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Section II Critiques du projet d’articles de la C.D.I de 2001

3. Un texte affichant une autorité trompeuse

Le projet de la C.D.I. de 2001 sur la responsabilité de l’État traite d’un domaine de DIP

qui est d’une grande complexité. Cependant, dans un souci pragmatique, la C.D.I. a

choisi de le rédiger sous l’angle des obligations secondaires seulement, faisant en sorte

de simplifier considérablement sa portée. Or, cette simplicité peut induire en erreur,

parce qu’elle fait en sorte que les situations sur le terrain sont souvent beaucoup plus

problématiques et complexes que ce que les articles de la C.D.I. laissent sous-

entendre

247

. Le cas de la responsabilité du Liban pour le Hezbollah est un excellent

exemple d’une telle complexité parce qu’il ne peut être expliqué sans référer, entre

autres, aux tensions interconfessionnelles qui y abondent ainsi qu’à tous les facteurs

expliquant les limitations de la souveraineté libanaise. Malheureusement, face à de

telles situations, les articles du projet de la C.D.I. de 2001 ne fournissent pas de

réponses ni d’indications et, par conséquent, ne sont souvent pas à la hauteur du

problème qu’ils tentent de remédier.

247

Le projet de la C.D.I. de 2001, ayant été rédigé par des juristes de DIP chevronnés,

adopte un langage clair et décisif qui affiche une autorité qui n’est pas nécessairement

réaliste. Plus spécifiquement, les articles ont été adoptés par la C.D.I. sous une forme

conventionnelle :

As the [International Law Commission] worked over these many years, the draft had the look and feel of a treaty. [...] At the end, the ILC adopted a treatylike text containing fifty-nine articles with a lengthy commentary annexed, but did not recommend to the General Assembly that the articles be considered for adoption as a treaty248.

Or, il est important de garder à l’esprit que le projet de la C.D.I. de 2001 ne constitue

d’aucune manière un traité international. En effet, une fois le projet d’articles présenté

à l’Assemblée générale de l’ONU, cette dernière s’est bien gardée de l’adopter

officiellement. Ce forum étatique a plutôt choisi de « prendre note des articles sur la

reponsabilité des États pour fait internationalement illicite présentés par la C.D.I. » et

de les « recommander à l’attention des gouvernements »

249

. La structure du projet de la

C.D.I. de 2001, très similaire à celle des traités internationaux, peut pourtant induire en

erreur et faire porter à croire que les articles de la C.D.I. représentent l’image concrète

du DIP en la matière. Cependant, cette perspective est erronée : « An ILC study,

although written in the form of articles, is not a ‘source’ of law. [...] Recognizing that

the ILC articles are not themselves a source of law is critical because, as I see it,

arbitrators can otherwise defer too easily and uncritically to them. »

250

Les articles du projet de la C.D.I. de 2001 ne doivent donc pas être appliqués

automatiquement sans discrimination aucune. Ils doivent plutôt être interprétés

minutieusement après une recherche exhaustive de tous les principes de DIP

applicables au cas sous étude, incluant ceux qui ont fait surface après l’adoption du

projet d’articles par la C.D.I. en 2001. Or, la simplicité attirante des articles peut

parfois faire oublier qu’une analyse plus approfondie des principes de la responsabilité

internationale devra toujours être effectuée : « [...]the ILC’s choice to release its work

248

David D. Caron, « The ILC Articles on State Responsibilty: The Paradoxical Relationship Between Form and Authority » (2002) 96 A.J.I.L. 857 à la p. 862.

249

Responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, Rés. 56/83, supra note 217. 250

on state responsibility in the form, but not the reality, of a treaty gives the study a

greater aura of authority. »

251

Le projet d’articles de la C.D.I. de 2001 contient des carences, peut-être inévitables

dans l’élaboration d’un projet d’une telle envergure, mais qui demeurent

incontournables. Bien que représentant un travail inestimable et fournissant un

excellent point de départ dans l’analyse d’un cas portant sur la responsabilité d’un État,

ces articles ne peuvent donc être, à eux seuls, la base de l’argumentation dans un projet

de recherche sur la responsabilité des États pour le comportement des acteurs non

étatiques. « The articles should be welcomed, but simultaneously international law

must be able to evolve with the needs of the international community. »

252

Section III

Le projet d’articles de la C.D.I. sur la responsabilité de l’État de

2001

Le projet d’articles de la C.D.I. sur la responsabilité de l’État de 2001, fruit de quatre

décennies de travail, est en quelque sorte la codification la plus fidèle des principes

coutumiers du droit international sur la responsabilité qui existaient jusqu’alors

253

. La

partie la plus pertinente pour nos fins est celle qui traite de l’attribution et elle nous

donnera des indices pour savoir si l’opération du Hezbollah du 12 juillet 2006 doit être

attribuée au Liban.

