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Le fait générateur de la victime antérieur à celui de la personne publique responsable 148. De nombreuses décisions de justice révèlent que la victime est à l'origine de la genèse de son

Section 1 : Un manquement à des devoirs juridiques avant la production du dommage

II. – La victime coauteur

1. Le fait générateur de la victime antérieur à celui de la personne publique responsable 148. De nombreuses décisions de justice révèlent que la victime est à l'origine de la genèse de son

dommage en commettant un fait générateur avant celui de la personne publique dont la responsabilité est recherchée. Plus précisément, c'est au cours de cet exercice qu'une personne publique a commis un fait générateur qui a causé un dommage. À ce titre, la personne publique n'aurait peut-être pas été éventuellement à même de commettre un tel fait générateur sans l'intervention de la victime. Par son fait générateur, la victime est donc à l'origine de la genèse de son dommage.

46 V. « Ensemble », in Littré et le C.N.R.T.L..

47 Par ex., v. C. QUÉZEL-AMBRUNAZ, Essai sur la causalité en droit de la responsabilité civile, op. cit., 261 -265 ; H. BELRHALI, Les coauteurs en droit administratif, op. cit., p. 17.

149. De la sorte, la victime a nécessairement été à l'origine de la genèse de son dommage en ayant participé à une manifestation illicite au cours de laquelle elle a subi un dommage en raison de l'absence de contrôle de sécurité, laquelle n'a pas permis d'empêcher un incendie48 ; en ayant ouvert un restaurant avant la prise d'un arrêté prescrivant la déviation de la route principale causant une baisse du chiffre d'affaire49 ; en ayant eu un comportement imprudent en montant sur le toit d'une maison en pleine nuit et en état d'ébriété50 ou en ne s'étant pas informée sur les risques ou sur les caractéristiques d'une parcelle de terrain avant de faire une demande de permis de construire ou de faire une acquisition51 ; ou encore en ayant adopté une attitude difficile ayant conduit à la placer dans une situation de sous-service statutaire52.

150. Ces quelques exemples démontrent bien que la contribution de la victime à la production de son dommage peut être le facteur déclenchant du dommage lorsque le fait générateur est antérieur à celui de la personne publique responsable, à tel point que, sans elle, la personne publique n'aurait peut-être pas nécessairement commis de fait générateur.

2. Le fait générateur de la victime postérieur à celui de la personne publique responsable 151. Sans un comportement de la victime, celle-ci n'aurait éventuellement pas subi de dommage, quand bien même un fait générateur pourrait être imputé à une personne publique. Il n'en demeure pas moins que, juridiquement, le fait de la victime explique le dommage causé de prime abord par le fait générateur de la personne publique ; celui-ci étant la cause initiale du dommage de la victime.

152. À cet égard, la victime peut contribuer à la production de son dommage en ayant été imprudente ou négligente en présence d'un ouvrage public ou d'un travail public. S'il est vrai que le juge administratif ne précise pas expressément la chronologie des faits générateurs dans ce contentieux, il n'en demeure pas moins que la contribution de la victime à la production de son dommage est postérieure au fait générateur de la personne publique.

Au premier abord, il est envisageable de considérer que le fait générateur de la victime est antérieur. En effet, ce n'est que par son intermédiaire que le défaut d'entretien normal de l'ouvrage

48 C.E., 29 juillet 1943, Ville de Perpignan c./ Dame Dalbiez, Rec., p. 218.

49 C.A.A., Marseille, 19 octobre 2015, Commune de Coursan, n°14MA03937 ; J.C.P. A., 23 mai 2016, n°20, 2133, comm. E. SALAUN.

50 C.A.A., Nancy, 4 août 2005, Mme F., n°01NC00360.

51 C.E., 7 mai 2007, Société immobilière de la banque de Bilbao et de Viscaya d'Ilbarritz, n°282311 ; C.E., 2 octobre 2002, Ministre de l'Équipement …, n°232720 ; C.A.A., Bordeaux, 8 avril 1993, Mme Desfougère, n°91BX00268 ; C.A.A., Nancy, 12 décembre 1991, Ministre de l'Équipement c./ Époux Delobette, n°89NC01363 ; C.E., 21 septembre 1990, S.C.I. Hameau du Beauvoir, n°67776 ; C.E., 1er juillet 1987, S.C.I. La Résidence, n°58395. 52 C.E., 23 août 2006, Rouault, n°273902.

public, par exemple, est révélé. Toutefois, en l'absence de défaut d'entretien normal d'un ouvrage public, la victime n'aurait peut-être pas subi de dommage, malgré son comportement imprudent. De plus, le juge se réfère à l'ensemble des circonstances de l'espèce, dont la connaissance des lieux et/ou sa dangerosité par la victime, pour reconnaître le fait générateur de cette dernière53.

Nécessairement amené à statuer sur la reconnaissance d'un défaut d'entretien normal de celui-ci comme cause du dommage par l'action en responsabilité de la victime, le juge ne peut que rétrospectivement constater que ce défaut d'entretien normal est nécessairement préexistant au fait générateur de la victime. L'arrêt Commune de Crolles est intéressant à cet égard54. En l'espèce, si la victime a commis une imprudence et une inattention en n'évitant pas une plaque de verglas pourtant visible, la cour administrative d'appel a toutefois considéré que cette plaque de verglas avait été causée par un défaut d'entretien normal d'un ouvrage public. En effet, elle précise que la commune n'ignorait pas que la fontaine, ouvrage public, projetait de l'eau de nature à geler, ni le risque de verglas le jour de l'accident. Or, ce défaut d'entretien normal de l'ouvrage public est préexistant au fait générateur de la victime.

