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2.4 Un corps qui parle : un sujet qui bat

2.4.2 Les signifiants de la demande

En devenant un être de parole, l’être humain se différencie des animaux. Ce n’est plus l’instinct cherchant à combler un besoin qui va dominer son existence mais ses pulsions mettent en jeu demande et désir : « La demande c’est le discours qui vient s’inscrire au lieu de l’Autre »249. Les besoins sont donc déviés par la demande inscrite dans les rapports interhumains. Freud dès le départ met en exergue que les pulsions se frayent un chemin en 243 Ibid., p. 675. 244 Ibid., p. 671-672. 245 Ibid., p. 677.

246 Winnicott D. W., La nature humaine, op. cit., p. 23. 247

Ibid., p. 180.

248

Avron O., La pensée scénique. Groupe et psychodrame, op. cit., p. 30.

249 Lacan J., Le séminaire, livre XII, « Problèmes cruciaux pour la psychanalyse » (1964-1965), inédit, cité par

63 lien avec l’autre : le nouveau-né, dans une détresse originaire, éprouve une sensation de déplaisir face à laquelle il est sans ressource. Soumis à une excitation interne, par son cri, le bébé exprime son état de déréliction alertant ainsi l’autre qui veille sur lui. La réponse de cet autre donne une signification à ce cri et donc lui assigne une valeur d’appel. Cette réponse possède donc deux dimensions : d’une part, répondre au besoin et donc faire diminuer la tension organique et, d’autre part, inscrire l’enfant dans le champ du langage. C’est la naissance de l’Autre avec en contre point la naissance du sujet. La pulsion est alors à entendre dans ses liens à l’Autre. En se référant au trajet des pulsions partielles, Lacan indiquera ainsi : « C’est par là que le sujet vient à atteindre ce qui est, à proprement parler, la dimension du grand Autre. »250 La pulsion ou plutôt son montage implique donc « une certaine plasticité, soit par le jeu grammatical, soit dans les rapports que le sujet, par le biais du signifiant, engage avec l’Autre »251. En nouant la pulsion aux signifiants de la demande, Lacan s’éloigne de la relation biologisante qui parlait de besoins. Pour cela, il s’appuie sur la caractéristique de la pulsion d’être une force constante : « La constance de la poussée interdit toute assimilation de la pulsion à une fonction biologique, laquelle a toujours un rythme. »252 Or partant de ce postulat que la pulsion par définition ne peut pas être une fonction biologique, Lacan va essayer de cerner la fonction de la parole dans la pulsion. Si rythme il y a, c’est celui impulsé par le langage dans sa dimension symbolique.

Le graphe du désir nous indique clairement comment le langage dans ses effets de significations se constitue. Chaine signifiante et chaine des signifiés se croisent en deux points : l’un A, c’est le lieu du trésor du signifiant ; l’autre, s(A), la ponctuation où la signification se constitue comme produit fini (signification dans l’Autre). Lacan souligne « la dissymétrie de l’un qui est un lieu (place plutôt qu’espace) à l’autre qui est un moment (scansion plutôt que durée) »253. Toute communication implique l’Autre comme lieu où le message va se constituer pour prendre dans un second temps une signification. C. Leguil précise qu’à ce moment ce n’est pas le corps qui est parlant mais le sujet : « le sujet émet

250

Lacan J., Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, op. cit., p. 177.

251 Tysler J.-J., « Remarques sur des faits de déspécification pulsionnelle dans leur rapport aux fonctions dans la

psychose », in Michels A., Landman P., Les limites du corps, le corps comme limite, Paris, Érès, 2006, p. 105.

252

Lacan J., Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, op. cit., p. 150.

253 Lacan J., « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien », op. cit. p. 806. Graphe I,

64 […] une parole par son corps »254. La parole émise est alors « parole signifiante »255 à déchiffrer.

Dans ce temps de l’enseignement de Lacan, l’inconscient devient « la somme des effets de la parole sur un sujet, à ce niveau où le sujet se constitue des effets du signifiant »256. Nous en arrivons à la proposition de Lacan selon laquelle l’inconscient est structuré comme un langage. L’inconscient c’est ce qui n’est ni être, ni non-être, c’est du non-réalisé : « La béance de l’inconscient, nous pourrions la dire pré-ontologique. »257 La vraie fonction du concept de l’inconscient serait alors d’être en relation avec la coupure. L’inconscient s’inscrit dans le corps comme une béance par le biais d’une coupure divisant l’organe entre une part biologique et une part érogénéisée. Cette fonction de coupure est en quelque sorte pulsative et passe par une nécessité d’évanouissement : « tout ce qui un instant, apparaît dans sa fente semblant être destiné, de par une sorte de préemption, à se refermer, […] à se dérober, à disparaître. »258. Le sujet, à entendre comme sujet de l’inconscient, relève de cette dimension. À peine surgit-il par le biais d’une formation de l’inconscient qu’il se dissipe déjà.

Le sujet apparaît donc au lieu de l’Autre. Le sujet bat. Essayons d’articuler cette opération qui se déroule dans la névrose : le « sujet encore non-existant »259, S, va être déterminé par un signifiant qui lui vient de l’Autre, A. Or ce signifiant ne le définira pas complètement, il n’en sera qu’un trait unaire. L’identification ne sera jamais totale et le sujet ne trouvera que des signifiants amenant une identification partielle. Un écart est alors instauré et le sujet apparaît pour disparaitre tout aussitôt dans cet intervalle entre deux signifiants. C’est en ce sens que l’on parle de sujet divisé et d’Autre barré. Lacan donne un mathème de la pulsion rendant compte du rapport du sujet symbolique à la demande : 260. Ce sont alors les

signifiants de la demande qui viennent diviser le sujet. L’objet a chute comme reste et le sujet s’ouvre au langage. En effet, comme l’écrit Lacan : « Le drame du sujet dans le verbe,

254

Leguil C., « Les preuves de l’existence du corps lacanien », op. cit., p. 857.

255

Ibid.

256 Lacan J., Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, op. cit., p. 116. 257

Ibid., p. 31-32

258

Ibid., p. 44.

259 Lacan J., Le séminaire, livre X, L'angoisse, op. cit., p. 37. 260

65 c’est qu’il y fait l’épreuve de son manque-à-être »261. Cette perte correspond en effet à la cession de jouissance à laquelle le sujet doit concéder pour accéder au symbolique. Cette chute de l’objet va produire un espace vide à l’intersection entre le sujet et l’Autre permettant par là même une articulation entre eux et ouvrant le sujet au langage262.

Dans cette logique la pulsion est articulée à la fonction de la parole. « L’homme est, dès avant sa naissance et au-delà de sa mort, pris dans la chaîne symbolique, laquelle a fondé le lignage avant que s’y brode l’histoire »263. Jacques-Alain Miller propose : « La pulsion ça parle […] bien sûr, le sujet n’a aucune idée qu’il parle dans la pulsion. »264 Nous pourrions ajouter la pulsion ça parle via l’Autre faisant apparaitre le sujet le temps d’un battement. Nous pourrions alors proposer : le sujet bat et l’Autre lui donne un rythme. Il s’agit là d’une lecture de la pulsion à partir de ses liens à la parole. Le dernier enseignement de Lacan nous conduit vers le parlêtre qui noue justement être et parole. Voyons comment Lacan élabore le concept de parlêtre.