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Vestiges historiques et religieux du mariage contemporain

Le leurre du mariage en tant qu'union exclusive

1. Racines et évolution du mariage dans la société

1.1 Vestiges historiques et religieux du mariage contemporain

Le mariage d'aujourd'hui est un produit de l'histoire, à l'instar du mariage de demain9. Il appartient à un processus continu, expression d'une morale et des mœurs. Son développement est dû autant à la communauté et aux individus, qu'aux contrôles exercés par l'Eglise et l'Etat. Traiter du mariage, c'est toucher au sacré; le point de vue des religions est en conséquence essentiellü. Par rico-chet, le concubinage n'est pas davantage un étranger dans cette thématique 11.

L'exemple suédois l'illustre: la religion n'y a que très peu d'emprise et le concu-binage a devancé le mariagei2. Le Saint-Siège a par ailleurs présenté une Charte des Droits de la Famille, dans le but de donner une formulation des droits fonda-mentaux propres à cette société naturelle et universelle qu'est la famille fondée sur le mariagei3.

Le mariage est né dans le monde romain, fruit d'une morale nouvelle et de techniques juridiques issues du droit romain classique. Il était envisagé à Rome, de façon très moderne, comme une communauté de vie consensuelle, domaine hautement privé, personnel et intime, dans lequel l'Etat devait s'immiscer le moins possible. A la disparition de l'Empire romain, le mariage est soumis à maintes incertitudes, pour être repris en main par l'Eglise. Celle-ci doit toutefois remettre son monopole législatif et juridictionnel à l'avènement de la sécularisa-tion, prônée par les Ecoles du Droit naturel et de la Philosophie des Lumières. Le mariage célébré par l'Eglise catholique, en Occident comme en Orient, a toujours été un sacrement, l'inscription des époux sur les registres paroissiaux suffisant à établir leur état civil et social de couple marié durant des siècles. A partir du XIXe siècle seulement, le mariage civil est devenu généralement obligatoire avant que l'Eglise ne conférât le sacrementl4. Les Réformateurs du XVIe siècle s'en prennent au <~oug insupportable» assigné par la doctrine de l'Eglise catholique et par le droit canonique; une perspective plus moderne du mariage s'ensuit.

Ils combattent en effet une application trop absolue de l'indissolubilité du

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Sur l'héritage historique du mariage : GAUDEMET, Mariage; SCHOTT, Ehe, p. 13ss.

Nous suivons HILAIRE, p. 5, selon lequel toute investigation doit commencer par là.

RINGELING/GEISSBÜHLER-BLASER traitent le point de vue de l'Eglise tant face au mariage que face au concubinage. RIPPMANN, p. 145-152, dans son ouvrage sur le concubinage destiné avant tout à la pratique, termine par un chapitre consacré aux points de vue des Eglises protes-tante et catholique.

BLAUROCK éd., Diskussionsbericht, CARSTEN, p. !60s. Sur la fin des religions et le culte du moi: GAUCHET, M., Le désenchantement du monde, Gallimard, Paris 1987.

Mgr ARRIGHI, p. 21.

Contrairement à la confusion entre religion musulmane et droit: JAHEL, p. 191, note 19; RUDE-ANTOINE, p. 100.

Les relations institutionnalisées

mariage15; le divorce devient plus tolérable que la polygamie ! Les Eglises protestantes ne célèbrent pas au demeurant un véritable mariage, qui ne saurait être que civil. Leur cérémonie est une «bénédiction nuptiale» et non un sacre-ment16; elle ouvre la porte à la laïcisation du mariage et à la sécularisation de la société. Liberté et responsabilité des partenaires sont accentuées, faisant entrer dans les conceptions que réalisation de soi rime avec libération et individualisa-tion. La composante très moralisante, voire puritaine, et austère du mariage qu'imprègne la doch·ine protestante, s'éloigne en revanche de notre vision actuelle, les conceptions morales sur le mariage ayant nettement changé17. Le transfert des compétences aux autorités civiles est accompagné d'un transfert parallèle à la famille, au sein de laquelle le père tout particulièrement joue un rôle important, au point qu'il n'y a guère de mariage conclu sans son autorisation. Une intéressante régression peut ici être notée par rapport à la doctrine catholique classique, qui met au contraire en exergue le principe très moderne de l'acquisi-tion du mariage par le consentement mutuel des époux18.

Sous 1' emprise du Christianisme, dans les sociétés occidentales, le mariage est devenu une institution d'une certaine rigidité, s'exprimant par le caractère exclusif du mariage monogamique, seul lieu autorisé de la sexualité et de surcroît indissoluble. Le droit canonique introduit pourtant aussi la notion du mariage

«contrat-sacrement». Même laïcisé et dissoluble, le mariage séculier garde la marque du formalisme, de l'exclusivité et de la perpétuité. Ces caractéristiques n'ont d'ailleurs pas manqué d'être relevées comme moyen le plus sûr de remettre en question le mariage, jetant sur lui une suspicion d'atteintes aux libertés fonda-mentales19. «Le mariage, 'institution fascinante, fondamentale, fondatrice' répond à cette nécessité morale que chaque homme éprouve dans le sentiment qu'il a d'être motte! : c'est pour lui une manière exaltante de lutter contre sa fragilité que de se lier pour la vie, c'est-à-dire jusqu'à la mort. Le mariage tire de là, même depuis qu'il est laïcisé, une sorte de gravité religieuse qui lui est propre, et qui le sépare de l'union libre2o». Ce fondement sacré explique pourquoi agir face au mariage de manière neutre reste un exercice difficile. L'évolution du droit 15

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Déjà durant la période de l'Antiquité romaine, l'Eglise reconnaissait le principe de l'indissolubi-lité du mariage, principe qui s'est perpétué à travers le droit canon, pour lequel il est toujours d'actualité, cf. Code Canonique, Vatican 1983, can. 1056 et 1134: PICHONNAZ, p. 13, et réf. notes 2s.

