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Vers une formule magique au Conseil d’Etat ?

Les élections au Conseil national de 1967 sont le premier test après la scission entre les conservateurs et les chrétiens-sociaux. Ceux-ci s’apparentent au grand vieux parti avec lequel ils forment un seul groupe aux Chambres fédérales. Le résultat est un total de 47,4% des suffrages (moins que les 49,1% additionnés pour le Grand Conseil en 1966) et trois sièges. Radicaux, socialistes et agraires partent chacun de leur côté, sans apparentement. Les socialistes progressent mais n’obtiennent qu’un siège, alors que les radicaux maintiennent leurs deux mandats, tout en appelant à une collaboration avec les conservateurs au sein du Conseil d’Etat et de la députation fédérale. Les élections nationales de 1971 ne changent rien à la répartition des sièges ne changent rien à la répartition des sièges. Les conservateurs, seuls, obtiennent 41,5% des suffrages, alors que les chrétiens-sociaux en sont à 5,3%. La scission ne bénéficie à aucun des deux partis.

Les élections cantonales qui suivent suscitent un intérêt très grand. Les partis cherchent des alliances. Le PDC tente une grande alliance au centre avec les chrétiens-sociaux (qui refusent) et les agrariens (qui acceptent). L’assemblée des délégués du PDC confirme cet accord massivement, par 178 voix contre 32. Le PDC présente cinq candidats, alors que les agrariens placent le seul Joseph Cottet sur leur liste. Appétit féroce du plus fort parti ? Les socialistes partent seuls avec quatre candidats, tout comme les radicaux qui prennent le risque de placer deux candidats en compagnie de leurs deux sortants, alors que les chrétiens-sociaux n’ont qu’un seul champion sur leur liste. Les élections au Grand Conseil voient un léger gain pour le PDC avec 57 sièges (+1) et son allié PAI-UDC avec 9 sièges (+1). Les radicaux sont en fort recul après leur score historique de 1966 avec 30 sièges (-7), tout comme les chrétiens-sociaux avec 5 sièges (-3), alors que les socialistes sont les grands triomphateurs en conquérant 29 sièges (+8) ! Ces tendances vont-elles se confirmer pour l’élection de l’exécutif ?

Le premier tour (14 novembre 1971) est marqué par l’élection de Pierre Dreyer (PDC) et par un ballotage pour les six autres sièges. Les candidats PDC occupent les rangs deux à cinq, suivi de l’agrarien Joseph Cottet. On trouve beaucoup plus loin le socialiste Jean Riesen, les deux radicaux sortants Paul Genoud et Emil Zehnder, puis le socialiste Denis Clerc. Le second tour promet d’être haletant. Le PDC retire sagement son cinquième candidat et continue son soutien à Joseph Cottet, alors que les radicaux et les socialistes présentent leurs deux meilleurs candidats. Le peuple fribourgeois donne un coup de barre à gauche le 5 décembre 1971. Les trois PDC en lice et Cottet

finissent en tête, suivi des socialistes Riesen et Clerc. Comment interpréter la défaite des radicaux ? Si l’usure du pouvoir (12 ans au gouvernement) peut être invoquée pour Zehnder, Genoud semble avoir été victime des surcoûts de l’Hôpital cantonal, ce qui est en partie injuste. Le parti radical semble assis entre deux chaises de 1966 à 1971. Il ne sait où se situer entre une politique d’opposition au Grand Conseil et dans les médias et sa double présence au gouvernement.

La prochaine échéance électorale est celle des fédérales de 1975. Les partis sentent son importance. Les radicaux veulent la « Sécurité et la Liberté », défendant une société libre fondée sur l’ordre démocratique et l’initiative privée. Les socialistes exploitent la crise de 1973 autour de la « Sécurité

et Justice », mettant en cause l’économie libérale et les patrons et défendant l’autogestion. Les

démocrates-chrétiens poursuivent leur idée du « Centre dynamique », profitant de l’absence des chrétiens sociaux pour atteindre 47% et garder leurs trois sièges. Les socialistes distancent les radicaux et Félicien Morel rejoint Jean Riesen au Conseil national, prenant un siège au parti d’opposition traditionnelle. Les démocrates chrétiens Bourgknecht et Dreyer passent la rampe au Conseil des Etats.

Les élections cantonales de 1976 se déroulent dans un climat tendu. La collaboration gouvernementale entre les démocrates-chrétiens, appuyés par leur allié agrarien, et les deux socialistes passe par des hauts et des bas. Si Jean Riesen poursuit, tout en gardant son mandat au Conseil national, la politique de Claude Genoud en matière de routes et d’autoroutes, Denis Clerc amène des changements à la Direction de la santé, ce qui dresse contre lui une majorité de la Société de médecine.

