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Comment accorder la responsabilité à une entité non étatique alors que le système de

DIP en place est, encore aujourd’hui, principalement basé sur l’État? Si l’on parvient à

attribuer la responsabilité d’une agression armée à l’acteur non étatique qui l’a

effectuée, le droit à la légitime défense d’un État sera nécessairement exercé dans le

territoire de l’État hébergeant cet acteur non étatique. Comment justifier, en DIP, qu’un

État jugé non responsable voit son intégrité territoriale atteinte en devenant la cible

d’une contre-attaque défensive? Barbour et Salzman répondent à cette question en

suggérant que, dans un cas tel que celui de l’Affaire des Activités armées de 2005,

l’intégrité territoriale de l’État dans lequel s’est réfugié un acteur non étatique

possédant assez de force pour contrôler une partie de son territoire est, de toute

manière, déjà atteinte

433

.

L’idée faisant en sorte d’attribuer une responsabilité directement à l’entité non étatique

pour ses actes au niveau du DIP est assez récente et encore relativement peu

développée. Dans une visée exploratoire, quels sont les principes sous-jacents qui

pourraient nous permettre de déterminer les cas où un acteur non étatique sera tenu

responsable en DIP?

Dans son ouvrage, Liesbeth Zegveld discute de la responsabilité d’une entité non

étatique particulière : le groupe d’opposition armé, défini comme étant un groupe qui,

supra note 407.

433

en général, lutte contre le gouvernement en place

434

. Nous pouvons dès maintenant

faire une distinction majeure entre un groupe d’opposition armé et le Hezbollah qui,

bien qu’aussi fort militairement que le Gouvernement libanais sinon plus, ne cherche

pas à renverser l’appareil étatique. À l’inverse, le Hezbollah est fermement ancré dans

le système politique libanais

435

.

Ceci étant dit, Zegveld souligne que tenir un groupe d’opposition armé responsable au

niveau international signifie nécessairement qu’il soit considéré comme un sujet de

DIP

436

. Il faudra donc lui accorder la personnalité juridique internationale (PJI). Dans

le DIP moderne, l’État a toujours été l’acteur principal et il incontestable qu’il soit doté

de la PJI

437

. Cependant, depuis la fin de la Guerre froide en 1990 et avec l’émergence

d’une multitude d’acteurs sur la scène internationale, tels que les ONG, les

multinationales, les groupes armés non étatiques, les mouvements de libération, etc., il

est devenu évident qu’une modification du DIP devait être envisagée.

[International legal personality] is so closely associated with statehood, while the issue which is currently debated is in fact that of ‘non-state actors’. [...] It is the duty of the discipline of international law to contribute to the rethinking of the international society and its legal system and to provide alternatives for our collective future438

.

434

Liesbeth Zegveld, Accountability of Armed opposition groups in International Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2002 à la p. 1 :

These groups generally fight against the government in power, in an effort to overthrow the existing government, or alternatively to bring about a secession so as to set up a new state. The objectives of these groups may also include the achievement of greater autonomy within the state concerned. In other situations, where the existing government has collapsed or is unable to intervene, armed groups fight among themselves in pursuit of political power. The degree of organization of armed opposition groups, their size, and the extent to which they exercise effective authority vary from one situation to the next. At one extreme, such groups resemble de facto governments, with control over territory and population. At the other extreme, they are militarily and politically inferior to the established government, exercising no direct control over territory and operating only sporadically. Some armed groups operate under clear lines of command and control; others are loosely organized and various units are not under effective central command. 435

En effet, après la fin de la guerre civile libanaise en 1990, le Hezbollah est devenu un parti politique et a participé à toutes les élections législatives. Voir ci-dessus aux pp. 45-46.

436

Zegveld, supra note 434 à la p. 134. 437

Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, Avis consultatif, [1949] C.I.J. rec. 174 [Avis sur la réparation des dommages au service de l’ONU] à la p. 177.

438

Janne Elisabeth Nijman, The Concept of International Legal Personality: An Inquiry Into the History

La personnalité juridique – ou la qualité de sujet de droit – « est conférée par un ordre

juridique, et ne peut s’apprécier que par rapport à lui »

439

. Par exemple, les sujets de

droit interne, reconnus par les États selon leur droit national, seront automatiquement

reconnus comme tel par le DIP

440

. Cependant, de prime abord, ces sujets de droit ne

représenteront que des « objets » du DIP, lequel les intéressera et pourra affecter leur

situation de fait

441

. Pour que ces acteurs deviennent des « sujets » du DIP dotés de la

PJI, c’est l’ordre juridique international lui-même qui devra leur conférer ce statut. Il

reviendra donc aux États de reconnaître un acteur non étatique et lui accorder une PJI.

En DIP, l’acte de reconnaissance prend une signification particulière : « Recognition is

a method of accepting certain factual situations and endowing them with legal

significance »

442

. La reconnaissance sera surtout utilisée pour constater l’existence d’un

nouvel État, acceptant par le fait même qu’il obtienne la capacité d’entrer en relations

avec les autres États et acteurs internationaux. Mais la reconnaissance sera également

nécessaire pour qu’un acteur non étatique puisse lui-même devenir un sujet de DIP

443

.

Christopher Harding affirme que la notion de personnalité juridique est fonctionnelle,

en ce qu’elle servira essentiellement à permettre à l’acteur d’effectuer des actions ayant

439

Jean Combacau et Serge Sur, Droit international public, 8e éd., Paris, Montchrestien, Lextenso éditions, 2008 à la p. 312.

