La problématique de l’État paria en DIP a donné lieu à plusieurs débats. Quelle place
occupe un tel État sur la scène internationale et comment doit réagir la communauté
internationale face à ce genre de situation? Pour Jackson, la question doit être de savoir
414
Dunlap, supra note 15 à la p. 460. 415
Jackson, supra note 407 à la p. 3. 416
si les normes de droit encadrant la société internationale des États devraient être
remplacées par une norme plus sévère de souveraineté positive. Plus précisément, il
faudra se demander si la capacité de l’État à respecter des conditions sociales
minimales à l’interne et à exécuter ses obligations internationales devrait être une
exigence pour se prévaloir du droit à l’intégrité territoriale. À l’opposé, est-ce que le
système de DIP devrait demeurer tel qu’il l’est, c’est-à-dire basé sur un standard de
souveraineté négative, assurant ainsi la non-interférence politique et militaire par des
États tiers dans des États plus faibles
417?
Dans l’Affaire des Activités armées sur le territoire du Congo [ci-après « Affaire des
activités armées »] de 2005
418, la C.I.J. a jugé qu’elle « n’a pas à se prononcer sur les
arguments des Parties relatifs à la question de savoir si et à quelles conditions le droit
international contemporain prévoit un droit de légitime défense pour riposter à des
attaques d’envergure menées par des forces irrégulières. »
419Or, certains auteurs sont
d’avis que la C.I.J. a manqué une bonne opportunité de prendre en compte la lacune
normative existante dans le DIP faisant en sorte qu’une agression armée donnant lieu
au droit à la légitime défense ne peut être effectuée que par un État
420.
Dans l’Affaire des activités armées, ni la République démocratique du Congo (RDC),
ni l’Ouganda n’exerçaient un degré de contrôle quelconque sur les groupes rebelles
armés qui contrôlaient une partie du territoire de la RDC. En effet, la RDC est un État
paria dont le gouvernement est si faible qu’il ne peut assurer son intégrité territoriale ou
son infrastructure économique. Par conséquent, la RDC était incapable de mettre terme
aux activités rebelles se déroulant sur son territoire
421. Stephanie Barbour et Zoe A.
Salzman font observer que la C.I.J. aurait dû prendre en compte cette problématique
dans son analyse de la situation :
The Court’s finding that ‘neither [Uganda nor the DRC] was capable of putting an end to all the rebel activities despite their efforts recognized this power
417
Jackson, supra note 407 à la p. 8. 418
Affaire des activités armées, supra note 358. 419
Ibid. au para. 147. 420
Voir généralement Barbour et Salzman, supra note 366. Voir aussi Ziccardi Capaldo, supra note 351 à la p. 108.
421
vacuum, but did not address the legal consequence of the DRC’s State failure. The Court’s reluctance to address the applicability of the international law on self-defense to non-State actors in control of ungoverned territory is most likely attributable to the fact that ‘[t]he system of international judicial dispute settlement is premised on the existence of a series of bilateral inter-State disputes...’ [...] The Court’s difficulty in applying a traditional self-defence analysis to a conflict involving non-State actors in control of territory is not judicial error; rather, as the ensuing analysis demonstrates, this opinion is symptomatic of the profound uncertainties in this area of international law. It is far from clear how non-State actors can, or should, fit into a system that was designed to regulate disputes between States422
.
Barbour et Salzman font une distinction importante et extrêmement pertinente entre les
faits de l’Affaire Nicaragua de 1986 et de l’Affaire des activités armées de 2005 et
soulignent qu’il s’agissait, dans chaque cas, de différents types d’acteurs non étatiques.
En effet, alors que les contras nicaraguayens pouvaient facilement être liés aux États-
Unis qui, selon la C.I.J., exerçaient un certain contrôle sur le groupe sans atteindre le
niveau de contrôle nécessaire pour se voir attribuer la responsabilité, les groupes armés
dans l’Affaire des activités armées agissaient de manière beaucoup plus autonome
423.
Que faire dans de telles situations, où l’acteur non étatique n’agit pas sous le contrôle
d’un État et, plus encore, agit de manière entièrement indépendante?
Cette question est d’une utilité particulière pour notre travail, puisque le Hezbollah
contrôle une partie de territoire importante du Liban qui, lui, n’exerce aucun contrôle
sur l’aile militaire du Parti de Dieu. Dans un tel cas, est-ce que l’État pourra être
responsable d’un acteur qui, sous plusieurs angles, est plus fort que lui? Dans l’Affaire
des activités armées, la C.I.J. a répondu à cette question dans la négative, mais pour
plusieurs auteurs, cette opinion est répréhensible et la nécessité d’un test de contrôle
devrait être révisée.
The effective control test is an ‘all-or-nothing’ approach to State responsibility that leaves no room for the more complex forms of State involvement illustrated by the DRC case. In Military and Paramilitary Activities, the absence of sufficient proof to demonstrate that the Contras were the de facto agents of the U.S. government meant that the United States escaped any responsibility for the
422
Ibid. à la p. 64.
423
Contras’ actions. Thus, critics argue that this test allows States that assist terrorist and other armed groups to evade responsibility424
.