Le Conseil d’Etat traverse une véritable crise de confiance en 1974 lorsque trois des ses projets sont attaqués en referendum par un comité formé du journaliste Pierre Charrière (Le Matin), Jules Bossel et Charles Tinguely. Ce comité attaque la hausse des taxes sur les véhicules à moteur, la loi sur les communes qui permet une fusion obligatoire en cas de difficultés financières persistantes et l’agrandissement de l’université, subventionné à 90% par la Confédération. Charles Tinguely est interrogé par La Liberté (13 mai 1974), met en cause l’Université, notamment ses futurs frais d’exploitation, et veut faire entendre des revendications paysannes. Il pense que la Ville de Fribourg devrait contribuer aux dépenses universitaires et que la Confédération devrait reprendre l’Université. Le vote a lieu le 26 mai 1974. Les électeurs rejettent à quatre contre un l’augmentation des taxes sur les véhicules, ce qui était attendu. Il rejette la loi sur les communes (25’025 non/ 17’846 oui) et l’agrandissement de l’université (26'440 non/ 16'658 oui). Ce mouvement de mauvaise humeur suit un refus des autorités de soumettre au peuple un crédit routier (41 millions) dans le cadre du referendum obligatoire, ce que va corriger le Tribunal fédéral. Certains membres des autorités réagissent mal : le conseiller d’Etat Rémi Brodard parle de « l’immaturité politique du peuple

fribourgeois ». Le comité des non annonce son intention de se muer en comité permanent et d’agir

au sein des partis. Il aura de quoi être vigilant car les autorités fribourgeoise vont contourner le veto populaire sur l’Université en faisant financer l’ex part cantonale des dépenses par l’association des Amis de l’Université ! Le ministre Max Aebischer, auteur de ce tour de passe-passe utile au canton, aura l’intelligence de ne pas se représenter en 1976.

Le PDC et son allié le PAI-UDC, dont certains membres font partie du comité des non, s’inquiètent de l’influence que pourrait avoir cette nouvelle force politique lors des élections cantonales de 1976. Le comité des non menace de biffer certains élus PDC de la liste d’entente, alors que les agrariens

craignent que leur candidat soit biffé, en représailles, par les démocrates-chrétiens. De plus, le PAI-UDC a apparenté ses listes au PICS (Broye) ou fait liste commune avec celui-ci (Gruyère). Le conseiller d’Etat PAI-UDC Joseph Cottet va prier ses collègues PDC de rencontrer les membres du comité des non. Cette rencontre a lieu au début novembre 1976. Le comité des non énonce ses reproches à MM. Dreyer, Waeber et Brodard qui en prennent note et répondent à certaines questions.

Les élections cantonales ont lieu le 14 novembre 1976. Au Grand Conseil, les fronts sont stables : 57 députés PDC (-), 31 députés radicaux (+1), 29 députés socialistes (-), 9 députés PAI-UDC (-) et 4 députés chrétiens-sociaux (-1). Au Conseil d’Etat, les changements sont beaucoup plus marqués : les cinq candidats de l’alliance PDC-PAI-UDC sont en tête (le PDC Rémi Brodard est élu au premier tour), suivis par le radical Ferdinand Masset, le sortant socialiste Denis Clerc, le radical Hans Baechler et le socialiste sortant Jean Riesen. François Gross dans La Liberté du 16 novembre se demande s’il faut un second tour, le peuple ayant plébiscité une majorité claire et la participation radicale et socialiste au Conseil d’Etat. Il n’est pas écouté et les esprits s’échauffent, le second tour se terminant en « foire

d’empoigne » (François Gross). Au second tour, les trois PDC et le PAI-UDC passent aisément, devant

Ferdinand Masset (27’024 voix), Hans Baechler (24'698), Denis Clerc (24'463) et Jean Riesen (20'592). Le peuple a donc donné un coup de barre à droite, l’électorat PDC et agraire s’est reporté sur les deux candidats radicaux, face à des socialistes très agressifs envers « les bourgeois ».

Le parti socialiste a subi un échec mais il va en tirer les leçons sous ses présidents successifs Félicien Morel (1973-1978) et Denis Clerc (1978-1981), deux habiles stratèges. Ils obtiennent l’élection d’un premier juge socialiste au Tribunal cantonal en 1977. Porté par les succès socialistes en France, ils attaquent ensuite une autre citadelle : les deux sièges du PDC au Conseil des Etats. Le PDC les a défendus, au suffrage majoritaire en 1972 et en 1975, en présentant deux personnalités fortes : le centriste Pierre Dreyer et le très conservateur Jean-François Bourgknecht, fils du conseiller fédéral Jean Bourgknecht. Ce dernier est affaibli par des ennuis fiscaux, lui qui a présidé la commission du parlement qui a établi la loi sur les impôts. Ce qui apparaît une divergence sur des chiffres devient une affaire d’Etat avec des fuites de documents dans la presse. La position de Jean-François Bourgknecht, rudement attaqué par Félicien Morel, devient indéfendable et il se retire de la course en 1979, estimant être victime d’une cabale.