COLLANGE, p. 49. Il n'y a pas davantage de sacrement en Islam: JAHEL, p. 189.

La diminution des cas d'intervention de l'exception de l'ordre public en matière de mariage en est un témoin, par ex. en France: ALEXANDRE, p. 109; LAGARDE, p. 264s.

COLLANGE, p. 51.

MEULDERS-KLEIN, Sens, p. 219.

CARBONNIER, Droit civil, t. Il, 1989, n° Il, p. 29 etn° 12, p. 31, cité par MEULDERS-KLEIN, Mariage, p. 284, § 34 et en partie par MÜLLER-FREIENFELS, Rechtsfolgen, p. 779.

Le leuJTe du mariage en tant qu'union exclusive

~~---du mariage et ~~---du divorce en Suède a d'ailleurs traversé une phase essentielle lors de la réfmme de 1973, étant donné qu'elle achevait la libéralisation de ses bases religieuses2I. Au désintérêt pour le mariage religieux coïncide le scepticisme envers l'institution matrimoniale22. Il n'est pas anodin de relever qu'à Cuba, 1 'assimilation du modèle familial formel et infmmel a eu lieu23!

L'histoire nous révèle enfin qu'aucune société humaine semble n'avoir jamais laissé à la seule volonté des individus les unions socialement reconnues dont dépendaient l'existence et l'organisation du groupe24. Tout groupement humain s'est chargé de réguler socialement la sexualité, fondement du mariage, ce qui n'implique par ailleurs nullement la mise au ban radicale de relations diffé-rentes ou parallèles. De tout temps, c'est en fonction du statut matrimonial que celui des autres formes d'organisation de la vie privée et familiale se définit:

1 'histoire enseigne 1' ordre chronologique de notre thèse. Le mariage a ainsi toujours été un complexe régulatoire étatique, de manière générale objet de rites ou autres formalités plus ou moins solennels. Le droit canonique classique, anté-rieur au Concile de Trente, représente pourtant un exemple fmt intéressant. Il admet en effet, sur la base de la nature sacramentelle du mariage, la validité de mariages purement consensuels, sans rite imposé, sans témoin et sans même le consentement des parents. Certains Etats ont de surcroît continué à admettre le mariage exclusivement consensuel, notamment les pays anglo-américains qui 1' appellent «Common Law Marriage», et ce jusqu'à nos jours. Quatorze Etats des Etats-Unis l'ont maintenu, à l'instar de l'Ecosse, où il est possible de faire enre-gistrer a posteriori un mariage fondé sur une cohabitation habituelle et notoire25;

le formalisme du mariage demeure un phénomène relativement récent pour l' Angletene26. Même dans les Etats américains qui ont renoncé à ce type de mariage, les tribunaux, acceptant ou refusant des effets au concubinage, se battent encore sur la question de savoir s'ils en viennent à le ré-instituer27! La suppres-sion légale du mariage de Common Law peut, en conséquence, avoir certaines

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BRADLEY, Law, p. 161, 164, 179.

STRÂ TZ, Rechtsfragen, p. 302. Voir ég. : GAUD EMET, Mariage, p. Il.

Ce sur la base de la loi anticléricale de l'ex-URSS faisant suite à la

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guelTe mondiale:

MÜLLER-FREIENFELS, Law, p. 264s, Rechtsfolgen, p. 744, note 33.

MEULDERS-KLElN, Etat, p. 319s, Sens, p. 217s, Mariage, p. 264ss. Sur les fonctions du mariage : CLAUX, p. 54ss.

BALA, p. 25, et note 127; FREEMAN, Loi, p. 39s; KRA USE, Droit, p. 139, et note 27, l'auteur ajoute à ces Etats américains, les juridictions appliquant avec souplesse les règles de conflit de lois; MEL TON, p. 508, et réf. notes 72s.

DEWAR, p. 24s.

La fameuse décision Marvin affirme ne pas ressusciter un mariage de Common Law en accordant des droits au concubin, ce qui est contesté en doctrine: MÜLLER-FREIENFELS, Law, p. 282, et réf. notes 176 et 183, alors que la non moins fameuse décision Hewitt refuse tout droit à Madame, afin justement de ne pas instituer un tel mariage !

Les relations institutionnalisées

incidences sur la reconnaissance d'effets juridiques au concubinage28. Le concept traditionnel du Common Law Marriage reste au demeurant ancré dans la cons-cience de la doctrine et des juges américains. De nombreuses Cours y font appel afin de statuer équitablement dans les cas où un strict respect des règles légales conduirait à une injustice29. Au Canada, bien que la reconnaissance du mariage purement consensuel soit refusée, la terminologie «Common Law Marriage»

reste très usuelle pour désigner une cohabitation entre partenaires hétérosexuels, dont découlent de substantiels effets légaux30. La reconnaissance judiciaire d'un Common Law Marri age peut par ailleurs entraîner la production de tous les effets d'un mariage valable, ce jusque dans sa dimension indissoluble31. La définition de ce mariage demeure toutefois floue : intention et capacité de se marier, coha-bitation pendant un certain temps et réputation d'être marié, chacun de ces éléments étant sujet à controverses. Il importe de notre point de vue que le mariage informel n'est en rien une extravagance, mais un fruit du passé comme du présent, témoin que 1 'essence du mariage ne se trouve pas dans sa formalité.