Le projet de la C.D.I. de 2001 a été adopté en quatre parties, traitant respectivement des

thèmes suivants : 1) le fait internationalement illicite, qui porte sur les critères

nécessaires afin qu’un État soit tenu responsable; 2) le contenu de la responsabilité

internationale, sur les conséquences découlant de la responsabilité de l’État ainsi que

les réparations possibles; 3) la mise en œuvre de la responsabilité internationale de

l’État, sur les façons d’invoquer la responsabilité; et 4) les dispositions générales. Le

251 Ibid. 252 Ibid. à la p. 873. 253

Martti Koskenniemi, « Solidarity Measures: State Responsibility as a New International Order? » (2002) 72 Brit. Y.B. Int. L. 337 à la p. 341.

survol de quelques articles généraux nous donnera une meilleure compréhension de la

notion de la responsabilité de l’État ainsi que de la place qu’occupe l’attribution dans

ce domaine de droit, du moins en ce qui concerne le projet de la C.D.I. de 2001.

Tout d’abord, l’article premier du projet de la C.D.I. de 2001 dispose que tout fait

internationalement illicite d'un État engage sa responsabilité internationale. Ensuite,

l’article 2 spécifie qu'il y a fait internationalement illicite lorsqu'un comportement

consistant en une action ou omission est attribuable à l'État en vertu du droit

international et constitue une violation d'une obligation internationale de l'État

254

.

Enfin, l'article 12 dispose qu'il y a violation d'une obligation internationale par un État

lorsqu'un fait dudit État n'est pas conforme à ce qui est requis de lui en vertu de cette

obligation. Lus ensemble, ces articles définissent le principe directeur des articles de la

C.D.I. sur la responsabilité des États pour actes illicites : un comportement qui n'est pas

conforme à une obligation internationale et qui est attribuable à un État représente un

fait internationalement illicite qui entraîne la responsabilité cet État

255

.

Le fait internationalement illicite peut donc être le résultat de la commission ou de

l'omission d'un acte

256

. En vertu de l'article 2 du projet de la C.D.I. de 2001, il y a fait

internationalement illicite de l'État lorsqu'un comportement consistant en une action ou

une omission constitue une violation d'une « obligation internationale de cet État »,

expression retenue dans les articles qui correspond au libellé de l'article 36(2)c) du

Statut de la Cour internationale de Justice de l’ONU

257

. Pour qu’un État soit déclaré

254

Rappelons que la définition d’une « obligation internationale » n’est pas limitée aux obligations conventionnelles, mais peut également être une obligation coutumière due à plus d’un État à la fois, tel que dans le cas des obligations « erga omnes ». Voir le texte correspondant à la note 239.

255

Bodansky et Crook, supra note 206 à la p. 782. 256

Par exemple, dans l'Affaire relative au Détroit de Corfou, [1949] C.I.J. rec. p. 3 [Affaire du Détroit de

Corfou], la responsabilité de l'Albanie a été engagée pour avoir omis, par négligence, d’avertir les

autorités britanniques du mouillage de ses eaux territoriales. Pour une discussion plus approfondie de cette affaire, voir ci-dessous à la p. 121.

257

(La C.I.J. a été instituée par la Charte des NU en juin 1945 par l’art. 92 : « La Cour internationale de Justice constitue l'organe judiciaire principal des Nations Unies. Elle fonctionne conformément à un Statut établi sur la base du Statut de la Cour permanente de Justice internationale et annexé à la présente Charte dont il fait partie intégrante. ») Voir Statut de la Cour internationale de Justice, 26 juin 1945, [1945] R.T. Can. no 7 (entrée en vigueur le 24 octobre 1945), art. 36 :

2. Les États parties au présent Statut pourront, à n'importe quel moment, déclarer reconnaître comme obligatoire de plein droit et sans convention spéciale, à l'égard de tout

responsable d’un fait internationalement illicite, il sera donc impératif d’établir ce

premier élément : qu’il y ait effectivement eu violation d’une obligation internationale

de l’État. Ces obligations internationales relèveront généralement des règles primaires

du DIP. Les articles de la C.D.I. ont été rédigés dans l'objectif de prévoir les

conséquences aux violations de telles obligations.

Il n’existe pas d’exceptions au principe selon lequel les deux conditions, soit

l’attribution du comportement à l’État et la violation d’une obligation internationale,

doivent absolument être établies afin d’engager la responsabilité de l’État en

conformité avec le projet de la C.D.I. de 2001. Par conséquent, si nous déterminons

que l’opération du Hezbollah du 12 juillet 2006 était réellement attribuable à l’État

libanais, cela ne voudra pas pour autant signifier que ce comportement ait été illicite et,

suivant cet ordre d’idées, que la responsabilité du Liban sera engagée. En effet,

démontrer qu'un comportement est effectivement attribuable à un État n'a aucune

incidence sur la licéité ou l'illicéité de ce comportement. Ceci étant dit, l'analyse des

articles de la C.D.I. portant sur l'attribution d'un comportement à l'État nous permettra

de vérifier si le comportement du Hezbollah est imputable au Liban.