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Le concubinage, la nécessité d'une reconnaissance juridique complète

1. Présentation du concubinage

1.1 Terminologie : fondements et limites

Le choix dans la terminologie foisonne, ce qui augure de la difficulté à identifier l'objet d'examen selon ses ennemis'. L'existence d'expressions diverses, et

Chaque écrit sur le concubinage, petit ou grand, trouve son premier écueil dans la terminologie, par ex. :Bureau permanent, note 93, p. 112-114; DIEDERICHSEN, in: NJW 1983 1017; GEISER, Konkubinat, p. 87s et réf.; GROSSEN/GUILLOD, p. 270; MÜLLER-FREIENFELS, Law, p. 262, Rechtsfolgen, p. 737s; NOIR-MASNATA, p. 7s, note ég. la richesse des terminologies allemande et italienne; ORÜSCÜ, p. 237; STRÀTZ, Rechtsfragen, p. 303; VIDAL MARTINEZ,

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parfois ambiguës, est certes souvent le signe annonciateur de divergences, d'in-certitudes, de tensions, voire d'un malaise, face au phénomène que l'on peine à nommer. Union libre, ménage de fait, relations de fait, concubinage, ménage/mariage, faux mariage ou faux ménage, vrai faux ménage, pseudo-mariage, pseudo-conjoints, mariage informel, couple non marié, cohabitation hors mariage, mariage de comportement, non-marital union,free union, shadow institution, Lebenspartnerschaft, freie Ehe, wilde Ehe, eheahnliche Lebens-gemeinschaft, faktische Ehe : voici une première source de dénominatifs.

«Cohabitation informelle, illicite, notoire, de fait, putative, prétendue, adultère, sans cérémonie, sociologique, ou bien mariage sans formalité; ou encore : entre-tien d'une maîtresse, vie dans le péché, concubinage, main dans la main (hand fasting), mariage sans l'église, mariage de Common Law», tel est un autre exemple d'expressions techniques et familières pour décrire en Australie la vie en commun de couples hétérosexuels2. Le terme le plus utilisé semble toutefois êh·e maintenant «Union de fait» (de facto marri age) ou relation de fait (de facto rela-tionship) ou encore «vie de fait» (living de facto )3. L'état de la terminologie en Australie est intéressant, d'abord eu égard à la réf01me effectuée dans deux Etats Australiens par une législation unique au monde concemant les litiges entre concubins relatifs à la propriété4, et ensuite, étant donné que retenir de manière générale le qualificatif «fait» ne nous convainc guère ! Malgré un décalage certain face à l'expérience australienne de juridicisation écrite du concubinage, dans un pays qui suit pourtant la tradition de Common Law, la relation hors mariage nous semble appartenir déjà trop au domaine du droit pour lui donner un qualificatif lié avec une telle intensité au monde des faits, le sens du mot droit ne se confondant pas avec la loi. Ces unions ne peuvent davantage être qualifiées de «libres», l'emprise du droit étant de ce point de vue également bien trop importantes. Déjà en 1986, le doyen Carbonnier soulignait «l'émergence heurtée,

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p. 111-114; WADE, p. 70; WAELTI, p. 296. A la diversité de terminologie correspond une aussi large diversité des solutions en droits internes, cf. la trilogie sous la dir. de RUBELLIN DEVICHI, et Bureau permanent, note 93, p. 109ss.

WADE, p. 70.

Le terme «de facto» a ég. les faveurs des instances de Strasbourg, par ex. : arrêts HOFFMANN, REC. 01, § 34; SAHIN, REC. 01, § 34; SOMMERFELD, REC. 01, § 32; NUUTINEN, REC. 00,

§ 129; X Y Z, REC. 97-II, p. 629s, § 36s; KROON, A 297-C, p. 12, § 30 et KEEGAN, A 290, p. 17s, § 44 (RUDH 1994 282); Rec. 44 29. Selon MÜLLER-FREIENFELS, Rechtsfolgen, p. 737ss, la référence au mariage souligne la perte d'exclusivité de ce modèle.

MÜLLER-FREIENFELS, Rechtsfolgen, p. 762ss; WADE, p. 72s. Réglementation qui prévoit l'octroi de pensions alimentaires, ainsi qu'une répartition juste et équitable des biens grâce à un large pouvoir discrétionnaire du juge.

KRAUSE, Droit, p. 144, prône d'ailleurs l'acceptation de «l'amour libre», dans son sens le plus pur, rimant avec absence de tout lien juridique. FULCHIRON, p. 893ss, distingue les unions libres des unions légales hors mariage.

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tourmentée, d'un droit du non-droit»6. Loin de nous toutefois l'idée de nier que le fait crée le droit, qu'il est en soi «déjà normatif, complexe régulatoire, voulu et vécu, bref norme sociale» 7.

