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Section 1 : Un manquement à des devoirs juridiques avant la production du dommage

I. La victime est le seul auteur d'un fait générateur

123. Si elle est l'auteur d'un fait générateur lorsqu'elle contribue à la production de son dommage, la victime peut précisément être le seul auteur. En effet, le juge administratif peut reconnaître que le dommage de la victime a été causé par le seul fait générateur de celle-ci. Le fait générateur de la victime peut ainsi être la cause unique (A) ou la cause exclusive (B) du dommage.

A. – La victime est l'auteur d'un fait générateur cause unique du dommage

124. L'unicité du fait générateur dépend de l'origine matérielle unique du dommage. S'il constate un seul fait dans l’analyse matérielle de la causalité, le juge vérifie si celui-ci explique le dommage. Aussi, dans l'hypothèse où le fait est celui de la personne publique défenderesse, celle-ci sera entièrement responsable5. Si en revanche le fait a été commis par la victime, le juge estime alors que le dommage de la victime a pour seule cause son fait générateur. Aucune responsabilité de la personne publique poursuivie ne peut être engagée car cette dernière n'a commis aucun fait.

125. De la sorte, lorsqu'il reconnaît le fait générateur de la victime comme la cause unique du dommage, le juge administratif ne s'intéresse principalement pas au fait de la personne publique. Le juge n'apprécie en effet que le fait générateur de la victime en démontrant que celle-ci a manqué au devoir général de prudence ou de diligence6.

126. Le juge est toutefois amené à reconnaître explicitement que la personne publique mise en cause n'a commis aucun fait générateur au motif qu'elle n'a manqué à aucun devoir juridique7. Un arrêt est particulièrement révélateur8. En effet, après avoir rejeté tout fait générateur des personnes publiques, le juge administratif considère simplement « qu'au surplus, [la victime] connaissait le

risque de chutes de pierres existant sur cette route et rappelé, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, par une signalisation appropriée ». La locution « au surplus » manifeste, selon nous, l'explication du

dommage par le seul le fait pour la victime d'avoir emprunté la route sur laquelle a eu lieu l'accident sans que ce fait ne soit précisément qualifié de fait générateur. En fait, aucun fait générateur ne pouvant être reconnu, le dommage de la victime ne résulte que d'un fait matériel de la victime.

127. En outre, le juge considère que la personne publique n'a commis aucun fait générateur au

5 Par ex., v. C.A.A., Paris, 28 juin 2015, Mme. J. c./ Commune de Mooera-Maiao, n°13PA04068 ; obs. J.-P. VIAL,

A.J.C.T., 2016, p. 118 - 119 ; T.A., Pau, 26 mai 2015, Consorts C. et F. c./ Bagnères-de-Bigorre, n°1400381, concl.

A. BOURDA, A.J.D.A., 2015, p. 1939 - 1944 ; C.A.A., Bordeaux, 7 juin 2012, Bourdon, n°10BX01723.

6 Par ex., v. C.A.A., Paris, 10 octobre 2001, Ludot, n°00PA02124 : « Considérant que cet accident est exclusivement

dû au manque de maîtrise par M. X... des dangers encourus et à son imprudence à s'engager à une heure très avancée de la nuit et en pleine obscurité sans précautions particulières sur un espace non aménagé pour les piétons alors même que la présence d'un pont enjambant une route aurait dû inciter la victime à ne pas poursuivre son itinéraire qui se trouvait nécessairement coupé du fait même de l'existence de l'ouvrage ». Nous soulignons ;

C.A.A., Lyon, 19 octobre 1999, Dame Veuve Blanc, n°96LY01219.