Dans de tels cas, lorsqu’un groupe non étatique constitue une présence armée
imposante contrôlant une partie du territoire de l’État dans lequel il se situe, Barbour et
Salzman considèrent qu’une réduction du seuil de contrôle nécessaire à l’attribution ne
sera plus suffisante. Requérir impérativement l’attribution d’un comportement à un
État lorsqu’un acteur non étatique contrôle le territoire litigieux et agit parfois en tant
que gouvernement de facto pourra même mener à des résultats absurdes, faisant en
sorte que la faiblesse de certains États soit exploitée de manière à ce qu’ils deviennent
des refuges pour certaines organisations terroristes ou autres
425. Ceci amène Barbour et
Salzman à affirmer que l’attribution du comportement d’un acteur non étatique à un
État paria sera tout simplement impossible en DIP, notamment en raison de l’incapacité
de ces États à exercer leur souveraineté sur la partie de leur territoire contrôlée par
l’acteur non étatique.
In such scenario, not only will the attribution test always fail, but its application only serves to mis-characterize the problem. While a failed State necessarily retains some ‘legal capacity’, it cannot be held for any breaches if it no longer has institutions or officials authorized to act on its behalf426
.
La solution serait donc de faire en sorte que le paradigme de la responsabilité de l’État
évolue pour inclure le concept de la responsabilité de l’acteur non étatique, sans
424 Ibid. 425
Ibid. à la p. 78. Notons que, bien qu’un État paria soit logiquement plus facile d’accès pour les organisations terroristes, il a déjà été démontré qu’il n’y a pas nécessairement de corrélation entre l’effondrement d’un État et le terrorisme. Se référant à une étude effectuée annuellement par le magazine Foreign Policy, un auteur affirme : « These tables demonstrate three key findings: first, the lack of any correlation between a state’s level of failure and the number of terrorist groups based there; second, the extent to which states listed in the top 20 on the Failed States Index exhibit significant differences with respect to the incidence of terrorism [...]; third, the presence of significant numbers of [Foreign Terrorist Organizations] in states with low levels of failure, some of which [...] are democracies. » Voir Aidan Hehir, « The Myth of the Failed State and the War on Terror: A Challenge to the Conventional Wisdom » (2007) 1:3 Journal of Intervention and Statebuilding 307 aux pp. 314-17. Pour la liste des États paria des années récentes, y compris 2010, voir « Failed States Index », en ligne : Foreign Policy : <http://www.foreignpolicy.com/articles/2010/06/21/2010_failed_states_index_interactive_map_and_ran kings> (consulté le 17 août 2010). Il est intéressant de noter que le Liban était listé 28e en 2007, 18e en 2008, 29e en 2009 et 34e en 2010. Les résultats de l’étude de Foreign Policy sont notamment basés sur des indicateurs de développement, de la présence de réfugiés, du respect des droits de l’homme, de légitimité gouvernementale et de démographie.
426
référence quelconque à la notion de l’attribution
427. Cet argument fait plus que
proposer d’élargir le critère de contrôle : il entend viser directement l’acteur non
étatique et lui attribuer sa propre responsabilité
428. Tenir un État responsable pour une
agression armée menée par groupe non étatique pour la simple raison qu’elle ait été
déclenchée depuis son territoire, sans se demander si l’État avait le pouvoir ou les
ressources de prévenir cette agression, représenterait une doctrine erronée, même
injuste. Au lieu d’une telle perspective, il serait donc préférable d’attribuer la
responsabilité à l’acteur non étatique lui-même lorsque l’État dans lequel il se refuge
s’est effondré
429.
Cette idée a du mérite. Il faudra cependant utiliser cette théorie avec précaution et
observer son développement, car plusieurs problèmes pourraient en découler. Par
exemple, justifier l’usage de la force contre un groupe terroriste dans le territoire d’un
État paria accroîtrait considérablement le risque de créer une coutume internationale
permettant aux États d’en envahir un autre dès lors qu’ils le considéreraient
« paria »
430. Ceci représenterait un risque accru d’atteinte à l’intégrité territoriale des
États sans justification valable. Par ailleurs, des approches alternatives au problème
contemporain de l’État paria, opposables à celle de l’intervention armée, ont également
été proposées par divers auteurs. Ben N. Dunlap propose donc de faire en sorte que la
reconnaissance de l’effondrement d’un État, au point où il soit devenu paria, ne soit
faite que par résolution du Conseil de sécurité
431. En outre, plusieurs auteurs sont
d’avis que des solutions pacifiques seraient plus appropriées, citant la responsabilité de
la communauté internationale envers les États paria, la possibilité d’opérations de
maintien de la paix, et même parfois le retour à des régimes de tutelle
432.
427
Ibid. à la p. 91. 428
Voir aussi Maggs, supra note 356. Maggs est de l’avis que limiter la portée du droit à la légitime défense, au sens l’article 51 de la Charte de l’ONU, aux agressions armées menées par des États seulement serait un principe erroné. Il propose d’en élargir la portée de manière à ce que la pratique du droit à la légitime défense soit ouverte dès lors qu’un État ait été attaqué ou menacé, que cette agression ait été menée par un État ou non et dans le territoire de l’État victime ou sur ses ressortissants dans le territoire d’un État tiers.
429
Barbour et Salzman, supra note 366 à la p. 94. 430
Dunlap, supra note 15 à la p. 470. 431
Ibid. à la p. 472. 432