Tout en gardant une certaine souplesse, nous optons finalement de manière générale pour le terme «concubinage»&; le rappel du caractère formel ou informel de 1 'union nous tient aussi à cœur, soulignant combien ce critère de distinction n'en est plus un ! Ce vocable n'a toutefois pas toujours son équivalent dans d'au-tres cultures, au point d'être dénoncé comme un concept exclusivement occi-dental9. La «désinstitutionnalisation» de l'organisation de la vie privée est certes un phénomène auquel les sociétés industrielles avancées sont particulièrement confrontées. Les cultures occidentales ont en effet atteint un niveau de volonta-risme individualiste qui pousse les couples à rechercher des modes altematifs de vie commune, signe de modemité, alors qu'en Turquie par exemple, le concubi-nage non légalisé est un signe de traditionalisme, d'anti-laïcisme, de conserva-tisme, doublé d'une absence de reconnaissance politico-légalelD. «Dans les pays où les gens 'ordinaires' ne peuvent se pennettre le luxe d'une cérémonie reli-gieuse comme par exemple en Amérique Centrale ou aux Caraïbes, la vie commune hors mariage a une toute autre signification que dans notre société occidentale industrielle»ll. Que le terme «avancées» cité plus haut se réfère à la qualité d'une société, appréciée en fonction du respect des droits de l'homme que celle-ci promeut12! Il en va du souci de pluralisme, de tolérance, d'égalité, objec-tifs que nos sociétés se sont fixés dans leurs Constitutions et en ratifiant les instm-ments intemationaux protecteurs des droits fondamentaux des individus. La DUDH, le PIDCP, le PIDESC, la CEDH, et la CADH, sont d'ailleurs ressentis comme de purs produits de l'idéologie, de la philosophie politique et légale de

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CARBONNIER, Préface.

COMMAILLE/PERRIN, p. 15 in .fine.

Dans ce sens: RUBELLIN-DEVICHI, Approche, p. 20ss, sur le choix de l'appellation «concu-binages»; STRÂTZ, Mariage, p. 52, note que ce te1me est facilement compris au niveau interna-tional; TARBY et al., p. 72 note 1, relèvent que la loi française jusqu'en 1987 utilise uniquement ce terme; WERRO, p. 40, § 96.

HAMPSON, p. 252; SOW SIDIBE, p. 217, 224, 243; VANDEVELDE, p. 2ls, et note 21, en Algérie, en 1977, 98 %des femmes dès trente ans sont mariées et seul le mariage légal fonde la famille musulmane; en Chine moderne, selon WANG, p. 119, 123s, l'acceptation d'un mode de vie occidental voit naître les concubinages «modes de l'Occident». RUBELLIN-DEVICHI, Monde, est à cet effet très intéressant, cf. COMMAILLE/PERRIN, p. 17.

ORÜSCÜ, p. 243; MÜLLER-FREIENFELS, Law, p. 266s, et réf. notes 54ss. Eg. : OZUNAY, p. 545ss; YÜCEL, p. 169ss, et l'ouvrage de ZEVLIKER. OZTAN, p. 333, parle toutefois des concubinages, alternatives au mariage.

ROOD DE BOER, Pays, p. 234.

A cet actif: ORÜSCÜ, p. 243, note, en Turquie, l'absence des conditions qui sont à l'origine du concubinage en Europe, dont l'immixtion grandissante des droits de l'homme, des droits des femmes et de leur émancipation !

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l'Ouest13. Le ton des auteurs, qui dénoncent la dérive occidentale des mœurs conduisant au concubinage, ne conespond toutefois guère à cet idéal de tolérance et de liberté, mais projette davantage les avatars d'une société de consommation, avide de matérialisme14. Les racines sacrées de notre champ d'investigation, qui touchent au fondement de la vie en société, à cet éternel humain, si attachant bien qu'insaisissable et contradictoire à la fois, ressurgissent.

Le mot concubine prend sa source dans le mot latin cum cubare, soit

«coucher avec». Le sens étymologique de notre vocable fait ainsi allusion à une communauté de lit, suggérant une forme de relations sexuelles poursuivies hors mariage15. Selon certains auteurs, le terme «concubinage» devrait être rejeté au regard de son caractère péjoratif et en raison des caractéristiques que le concubi-nage a revêtues historiquement, telle la dépendance de la femme, incompatibles avec le droit constitutionnel16. Aucune consonance négative ne peut à notre sens être décelée de nos jours dans ce vocablei7. L'argument tiré de l'inadéquation entre la terminologie et la réalité constitutionnelle ne résiste pas à une vision évolutive de ce mode de vie. Comme les développements transcrits dans le droit du mariage, en particulier au niveau de l'égalité acquise par les femmes, n'ont en rien modifié le nom de l'institution, le concubinage peut certainement survivre à ses noirs antécédents. Nous entendons le mot «concubinage» dans son acception la plus large, y incluant les couples homosexuels contrairement au Tf18, ce même s'il ne désigne pas davantage qu'un autre vocable une réalité homogène. La problématique liée à la terminologie n'a en conclusion rien d'anodin, mais transporte au contraire la voie menant de la dramatisation du concept d'union hors mariage jusqu'à la banalisation de la différence ou de son absence19.

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NHLAPO THANDABANTU, p. 2s, 6, la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples de 1981 est justement un essai de repenser les droits de 1 'homme dans un contexte africain.

Par ex.: WANG, p. 119 et 131.

Pour plus d'information: FUENTEVILLA GUITRON, p. 172.

VIDAL MARTINEZ, p. 113, note 15.

Et ce dès 1980: LUTHER, p. 261, note 17; NAMGALIES, p. 18; OHLENBURGER, p. 8;

STRÀTZ, Rechtsfragen, p. 303 ! Le terme concubinage pour les auteurs de Common Law décri-rait toutefois plus spécifiquement l'union libre adultère: DELEURY/CANO, p. 88, note 18;

GROFFIER, p. 236.

Par ex. : ATF 106 V 60, la communauté de vie d'un couple de même sexe échappe à la qualifi-cation de concubinage qualifié. WERRO, p. 24, § 19, et p. 41, § 101, estime cette discrimination ég. choquante, comme: DUSSY, p. 3; MARTY-SCHMID, p. Il; PULVER, p. 15; THURN-HERR, p. 17ss; SCHWANDER, p. 920.

Sur l'importance politique relative à la dédramatisation de la différence au travers de la termino-logie: MÜLLER-FREIENFELS, Rechtsfolgen, p. 737, note 2.

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