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Pour comprendre ce qu'est la victime et qu'elle est sa place en droit, il faut s'intéresser à la période qui court du droit romain à la fin de l'Ancien régime pour ensuite constater une évolution à

Section 1 : Présentation de l'objet d'étude

I. – Les différentes acceptions de la victime

35. Pour comprendre ce qu'est la victime et qu'elle est sa place en droit, il faut s'intéresser à la période qui court du droit romain à la fin de l'Ancien régime pour ensuite constater une évolution à

partir du XIXè siècle, laquelle est confirmée dès le XXè siècle jusqu'à nos jours.

36. Du droit romain à la fin de l'Ancien régime62. Dès le droit romain, la victime est progressivement reconnue, même si le terme n'est parfois pas utilisé63. La victime est ainsi entendue comme une personne physique qui subit le fait d'un tiers. La vengeance privée ou tout autre mécanisme de justice privée était le moyen de compenser la souffrance subie. Or, à partir du droit

61 B. BERNABÉ, « De l'homo sacer à la ''victime vicaire'' », loc. cit., p. 146.

62 Pour des réf., v. not. « L'avénement juridique la victime », Histoire de la justice, op. cit. ; La Victime. I – Définitions

et statut, op. cit. ; N. LANGUIN, « L'émergence de la victime. Quelques repères historiques et sociologiques », in colloque La place de la victime dans le procès pénal, Strasbourg, 16 décembre 2005, disponible en ligne sur http://cdpf.unistra.fr/travaux/procedures/contentieux-penal/la-place-de-la-victime-dans-le-proces-penal/aspects-historiques-et-sociologiques-de-lemergence-de-la-victime/.

63 M.-C. LAULT, « La prise en compte médiévale de la victime dans quelques traités criminels et statuts urbains », loc.

romain post-classique64 se substituent à la vengeance privée des mécanismes de responsabilité civile et pénale. Toutefois, la répression de l'auteur du fait dommageable était privilégiée au détriment de la victime. L'émergence du pouvoir seigneurial, puis d'un véritable État, a en effet conduit à mettre en exergue les intérêts publics65. Disposant progressivement de droits résiduels dans le procès pénal et pouvant obtenir réparation de ses préjudices à titre marginal, la victime était effacée.

37. Le XIXè siècle66. Dès le début du XIXè siècle, une place importante était consacrée à la victime à un double égard, si bien qu'elle était perçue comme une personne qui subissait un dommage constitutif de préjudice et qui pouvait demander réparation ou poursuivre l'auteur. D'une part, la victime n'était plus totalement effacée à l'occasion du procès pénal. Une personne s'estimant victime d'une infraction pouvait, dès le code d'instruction criminelle de 1808, se constituer partie civile. Une dose de procédure accusatoire pondérait la procédure inquisitoire. D'autre part, était - et est toujours - consacré dans le code civil de 1804 un principe général de responsabilité civile selon lequel « [t]out fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la

faute duquel il est arrivé à le réparer »67. Ainsi, la victime était une personne qui subissait un dommage constitutif de préjudice, lequel devait être réparé par l'auteur d'une faute. Force est toutefois de rappeler que, dès la fin du XIXè siècle, la responsabilité civile peut également être engagée dès lors qu'un dommage constitutif de préjudice est causé par un fait non fautif et qui ne résulte pas nécessairement de la main de l'homme. En effet, « si la victime d’hier subissait

essentiellement les offenses de l’homme, la victime d’aujourd’hui est ''écrasée'' par la machine [et,

faut-il ajouter, par tout autre événement naturel ou technologique]. Le phénomène implacable de

l’accident donne lieu à une telle hécatombe qu’il est désormais difficile d’espérer s’éteindre ''de sa belle mort'' »68. La victime devient de plus en plus un jouet involontaire du destin. Cette évolution marque le début d'un mouvement d'objectivation de la responsabilité civile et de victimisation.