153. Au-delà d'une imprudence ou d'une négligence dans le cadre d'un ouvrage public, la jurisprudence administrative regorge d'hypothèses qui mettent en évidence la contribution de la victime à la production de son dommage après le fait générateur de la personne publique. Par exemple, le fait générateur de la victime révèle celui de la personne publique en ayant tardé à revenir consulter l'hôpital, alors que le juge administratif avait considéré qu'une faute médicale avait été commise lors d'un premier diagnostic55 ; en ayant ignoré le caractère provisoire d'une réparation des flexibles de freins et l'obligation de procéder au changement de ces derniers, alors que le juge a reconnu la faute de l'État dans le contrôle du véhicule concerné suite à la réparation initiale56 ; en ayant pris le volant de son véhicule malgré la conscience de son état de santé, alors que le juge a reconnu la faute de l'État pour lui avoir délivré son permis de conduire57 ou encore en ayant fait preuve d'une mauvaise volonté persistante dans l'accomplissement de ses fonctions suite à une nouvelle affectation qu'elle contestait, sachant que le juge a reproché au supérieur hiérarchique de ne pas prendre de mesures pour mettre un terme à la dégradation des conditions de travail58.

154. Aussi, en commettant un fait générateur avant ou après celui de la personne publique

53 Sur la prise en compte de ces circonstances, v. infra nos développements aux pt. 214 - 253. 54 C.A.A., Lyon, 21 avril 2011, Commune de Crolles, n°10LY00464.

55 C.A.A., Nancy, 18 juin 1992, Centre hospitalier régional et universitaire d’Amiens, n°90NC00600. 56 C.E., 31 mars 2008, Société Capraro et Cie. et autres, n°303159.

57 C.E., 13 juillet 2016, Société Avanssur IARD, n°387496.

responsable, la victime est un coauteur lorsqu'elle contribue à la production de son dommage à plusieurs, c'est-à-dire par la conjonction, par la juxtaposition de faits générateurs, sans nécessairement que ces derniers entretiennent un rapport causal ou une influence quelconque. Le dommage n'a pu se produire tel qu'il a été que par la conjonction, la juxtaposition de plusieurs faits générateurs.

155. Pour conclure, la victime peut être le seul auteur d'un fait générateur ou être un coauteur. À

ce titre, la victime a nécessairement manqué à un devoir juridique préexistant. En effet, il pèse sur chaque acteur de comportement un devoir général de prudence ou de diligence (§ 2).

§ 2 : La victime auteur par le manquement au devoir général de prudence ou de diligence

156. Lorsqu'elle contribue à la production de son dommage, la victime est avant tout un acteur de comportement auteur d'un fait générateur. Ce faisant, elle peut manquer à un devoir juridique préexistant qui pèse sur tout acteur de comportement. À ce titre, il lui incombe deux types de devoirs juridiques. En premier lieu, la loi et d'autres textes juridiques prescrivent des devoirs déterminés. En second lieu, le juge consacre, sur le fondement plus ou moins explicite de textes juridiques, un devoir général qui est reconnu en doctrine comme étant le devoir général de prudence ou de diligence. Définissant la faute comme « la violation d'une prescription légale ou [comme] le

manquement au devoir général de prudence ou de diligence »59, le projet de réforme de la Chancellerie sur la responsabilité civile de 2017 consacre les deux catégories de devoirs juridiques préexistants.

157. Toutefois, la victime contribue principalement à la production de son dommage par le

manquement au devoir général de prudence ou de diligence. L'étude de la jurisprudence administrative ne permet pas d'identifier beaucoup de décisions de justice dans lesquelles le juge impose à la victime un devoir de comportement déterminé. S'il rappelle des devoirs déterminés qui sont consacrés par des textes juridiques60, le juge administratif impose également des devoirs de

59 ACADÉMIEDES SCIENCES MORALESETPOLITIQUES, Projet de réforme du droit de la responsabilité civile, op. cit., article 1242. Nous soulignons.

60 Par ex., v. C.E., 13 juillet 2016, Société Avanssur IARD, n°387496, précité, concernant l'obligation pour tout titulaire d'un permis de conduire de « s'abstenir de prendre le volant s'il est atteint d'une affection pouvant

constituer un danger pour lui-même ou les autres usagers de la route, et ce jusqu'à l'amélioration de son état de santé » selon le code civil, le code de la route et un arrêté interministériel ; C.A..A., Nancy, 28 décembre 1995, Commune de Saint-Martin-au-Laert, n°93NC00983, à propos des obligations, « notamment en application des dispositions de l'article R. 123-43 du code de la construction et de l'habitation, qui imposent à l'exploitant d'un établissement recevant du public de s'assurer que les installations ou équipements sont établis, maintenus et entretenus en conformité avec la réglementation en vigueur et de procéder, en cours d'exploitation, aux vérifications nécessaires » ; C.A.A., Lyon, 29 mai 1990, n°89LY00762, à propos de l'obligation faite « aux automobilistes en cas

comportement déterminé à l'égard d'un sujet de droit sans les justifier61.

158. Pour reconnaître l'existence d'un manquement à un devoir juridique, et notamment au devoir général de prudence ou de diligence, le juge administratif a recours à une méthode juridictionnelle précise. Celle-ci consiste à comparer le comportement d’une personne avec celui qu'aurait dû avoir la personne raisonnable62 placée dans les mêmes circonstances. De la sorte, le juge détermine un manquement au devoir général de prudence ou de diligence par une « appréciation in abstracto

subjective »63.

159. Nous étudierons donc, en premier lieu, la reconnaissance par le juge administratif du devoir général de prudence ou de diligence à l'égard de la victime (I) avant de démontrer, en second lieu, qu'il détermine le manquement à celui-ci par une méthode d' « appréciation in abstracto

subjective »64 (II).

I. – La reconnaissance d'un devoir général de prudence ou de diligence de la victime