p. 21. 358

Ponge F., Entretiens de Francis Ponge avec Philippe Sollers, op. cit., p. 112.

359

Attié J., Entre le dit et l’écrit…, op. cit., p. 85.

360 Malengreau P., L’interprétation à l’œuvre…, op. cit., p. 42. 361

Ponge F., Berges de la Loire (1941), in Œuvres complètes, Vol. I, op. cit., p. 338.

362Lorsque Philippe Sollers demande à Francis Ponge d’où venait son énergie, sa poudre, pour écrire, il répond

« Eh bien, c’était en une certaine façon l’irrationnel »(Ponge F., Entretiens de Francis Ponge avec Philippe Sollers, op. cit., p. 141). L’écriture de Ponge serait d’après Philippe Sollers « une pratique à la fois érotique et mortelle ». Ponge, dans ses entretiens avec Philippe Sollers, parle de la société comme un ensemble de langage établi sur la langue commune. Pour l’écrivain, il s’agit alors de savoir « si l’on accepte ce langage, si ce langage est de votre goût ». Ce à quoi il répond : « Eh bien ! je dois dire quant à moi, que c’est par dégoût de ce langage que j’en suis venu à écrire. Il s’agira donc pour moi, pour pouvoir vivre, de modifier ce langage ». Son écriture est alors une façon de « dénoncer le langage commun » pour « en former ou aider à en former un autre ». Il s’agissait alors de s’installer « les pieds sur la table pour ne pas travailler comme on travaille à l’école, pour me mettre dans une espèce d’état second, dans lequel la nécessité complète, passant par mon corps et aboutissant à ma plume par l’intermédiaire de mon bras, ce que j’inscris est une espèce de trace de ce qu’il y a de plus profond en moi, à propos de telle ou telle notion. ». Ainsi, l’irrationnel, moteur artistique, vient du fond du corps.

86 choses »363, aux « proêmes »364 puis à l’« atelier »365. Michel Collot commente : « l'objet ne saurait être emprisonné dans une définition ni dans une formulation adéquate. Entre mots et choses, il y a du jeu ; et, se situant dans cet écart, le poème ne peut être qu'“objeu”, expression toujours provisoire et susceptible d'être remise en jeu »366. Objeu est un néologisme proposé par Ponge lui-même. Il serait l’objet de notre émotion « placé en abîme » : « l’épaisseur vertigineuse et l’absurdité du langage, considérées seules, sont manipulées de telle façon que, par la multiplication intérieure des rapports, les liaisons formées au niveau des racines et les significations bouclées à double tour, soit créé ce fonctionnement qui, seul, peut rendre compte de la profondeur substantielle, de la variété et de la rigoureuse harmonie du monde »367. Nous voyons ici très nettement que le passage de l’objet à l’objeu consiste à introduire du jeu, comme nous le ferions avec une charnière pour qu’elle puisse s’articuler. Ici bien plus qu’une articulation, l’introduction de ce jeu fait naître une résonance harmonique. Ponge va jusqu’à parler de « l’homme de l’objeu » : « Oui, c’est l’homme de l’objeu que nous préparons, et non l’homme d’un nouveau dogme. »368 L’homme de l’objeu n’est-il pas justement le parlêtre sous la plume de Lacan, ou plus exactement dans la bouche de Lacan, qui est plus séminariste qu’écrivain ? L’homme de l’objeu est celui qui résonne à travers la raison, contrairement à l’homme dogmatique qui bouche toute résonance par ses raisonnements. L’harmonique cherchée par Ponge s’obtient « grâce à notre pouvoir de formulation »369 qui permet de trouver la fréquence pour entrer en résonance avec l’objet : « Tout un avenir de raisons, abolies dès que résonne la corde sensible de chacun de nos objets. Abolies dans la vibration (à l’unisson) de la corde sensible de cet objet et de nous-mêmes »370. Quand la réson se révèle, la raison est abolie.

363

Ponge F., Le parti pris des choses, in Œuvres complètes, Vol. I, op. cit., p. 12-69.

364 Ponge F., Proêmes, in Œuvres complètes, Vol. I, op. cit., p. 163-236. 365

Nous renvoyons le lecteur aux textes sous-titrés « dans l’atelier de », comme par exemple Ponge F., Le savon. Dans l’atelier du « Savon » (1942-1946), in Œuvres complètes, Vol. I, op. cit., p. 355-421.