38. Le XXè siècle. Ce mouvement se développe d'autant plus tout au long du XXè siècle jusqu'à nos jours. En droit français, les régimes, jurisprudentiels et législatifs, de responsabilité sans faute se multiplient. Des mécanismes d'indemnisation, distincts de la responsabilité, émergent également

64 De 284 ap. J.-C. à 527 ap. J.-C..

65 B. GARNOT, « La victime pendant l'Ancien régime », in Oeuvre de justice et victimes, L'Harmattan, vol. 1, coll. « Sciences Criminelles », 2003 ; J.-P. ALLINE, « Les victimes : les oubliées de l’histoire du droit ? », in Œuvre de

justice et victimes, op. cit., p. 25 - 58.

66 Pour des réf., v. not. « L'avénement juridique la victime », Histoire de la justice, op. cit. ; La Victime. I – Définitions

et statut, op. cit. ; N. LANGUIN, « L'émergence de la victime. Quelques repères historiques et sociologiques », loc.

cit..

67 Art. 1382, devenu l'art. 1240.

à l'instar de la protection sociale, des assurances et des fonds d'indemnisation ou de garantie. La protection de la victime est ainsi accrue inexorablement. D'une part, de plus en plus de victimes sont reconnues, si bien qu'il est possible d'identifier des catégories de victimes69 au point même de dresser une hiérarchie70. D'autre part, la réparation des préjudices est facilitée.

En droit international public, la victime est également reconnue et bénéficie d'une protection. Le développement du droit international public général postérieurement à la Seconde guerre mondiale a concouru à l'émergence de la reconnaissance et de la protection de la victime, mais également à sa définition. Peuvent être victimes un État et une organisation internationale, bien que les textes juridiques et la jurisprudence du droit international hésitent à utiliser le terme au profit de celui de « personne lésée »71. Est également victime toute personne physique ou morale qui subit les fléaux de la guerre, tout acte criminel et les atteintes aux droits fondamentaux garantis. Selon les hypothèses, nous verrons que la définition de la victime est différente.

39. Pour être complet, il importe de préciser que, au début du XXè siècle, la victime renvoyait à une personne sacrifiée, à l'instar des victimes de guerre72, consacrant la résurgence, ponctuelle, de l'acception étymologique et théologique. De la sorte, la détermination des victimes était subordonnée à « des situations vraiment choquantes »73, telles que « les effroyables ravages causés

par la guerre »74. Aussi, ce n'était « donc pas le préjudice qui constitu[ait] la victime, [comme le suppose le principe général de responsabilité civile reconnu dès 1804], mais la façon dont il a été

causé »75. Si la souffrance subie n'était pas l'élément constitutif de définition de la victime, toujours est-il que les caractères d'innocence et de pureté étaient exigés76. À ce titre, toute personne condamnée pour des crimes graves à l'encontre de son pays ne pouvait obtenir indemnisation de ses préjudices77.

69 Ainsi est-il possible d'identifier les victimes d'accident de la circulation, d'infraction ou d'acte de terrorisme, les victimes de l'amiante, du Médiator© ou encore des essais nucléaires, … Il est également permis de soulever les victimes potentielles, c'est-à-dire des « personnes vulnérables » qui sont exposées à subir un dommage.

70 Une hiérarchie se révèle pour les victimes d'accidents de la circulation. En effet, les victimes non conductrices sont privilégiées par rapport aux victimes conductrices. De plus, les victimes non conductrices qui ont moins de 16 ans ou plus de 70 ans, d'une part, ou qui présentent un titre reconnaissant un taux d'incapacité permanente ou d'invalidité au moins égal à 80 % sont dites « super-protégées » par rapport aux autres.

Une hiérarchie est également admise avec les « personnes vulnérables ». Celles-ci bénéficient d'une protection accrue.

71 Pour s'en convaincre, il suffit de regarder, par exemple, les projets d'articles de la Commission du droit international sur la responsabilité des États et des organisations internationales.

72 À cet égard, v. not. A.-L. GIRARD, « L'efflorescence de la notion de victime en droit administratif », loc. cit., p. 27 -29.

73 F. GÉNY, Science et technique en droit privé positif, t. 2, Sirey, 1914, p. 413.

74 L. MICHOUD, « La jurisprudence sur les dommages résultant des travaux publics et son application aux dommages de guerre », R.D.P., 1916, p. 181.

75 A.-L. GIRARD, « L'efflorescence de la notion de victime en droit administratif », loc. cit., p. 28. 76 Ibidem, p. 28 - 29.