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Dans l’analyse des critères d’attribution, nous nous sommes interrogés à savoir quel

devait être le degré de contrôle exercé par l’État sur le groupe ou l’acteur non étatique

dont le comportement était en cause. Nous avons également examiné la responsabilité

de l’État qui se montre négligeant dans son traitement d’une situation où un acteur non

étatique se comporte de manière à enfreindre le droit international relatif à l’usage de la

force. Il faut maintenant considérer un scénario alternatif : que faire des cas où l’État en

question se trouve incapable de prendre les mesures nécessaires afin de contrôler les

actions d’un groupe non étatique opérant sur son territoire?

Un tel scénario n’est ni nouveau ni rare. En effet, il existe des États que l’on dit

« paria », dont les infrastructures politique, économique et civile principales et

secondaires ne sont pas assez développées ou sont trop faibles pour pouvoir contrôler

de manière effective les acteurs non étatiques opérant sur son territoire.

The problem of failed states is not new, and, although scholars disagree on what to call failed states and how to prevent their collapse, there is general consensus about some of the causes and characteristics of them. State failure may be brought about by civil war, severe economic depression, extreme government corruption, or a combination of these and other factors. [...] failed states share some common characteristics. Their governments are unable to project power within their borders. They are unable to provide the most fundamental services that make up the state’s obligations in its contract with society: first and foremost physical security, but also basic health care, education, transportation and communications infrastructure, monetary and banking systems, and a system for resolving disputes407

.

Dans le même ordre d’idées, Robert H. Jackson définit l’État paria comme étant celui

qui ne peut ou ne veut protéger les conditions sociales et domestiques minimales, telles

407

Dunlap, supra note 15 à la p. 458. Voir aussi Tonya Langford, « Things Fall Apart: State Failure and the Politics of Intervention », (1999) 1:1 International Studies Review 59; Robert H. Jackson, « Surrogate Sovereignty? Great Power Responsibility and ‘Failed States’ » (novembre 1998) Working Paper No. 25, Institute of International Relations, University of British Columbia, en ligne : Liu Institute for Global Issues <http://www.ligi.ubc.ca/sites/liu/files/Publications/webwp25.pdf> (consulté le 20 août 2010).

que la paix, l’ordre, la sécurité, à l’intérieur de son territoire

408

. Il ajoute que

l’effondrement de l’appareil étatique doit avoir été le résultat du comportement de

l’État lui-même et non le produit d’une intervention militaire externe.

Dans un article sur le sujet, Ruth Gordon explique en détail la problématique de la

désintégration d’un État

409

. L’État est l’autorité politique qui possède, entre autres, la

souveraineté sur un territoire défini. Cette souveraineté s’exerce à deux niveaux :

interne et externe. À l’interne, l’État doit avoir le contrôle sur sa population, à défaut de

quoi il sera possible qu’il soit paria. À l’externe, l’État doit avoir la capacité d’entrer en

relations avec d’autres États

410

. Il est extrêmement intéressant de noter qu’à ce niveau,

le DIP ne semble pas reconnaître les États paria. En effet, le DIP est généralement

constitué de manière à protéger l’existence de l’État contre des dangers menaçant sa

souveraineté, mais qui ne sont pas nécessairement illicites, tels que les changements

territoriaux, les révolutions et les occupations. Il existe une forte présomption

favorisant la continuité, et non l’extinction, d’un État déjà établi

411

.

Given the strong presumption in favor of retaining international personality, and taking into account recognition and the views of the entity concerned, failed States do not appear to have forfeited their status as States. In describing disintegrating States, commentators have primarily focused on the inability to fulfill essential governmental functions because of civil war or weak, collapsing governmental structures412

.

Les États paria demeureront donc souverains vis-à-vis la communauté internationale et

continueront d’effectuer leurs fonctions gouvernementales vis-à-vis les autres États

413

.

Cette particularité nous amène à considérer pourquoi l’État paria qui, jusqu’alors, était

surtout préoccupant sous l’angle humanitaire, deviendra très inquiétant dans le contexte

d’un monde aux prises avec une guerre contre le terrorisme. L’une des raisons les plus

408

Jackson, ibid. à la p. 2. 409

Gordon, « Failed States », supra note 36. 410

Ces critères sont énumérés dans la Convention de Montevideo de 1993, supra note 105 à l’art. 1. 411

Ruth Gordon, « Some Legal Problems with Trusteeship » (1995) 28 Cornell Int’l L.J. 301 à la p. 336 : « Extensive civil strife and the breakdown of order through foreign invasion have not affected the personalities of established States. Such States have also been immune to extinction because of revolution and prolonged anarchy. »

412

Ibid. à la p. 337. 413

importantes est que l’État paria offrira néanmoins aux groupes terroristes un refuge

protégé par le concept de la souveraineté territoriale, tel qu’articulé par l’article 2(4) de

la Charte des NU de 1945. En outre, l’anarchie régnante dans de tels États expliquera

souvent l’installation de groupes terroristes au sein de leurs territoires, ces derniers ne

craignant pas d’être capturés et punis. Les États paria seront souvent trop faibles ou

corrompus pour pouvoir efficacement trouver et éliminer un groupe terroriste opérant

depuis leur territoire : « While terrorists take refuge behind the borders of a state that

is, at least in principle, a sovereign nation, they avoid capture by other states, whose

governments may be reluctant to cross international boundaries to catch them. »

414

En

effet, les États paria ne possèdent peut-être plus une existence politique mais, en vertu

du DIP, ils possèdent toujours une existence juridique. Ils représentent donc une réalité

internationale parce que les principes de l’égalité souveraine et de la non-intervention

devront s’appliquer à leur cas, malgré leur situation domestique

415

.

Contrairement à l’invasion américaine de l’Afghanistan de 2001, dans le cadre de

laquelle seul le degré de contrôle exercé par le régime taliban sur le groupe Al-Qaïda

était en question, il sera impossible d’attribuer le comportement d’un acteur non

étatique à un État paria. En théorie, ceci devrait signifier qu’un État victime d’une

agression armée par un tel acteur ne pourra se prévaloir de son droit à la légitime

défense, car une attaque non imputable à un État n’est pas traditionnellement

considérée comme étant une agression armée en vertu de l’article 51 de la Charte des

NU

416

. Cependant, cette vision de l’agression armée sera peut-être sujette à des

modifications importantes dans un proche avenir.