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Les fiançailles, un précédent à la reconnaissance juridique d'une union informelle

1. Actualité des fiançailles

Parle-t-on encore de nos jours des fiançailles, serait-on tenté d'objecter à l'orée du XXIe siècle ? Les fiançailles sont entourées d'un halo de senteurs vieux jeux, et pourtant. ..

1.1 Les fiançailles et le droit suisse : position de principe

Le chapitre premier du titre relatif au mariage (art. 90 à 93 CC) est encore aujour-d'hui consacré aux fiançailles. Par une promesse de mariage réciproque naît ce contrat particulier, dépourvu d'action coercitive en cas de non-exécution'· Le lien des fiancés appartient au droit de la famille et établit un rappmt social particulier, doublé d'un rapport contractueF. Le dualisme présent dans le terme «mariage», qui recouvre tant le statut que le contrat, se retrouve dans les «fiançailles»3. Si la théorie du contrat jouxte ici également celle de l'institution, cette dernière a toutefois été plus pmticulièrement développée à propos du mariage4. Cette

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Sur la distinction entre le pouvoir et le droit de résilier : WERRO, Le mandat et ses effets. Une étude sur le contrat d'activité indépendante, Fribourg 1993, § 269ss.

Seul ERAY, p. 52ss, semble réfi.Jter cet aspect contractuel.

WERRO, p. 30, §53 sur le mariage, p. 53, § 164 pour les fiançailles, ainsi que MONTANARI, p. 32ss, 35.

Dans ce sens: LAMBACHA, p. 207-209.

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conception nous vient du Code civil de 1907, qui reprenait alors les législations cantonales les plus avancées ainsi que la jurisprudence du TF5. Le glissement du mariage vers une union au caractère contractuel plus marqué n'a en conséquence rien de déroutant pour le juriste suisse !

Les modifications intervenues dans le domaine de la filiation ont enlevé aux fiançailles une partie de leur raison d'être6. D'aucuns se demandent si cette institution n'est pas tombée en désuétude, au regard de la quasi-absence de déci-sions jurisprudentielles récentes en la matière et du désintérêt parallèle de la doctrine?. Le principe d'une consécration législative, voire jurisprudentielle, ne va pas de soi; l'intérêt public à légiférer est discutable en ce domaine, l'obliga-tion juridique imparfaite y relative en étant le témoin. Les fiançailles font en effet davantage partie de la sphère intime des intéressés8. Elles ont d'ailleurs disparu du droit international privé, et Schwenzer en déduit le caractère superflu de toute prise en considération9; dans la perspective de l'osmose des modèles familiaux, l'on notera avec intérêt que les règles sur la conclusion du mariage et ses effets sont depuis cette suppression applicables par analogie aux fiançailles, ainsi que les règles sur le divorce!O. Lors des travaux préparatoires relatifs à la révision aujourd'hui achevée du Code civil, la nécessité de consacrer un chapitre aux fian-çailles a été discutée. Partie intégrante de notre tradition juridique, rapport social préexistant au mariage, il n'a pas été longtemps question d'y pmter atteinte 11. Les résultats de la procédure de consultation nous révèlent même combien cette insti-tution est ancrée dans la conscience de la populationl2! Intégrer les promesses de mariage dans le droit de la famille signifie reconnaître leur dimension sociale et juridique. La loi ne crée pas de toutes pièces cette relation, née de la réalité sociale; le législateur a pris acte de leur existence «ais vorgegebenes Sozialverhaltnis»B. De cette consécration législative, plusieurs leçons peuvent déjà être tirées. Tout d'abord, notre pouvoir législatif a quelques réticences à laisser la famille, au nom de son appattenance au domaine privé, hors de ses

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VON DER WEID, p. 20ss, et les ATF du XIXe siècle : 15, 426; 19, 158 et 399; 22, 527 et 1133, ainsi que celui du 27.2.1897, en la cause G. v. R., non publié, cité par MONTANARI, p. 202, et LlNDENMEYER, p. 119.

MONTANARI, p. 25ss.

MONTANARI, p. 17, et réf., relevant qu'il s'agit d'un domaine inchangé depuis septante ans, et fondamentalement incontesté; depuis cette thèse, seull'ATF 114 II 144 = JT 1989 I 66, relatif aux art. 45 al. 3 et 47 CO, y a trait.

Rapport 92 ces, p. 7.

SCHWENZER, Umbruch, p. 273.

WERRO, p. 54,§ 171s.

Favorable à sa suppression, par ex. : HEGNAUERIBREITSCHMID, § 3.37; SCHWENZER, Umbruch, p. 273.

Message 95 CCS, p. 12 et 15. Voir ég. : WERRO, p. 53, § 162.

MONTANARI, p. 21.

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compétences. Ensuite, le caractère informel des fiançailles, qui peuvent être conclues dans l'intimité la plus absolue, et les obstacles y relatifs liés à la preuve, n'ont en rien effrayé notre législateur dans sa volonté de saisir ce lien familial particulier, et par nature provisoire. Les fiançailles se situent à mi-chemin entre le mariage et le concubinage, mixant à la perfection les caractéristiques institu-tionnelles et contractuelles. Le mouvement d'osmose, entre union formelle léga-lisée et union informelle ignorée du droit, se rejoint en quelque s01ie dans cette conception un peu poussiéreuse des relations familiales.

1.2 Les fiançailles : regard historique et aperçu de différents droits étrangers

Les fiançailles existaient déjà dans l'ancien droit romain, sous la forme d'un contrat civil doté d'une clause pénale. La promesse de mariage pouvait être, soit accomplie : elle prenait une forme religieuse et connaissait la même force que le mariage, la rupture n'ayant alors lieu qu'en raison de causes déterminées, soit non accomplie : dotée d'un caractère purement civil, n'entraînant pas nécessairement le mariage, mais dans ce cas le dédommagement de la personne lésée par la rupture14. Son auteur perdait les cadeaux offerts, les anhes versés et devait rembourser les dépenses éventuelles faites en vue du mariage. Les fiançailles que connaît le droit suisse de nos jours encore se rapprochent de cette dernière forme.