366 Collot M., « Ponge Francis (1899-1988) », op. cit. 367

Ponge F., Entretiens de Francis Ponge avec Philippe Sollers, op. cit., p. 141.

368

Ponge F., Pour un Malherbe, op. cit., p. 124.

369 Ibid., p. 111. 370

87

La réson : une lecture de Malherbe par Ponge

Ponge s’intéresse au travail de Malherbe pour l’usage singulier que ce dernier a fait du langage, il « fait vibrer la raison »371 : les « figures rhétoriques » sont remplacées par les « valeurs purement verbales (sonores et visuelles) à l’intérieur des mots d’une seule figure »372. Malherbe travaille à partir de la matérialité des mots et non du sens des idées qui s’en dégagent. Ainsi au « je pense donc je suis » de Descartes, « réflexion de l’être sur l’être et au prône de la raison », Ponge préfère « la Raison en Acte, le “Je parle et tu m’entends, donc nous sommes” : le Faire ce que l’on Dit »373 qu’il attribue au travail de Malherbe. La Raison en acte est une façon d’appréhender ce qu’il nomme réson. Malherbe, « surréaliste de la raison », pousse celle-ci « à un point… ! La Raison à haut prix. Au plus haut prix. »374 C’est cela la réson : « le résonnement de la parole tendue, de la lyre tendue à l’extrême »375. Dès lors, la raison, prenant appui sur la réson, peut devenir percutante : « D’une raison convaincante, frappante : donc, d’une réson »376. En cela le travail de Malherbe se distingue de celui d’autres poètes : « Il se sépare des poètes parce qu’il ne s’agit pas des mouvements de son cœur, mais de la vibration de la parole tendue »377. L’œuvre de Malherbe se tient comme une lyre et pour qu’elle résonne « il faut qu’elle soit tendue »378 :

« S’abolirait-il dès l’instant Que j’en fais retentir la corde, Tout cet avenir de raisons Contenu dans le moindre objet L’exige, il faut qu’on l’accorde : D’abord, pour qu’elle résonne, La lyre doit être tendue. »379

La tension alors en jeu devient un élément central voire l’élément central : « Il ne s’agira jamais […] que de la perfection, de la tension, de cette tension, comme telle… »380 Mais comme le veut la poétique pongienne, il semble impossible de saisir ce qu’est cette tension. 371 Ibid., p. 186. 372 Ibid., p. 249. 373 Ibid., p. 176. 374 Ibid., p. 119. 375 Ibid., p. 80. 376 Ibid., p. 140. 377 Ibid., p. 148. 378 Ibid., p. 34. 379 Ibid., p. 40. 380 Ibid., p. 58.

88 Elle ne peut qu’être approchée à certains moments : elle est tremblement de désir et de certitude381, « décision de parler »382. Elle trouve sa source dans le « ton affirmatif du Verbe », un « ton résolu »383 qu’il s’agit de « soutenir »384.

Comment Malherbe peut-il effectuer une telle opération ? Selon Ponge, « Il choisit une métaphore et s’y tient, mais le travail verbal (musicien et coloriste des syllabes) est tel que cette corde sensible REND, en harmoniques, toutes les variétés possibles de métaphores, qu’il supprime. Une seule corde, mais résonnant au maximum, donnant toutes les harmoniques. »385 Malherbe fait entrer en vibration la raison aboutissant ainsi à un « Surréalisme »386 de la raison, faisant naître la réson387. « Que la lyre soit tendue et accordée au plus haut point, afin de sonner d’elle-même, à tout propos. »388 Nous sommes passés de « la caisse de résonance du verbe français » à « la lyre française elle-même »389. Ainsi, pour Ponge la qualité d’une œuvre vient « des sons significatifs dont elle est faite, lesquels se trouvent encore – depuis l’invention de l’écriture et plus encore depuis celle de l’imprimerie – être sensibles à l’œil »390. Des sons sensibles à l’œil ! Nous voilà introduits à la dimension de l’écrit.

Malengreau soutient que la réson de Ponge intéresse Lacan au titre de ce qui s’écrit391 : « Ponge fait résonner dans la langue la ou les lettres qui lui viennent des mots que l’objet