7 Par ex., v. C.A.A., Lyon, 27 septembre 2012, Caisse suisse de compensation, n°11LY00943 : « que, dans ces

conditions, l'accident dont il a été victime en percutant un câble est exclusivement imputable à l'imprudence dont il a fait preuve ; que, dès lors, ni la commune des Allues, dont le maire n'a pas commis de faute en ne signalant pas l'ouvrage, ni la société d'exploitation Méribel-Alpina, chargée de la gestion du domaine skiable de la commune, ne sont responsables des conséquences dommageables de l'accident ». Nous soulignons.

8 C.E., 20 mars 1987, Consorts Garzino, n°63220, Rec., p. 101, à propos d'un bloc de pierre qui s'est décroché d'une montagne et qui s'est écrasé sur une voiture qui circulait sur la route en contrebas.

motif que, dans l'éventualité où elle aurait commis un écart de conduite, celui-ci ne saurait avoir de rôle causal9. L'arrêt Danièle X. est intéressant à cet égard10. En l'espèce, en forçant l'ouverture d'une porte, un usager a été blessé par la chute d'un bloc de pierre qui tenait celle-ci. Si la cour administrative d'appel reconnaît « que le préjudice subi par Mme X a pour seule origine

l'imprudence qu'elle a commise »11, elle admet également que « le fait d'avoir laissé ouvert au

public un bâtiment dans lequel des travaux de peinture étaient en cours » peut constituer un

éventuel défaut d'entretien normal d'un ouvrage public. Toutefois, le juge d'appel estime que, « à

supposer même qu'il [le fait de la personne publique] soit constitutif d'un tel défaut d'entretien », il « n'est pas en lien direct avec le préjudice dont Mme X demande réparation ». Aussi, le fait

d'affirmer que l'imprudence de la victime est la seule origine du dommage démontre que la cause juridique du dommage n'est que le fait de la victime.

128. Déterminer le fait générateur de la victime comme la cause exclusive revient, au contraire, à ne retenir qu'une seule cause juridique du dommage parmi plusieurs causes éventuelles (B).

B. – La victime est l'auteur d'un fait générateur cause exclusive du dommage

129. L'identification d'une cause exclusive manifeste une pluralité de causes matérielles du dommage. Le juge est amené à reconnaître plusieurs causes juridiques et, partant, une éventuelle pluralité de faits générateurs. Toutefois, il peut considérer qu'un seul fait générateur explique le dommage eu égard à son rôle causal prédominant12. L'exclusion d'un fait comme cause juridique du dommage se caractérise ainsi par la rupture du lien de causalité entre ce fait et le dommage. Le juge dénie le rôle causal d'un fait qu’il a qualifié au préalable de fait générateur. De la sorte, il reconnaît dans un premier temps un lien de causalité entre ce fait et le dommage. Or, comparé à l'autre fait générateur ou aux autres faits générateurs, le juge estime dans un second temps que le rôle causal de ces derniers est exclu.

130. Déterminer le fait générateur de la personne publique dont la responsabilité est recherchée comme la cause exclusive du dommage signifie que celle-ci ne pourra s'exonérer de sa responsabilité. Affirmer que le fait générateur de la victime est la cause exclusive de son dommage suppose que la victime n'a aucun droit à réparation car la personne publique est totalement exonérée

9 C.A.A., Lyon, 6 mai 2008, Danielle X., n°05LY00162. 10 Id.

11 Nous soulignons.

12 Les auteurs mettent également en exergue la gravité du fait générateur. Pour des développements sur la méthode juridictionnelle de détermination d'une cause juridique et de la part causale, v. infra nos développements aux pt. 1525 - 1529 et 1696 - 1721.

de sa responsabilité13.

131. L'identification du fait générateur de la victime comme cause exclusive du dommage est permise à un double titre dans la jurisprudence administrative.

132. En premier lieu, le juge administratif reconnaît précisément un fait générateur de la personne publique en identifiant un défaut d'entretien normal d'un ouvrage public14 ou une faute15 par exemple. Le juge retient ainsi une pluralité de faits générateurs. L'origine matérielle du dommage n'est donc pas unique.