Le PDC devrait trouver un oiseau rare pour rallier une majorité. Pour plaire aux Alémaniques, il choisit le Directeur des Finances Arnold Waeber peu populaire. Celui-ci est très méprisant envers la gauche et notamment envers les chrétiens-sociaux singinois. Le PSF lui oppose habilement un Alémanique, Otto Piller, haut fonctionnaire fédéral. C’est le ballottage général au premier tour, avec en tête Pierre Dreyer (48.8%), devant Arnold Waeber (43,6%) et Otto Piller (30,8%). Au second tour, c’est la surprise : Dreyer (55,8%) et Piller (51,2%) sont élus. Un nombre certain de suffrages chrétiens-sociaux et radicaux se sont reportés sur Piller. Au Conseil national, on retrouve ces succès de la gauche, même si la répartition des sièges est identique : 3 PDC, 2 PS et 1 PLR. En l’absence d’une liste chrétienne-sociale, le PDC plonge de 47 à 40 %, alors que le PS progresse de 25,7 à 30,7%, alors que le PLR et le PAI-UDC progressent légèrement.

Le PDC est obligé de revoir sa stratégie. Après l’échec de l’initiative sur la proportionnelle au Conseil d’Etat et de son contre-projet, il est clair que le peuple veut garder les mains libres en la matière. Le fort score que ces deux textes ont obtenu montre en même temps un souci d’équité. L’assemblée des délégués du PDC du 1er juin 1981 choisit d’adapter sa force au Conseil d’Etat à celle obtenue au

Grand Conseil. Le parti souhaite évidemment accroître son nombre de députés, mais les chrétiens-sociaux singinois sont en dissidence presque ouvertes depuis 1979. Le groupe PDC au Grand Conseil ne leur attribue pas une des vice-présidences du parlement et c’est la rupture ! Les chrétiens-sociaux de droite singinois rejoignent les indépendants chrétiens-sociaux de gauche. Le PDC peut s’attendre à perdre la moitié de ses sièges dans son fief singinois ! Il s’écroule lors des élections de 15 novembre 1981, passant de 57 à 47 sièges ! Les radicaux reculent un peu, de 31 à 29 sièges, alors que le PS les dépasse en conquérant 33 sièges (+4). Le PAI-UDC reste stable à neuf sièges, alors que les chrétiens-sociaux, comme prévu, passent de 4 à 12 sièges.

Au Conseil d’Etat, le PDC rompt son alliance avec le PAI-UDC Joseph Cottet. Il présente deux sortants (MM. Cottier et Brodard) et un choix de trois candidats pour un troisième siège. Les socialistes offrent un choix avec trois candidats, en visant deux places. Les radicaux présentent leurs sortants, MM. Masset et Baechler. Le PAI-UDC sortant, Joseph Cottet, part seul, alors que le nouveau parti chrétien-social présente pour la première fois une femme (Madeleine Duc-Jordan) et un Singinois. Le premier tour (16 novembre 1981) voit un ballottage général. On trouve dans l’ordre des voix : 1. Cottier (PDC), 2. Brodard (PDC), 3. Masset (PLR), 4. Morel (PS), 5. Gremaud (PDC), 6. Clerc (PS), 7. Baechler (PRD). Joseph Cottet finit 11ème à 5'000 voix de Hans Baechler.

Le PDC se réunit en assemblée des délégués à Tavel, le 19 novembre 1981. Il vote par 218 voix contre 33 pour une liste à trois candidats (MM. Cottier, Brodard et Gremaud), le comité-directeur obtenant une compétence pour agir si le PS partait à trois candidats. Le président du PDC est clair : « Regardons l’évidence du présent. Ne rêvons pas du passé. Il faut savoir tourner la page soi-même. » Le PS mesure ses appétits avec deux candidats (MM. Clerc et Morel) et le PLR présente ses deux sortants (MM. Masset et Baechler). Les chrétiens-sociaux se retirent et Joseph Cottet reste seul en lice face aux 7 candidats des grands partis. Il effectue une belle remontée lors du second tour (6 décembre 1981) mais il finit à 3'300 voix du dernier élu Hans Baechler.

Fribourg a fêté, comme Soleure, ses cinq cent ans d’appartenance à la Confédération en cette année 1981. Il s’est doté d’un gouvernement de concordance avec 3 PDC, 2 socialistes et 2 radicaux, ce qui correspond aux de force au Grand Conseil. Cette entente groupe le 84% des forces politiques du canton qui doit relever de grands défis qui vont nécessiter la collaboration des principales forces politiques. Fribourg découvre, avec 22 ans de retard sur la Confédération, les vertus d’une formule magique de gouvernement. François Gross écrira que : « Le peuple fribourgeois a voté l’équilibre ». Le maintien de cet équilibre dépend bien sûr de l’évolution des forces politiques. Le PDC saura-t-il trouver une relève ? La même question se pose pour les radicaux qui ont deux fortes personnalités, Ferdinand Masset, issu des milieux économiques et de la capitale, ainsi que Hans Baechler, représentant du Lac, souvent privé de conseillers d’Etat ? Le parti socialiste pourra-t-il maintenir une bonne entente entre MM. Clerc et Morel ? Il est de notoriété publique qu’ils ne s’apprécient guère.

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