La suppression d'une réglementation sur les fiançailles n'est pas anodine, comme le révèle une affaire new yorkaise. La demande de la concubine se fondait sur un accord dans lequel le défendeur prévoyait de prendre soin d'elle. Les concubins avaient vécu dix ans ensemble, la demanderesse s'étant fiée à une promesse de mariage de son compagnon. Le Tribunal prit toutefois motif sur le fait que la loi de l'Etat de New York avait aboli l'action en dommages et intérêts liée à la rupture d'une telle promesse pour rejeter la demandel5! En doctrine, Krause par exemple condamne tout effort des tribunaux tendant à déduire des droits du concubinage; il estime que la séduction est à nouveau érigée en une faute susceptible d'être indemnisée, moyen de chantage légal à la disposition des amoureux déçus, arme apparentée à l'ancienne action heartbalm, qui comprend les procès pour abandon d'affection, séduction, rupture de promesse de mariage, alors qu'une telle action est tombée en désuétudel6. Plusieurs Etats ont aboli ces 14

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Pour plus d'information: GIONEA, p. 261. VIGNERON, p. 737, dans son interprétation de la Novelle 74,5 de Justinien, note l'originalité de la formule «promesse de mariage+ concubinage

=mariage»!

Drazin v. Wasserman 6 Fam. L. Rep. (BNA) 2843 (N.Y. Sup. Ct. 1980).

KRA USE, Droit, p. 144, et note 43.

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actions, d'autres en ont diminué la portée. Le 11 novembre 1993, un Tribunal de Chicago a cependant octroyé 178'000.-dollars suite à la rupture d'un contrat de fiançailles, afin de couvrir le dommage matériel et moral'7!

Les Etats membres du Conseil de l'Europe n'ont de même pas tous régle-menté les fiançailles. L'impmtance accordée par le droit suisse aux promesses de mariage a toutefois particulièrement été appréciée lors de la traduction à peu près littérale du Code civil opérée par les autorités turques, du fait de la correspon-dance des dispositions y relatives aux couh1mes de ce pays18. En droit islamique, les engagements prénuptiaux sont également pris avec grand sérieux19. La conception du droit suisse est par ailleurs proche de celle des droits allemand et italien2o. Schwenzer note certes que nombreux sont les législateurs qui ont supprimé une telle réglementation et, en aucun cas, ne l'ont réformée21! Les grandes lignes de l'expérience finlandaise sont à cet effet révélatrices de l'évolu-tion des concepl'évolu-tions développées par une société moderne en matière d'organi-sation de la vie familiale22. Le Code de 1734 traitait la promesse de mariage comme un contrat conclu sans formalité, mais doté de conséquences juridiques importantes; accompagné d'une vie commune et d'enfants communs, la situation des fiancés était très proche de celle d'un couple marié. Au nom de la protection du libre consentement des intéressés, la loi de 1929 abroge toutefois cette sorte de mariage incomplet, mais non la promesse de mariage en tant que telle, liée cependant à des conséquences juridiques moins importantes. Il faut attendre la réforme finlandaise récente du droit de la famille pour qu'elle perde toutes ses conséquences juridiques, à l'instar de l'évolution suédoise qui lui a servi de déto-nateur23.

Le droit français se fonde, pour sa part, sur l'idée que les promesses de mariage n'ont aucune valeur et ne constituent pas, en conséquence, un contrat doté d'effets juridiques; elles n'ont de ce fait pas place dans la loi. C'est au nom de la liberté de contracter mariage que se base le refus de légiférer, «principe en vertu duquel le consentement des parties doit être affranchi de toute contrainte, de toute anière-pensée jusqu'au moment de l'apparition devant l'officier de l'état civi1»24. Doctrine et jurisprudence françaises ont tout de même dû accepter que 17

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La presse en a fait état, cf. NZZ 12.11.93, p. 13.

YÜCEL, Turquie, p. 170.

Par ex. : RUDE-ANTOINE, p. 95.

WERRO, p. 54,§ 167.

SCHWENZER, Umbruch, p. 273.

Pour plus d'information : MODEEN, p. 176ss.

La Finlande est liée par la Convention d'Helsinki de 1962 sur la coopération entre les pays nordiques, qui demande un effort d'harmonisation de la législation, surtout dans le domaine du droit privé.

LAMBACHA, p. 29.

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-l'inexécution des fiançailles, bien que simple acte de la vie privée, donne lieu à une action délictuelle en dommages et intérêts, dans la mesure où la mpture entraîne un dommage25. Sous l'influence du code Napoléon, cette solution était par ailleurs retenue, avant 1912, dans le canton de Genève26. Le droit anglais des fiançailles, purement jurispmdentiel, est lui fondé sur les principes généraux et fondamentaux du droit des contrats. La volonté d'ignorer les fiançailles semble en conséquence avoir toujours des limites.

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Nos conceptions ne sont finalement pas si éloignées : WERRO, p. 54, § 168. Pour une critique de la conception française : HAYRI, p. 48ss; LAMBACHA, p. 27ss.

HAYRI, p. 44s; VON DER WEID, p. 18. Souvenons-nous que Genève ne fut rattaché à la Confédération qu'en 1815. Même la jurisprudence genevoise a fini cependant par admettre la notion de contrat : SJ 1894 540.

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2. Les fiançailles : le point de vue des droits de l'homme