133. En second lieu, il exonère totalement la personne publique de sa responsabilité ou il exclut la responsabilité de cette dernière.

L'exonération révèle que le fait générateur de la victime est la cause exclusive du dommage16. En effet, exonérer totalement la personne publique de sa responsabilité suppose nécessairement que le juge ait reconnu dans un premier temps un fait générateur de la personne publique. Il ne peut y avoir exonération en l'absence de responsabilité apparente17. Il est à cet égard intéressant de constater que le juge administratif reconnaît l'exonération de la personne publique de sa responsabilité à un double égard. Soit il détermine précisément un fait générateur de la personne publique et exonère celle-ci de sa responsabilité après avoir identifié le fait générateur de la victime18. Soit il ne met pas explicitement en exergue un fait générateur de la personne publique, faisant seulement référence au régime de responsabilité applicable19 ou à l'existence d'un fait de la personne publique20. Après avoir considéré que le fait générateur de la victime est la cause exclusive du dommage, il en conclut que la personne publique n'est pas responsable21.

L'exclusion de la responsabilité découle d'autant plus de la reconnaissance du fait générateur

13 Sur cette question, v. infra nos développements aux pt. 1499 - 1529 et 1532 - 1638.

14 Par ex., v. C.A.A., Marseille, 26 mars 2012, Philippe A., n°10MA00366 ; C.A.A., Nantes, 8 juin 1995, Louis Van

Proosaly, n°93NT00126.

15 Par ex., v. C.A.A., Versailles, 3 avril 2014, Collège de René Descartes de Tremblay-en-France,n°12VE01242. 16 Sur l'étude approfondie de l'exonération totale, v. infra nos développements aux pt. 1499 - 1529 .

17 Sur une étude approfondie de l'exonération, v. infra nos développements aux pt. 1468 - 1498.

18 Par ex., v. C.A.A., Versailles, 3 avril 2014, Collège de René Descartes de Trembly-en-France, n°12VE01242, précité ; C.A.A., Marseille, 26 mars 2012, Philippe A., n°10MA00366, précité ; C.E., 30 avril 2003, Compagnie

Préservatrice foncière assurances, n°212113 ; C.A.A., Nantes, 8 juin 1995, Louis Van Proosaly, n°93NT00126,

précité.

19 Par ex., v. C.A.A., Bordeaux, 4 octobre 2012, Société Transports PRAT et Cie, n°11BX02320 ; C.A.A., Bordeaux, 21 mai 2002, M. Salafia, n°98BX01343 ; C.A.A., Bordeaux, 13 décembre 1999, Dal, n°96BX00562.

20 Par ex., v. C.A.A., Lyon, 8 juin 2004, M. Teyssier, n°01LY00676 ; C.E., 8 décembre 1989, Oddes, n°84854 ; C.E., 11 mai 1977, M. Beauvieux, n°02224, Rec., p. 213.

21 Par ex., v. les arrêts précités C.A.A., Bordeaux, 4 octobre 2012, Société Transports PRAT et Cie, n°11BX02320 ; C.A.A., Lyon, 8 juin 2004, M. Teyssier, n° 01LY00676 ; C.E., 11 mai 1977, M. Beauvieux, n°02224, Rec., p. 213.

de la victime cause exclusive du dommage22. En effet, au motif de son fait générateur, nous verrons que le juge considère que la victime ne peut pas se prévaloir de la responsabilité ou d’une de ses conditions, alors même que les conditions peuvent être réunies. Par son fait, la victime s'est placée dans une situation avec laquelle elle ne peut se prévaloir d'un dommage constitutif de préjudice de nature à lui ouvrir droit à réparation.

134. Lorsqu'elle commet un fait générateur qui est la cause unique ou la cause exclusive de son dommage, la victime est le seul auteur d'un fait générateur. Dans le cadre d’une pluralité de causes juridiques du dommage, elle peut être un coauteur (II).