440

Ibid. à la p. 314. Combacau et Sur réfèrent à l’Affaire Barcelona Traction, supra note 238, de 1970, dans laquelle la C.I.J. était appelée à juger du droit applicable aux sociétés anonymes, c’est-à-dire les sociétés de capitaux dont les noms des actionnaires ne sont pas révélés : « Dans ce domaine, le droit international est appelé à reconnaître des institutions de droit interne qui jouent un rôle important et sont très répandues sur le plan international. [...] Cela veut simplement dire que le droit international a dû reconnaître dans la société anonyme une institution créée par les États en un domaine qui relève essentiellement de leur compétence nationale. Cette reconnaissance nécessite que le droit international se réfère aux règles pertinentes du droit interne [...] » (au para. 38).

441

Combacau et Sur, supra note 439 à la p. 315 : « [...] si [un être animé non revêtu de la personnalité juridique] peut attendre des effets matériels positifs ou négatifs de l’application des normes qui le concernent, il n’en n’est pas lui-même le destinataire, son propriétaire ou son détenteur provisoire se voyant imputer tous les événements qui l’affectent; qu’on pense à l’esclave ou, dans le droit contemporain, à l’animal domestique, auquel par exemple le droit étend sa protection de fait [...] mais qu’il ne traite pas comme un sujet. »

442

Malcolm N. Shaw, International Law, 6e éd., New York, Cambridge University Press, 2008 à la p. 207.

443

Brownlie, supra note 208 à la p. 74. Voir aussi Combacau et Sur, supra note 439 à la p. 312 : « Or le statut des êtres dépend au moins de deux catégories de systèmes légaux : d’une part chaque État fait, ou ne fait pas, d’un être un sujet de droit, en vertu des exigences de son ordre juridique particulier (l’ordre ‘étatique’ ou ‘interne’); d’autre part la collectivité des États agit de même en vertu de celles qui animent son ordre juridique propre (l’ordre ‘international’). »

une valeur juridique : « [...] writers often equate legal personality or identity with the

capacity for legal action »

444

. Dans la même veine, Brownlie définit le sujet de droit

comme étant une entité capable de posséder des droits et devoirs en vertu du DIP et qui

a la capacité de défendre ses droits en portant ses réclamations au niveau international :

« All that can be said is that an entity of a type recognized by customary law as

capable of possessing rights and duties and of bringing international claims, and

having these capacities conferred upon it, is a legal person. »

445

Selon Janne Elisabeth Nijman, la notion de PJI est surtout centrée autour du concept de

« participant »

446

. Ainsi, seules les entités possédant la PJI pourront exercer une forme

d’influence sur le plan international. Malcolm N. Shaw précise : « International

personality is participation plus some form of community acceptance »

447

. Dans les

mots de Nijman :

In a descriptive analysis of this development, it emerges that these non-state actors are either attributed a degree of [international legal personality] or not, that is, they are either included or excluded. [...] The prescriptive value of [international legal personality] – the element of inclusion and the legitimisation of participation in the international society – continues to function only in the margin of the debate on non-state actors. [...] Undoubtebly, at a more conceptual level of the debate on ‘new’ actors, [international legal personality] is a suitable concept to be used as an evaluative, descriptive/prescriptive notion indicating that international law has or should have identified the actor as a legitimate participant448

.

Dans la pratique, cette conception pragmatique de la PJI a été utilisée de manière

prédominante pour inclure des nouveaux sujets de DIP ou les exclure du système et

préserver le statu quo

449

. Cette vision de la PJI n’est certainement pas favorable à une

444

Christopher Harding, « The Role of Non-State Actors in International Conflict: Legal Identity, Delinquency and Political Representation », dans Ustinia Dolgopol et Judith Gardam, éd., The Challenge

of Conflict : International Law Responds, Leiden, Koninklijke Brill NV, 2006, 547 à la p. 555.

445

Brownlie, supra note 208 à la p. 57. 446

Nijman réfère à plusieurs juristes et philosophes qui attribuent à la personnalité juridique cette fonction de « participant » : Leibniz, Kelsen, Scelle, Morgenthau, Lauterpacht, McDougal, Friedmann, Franck, Chinkin. Voir cette analyse dans Nijman, supra note 438 aux pp. 449-55.

447

Shaw, supra note 442 à la p. 197. 448

Nijman, supra note 438 aux pp. 405-06. 449

Ibid. à la p. 456 : « [International legal personality] has found its purpose where it is used as a rather pragmatic concept or tool which indicates that an entity exists ‘in the eyes of international law’. [...] By the attribution of international legal rights and duties, (new) actors come ‘into sight’, become ‘visible’, as international legal persons and are being included in the international (legal) community. [...]

compréhension fondamentale de la théorie la gouvernant, dont l’analyse a été négligée

en faveur d’une approche pratique de ce concept. Toutefois, pour nos fins, c’est celle

que nous retiendrons. En effet, notre intention n’est pas de débattre de l’utilité ou de la

raison d’être de la PJI, celle-ci constituant une notion beaucoup trop complexe pour

l’analyser ici en détail. Il suffira de comprendre qu’en DIP, la PJI sera surtout utilisée

pour établir le statut juridique de nouveaux participants dans la communauté

internationale et au sein de ses institutions. Pour que le Hezbollah soit considéré

directement responsable de son comportement au niveau du DIP, on devra donc lui

accorder un certain degré de PJI, faisant nécessairement de cette organisation un acteur

légitime sur la scène internationale.

Section IV

Les sujets du droit international : les exemples des mouvements